Intervention de Christian de Perthuis

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 19 novembre 2014 : 1ère réunion
Enjeux de la fiscalité écologique et de la conférence paris climat 2015 cop21 — Audition de M. Christian de Perthuis président du conseil scientifique de la chaire économie du climat

Christian de Perthuis :

Je vous remercie pour votre invitation. Si j'ai bien compris, j'ai mis le doigt dans un engrenage, puisque nous nous retrouverons chaque année. Ce sera avec grand plaisir. Vous m'avez demandé d'introduire notre discussion sur deux thèmes, liés mais pas tout à fait identiques.

Sur le premier thème, celui de la fiscalité écologique, je voudrais faire passer trois messages principaux. Je veux tout d'abord m'expliquer en toute clarté devant vous sur ma démission du comité pour la fiscalité écologique. Je rappelle que ce comité avait pour but d'organiser un débat sur le verdissement de notre fiscalité en mélangeant de l'expertise économique venant d'experts indépendants, des services de l'État et l'ensemble des parties prenantes, dont d'ailleurs le Sénat, qui a envoyé trois sénatrices siéger dans ce comité. Je veux rendre hommage à la qualité du travail accompli. Je salue aussi l'engagement de toutes les parties prenantes, qu'il s'agisse des élus, des représentants du monde économique, des représentants du monde du travail ou des organisations écologiques. J'ai été impressionné : lorsqu'on arrive à trouver un langage commun sur des enjeux écologiques qui concernent notre société dans une vision de long terme, on peut arriver à un dialogue qui permet de faire avancer les choses. Je souhaite aussi rendre hommage aux services de l'État, qui étaient en support technique et qui ont joué un rôle très important dans la documentation de nos travaux.

Ce comité a bien fonctionné pendant la première année, au cours de laquelle nous avons travaillé sur la fiscalité de l'énergie. Les travaux du comité ont ainsi été à l'origine d'une décision concernant le changement de la tarification des accises énergétiques en introduisant une composante carbone, une contribution climat énergie dans la fiscalité française, décision prise sur trois ans. Je pense que c'est une avancée très importante pour notre pays. Lorsqu'on regarde notre environnement, on voit qu'aujourd'hui un nombre croissant de pays tentent d'introduire dans leur fiscalité une tarification nouvelle des nuisances environnementales, parmi lesquelles la question climatique qui est fondamentale.

Si j'ai démissionné de ce comité, ce n'est pas par mauvaise volonté ni par mauvaise humeur, mais parce que les conditions de fonctionnement n'étaient plus réunies. Concrètement j'ai fait deux propositions de réorganisation et de relance des travaux auprès des deux ministres qui m'avaient missionné, en charge de l'environnement et de l'économie, et, n'ayant aucune réponse des pouvoirs publics, je me suis retrouvé en porte-à-faux. J'ai donc pensé que la bonne façon de faire avancer les choses était de démissionner. Je souhaite tout de même longue vie à ce comité.

Mon deuxième message concerne les enjeux liés à la fiscalité.

Je n'ignore rien du « ras-le-bol fiscal » des Français. Appartenant moi-même à la classe moyenne avec des revenus, transparents, de professeur d'université et père de famille nombreuse, je trouve que mes impôts ont augmenté depuis quinze ans. La fiscalité écologique ne doit pas consister en un ajout d'impôts. L'enjeu est au contraire de faire de la substitution, c'est-à-dire de remplacer des impôts qui aujourd'hui, de par leur assiette, pèsent sur les facteurs de production, par de nouveaux impôts, dont l'assiette est une mesure d'une nuisance environnementale. La fiscalité écologique n'est pas punitive ; la fiscalité écologique est une fiscalité de substitution. Il s'agit de substituer à des impôts qui pèsent sur notre économie, des impôts qui pèsent sur les pollutions.

Mon troisième message concerne la mise en oeuvre de cette fiscalité qui est très contraignante. En tant que président du comité pour la fiscalité écologique, j'ai passé mon temps à expliquer qu'il n'est pas possible de dépenser trois fois le même euro. Pour un euro de fiscalité écologique, il ne peut y avoir qu'un seul usage. Or il y a toujours trois usages en concurrence. Le premier usage, du point de vue de Bercy, concerne le déficit public. Le deuxième usage, du point de vue du ministère de l'écologie, veut que le produit d'une fiscalité écologique finance l'écologie, et cette logique est d'ailleurs très répandue parmi les citoyens. Or, si on privilégie cet usage, la fiscalité de substitution ne peut plus exister. Le troisième usage et la majorité des économistes pensent qu'il s'agit là du meilleur usage, c'est de réduire d'autres impôts. Ceci pose un problème de distribution, avec un volet efficacité économique et un volet équité sociale. Plus j'avance dans ma carrière en tant que chercheur, et plus je pense que la question de la fiscalité environnementale renvoie en réalité à une question de distribution. Dans le comité de fiscalité écologique d'ailleurs, Mme Didier, qui en fait partie, pourra le confirmer, il a beaucoup plus été question de redistribution que du niveau de la fiscalité écologique.

