Intervention de Jérôme Durain

Réunion du 18 novembre 2014 à 14h30
Réforme du système de sécurité sociale des étudiants — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jérôme DurainJérôme Durain :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’entends examiner la proposition de loi visant à supprimer le régime étudiant de sécurité sociale de manière constructive et sans aucun esprit de polémique.

J’ai déjà eu l’occasion de vous l’indiquer en commission, madame Procaccia : votre texte n’est pas dénué de qualités.

Tout d’abord, et c’est sans doute le point le plus important pour le nouveau sénateur que je suis, cette proposition de loi démontre que l’initiative parlementaire peut être le relais d’inquiétudes présentes chez nos concitoyens.

En effet, la qualité de service du régime étudiant de sécurité sociale constitue un sujet d’actualité récurrent. Vous l’avez rappelé à de nombreuses reprises : les rapports de la Cour des comptes, les actions d’organisations de consommateurs ou encore, de manière plus directe, les remontées concernant les régimes étudiants sur les réseaux sociaux témoignent sans conteste de l’importance de ce sujet dans l’esprit de nos concitoyens.

Les mutuelles ont déjà réalisé des efforts incontestables ces dernières années et ces derniers mois, mais ces efforts doivent être poursuivis.

Votre deuxième point d’entrée sur le sujet s’avère aussi dans l’air du temps : il s’agit du coût du dispositif existant. Dans un contexte de maîtrise des dépenses de l’État, vouloir examiner l’économie générale du système des mutuelles étudiantes constitue, à n’en pas douter, une intention louable pour les parlementaires que nous sommes.

Cependant, il n’est pas acquis, selon moi, que les difficultés financières de la LMDE soient dues seulement à un souci de gestion ; elles tiennent sans doute tout autant aux conditions financières de constitution de cette mutuelle, fondée avec des fonds propres négatifs.

Madame Procaccia, vous avez raison de vouloir tourner la page du fonctionnement actuel du régime étudiant de sécurité sociale. Mais votre proposition de loi, trop radicale, crée plus de problèmes qu’elle n’en résout.

Vous vous êtes félicitée de ce que l’administration n’ait pas pensé à votre solution, que vous présentez comme facile. Je crains que ce ne soit surtout une solution de facilité. Vous avez affirmé en commission « vouloir sauver l’existence d’un statut social étudiant ». Je ne vois rien dans ce texte qui réponde à cet objectif.

Je comprends bien la nécessité de calmer rapidement les inquiétudes qui pourraient exister dans la population. Pour autant, est-il nécessaire d’étudier votre proposition de loi dans des termes aussi définitifs ? Le contexte médiatique, porteur, facilite la mise sur la table de solutions en apparence simples et efficaces. Cependant, en matière de protection sociale, il faut se méfier des évidences.

D’ailleurs, lors des travaux que vous aviez menés avec M. Kerdraon, trois scénarios avaient été à l’époque envisagés. Les conclusions de votre mission ont été approuvées par bon nombre de parlementaires, représentant quasiment tous les groupes de notre chambre. Je regrette que vous n’ayez pas poursuivi dans la recherche d’une autre voie. Vous avez in fine opté pour la solution la plus radicale et la moins rassembleuse. Vous voulez jeter le bébé, le régime étudiant de sécurité sociale et l’ensemble de ses acteurs, avec l’eau du bain, la LMDE et les difficultés qu’elle a traversées.

Je crois deviner les postulats de départ qui vous ont poussée dans cette voie.

La question de l’existence même du régime étudiant de sécurité sociale a été posée par certains ; il faut relever que nombreux sont ceux qui auraient intérêt à supprimer ce régime, notamment pour profiter d’un nouveau marché. J’observe à l’inverse qu’une majorité des acteurs de terrain soutient le régime étudiant et est prête à le faire évoluer.

Vous vous appuyez aussi sur une volonté de simplification louable. Mais on peut douter dans les faits que la suppression de la LMDE et d’emeVia simplifie réellement la vie des étudiants. Nombre de nos concitoyens relevant du régime général subissent aussi quelques tracasseries administratives !

Vous mettez en avant le souhait d’assurer une égalité de traitement entre jeunes étudiants et jeunes non-étudiants. En apparence, c’est une bonne intention, mais cela revient à nier les spécificités des étudiants, que vous aviez pourtant constatées lors de votre travail avec Ronan Kerdraon.

Vous pensez que la disparition des mutuelles étudiantes supprimerait les dysfonctionnements, notamment en ce qui concerne l’attribution des cartes Vitale. C’est oublier que ce ne sont pas les mutuelles étudiantes qui sont à l’origine de ces dysfonctionnements !

Vous prétendez enfin, et c’est là mon plus grand point d’inquiétude, maintenir l’intimité, le droit au secret et la confidentialité, évidemment nécessaire s’agissant de la santé des étudiants. Dans les faits, votre proposition de loi reviendrait en réalité à les considérer comme des majeurs sous tutelle. Cette confidentialité n’est pas qu’une question de principe : les acteurs que j’ai rencontrés m’ont tous fait part de leurs interrogations s’agissant des conséquences concrètes dans des cas d’IVG ou d’accès à la contraception, comme de leurs doutes sur notre capacité à faire vivre réellement un régime d’ayants droit autonome.

