Intervention de Michel Delebarre

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 12 novembre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances 2015 — Mission « conseil et contrôle de l'état » programmes « juridictions financières » et « juridictions administratives » - examen du rapport pour avis

Photo de Michel DelebarreMichel Delebarre, rapporteur pour avis :

Nous examinons pour la première fois ensemble les crédits de deux programmes de la mission « Conseil et contrôle de l'État » : le programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives », qui regroupe les moyens affectés au Conseil d'État, aux huit cours administratives d'appel, aux quarante-deux tribunaux administratifs et à la Cour nationale du droit d'asile, et le programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières », qui concerne la Cour des comptes et les vingt chambres régionales et territoriales des comptes.

L'effort budgétaire en faveur des juridictions administratives et financières est maintenu cette année. Ces deux budgets ont en commun de présenter une certaine stabilité permettant aux juridictions de disposer de conditions relativement favorables à l'accomplissement de leurs missions. Dans un contexte de fortes contraintes budgétaires, les crédits alloués pour 2015 au programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » est en progression : + 2,2 % en crédits de paiement. Le plafond d'emplois autorisés est fixé à 3 784 équivalents temps plein travaillés (ETPT), soit la création de trente-cinq nouveaux emplois. Les crédits du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » sont, quant à eux, en légère diminution par rapport à l'an dernier : - 0,9 %, mais cette diminution est liée à un ajustement technique. Quant aux moyens humains, ils s'établissent à un niveau constant par rapport aux exercices précédents avec un plafond d'emplois fixé à 1 840 ETPT.

De plus, ces deux programmes bénéficient de conditions d'exécution relativement favorables, puisqu'ils ne sont pas soumis à l'obligation de mise en réserve de crédits en début d'exercice.

D'un point de vue strictement budgétaire donc, ces programmes ne rencontrent pas de difficultés particulières.

Cependant, l'ensemble des personnes que j'ai pu rencontrer pour préparer ce rapport m'ont signalé que cette situation satisfaisante était fragilisée par la forte pression contentieuse subie par les juridictions administratives d'une part, et par la multiplication des missions confiées aux juridictions financières d'autre part.

Concernant les difficultés des juridictions administratives pour faire face à la progression constante du contentieux, je vous rappelle que depuis 2011 l'objectif de ramener à un an en moyenne les délais de jugement devant l'ensemble des juridictions est atteint tous types d'affaires confondues. Cependant, communiquer sur un délai de jugement inférieur à un an risque d'induire le justiciable en erreur car pour les affaires dites « ordinaires », c'est-à-dire hors procédures d'urgence et procédures particulières, ces délais s'établissent plutôt autour de un an et dix mois devant les tribunaux administratifs et un an et deux-trois mois devant les cours administratives d'appel et le Conseil d'État.

Or, l'indicateur qui permettait de mesurer ce délai de règlement pour les affaires ordinaires a été supprimé de la maquette de performance, pour des raisons de « simplification des documents budgétaires ». La suppression de cet indicateur, particulièrement pertinent, me semble dommageable à l'analyse. En tout état de cause, quel que soit l'indicateur utilisé, les délais de jugement des affaires, toutes juridictions confondues, se sont nettement améliorés ces dernières années.

Cependant, après une phase de stabilisation des performances des juridictions administratives à un niveau satisfaisant, selon les personnes entendues lors des auditions préparatoires, ces résultats sont menacés par la poursuite de la montée en puissance des contentieux de masse, tels que celui du droit au logement opposable (DALO), du revenu de solidarité active (RSA) ou des étrangers, qui ont progressé respectivement de 44 %, 77 % et 25 % de 2010 à 2013.

À cela s'ajoute le transfert aux juridictions administratives de nouveaux contentieux par des réformes récentes comme la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, qui donne compétence au juge administratif pour connaître des litiges relatifs au plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), ou la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, qui a dépénalisé un nombre important de sanctions visant à réprimer les infractions au droit de la consommation, pour les transformer en sanctions administratives.

Pour faire face à ce niveau d'activité élevé à moyens quasi constants, des réformes de procédure ont été mises en oeuvre, comme la suppression de la possibilité de faire appel pour les contentieux sociaux, le contentieux du permis de conduire ainsi que pour certains permis de construire. Compte tenu de leur entrée en vigueur très récente, nous ne sommes pas encore en mesure de réaliser un premier bilan de l'application de ces dispositions, mais elles mériteront une attention particulière l'an prochain car la dispense d'appel est susceptible de porter atteinte aux droits du justiciable, puisque, une fois l'affaire en cassation, le Conseil d'État ne revient plus sur l'appréciation des faits. De plus, le pourvoi en cassation est plus coûteux pour le justiciable qui doit alors être représenté par un avocat au Conseil.

Toujours pour faire face à ce niveau d'activité élevé, de plus en plus de contentieux sont réglés par un magistrat statuant seul (les contentieux sociaux, les contentieux des étrangers, les litiges relatifs aux permis de conduire...). Bien que le jugement en formation collégiale demeure le principe, environ 60 % des affaires jugées devant les tribunaux administratifs l'ont été par un juge unique ou par ordonnance en 2013.

