Intervention de Albéric de Montgolfier

Réunion du 6 novembre 2014 à 9h30
Programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances :

Je commencerai plutôt en 2012…

Après avoir annoncé sa volonté de renégocier le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, pendant la campagne présidentielle, le Président de la République y a rapidement renoncé, puisqu’il a proposé, à travers la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, la transcription de cette renonciation.

Quelques mois seulement après son élection, le 7 septembre 2012, il confirmait, à l’occasion de la rentrée solennelle de la Cour des comptes, l’engagement pris par la France de ramener le déficit public à 3 % dès la fin de l’année 2013. Il précisait: « Le ralentissement économique actuel rend encore plus ardue la réalisation de cet objectif, mais encore plus nécessaire la réussite de cet exercice. »

Pierre Moscovici avait, à l’occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 2013, indiqué à la commission des finances du Sénat : « C’est bien pour nous de 3 % dont il s’agit, pas 3, 1 %, pas 3, 2 %, pas 3 % en tendance, pas 3 % à peu près, pas 3 % si on peut, mais 3% ». À l’arrivée, cela a été en effet non pas « à peu près 3% » de déficit public, mais 4, 3 % !

En réalité, en 2013 comme cette année, le Gouvernement a feint jusqu’à la dernière limite de croire que cette limite allait être respectée, alors même que l’opposition parlementaire ici même, la Cour des comptes, les observateurs, les instituts de conjoncture et différents organismes n’y croyaient plus, pas plus, selon toute vraisemblance, que le Gouvernement lui-même.

En 2013, en effet, les perspectives avaient été radicalement révisées, mais en bonne intelligence, tout de même, avec la Commission européenne. Le ministre des finances et des comptes publics a donné avec vous, monsieur le secrétaire d’État, une conférence de presse le 10 septembre dernier au cours de laquelle il a indiqué qu’il souhaitait adresser un « discours de vérité ».

En fait, cela sonne plus comme un repentir au regard des engagements antérieurs. Est-ce à dire que les prévisions précédentes étaient bonnes au moment du programme de stabilité ou du débat d’orientation des finances publiques ?

Il s’est agi plus simplement de mettre subitement nos partenaires européens devant le fait accompli. Comment ces derniers peuvent-ils, alors qu’ils ont mis en œuvre des programmes de rigueur, accepter une forme d’arrogance et d’unilatéralisme qui n’est conforme ni à l’esprit ni à la lettre de l’avancée de l’intégration européenne ?

Je comprends que l’on puisse hausser le ton face à la Commission, dans une logique de rapport de force. Mais n’est-ce pas, au fond, revenir sur nos engagements et manquer de respect à nos partenaires ? Comment peut-on croire que cette posture de grandeur, cette arrogance, impressionnent des États comme la Grèce, l’Espagne, le Portugal, les pays baltes et d’autres encore, qui, eux, ont consenti des efforts considérables, sous une pression constante à laquelle nous avons contribué ?

En résumé, nous n’avons respecté aucun de nos engagements.

Après avoir obtenu un report de 2013 à 2015, nous avons unilatéralement décidé de différer l’objectif des 3 % de déficit à 2017.

Nous n’avons pas mis en œuvre l’ajustement structurel demandé par la Commission européenne pour les années 2014 et 2015.

Nous avons modifié, sans motif valable, notre objectif de solde structurel à moyen terme.

Enfin, nous avons privé de tout effet le mécanisme de correction.

Comme l’a souligné le président du Haut Conseil des finances publiques, Didier Migaud, devant notre commission des finances le 15 octobre dernier : « La correction du Gouvernement consiste en une nouvelle loi de programmation ».

Concrètement, le Gouvernement a décidé d’effacer l’ardoise et donc les écarts passés, avec une nouvelle loi de programmation des finances publiques qui abroge tout simplement les orientations de la précédente. Pour nous, parlementaires, un tel procédé force à s’interroger sur la portée du travail du législateur : il semble si simple d’échapper à la correction !

En termes de solde effectif, pour les années 2013 à 2015, la dérive par rapport à la loi de programmation de décembre 2012 devrait atteindre 3 points de PIB. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Vous le savez, le déficit de 2015 sera le même que celui de 2013 ! Cela prouve que la stratégie de redressement des finances publiques menée depuis le début du quinquennat a échoué, ou que l’on y a renoncé. En tout cas, force est de constater que, si elle a suscité de l’exaspération, elle n’a pas produit les résultats attendus.

