La commission entend M. Christian de Perthuis sur les enjeux de la fiscalité écologique et de la conférence Paris Climat 2015.
La séance est ouverte à 10 heures.
Je voudrais tout d'abord excuser le président Hervé Maurey qui assiste à des réunions internationales de l'Union interparlementaire (UIP).
Nous accueillons ce matin M. Christian de Perthuis, président du conseil scientifique de la Chaire Économie du Climat de l'Université Paris Dauphine, sur les enjeux de la fiscalité écologique et de la conférence de Paris Climat 2015. Monsieur de Perthuis, c'est votre deuxième audition devant notre commission. Nous vous avons entendu il y a à peu près un an, le 24 octobre 2013. Avec cette séance d'aujourd'hui nous allons instaurer une sorte de rendez-vous annuel, à la veille des débats budgétaires, et je ne doute pas, qu'après vous avoir entendu, mes collègues trouveront que c'est une bonne tradition. Votre audition intervient en effet devant une commission largement renouvelée à la suite des dernières élections sénatoriales.
Il y a un an, l'actualité en matière de fiscalité écologique, dont vous présidiez le comité de réflexion auprès de la ministre de l'écologie, et duquel vous avez démissionné il y a quelques semaines, était brûlante. Elle l'est tout autant aujourd'hui avec le retrait de l'écotaxe, un début de l'augmentation de la fiscalité sur le gazole, diverses mesures fiscales de soutien aux véhicules propres, etc...
Toutefois, au-delà de ce très court terme, deux autres rendez-vous vont nous occuper cette année : le débat sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour une croissance verte et la préparation de la Conférence de Paris sur le Climat qui aura lieu dans un an. Notre commission est très mobilisée sur chacun de ces deux événements. Dans cette perspective, vous avez piloté un travail sur les instruments économiques qui pourraient rendre réellement effectifs les engagements qui seront pris à Paris dans un an. C'est ce que vous allez nous présenter dans un instant. Mais je ne doute pas que nos collègues auront beaucoup de questions à vous poser sur l'ensemble des sujets qui touchent à la transition écologique.
Je vous remercie pour votre invitation. Si j'ai bien compris, j'ai mis le doigt dans un engrenage, puisque nous nous retrouverons chaque année. Ce sera avec grand plaisir. Vous m'avez demandé d'introduire notre discussion sur deux thèmes, liés mais pas tout à fait identiques.
Sur le premier thème, celui de la fiscalité écologique, je voudrais faire passer trois messages principaux. Je veux tout d'abord m'expliquer en toute clarté devant vous sur ma démission du comité pour la fiscalité écologique. Je rappelle que ce comité avait pour but d'organiser un débat sur le verdissement de notre fiscalité en mélangeant de l'expertise économique venant d'experts indépendants, des services de l'État et l'ensemble des parties prenantes, dont d'ailleurs le Sénat, qui a envoyé trois sénatrices siéger dans ce comité. Je veux rendre hommage à la qualité du travail accompli. Je salue aussi l'engagement de toutes les parties prenantes, qu'il s'agisse des élus, des représentants du monde économique, des représentants du monde du travail ou des organisations écologiques. J'ai été impressionné : lorsqu'on arrive à trouver un langage commun sur des enjeux écologiques qui concernent notre société dans une vision de long terme, on peut arriver à un dialogue qui permet de faire avancer les choses. Je souhaite aussi rendre hommage aux services de l'État, qui étaient en support technique et qui ont joué un rôle très important dans la documentation de nos travaux.
Ce comité a bien fonctionné pendant la première année, au cours de laquelle nous avons travaillé sur la fiscalité de l'énergie. Les travaux du comité ont ainsi été à l'origine d'une décision concernant le changement de la tarification des accises énergétiques en introduisant une composante carbone, une contribution climat énergie dans la fiscalité française, décision prise sur trois ans. Je pense que c'est une avancée très importante pour notre pays. Lorsqu'on regarde notre environnement, on voit qu'aujourd'hui un nombre croissant de pays tentent d'introduire dans leur fiscalité une tarification nouvelle des nuisances environnementales, parmi lesquelles la question climatique qui est fondamentale.