La question du verdissement de notre fiscalité reste aujourd'hui entière. L'enjeu plus global, qui d'ailleurs est essentiel dans la transition énergétique, est celui des incitations économiques : quels sont les bons instruments économiques pour faire rentrer les préoccupations écologiques dans notre système économique ? Il manque à mon avis de ce point de vue dans le projet de loi relatif à la transition énergétique un volet plus clair sur les instruments économiques, sans lequel la loi restera purement déclarative.

Par exemple, sur la question des rénovations lourdes sur le stock de bâtiments, les objectifs demeurent déclaratifs : 400 000, 450 000 logements... En réalité, on n'a pas augmenté d'une unité le nombre de logements sur lesquels on fait de la rénovation lourde.

Le deuxième point que je voulais introduire est celui de la future COP 21 qui se tiendra à Paris dans un an.

Je commence par un élément de contexte. J'étais la semaine dernière à Chengdu, capitale de la province du Sichuan, qui est la plus importante de Chine. J'y suis allé dans le cadre d'un colloque organisé en partie par des industriels français, dont Michelin, avec des instituts académiques, sur la question de la mobilité et de l'urbanisation. J'ai été impressionné de découvrir que la question du climat en Chine est aujourd'hui posée en fonction de ses contraintes domestiques. La question du climat a été introduite dans le 12ème plan quinquennal, avec une vision claire : celle de la nécessité d'un changement de mode de développement. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'on ne peut plus respirer en Chine. La question de la réduction des émissions de gaz à effet de serre est donc liée à une urgence sociale. C'est pour cela qu'aujourd'hui, la Chine est au centre du jeu des négociations internationales, au coeur de la COP 21. Ce n'est pas un hasard si l'annonce d'un accord entre les États-Unis et la Chine s'est fait à Pékin. C'est d'ailleurs un bouleversement par rapport à la façon dont la diplomatie multilatérale s'est mise en place depuis la fin de la seconde guerre mondiale : les Européens négociaient avec les Américains et lorsqu'ils étaient d'accord, on pensait que les autres allaient suivre. Aujourd'hui, ça ne fonctionne plus comme ça car les acteurs majeurs sont désormais les grands pays émergents, à commencer par la Chine.

Sur ce sujet de la COP 21, je voudrais aborder trois points.

Tout d'abord, je rappelle que cette négociation internationale est un processus continu, amorcé en 1992, par la signature et la ratification par aujourd'hui 193 pays d'une convention cadre sur le changement climatique, adoptée par la quasi-totalité des pays du monde, États-Unis inclus. Cette convention est l'acte fondateur qui pose à la fois les principes et le cadre de la négociation. Le principe essentiel est celui de la responsabilité commune mais différenciée : tous les pays qui ont ratifié la Convention partagent une partie de la responsabilité, mais on ne peut pas mettre sur le même plan les vieux pays industrialisés, les pays émergents et les pays en voie de développement. Au nom de ce principe, une vision binaire s'est développée dans le cadre de la négociation, avec d'un côté les pays riches portant la responsabilité, et de l'autre, les pays en voie de développement qui sont hors responsabilité, ce qui perturbe complètement la négociation climatique depuis au moins dix ans. Je pense que l'enjeu majeur de la COP 21 est de trouver une nouvelle interprétation du principe de responsabilité commune mais différenciée. Il n'y a aucun sens à mettre aujourd'hui sur le même plan la Chine, qui par habitant va très prochainement rejoindre le niveau d'émissions de l'Europe, avec le Mali, par exemple, ou les pays d'Asie centrale.

Deuxième point, il y a dans le rapport du Giec un chiffre terrifiant, celui de l'évolution des émissions mondiales de gaz à effet de serre depuis 1970. Cette courbe nous montre que depuis 2000, vingt ans après la mise en place des accords climatiques, non seulement ces émissions n'ont pas commencé à ralentir mais elles ont accéléré. Si on décompose les émissions, on s'aperçoit que les émissions liées à l'agriculture et à la forêt ont été stabilisées entre 2000 et 2011, notamment grâce aux résultats remarquables obtenus au Brésil. On a là le cas d'une politique incroyablement infléchie et qui a très fortement contribué à ralentir la déforestation. En revanche, les émissions liées au système énergétique explosent. Elles explosent pour deux raisons principales. La première raison est le retour sur le charbon, massif en Asie, très important dans certains pays d'Amérique latine mais qui existe également en Europe depuis 2011. La deuxième raison est l'explosion des émissions dans les pays émergents, pour l'instant corrélée à l'accélération du développement économique dans ces zones. Cette sortie de centaines de millions d'habitants de la pauvreté extrême en Chine ou en Inde qui est une excellente nouvelle, se traduit dans les modes actuels de développement et de système énergétique par une explosion des émissions de gaz à effet de serre.