Mon dernier point concerne le calendrier de votre proposition de loi.

Vous avez d’abord déclaré dans la presse : « Si on ne trouve pas une solution dans deux ou trois mois, l’année prochaine, les étudiants ne pourront pas s’inscrire. » Dans le même temps, les amendements que vous avez déposés en commission et qui repoussent l’entrée en vigueur du dispositif démontrent clairement qu’il subsiste des incertitudes sur l’applicabilité immédiate de votre texte. Vous proclamez l’urgence d’agir, tout en préconisant des solutions que vous ne souhaitez voir s’appliquer que dans trois ans. C’est pour le moins paradoxal…

Plutôt que la solution radicale que vous proposez, il existe des possibilités, portées par de nombreux acteurs de la sécurité sociale étudiante, pour sauvegarder le régime. Je pense ici au double adossement – CNAMTS pour le régime obligatoire et MGEN pour le régime complémentaire de la LMDE –, qui pourrait largement assurer l’avenir.

Sur le modèle de la mutuelle générale de la police, il y a dix ans, le transfert du back office des mutuelles étudiantes à la CNAMTS peut également être envisagé, sans remise en cause nécessaire du duopole de gestion du régime obligatoire, ni de leur activité en régime complémentaire.

La LMDE et les sociétés mutualistes étudiantes régionales – SMER – qui constituent le réseau emeVia conserveraient un rôle pour l’affiliation, la prévention et l’éducation à la santé et au système de soin et l’activité de front office nécessaire pour cela. Elles pourraient également poursuivre leur activité complémentaire grâce au maintien du fichier d’affiliation au régime obligatoire. Le régime obligatoire et le régime complémentaire sont en effet étroitement liés dans le modèle étudiant.

L’infogérance informatique permettrait la réalisation d’une économie d’environ 15 millions d’euros par an pour les deux réseaux étudiants, dont 7 à 8 millions d’euros pour la seule LMDE. Le transfert du back office aux CPAM permettrait d’aller plus loin. Il convient d’ailleurs de noter, comme l’a relevé Mme la secrétaire d’État, que le coût de gestion des services informatiques réclamé par la MGEN à la LMDE, lequel représente près de 9 euros par étudiant affilié, soit 17 % du montant de la remise de gestion, est une des explications des difficultés rencontrées actuellement par la mutuelle étudiante.

Ce scénario limite l’impact social et peut s’appuyer sur la reprise d’environ 700 emplois en équivalent temps plein par la branche maladie, selon le périmètre exact de l’infogérance qui serait retenu, à un rythme soutenable. Les syndicats de la LMDE n’y semblent pas opposés.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, si je reconnais à notre rapporteur le mérite d’avoir braqué les projecteurs sur un sujet qui en vaut la peine, je ne partage pas ses conclusions et voterai donc contre cette proposition de loi.

Si le statu quo n’est ni possible ni acceptable en matière de sécurité sociale étudiante, cela ne signifie pas que nous devions effacer tous les principes qui ont régi sa gouvernance depuis 1948. Cela ne signifie pas davantage que nous devions passer outre l’avis des étudiants, très majoritairement satisfaits de ce système. Comme le prouve une étude récente commandée par le réseau emeVia, 67 % des étudiants se disent satisfaits de leur mutuelle étudiante.

Hier, des organisations étudiantes de sensibilités différentes, sinon opposées, se sont unies. Grâce à vous, madame Procaccia, je dois le reconnaître ! Pour la première fois, les acteurs de la vie étudiante s’unissent pour organiser collectivement « les premières assises pour la défense du régime étudiant et de la santé des étudiants », en janvier 2015.

En attendant, ils appellent les pouvoirs publics et le Gouvernement à ne pas profiter de prétextes fallacieux pour renier leur engagement sur le régime et à ne pas brader un acquis étudiant sur l’autel d’intérêts politiques à la veille des élections universitaires. Ils ont raison.

J’ajouterai que, sur ce sujet central de la santé des étudiants, nous ne pouvons pas nous contenter d’une approche uniquement comptable.

Le régime étudiant de sécurité sociale, en développant un accompagnement par les pairs dans la maîtrise du parcours de soins, en produisant une expertise et en menant des actions de prévention au plus près des lieux de vie étudiants permet une acquisition progressive de l’autonomie sanitaire des jeunes et garantit une proximité vis-à-vis des assurés sociaux.

Une politique de prévention en direction des jeunes est d’autant plus efficace qu’elle s’appuie sur l’implication d’étudiants engagés.

Dans une période où la jeunesse est confrontée à des difficultés économiques et sociales, nous ne pouvons pas nous contenter de dispositifs administratifs de prévention. La prévention par les pairs et les solidarités humaines doivent donc être renforcées.

Je crois que, avec l’aide du Gouvernement et en s’appuyant sur les acteurs du régime étudiant de sécurité sociale et sur les propositions qu’ils formulent pour son évolution, on peut mettre en œuvre d’autres solutions pour assurer l’avenir de la santé étudiante. §

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