Si j'ai démissionné de ce comité, ce n'est pas par mauvaise volonté ni par mauvaise humeur, mais parce que les conditions de fonctionnement n'étaient plus réunies. Concrètement j'ai fait deux propositions de réorganisation et de relance des travaux auprès des deux ministres qui m'avaient missionné, en charge de l'environnement et de l'économie, et, n'ayant aucune réponse des pouvoirs publics, je me suis retrouvé en porte-à-faux. J'ai donc pensé que la bonne façon de faire avancer les choses était de démissionner. Je souhaite tout de même longue vie à ce comité.
Mon deuxième message concerne les enjeux liés à la fiscalité.
Je n'ignore rien du « ras-le-bol fiscal » des Français. Appartenant moi-même à la classe moyenne avec des revenus, transparents, de professeur d'université et père de famille nombreuse, je trouve que mes impôts ont augmenté depuis quinze ans. La fiscalité écologique ne doit pas consister en un ajout d'impôts. L'enjeu est au contraire de faire de la substitution, c'est-à-dire de remplacer des impôts qui aujourd'hui, de par leur assiette, pèsent sur les facteurs de production, par de nouveaux impôts, dont l'assiette est une mesure d'une nuisance environnementale. La fiscalité écologique n'est pas punitive ; la fiscalité écologique est une fiscalité de substitution. Il s'agit de substituer à des impôts qui pèsent sur notre économie, des impôts qui pèsent sur les pollutions.
Mon troisième message concerne la mise en oeuvre de cette fiscalité qui est très contraignante. En tant que président du comité pour la fiscalité écologique, j'ai passé mon temps à expliquer qu'il n'est pas possible de dépenser trois fois le même euro. Pour un euro de fiscalité écologique, il ne peut y avoir qu'un seul usage. Or il y a toujours trois usages en concurrence. Le premier usage, du point de vue de Bercy, concerne le déficit public. Le deuxième usage, du point de vue du ministère de l'écologie, veut que le produit d'une fiscalité écologique finance l'écologie, et cette logique est d'ailleurs très répandue parmi les citoyens. Or, si on privilégie cet usage, la fiscalité de substitution ne peut plus exister. Le troisième usage et la majorité des économistes pensent qu'il s'agit là du meilleur usage, c'est de réduire d'autres impôts. Ceci pose un problème de distribution, avec un volet efficacité économique et un volet équité sociale. Plus j'avance dans ma carrière en tant que chercheur, et plus je pense que la question de la fiscalité environnementale renvoie en réalité à une question de distribution. Dans le comité de fiscalité écologique d'ailleurs, Mme Didier, qui en fait partie, pourra le confirmer, il a beaucoup plus été question de redistribution que du niveau de la fiscalité écologique.
La question du verdissement de notre fiscalité reste aujourd'hui entière. L'enjeu plus global, qui d'ailleurs est essentiel dans la transition énergétique, est celui des incitations économiques : quels sont les bons instruments économiques pour faire rentrer les préoccupations écologiques dans notre système économique ? Il manque à mon avis de ce point de vue dans le projet de loi relatif à la transition énergétique un volet plus clair sur les instruments économiques, sans lequel la loi restera purement déclarative.
Par exemple, sur la question des rénovations lourdes sur le stock de bâtiments, les objectifs demeurent déclaratifs : 400 000, 450 000 logements... En réalité, on n'a pas augmenté d'une unité le nombre de logements sur lesquels on fait de la rénovation lourde.
Le deuxième point que je voulais introduire est celui de la future COP 21 qui se tiendra à Paris dans un an.
Je commence par un élément de contexte. J'étais la semaine dernière à Chengdu, capitale de la province du Sichuan, qui est la plus importante de Chine. J'y suis allé dans le cadre d'un colloque organisé en partie par des industriels français, dont Michelin, avec des instituts académiques, sur la question de la mobilité et de l'urbanisation. J'ai été impressionné de découvrir que la question du climat en Chine est aujourd'hui posée en fonction de ses contraintes domestiques. La question du climat a été introduite dans le 12ème plan quinquennal, avec une vision claire : celle de la nécessité d'un changement de mode de développement. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'on ne peut plus respirer en Chine. La question de la réduction des émissions de gaz à effet de serre est donc liée à une urgence sociale. C'est pour cela qu'aujourd'hui, la Chine est au centre du jeu des négociations internationales, au coeur de la COP 21. Ce n'est pas un hasard si l'annonce d'un accord entre les États-Unis et la Chine s'est fait à Pékin. C'est d'ailleurs un bouleversement par rapport à la façon dont la diplomatie multilatérale s'est mise en place depuis la fin de la seconde guerre mondiale : les Européens négociaient avec les Américains et lorsqu'ils étaient d'accord, on pensait que les autres allaient suivre. Aujourd'hui, ça ne fonctionne plus comme ça car les acteurs majeurs sont désormais les grands pays émergents, à commencer par la Chine.