Deuxième point : que peut-on faire à la COP 21 ? Jusqu'à l'accord de Copenhague en 2009, on était dans une vision dite top down des accords internationaux, comme c'était le cas du Protocole de Kyoto. Depuis, on a adopté une approche dite bottom up dans laquelle les différents pays sont stimulés et incités à dire à quel niveau d'engagement ils peuvent rejoindre un accord climatique. Dans cet accord, il faudra obtenir des engagements importants des gros émetteurs. Les trois premiers émetteurs - Chine, États-Unis, Europe - concentrent 56 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre liées à l'énergie, et les dix premiers émetteurs concentrent 83 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre liées à l'énergie. Donc si on veut vraiment infléchir les trajectoires d'émissions de gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement climatique à deux degrés, il faut avoir des engagements crédibles des gros émetteurs.

Le dernier point que je veux aborder est celui des instruments économiques. J'ai toujours pensé que la crédibilité d'un accord international en matière de changement climatique ne reposait pas sur la nature juridique de l'accord. Vous vous rappelez certainement des débats infinis qui ont eu lieu à Copenhague sur la nécessité ou non d'avoir un accord « legally binding », c'est-à-dire juridiquement contraignant. En réalité, peu importe ! Le protocole de Kyoto, par exemple, est « legally binding » et pourtant le Canada n'a pas respecté ses objectifs. L'article 23 du protocole explique comment on en sort et il s'avère qu'il est beaucoup plus facile de sortir de ce protocole que d'un bail rural à long terme. Il suffit d'envoyer une lettre recommandée au secrétariat de la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et au bout d'un an vous êtes libérés de vos engagements. Et de toute façon les sanctions sont inexistantes.

Donc ce qui est important, c'est d'avoir un accord avec des engagements supportés par des instruments économiques puissants qui incitent à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. C'est comme pour la loi sur la transition énergétique : si on veut rentrer l'environnement dans la vie économique, il faut avoir des instruments économiques puissants. Et selon moi, la bonne manière est de tarifer les émissions de CO2. Et si on a aujourd'hui un retour massif sur le charbon, c'est parce qu'il est rentable. Je pense que tant qu'on ne change pas le système des prix, on va continuer à avoir cette transition énergétique au niveau mondial avec plus de fossiles dans l'atmosphère. Aujourd'hui, les Américains substituent du gaz au charbon et ont donc davantage réduit leurs émissions de gaz à effet de serre que l'Europe depuis cinq ans. Mais que fait-on du charbon des mines du Wyoming ou des Appalaches ? Il est exporté un peu en Allemagne, quelques tonnages dans le port du Havre, vous me pardonnerez Monsieur le président, mais surtout massivement exporté au Japon et en Asie. Il y a encore quelques goulots d'étranglement à l'exportation. Mais on est en train de construire une ligne de chemin de fer uniquement destinée à transporter ce charbon du Wyoming avec trois nouveaux terminaux d'exportation.

Ma conviction, c'est qu'il faut des instruments économiques puissants qui changent les systèmes de prix relatifs : tant que le charbon ne sera pas cher, on l'utilisera. Je ne dévoilerai pas maintenant les propositions que nous avons faites à la Chaire économique du climat mais nous avons proposé deux systèmes de tarification du carbone dans le monde. L'un est réservé aux États via un système de bonus-malus pour les pays : un pays qui émet plus que la moyenne mondiale des émissions de gaz à effet de serre doit payer un malus sur la part de ses émissions qui est supérieure à la moyenne ; et ce malus est rétrocédé sous forme de bonus pour ceux qui sont en dessous de la moyenne. Il s'agit là d'un instrument qui vise à faire de la redistribution entre les gouvernements et à inciter les pays pauvres à entrer dans ce qu'on appelle le MRV, le « monitoring reporting verification », c'est-à-dire un système indépendant et fiable de mesure et de contrôle des engagements. J'illustre ça par un exemple : une de mes doctorantes, chinoise, travaille à l'Académie des sciences agricoles de Pékin, qui a donné au Gouvernement toutes les données techniques qui ont servi à réaliser l'inventaire de 2005. Aujourd'hui, dans le cadre de sa thèse, lorsqu'elle a une question relative à un chiffre de l'inventaire, on lui répond que c'est un secret d'État. On ne pourra pas faire un accord climatique crédible tant qu'il n'y aura pas de transparence sur le MRV. C'est un enjeu politique. Et puis à côté du système du bonus-malus, il y a la question essentielle de la tarification du carbone dans l'économie. Il faut qu'on ait un prix du CO2 élevé. Qu'est-ce qui pourrait vraiment faire changer cet environnement international entre 2015 avec la COP de Paris, et 2020, date d'entrée en vigueur du futur accord climatique ? Il faudrait poser les jalons d'un marché transcontinental du carbone pour tarifer le coût du changement climatique associé aux émissions de CO2, au lieu de faire en Europe un marché du carbone entre nous sans être capable de le gérer. On pourrait aussi mettre en place une taxe internationale : je suis prêt à défendre la cause si vous me donnez les moyens de le faire !

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