Intervention de Philippe Dallier

Réunion du 6 novembre 2014 à 9h30
Programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Philippe DallierPhilippe Dallier :

Le 31 décembre dernier, le Président de la République, dans ses vœux aux Français, a dû implicitement reconnaître l’échec de cette politique et annoncer ce que certains ont appelé un « tournant social-libéral ».

Depuis, nous avons passé plusieurs mois – enfin, surtout à gauche ! – à débattre de cette notion un peu abstraite : le social-libéralisme. Les uns l’assumaient, les autres la repoussaient, horrifiés, donnant naissance au mouvement des frondeurs, et les troisièmes – c’était encore plus comique ! – essayaient de nous faire croire que, finalement, ce n’était que l’approfondissement de la même politique...

Il aura fallu attendre la débâcle de la majorité lors des élections municipales et la nomination du nouveau Premier ministre pour tourner la page sur cette querelle sémantique sans grand intérêt et, surtout, pour que le Gouvernement assume enfin, dans le discours tout du moins, son virage idéologique.

Mais, dix mois après les vœux du Président de la République, aucune entreprise n’a encore ressenti le moindre effet de ces annonces. Le pacte de responsabilité, c’est encore pour demain, et le CICE, dans sa version première, n’a pas donné les résultats attendus. La preuve, il coûtera moins cher que prévu, ce dont, pour une fois, il est difficile de se réjouir.

Que de temps perdu pour la France, pour ses entreprises, pour les Français !

Cette histoire-là, nous pouvons justement la retracer dans la comparaison des deux lois de programmation des finances publiques, celle qui a été adoptée à la fin de 2012 et celle que nous examinons aujourd’hui.

Que constatons-nous ? Que le temps passe, que les déficits se creusent, comme la dette, et que les horizons radieux promis en 2012 s’éloignent. L’atteinte de l’équilibre structurel attendra, au mieux, 2016, et le retour à un déficit public sous la barre des 3 % est repoussé à 2017, après un premier report à 2015 négocié avec Bruxelles. Quant à l’atteinte du très hypothétique équilibre de nos finances publiques, il n’est plus envisagé qu’à l’horizon de 2019, autant dire aux calendes grecques !

Voilà où nous en sommes après deux années et demie de présidence Hollande.

Si encore, monsieur le secrétaire d’État, nous avions le sentiment que les objectifs que vous nous proposez aujourd’hui étaient réalistes, nous ne nous en contenterions pas, mais nous serions moins sévères. Mais voilà, nous ne le croyons pas, pas plus que le Haut Conseil des finances publiques ne croit à votre hypothèse de croissance pour 2015, ni à votre capacité à réaliser les 21 milliards d’euros d’économies annoncées, d’ailleurs pas toutes documentées.

La Commission européenne a émis les mêmes réserves sur le projet de budget 2015, et vous n’avez échappé à un avis négatif qu’en ayant recours à un savant tour de passe-passe, sortant opportunément de votre chapeau 3, 6 milliards d’euros, qui sont d’ailleurs constitués non pas d’économies budgétaires, mais de recettes supplémentaires loin d’être certaines, et encore moins pérennes.

La Commission, dans un premier temps, a semblé se contenter de cette réponse, dont on sent bien qu’elle avait dû être âprement négociée, à haut niveau. Mais voilà qu’avant-hier, patatras, la même Commission, en la personne de Pierre Moscovici, rendait publiques ses prévisions de croissance et de déficit pour la zone euro.

Que dit la Commission pour la France ? Tout simplement qu’elle ne croit pas à vos prévisions de croissance et de réduction du déficit public pour l’année qui s’achève, pas plus qu’elle n’y croit pour 2015 ou pour 2016.

Alors que le projet de loi de programmation que nous examinons retient les hypothèses de 4, 3 % de déficit en 2015, 3, 8 % en 2016 et 2, 8 % en 2017, la Commission anticipe un dérapage continu de 4, 5 % en 2015 et de 4, 7 % en 2016. Quant à 2017, si la Commission ne donne pas de chiffres, elle redoute, année électorale oblige, que la situation ne se dégrade encore. Si tout cela se confirmait, cela ferait de la France le plus mauvais élève de la classe, autant dire l’homme malade de l’Europe.

Principale responsable de cette situation, selon la Commission, la faiblesse de la croissance prévisionnelle, qu’elle anticipe à 0, 7 % en 2015 et à 1, 5 % en 2016, alors que le Gouvernement retient les hypothèses de 1 % et 1, 7 %.

Voilà, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce que prévoit Bruxelles, par la bouche de Pierre Moscovici qui, changeant de fonction, rappelle maintenant à l’ordre le gouvernement français, alors qu’il porte une lourde part de responsabilité dans la situation actuelle de la France. Il est donc vérifié que l’habit fait bien le moine : laxiste à Paris, père la rigueur à Bruxelles !

Alors, au bout du compte, qui aura raison ? C’est toute la question. Cependant, lorsqu’il y a de tels écarts d’appréciation, la prudence ne voudrait-elle pas que nous retenions les hypothèses les plus prudentes...

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