Si ces procédures de simplifications contentieuses ont permis à la juridiction administrative de faire face à l'augmentation du contentieux et de réduire ses délais de jugement, on peut légitimement s'interroger sur leur impact sur la qualité de la justice rendue. En effet, certains contentieux qui concernent en particulier les publics les plus fragiles, comme par exemple les contentieux sociaux, cumulent : suppression de l'appel, règlement par juge unique et dispense de conclusions du rapporteur public.

Enfin, comme lors des deux exercices précédents, j'ai pu constater un véritable sentiment d'impuissance des magistrats face à certains contentieux pour lesquels l'utilité de l'intervention du juge pose question. Je pense en particulier au droit au logement opposable (DALO). Le juge ne tranche aucune question de droit, il ne règle pas non plus la situation du justiciable, puisqu'il ne peut qu'enjoindre l'administration, sous astreinte, de délivrer un logement. Ce contentieux a progressé de 125 % en cinq ans. Il est donc particulièrement coûteux, pour un résultat très limité. Se pose donc à nouveau la question de la nécessité d'un traitement juridictionnel du problème social du logement...

La multiplication des missions des juridictions financières fragilise leurs bonnes performances. Si l'examen des comptes publics, le contrôle des finances publiques et le contrôle de la gestion des organismes publics constituent la majeure partie de l'activité de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes, les missions des juridictions financières n'ont cessé de s'étendre avec le temps. À titre d'exemple, après la certification des comptes de l'État, de la sécurité sociale et des deux assemblées, le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de l'État, en cours d'examen au Sénat, prévoit l'expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales les plus importantes.

Pour préserver ces performances satisfaisantes, dans un contexte budgétaire contraint, les juridictions financières ont fait l'objet de réformes organisationnelles et de procédures. Ainsi, en 2012, la carte des juridictions a été réformée pour permettre le regroupement des chambres régionales des comptes en structure de taille critique. Sept CRC ont été fermées. Le coût total de la réforme a été moins important que celui qui avait été prévu : 6,78 millions d'euros contre 13,43 millions d'euros envisagés. Hors dépenses de personnel, le coût budgétaire sera absorbé par les juridictions financières en moins de quatre ans.

Au-delà de l'aspect purement budgétaire, si la période préparatoire de la réforme a été longue et difficile pour les personnels, sa mise en oeuvre semble s'être finalement déroulée de manière relativement apaisée. Aujourd'hui, les juridictions regroupées fonctionnent de manière satisfaisante. La réforme aurait donné une nouvelle dynamique aux juridictions financières. Outre une nouvelle répartition et une requalification des effectifs en faveur de la fonction de contrôle, les regroupements semblent avoir permis des réorganisations, des économies d'échelle, une spécialisation dans certains domaines, une plus grande professionnalisation et des gains de productivité.

La réforme de la carte des juridictions s'est également accompagnée d'une évolution des méthodes de travail des magistrats et des agents. Dans un souci de plus grande efficacité des juridictions financières, la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles a permis au Premier président de la Cour des comptes de fixer des normes professionnelles. Trois arrêtés en date des 18 juillet 2013, 15 janvier 2014 et 4 juillet 2014 ont été pris à ce titre. Parallèlement, afin de mieux coordonner les méthodes de travail et de développer des outils de contrôle homogènes, un centre d'appui métiers a été mis en place à l'automne 2012 à la Cour des comptes, à destination de l'ensemble des juridictions financières. Il a vocation à favoriser le partage des meilleures pratiques, l'élaboration d'outils d'aide au contrôle et la mise en commun des connaissances.

Enfin, la loi du 13 décembre 2011 a renforcé les formations inter-juridictions (FIJ), constituées entre la Cour et des CRC ou entre des CRC. Selon la Cour des comptes, grâce à cette réforme, les juridictions financières sont en mesure de répondre dans un délai beaucoup plus court aux demandes d'enquête, émanant du Parlement et du Gouvernement, qui concernent à la fois le champ de compétence de la Cour et celui des CRC. En septembre 2014, dix-sept FIJ étaient en cours sur des sujets divers comme l'efficacité et le coût du lycée, les finances publiques locales, le logement en Ile-de-France, les maternités...

Si ces structures présentent l'avantage de porter un regard transversal, là où les chambres régionales et territoriales des comptes ne peuvent avoir qu'une vision géographiquement limitée, il faut être prudent dans l'utilisation de cet outil. En effet, depuis la restructuration de la carte des juridictions, et compte tenu du contexte budgétaire contraint, les effectifs ont été calculés au plus juste des besoins des différentes juridictions, au regard de leur programme de contrôle. Il ne faudrait donc pas que les travaux inter-juridictions se développent au détriment des missions de contrôle des CRC. Je ne manquerai donc pas, dans mon rapport pour avis de l'année prochaine, de rendre compte de l'évaluation des formations inter-juridictions actuellement menée par le groupe de travail mis en place par la Cour des comptes sur ce sujet.

Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 164 et 165.

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