Intervention de Vincent Capo-Canellas

Réunion du 6 novembre 2014 à 9h30
Programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Vincent Capo-CanellasVincent Capo-Canellas :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la discussion de ce projet de loi intervient à un moment clé. Vous devez faire face, monsieur le secrétaire d’État, à la Commission européenne, aux marchés et, surtout, aux entreprises, qui connaissent des difficultés. Le chômage s’aggrave et le mur de la dette se rapproche.

En toute logique, l’objet de ce projet de loi devrait être de nous contraindre à nous inscrire collectivement dans une véritable démarche de réduction des déficits publics, ainsi que de donner une visibilité et une perspective au corps social, aux marchés, aux investisseurs, à l’ensemble du pays.

Or, paradoxalement, on aboutit au résultat inverse, et ce au moment où nous sommes dans le viseur de nos partenaires européens et de la Commission européenne, qui jugent nos efforts insuffisants.

Ce projet de loi est d’abord fragile par construction ; M. le rapporteur général de la commission des finances l’a excellemment rappelé. Je pense aux économies projetées, en particulier à celles qu’il est prévu d’imposer aux collectivités territoriales.

La mise en œuvre des dispositions de ce projet de loi est en outre aléatoire, car trop sensible à la conjoncture. Le scénario proposé pourrait se dégrader fortement si le taux de croissance baissait simplement de 0, 5 point. Or, selon la Commission européenne, la croissance sera systématiquement plus faible que celle qui est prévue par le Gouvernement pour les années 2014 à 2016. Ainsi, notre déficit budgétaire s’établirait à 4, 3 % du PIB en 2014, à 4, 5 % en 2015, enfin à 4, 7 % en 2016. Plus personne ne croit qu’il s’établira à 3 % en 2017. Quant à la dette, selon ce scénario, elle frôlerait les 100 % du PIB en 2016.

Ce projet de loi de programmation, qui devrait s’inscrire dans la durée, nous est paradoxalement présenté dans l’urgence. Vous avez obtenu un répit de Bruxelles, monsieur le secrétaire d’État ; il aura été de courte durée, puisque la Commission européenne a invalidé vos prévisions voilà quelques heures. §

Au-delà, nous devons soulever une question de fond : la priorité affichée de réduire les dépenses est largement contredite par l’ampleur du déficit, qui continue d’augmenter. Nous reconnaissons bien entendu la difficulté de votre tâche, monsieur le secrétaire d’État, mais on a le sentiment que votre stratégie repose sur l’espoir que le retournement économique à l’échelle mondiale profitera à la France. Nous le souhaitons, bien sûr, mais il est permis d’en douter, et ce doute méthodique s’appuie malheureusement sur des indices sérieux.

Certes, faire des prévisions économiques est difficile, et tous les gouvernements sont confrontés à cette difficulté, mais tout de même ! Notre divergence principale est sans doute là : vous poussez les difficultés devant vous et vous faites le pari que la croissance réglera tout.

Vous comprendrez, monsieur le secrétaire d’État, notre scepticisme et, pour tout dire, notre déception à la lecture de ce projet de loi de programmation. La vertu de l’exercice est, en théorie, de donner de la crédibilité à la trajectoire des finances publiques. Vous espérez des lendemains meilleurs : pourquoi pas, mais encore faut-il que l’hypothèse soit construite et crédible.

Au-delà, ce projet de loi de programmation souffre d’un défaut majeur : il risque de renforcer l’effet d’éviction que subit notre pays, dans une économie mondialisée et dans une Europe ouverte, en raison de l’état de ses finances publiques. Dans cette économie, les capitaux sont investis après une analyse très fouillée de la stabilité financière du pays, et donc de la trajectoire de ses finances publiques. Ces investissements, ce sont les emplois de demain. Les investisseurs regardent nos fondamentaux, mais les marchés, qui financent notre dette, s’intéressent tout autant à cette trajectoire.

Nous souffrons déjà d’un effet d’éviction des investissements. Cet effet peut s’aggraver si les perspectives pour nos finances publiques ne s’améliorent pas. Nous risquons également de souffrir demain d’attaques spéculatives contre notre dette, avec les conséquences désastreuses et prévisibles que cela emportera pour nos finances. À cet égard, les chiffres donnés par M. le rapporteur général lors de la réunion de la commission des finances font froid dans le dos. Je le remercie de nous les avoir donnés, mais je pense que mieux vaut ne pas les reprendre ici…

Ce projet de loi devrait nous rassurer sur ces deux points, mais tel n’est malheureusement pas le cas. S’ajoute aux risques que j’ai évoqués celui d’un décrochage brutal en matière de croissance : la France risque de rester à l’écart de la croissance mondiale qui repart. C’est un risque que nous devons considérer lucidement. Nous ne voyons pas ce qui pourra nous permettre de l’écarter si de véritables réformes structurelles ne sont pas engagées pour rendre notre pays réellement compétitif. Au-delà des mots, il faut des actes.

Il faut entreprendre les réformes structurelles que nos voisins, eux, ont faites : réforme du marché du travail, même si elle est difficile et doit être négociée, redéfinition du périmètre des interventions et des missions de l’État – sachant que nous sommes presque arrivés à l’os, nous ne pourrons plus faire d’économies supplémentaires dans deux ou trois ans si ces missions ne sont pas redéfinies –, réforme de l’assurance chômage, dans la concertation et le dialogue, réforme de la protection sociale… Ce sont là des enjeux majeurs. Toutes ces réformes sont sans cesse reportées ou escamotées : à cet égard, il est vrai que l’on peut jeter la pierre aux différents gouvernements qui se sont succédé. Ce n’est qu’à la condition de mener de telles réformes que nous retrouverons le chemin de la croissance et que nous assainirons durablement nos finances publiques.

Il faut revenir à une vision stratégique de ce que fait l’État et de la trajectoire de ses finances. La France est scrutée, monsieur le secrétaire d’État, vous le savez fort bien. Nous attendions de ce projet de loi de programmation qu’il redonne une lisibilité et une perspective à votre stratégie financière. Trop d’incertitudes, trop de paris sur l’avenir, trop d’hypothèses fragilisées par les avis du Haut Conseil des finances publiques et la Commission européenne font que ce texte est, à bien des égards, une occasion manquée.

En conclusion, tout repose sur le retour de la croissance et le maintien de taux bas. Nous bénéficions de ce point de vue, monsieur le secrétaire d’État, d’une conjoncture extrêmement favorable aujourd'hui. Nous savons malheureusement que cette conjoncture positive peut être temporaire. Surtout, elle est due à des facteurs totalement extérieurs, en particulier le bien moindre recours aux marchés de l’Allemagne et des pays ayant fait leurs réformes, qui nous est évidemment favorable. Poser ce constat, c’est dire que, faute de véritables réformes, nous sommes entre les mains des marchés.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UDI-UC soutiendra la rédaction du projet de loi issue des travaux de la commission des finances du Sénat. §

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