Intervention de André Gattolin

Réunion du 6 novembre 2014 à 9h30
Programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je reviens au sujet : nous examinons aujourd’hui ce qui sera la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019.

Pourtant, les orientations pluriannuelles de nos finances sont d’ores et déjà encadrées – de 2012 à 2017 – par la précédente loi de programmation, que nous avons votée il y a deux ans. Sachant que l’esprit d’une programmation est de se projeter dans la durée pour y fixer un cadre, réviser ce cadre avant même d’avoir couvert ne serait-ce que la moitié de la période annoncée affaiblit quelque peu, vous en conviendrez, le concept de programmation...

Toutefois, on comprend mieux la démarche du Gouvernement lorsque l’on réalise que cette résiliation de la loi de programmation en vigueur permet de porter au processus d’ajustement structurel un coup aussi discret qu’efficace.

En effet, la loi organique transposant le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance a érigé la loi de programmation en véritable pivot du pilotage de nos finances publiques vers leur objectif de moyen terme. C’est par rapport à la loi de programmation que le Haut Conseil des finances publiques doit évaluer la cohérence des projets de loi de finances. C’est également par rapport à cette loi que le Haut Conseil doit identifier les écarts dits « importants » des exécutions budgétaires, ceux qui sont à même de déclencher le mécanisme de correction.

Or, en mai dernier, dans son avis sur le projet de loi de règlement pour 2013, le Haut Conseil avait précisément mis en évidence un écart important de l’exécution par rapport à la programmation. Il avait donc appelé à une correction.

Désireux d’échapper à ce traitement – ce que l’on peut tout à fait comprendre, par ailleurs –, le Gouvernement a préféré modifier le thermomètre en annulant la loi de programmation. Ce contournement de nos engagements européens ne s’est toutefois pas opéré sans avoir préalablement sollicité, et obtenu, la mansuétude de la Commission et du Conseil européens.

Certes, comme Michel Sapin le rappelait hier devant notre commission des finances, pour ce qui est des errements entourant les prévisions de croissance économique en France, la Commission européenne n’est pas innocente. En effet, elle prévoyait elle-même, il n’y a pas si longtemps, une reprise de l’activité dans la zone euro courant 2014 et son amplification en 2015…

Malheureusement, les concessions qui nous été récemment accordées par le Conseil et la Commission ne sont pas gratuites. En l’occurrence, elles nous coûtent même un peu plus de 40 milliards d’euros par an…

Dans le rapport annexé au présent projet de loi, le Gouvernement explique en effet que, s’il peut se permettre de modifier son objectif de moyen terme et sa trajectoire d’ajustement structurel, c’est parce qu’il a introduit cette réforme structurelle d’ampleur qu’est le pacte de compétitivité – il consiste, rappelons-le, à diminuer les impôts et les cotisations sociales de toutes les entreprises, sans poser véritablement de conditions ni de critères.

Les bénéfices attendus de cette mesure sont pourtant assez hypothétiques.

Alors qu’au deuxième trimestre les dividendes versés par les entreprises françaises s’établissaient à 40, 7 milliards de dollars, en hausse de 30 %, le Gouvernement, après avoir initialement parlé de 300 000 emplois créés, puis seulement de 150 000, n’ose désormais plus s’engager sur les retombées. Le ministre des finances et des comptes publics, Michel Sapin, a récemment laissé entendre qu’il n’y aurait finalement pas de lien direct et automatique entre CICE et emploi.

En attendant, les recettes de l’État et de la sécurité sociale sont profondément grevées par ce manque à gagner fiscal. Pourtant, pour faire face au déficit, on préfère toujours stigmatiser et incriminer les dépenses publiques et le modèle social plutôt que la fonte des recettes.

C’est ainsi que, forts d’une vieille collusion, austérité et libéralisme excessifs se justifient et se renforcent, dans un cercle vicieux assez mortifère. C’est de l’excès de libéralisme, en l’occurrence financier, que provient la stagnation actuelle de nos économies en Europe. Rappelons en effet que c’est bien la crise financière qui a provoqué la crise de la dette publique : au sein de la zone euro, la dette publique stagnait autour de 70 % du PIB en 2008, alors qu’elle atteint près de 93 % en 2014. Aujourd’hui, le balancier revient, et c’est désormais l’austérité qui nous impose le libéralisme...

Après le financement des entreprises par les ménages, voilà que se profilent ou se poursuivent une baisse des prestations sociales, un durcissement des conditions d’indemnisation des chômeurs, une révision des seuils sociaux et une réduction des protections environnementales. Nous n’en sommes donc pas sortis !

Les hypothèses que nous propose le Gouvernement dans la nouvelle loi de programmation, censée nous porter jusqu’en 2019, semblent à peine plus crédibles que celles qui avaient présidé à l’élaboration de l’ancienne.

Le Haut Conseil juge en effet ces hypothèses « trop favorables », notamment en ce qui concerne le scénario d’une reprise internationale qui viendrait démultiplier la demande et l’empressement supposé des entreprises françaises à investir – on vient de voir ce qu’il en était à propos des dividendes…

La Commission européenne a, quant à elle, évalué la croissance française à 0, 7 % en 2015, là où le projet de loi de programmation et le projet de loi de finances à venir tablent sur 1 %.