En tant que telle, cette situation budgétaire est inquiétante. Elle l’est davantage encore si nous nous comparons aux autres pays européens. À cet égard, un chiffre mérite d’être rappelé : la France afficherait un déficit de 4, 4 % du PIB en 2014, contre une moyenne de 2, 6 % du PIB dans la zone euro. Nous figurons parmi les États de l’Union dont le niveau de déficit est le plus élevé.

Sauf erreur de ma part, seuls deux pays font moins bien que nous en la matière, le Portugal, avec un déficit de 4, 9 %, et l’Espagne, avec un déficit de 5, 6 % du PIB. Encore faut-il préciser que ces pays partent de beaucoup plus loin. Ils ont un passé budgétaire plus lourd. Parallèlement, ils ont accompli des efforts budgétaires beaucoup plus importants. Je vous rappelle que le déficit de l’Espagne avoisinait les 10 % du PIB en 2011, et que celui du Portugal dépassait alors les 7 %. À l’époque, le déficit de la France s’élevait à 5 %. On mesure ainsi le chemin parcouru par ces pays. Pour notre part, nous avons purement et simplement stagné. Je le répète, notre déficit est strictement le même qu’en 2013 !

Un tel constat ne saurait surprendre. En effet, alors que le Gouvernement affirme avoir procédé à un effort « considérable », il apparaît que la dépense publique a progressé, en France, de 2, 5 % en moyenne entre 2012 et 2013. Pourtant, elle n’a crû que de 1, 2 % en moyenne dans la zone euro au cours de la même période. Voilà qui explique le différentiel entre notre pays et ses partenaires européens.

Après ce bref historique, j’en viens plus précisément à la nouvelle trajectoire que nous propose le Gouvernement pour les années 2014 à 2019.

Que nous dit le Gouvernement ? Quelles sont les grandes lignes du présent texte ?

Tout d’abord – c’est le premier point de désaccord entre nous, monsieur le secrétaire d’État –, ce projet de loi de programmation reporte le retour à un déficit effectif inférieur à 3 %. Il est désormais censé être atteint en 2017. L’objectif de moyen terme est également différé.

En effet, alors que nous devions initialement revenir à l’équilibre structurel dès 2016, nous visons désormais un déficit structurel de 0, 4 % en 2019. Le décalage est considérable. Surtout – c’est ce que nous avons contesté lors des débats en commission –, la majeure partie de l’effort est concentrée sur la fin de la période considérée, c’est-à-dire sur la prochaine législature, et aucune information n’est donnée quant à l’ajustement qui devrait être effectué en 2018 et 2019.

On peut le comprendre, précisément parce qu’il s’agit de la prochaine législature. Mais les économies en question représentent tout de même 40 milliards d’euros ! Elles sont seulement « évoquées », sans être, pour l’heure, documentées. On laisse ainsi à la prochaine législature, et au prochain gouvernement, le soin d’en définir le contenu. Ainsi, près de la moitié du chemin restera à parcourir après 2017. C’est déjà une forme d’échec au regard des ambitions initiales.

Ensuite – c’est l’une des raisons pour lesquelles nous sommes fondamentalement en désaccord avec la trajectoire proposée –, la programmation réaffirme l’objectif d’une baisse des dépenses publiques de l’ordre 50 milliards d’euros entre 2015 et 2017. Qui n’y souscrirait ? Malheureusement, en pratique, c’est le seul point de repère stable qui demeure, avec bien sûr un certain nombre de dépenses nouvelles et d’allégements de prélèvements obligatoires.

Quel paradoxe ! Alors que, initialement, les 50 milliards d’euros d’économies étaient un moyen pour nous permettre d’atteindre des objectifs de solde, ils constituent désormais une fin en soi. C’est pour ainsi dire l’objectif majeur du Gouvernement. La difficulté tient au fait que, depuis la fixation de cet objectif, il y a près d’un an, les lignes ont bougé. En matière de fiscalité notamment, le Gouvernement ne se contente plus de parler de 50 milliards d’euros. Il indique qu’il faudrait bien davantage !

En vérité, personne, à la lecture du présent projet de loi, ne sait où retrouver ces 50 milliards d’euros d’économies, à supposer qu’ils aient un sens. En effet, le tendanciel par rapport auquel ils sont appréciés a été modifié et les décomptes du Gouvernement nous laissent, au sein de la commission des finances, pour le moins sceptiques. On nous promet de tout nous dire, mais, il faut bien le reconnaître – c’est d’ailleurs, peu ou prou, le constat dressé par la Cour des comptes –, nous n’avons pas toutes les pièces du puzzle.

Comment donc retrouver ces 50 milliards d’euros d’économies ?

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