Sur ce sujet de la COP 21, je voudrais aborder trois points.
Tout d'abord, je rappelle que cette négociation internationale est un processus continu, amorcé en 1992, par la signature et la ratification par aujourd'hui 193 pays d'une convention cadre sur le changement climatique, adoptée par la quasi-totalité des pays du monde, États-Unis inclus. Cette convention est l'acte fondateur qui pose à la fois les principes et le cadre de la négociation. Le principe essentiel est celui de la responsabilité commune mais différenciée : tous les pays qui ont ratifié la Convention partagent une partie de la responsabilité, mais on ne peut pas mettre sur le même plan les vieux pays industrialisés, les pays émergents et les pays en voie de développement. Au nom de ce principe, une vision binaire s'est développée dans le cadre de la négociation, avec d'un côté les pays riches portant la responsabilité, et de l'autre, les pays en voie de développement qui sont hors responsabilité, ce qui perturbe complètement la négociation climatique depuis au moins dix ans. Je pense que l'enjeu majeur de la COP 21 est de trouver une nouvelle interprétation du principe de responsabilité commune mais différenciée. Il n'y a aucun sens à mettre aujourd'hui sur le même plan la Chine, qui par habitant va très prochainement rejoindre le niveau d'émissions de l'Europe, avec le Mali, par exemple, ou les pays d'Asie centrale.
Deuxième point, il y a dans le rapport du Giec un chiffre terrifiant, celui de l'évolution des émissions mondiales de gaz à effet de serre depuis 1970. Cette courbe nous montre que depuis 2000, vingt ans après la mise en place des accords climatiques, non seulement ces émissions n'ont pas commencé à ralentir mais elles ont accéléré. Si on décompose les émissions, on s'aperçoit que les émissions liées à l'agriculture et à la forêt ont été stabilisées entre 2000 et 2011, notamment grâce aux résultats remarquables obtenus au Brésil. On a là le cas d'une politique incroyablement infléchie et qui a très fortement contribué à ralentir la déforestation. En revanche, les émissions liées au système énergétique explosent. Elles explosent pour deux raisons principales. La première raison est le retour sur le charbon, massif en Asie, très important dans certains pays d'Amérique latine mais qui existe également en Europe depuis 2011. La deuxième raison est l'explosion des émissions dans les pays émergents, pour l'instant corrélée à l'accélération du développement économique dans ces zones. Cette sortie de centaines de millions d'habitants de la pauvreté extrême en Chine ou en Inde qui est une excellente nouvelle, se traduit dans les modes actuels de développement et de système énergétique par une explosion des émissions de gaz à effet de serre.
Deuxième point : que peut-on faire à la COP 21 ? Jusqu'à l'accord de Copenhague en 2009, on était dans une vision dite top down des accords internationaux, comme c'était le cas du Protocole de Kyoto. Depuis, on a adopté une approche dite bottom up dans laquelle les différents pays sont stimulés et incités à dire à quel niveau d'engagement ils peuvent rejoindre un accord climatique. Dans cet accord, il faudra obtenir des engagements importants des gros émetteurs. Les trois premiers émetteurs - Chine, États-Unis, Europe - concentrent 56 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre liées à l'énergie, et les dix premiers émetteurs concentrent 83 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre liées à l'énergie. Donc si on veut vraiment infléchir les trajectoires d'émissions de gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement climatique à deux degrés, il faut avoir des engagements crédibles des gros émetteurs.
Le dernier point que je veux aborder est celui des instruments économiques. J'ai toujours pensé que la crédibilité d'un accord international en matière de changement climatique ne reposait pas sur la nature juridique de l'accord. Vous vous rappelez certainement des débats infinis qui ont eu lieu à Copenhague sur la nécessité ou non d'avoir un accord « legally binding », c'est-à-dire juridiquement contraignant. En réalité, peu importe ! Le protocole de Kyoto, par exemple, est « legally binding » et pourtant le Canada n'a pas respecté ses objectifs. L'article 23 du protocole explique comment on en sort et il s'avère qu'il est beaucoup plus facile de sortir de ce protocole que d'un bail rural à long terme. Il suffit d'envoyer une lettre recommandée au secrétariat de la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et au bout d'un an vous êtes libérés de vos engagements. Et de toute façon les sanctions sont inexistantes.