Compte tenu de la grande sensibilité des finances publiques à ces hypothèses, il est à craindre, pour l’année prochaine et la suivante, que ne se reproduise le même cycle : de nouveaux écarts, de nouvelles mesures, une nouvelle loi de programmation et ainsi de suite...

Nous nous enferrons, et l’Europe avec nous, dans une logique dont le FMI lui-même a reconnu avant-hier – pour la deuxième fois – qu’il s’était laissé prendre à ses effets néfastes. Cette situation est un désastre pour l’Europe ! Et c’est un désastre pour l’image qu’en ont nos concitoyens ! Faut-il rappeler qu’ils ont placé en tête du dernier scrutin européen le parti le plus europhobe de notre échiquier politique ?

La Suède vient également de connaître une poussée historique de son extrême droite, tandis que le débat public en Grande-Bretagne a rarement été aussi hostile à l’Union européenne.

Si je me suis toujours défié des méfaits de l’austérité, j’ai néanmoins fait partie, au sein de ma famille politique, des rares parlementaires à avoir voté pour le traité sur la stabilité, la cohérence et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire. Il me semblait alors que refuser ce traité, négocié de longue date et déjà ratifié par plusieurs pays, aurait durablement brisé la construction européenne.

À l’inverse, j’espérais qu’en l’adoptant nous serions en mesure de restaurer la confiance avec l’Allemagne et d’engager avec elle un dialogue constructif. J’ai cru qu’il nous permettrait de regagner du leadership politique sur la scène européenne en mobilisant nos partenaires sur de nouveaux axes, de nouvelles dynamiques. Hélas, force est de constater, plus de deux ans après, que nous n’avons pas su réellement emprunter ce chemin !

Pendant trop longtemps, la France n’a pas été assez présente ni assez active sur la scène politique européenne. Quant à la relation franco-allemande, il suffit, pour se faire une idée de son caractère déséquilibré, de savoir que l’Allemagne a demandé à la Commission un contrôle encore plus strict des budgets nationaux, et ce pas plus tard que le 20 octobre dernier, le jour même où les ministres de l’économie et des finances allemands recevaient, monsieur le secrétaire d’État, leurs homologues français !

Nous ne pouvons pas accepter que la réduction des dépenses publiques, la libéralisation effrénée du modèle social et la course sans fin à la baisse du prix du travail constituent le ciment irréfragable de la politique européenne. Contre cette Europe sans véritable projet, il nous faut construire ensemble l’Europe de la solidarité et de la coopération.

Monsieur le secrétaire d’État, demande-t-on à la région Lorraine de réduire ses services publics afin d’être compétitive avec la région d’Île-de-France ? Cela n’aurait aucun sens et il en va évidemment de même à l’échelle de l’Union.

C’est bien l’Europe de la coopération qu’il nous faut aujourd’hui construire. Comment peut-on sérieusement envisager de bâtir un projet commun quand certains États, qui ne sont d’ailleurs pas les derniers à réclamer le respect des ratios de déficit, organisent tranquillement l’évasion fiscale des multinationales au détriment de leurs voisins ?

Ne pourrait-on pas imaginer, monsieur le secrétaire d’État, que le dialogue entre la Commission et les États aborde la question de l’harmonisation fiscale avec autant d’énergie que celle du solde budgétaire ?

Il nous faut reconstruire l’idée d’une intégration européenne fondée sur une véritable gouvernance stratégique commune en matière économique, dotée d’un budget propre et prenant en compte les spécificités des États, leurs forces et leurs faiblesses. Mener dans ce cadre une transition écologique et énergétique de notre modèle de développement permettrait de construire de grandes filières industrielles européennes d’avenir, notamment dans l’énergie et les transports, et d’éviter une catastrophe climatique au coût exorbitant.

Autant de chantiers qui permettraient, mieux que l’austérité, de conduire l’Europe sur la voie d’une économie durable et solidaire, la seule qui puisse emporter l’adhésion des peuples.

La toute récente entrée en fonctions de la nouvelle Commission européenne, qui s’accompagne de la remise en marche concrète de l’ensemble des institutions de l’Union, nous offre justement l’occasion institutionnelle et politique de formuler de semblables propositions.

Ce projet de loi de programmation, monsieur le secrétaire d’État, n’est malheureusement pas le reflet d’une telle vision. C’est pourquoi les écologistes ne sont pas prêts à le voter.

Pour autant, nous pouvons nous accorder sur le fait que, jusqu’à présent, la nouvelle majorité sénatoriale ne nous aura pas particulièrement éclairés sur sa propre vision de la trajectoire de nos finances publiques. Peut-être trouvera-t-elle l’occasion, lors du débat sur le projet de loi de finances, de nous expliquer comment elle compte réduire les dépenses publiques de 100 milliards d’euros tout en préservant les ressources des collectivités territoriales…

Quoi qu’il en soit, en attendant, elle ne nous propose qu’un texte bancal, vidé de ses éléments constitutifs. Cette alternative, vous l’aurez compris, ne nous satisfait pas davantage que le projet présenté par le Gouvernement.

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