Donc ce qui est important, c'est d'avoir un accord avec des engagements supportés par des instruments économiques puissants qui incitent à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. C'est comme pour la loi sur la transition énergétique : si on veut rentrer l'environnement dans la vie économique, il faut avoir des instruments économiques puissants. Et selon moi, la bonne manière est de tarifer les émissions de CO2. Et si on a aujourd'hui un retour massif sur le charbon, c'est parce qu'il est rentable. Je pense que tant qu'on ne change pas le système des prix, on va continuer à avoir cette transition énergétique au niveau mondial avec plus de fossiles dans l'atmosphère. Aujourd'hui, les Américains substituent du gaz au charbon et ont donc davantage réduit leurs émissions de gaz à effet de serre que l'Europe depuis cinq ans. Mais que fait-on du charbon des mines du Wyoming ou des Appalaches ? Il est exporté un peu en Allemagne, quelques tonnages dans le port du Havre, vous me pardonnerez Monsieur le président, mais surtout massivement exporté au Japon et en Asie. Il y a encore quelques goulots d'étranglement à l'exportation. Mais on est en train de construire une ligne de chemin de fer uniquement destinée à transporter ce charbon du Wyoming avec trois nouveaux terminaux d'exportation.
Ma conviction, c'est qu'il faut des instruments économiques puissants qui changent les systèmes de prix relatifs : tant que le charbon ne sera pas cher, on l'utilisera. Je ne dévoilerai pas maintenant les propositions que nous avons faites à la Chaire économique du climat mais nous avons proposé deux systèmes de tarification du carbone dans le monde. L'un est réservé aux États via un système de bonus-malus pour les pays : un pays qui émet plus que la moyenne mondiale des émissions de gaz à effet de serre doit payer un malus sur la part de ses émissions qui est supérieure à la moyenne ; et ce malus est rétrocédé sous forme de bonus pour ceux qui sont en dessous de la moyenne. Il s'agit là d'un instrument qui vise à faire de la redistribution entre les gouvernements et à inciter les pays pauvres à entrer dans ce qu'on appelle le MRV, le « monitoring reporting verification », c'est-à-dire un système indépendant et fiable de mesure et de contrôle des engagements. J'illustre ça par un exemple : une de mes doctorantes, chinoise, travaille à l'Académie des sciences agricoles de Pékin, qui a donné au Gouvernement toutes les données techniques qui ont servi à réaliser l'inventaire de 2005. Aujourd'hui, dans le cadre de sa thèse, lorsqu'elle a une question relative à un chiffre de l'inventaire, on lui répond que c'est un secret d'État. On ne pourra pas faire un accord climatique crédible tant qu'il n'y aura pas de transparence sur le MRV. C'est un enjeu politique. Et puis à côté du système du bonus-malus, il y a la question essentielle de la tarification du carbone dans l'économie. Il faut qu'on ait un prix du CO2 élevé. Qu'est-ce qui pourrait vraiment faire changer cet environnement international entre 2015 avec la COP de Paris, et 2020, date d'entrée en vigueur du futur accord climatique ? Il faudrait poser les jalons d'un marché transcontinental du carbone pour tarifer le coût du changement climatique associé aux émissions de CO2, au lieu de faire en Europe un marché du carbone entre nous sans être capable de le gérer. On pourrait aussi mettre en place une taxe internationale : je suis prêt à défendre la cause si vous me donnez les moyens de le faire !
Deux ou trois points ont attiré mon attention. Je retiens d'abord l'idée de substitution : au lieu d'ajouter un impôt, on remplace un impôt sur la production par un impôt sur la pollution. Vous avez également rappelé qu'on ne pouvait utiliser trois fois un même euro. Enfin, je retiens qu'on ne peut pas mettre sur le même plan les pays industriels et les pays en développement - c'est une certitude.
Je vous remercie pour cet exposé passionnant. Certains thèmes ont attiré mon attention, d'autant que l'actualité fait que nous examinerons ce soir au Sénat une éventuelle taxe sur les particules fines émises par les moteurs diesel. Même si on peut comprendre qu'on ne peut pas opposer, d'un côté, le problème climatique et les émissions de CO2, de l'autre, la santé publique, comment peut-on prioriser l'action, dans la mesure où les particules fines sont nocives pour la santé mais les véhicules diesel émettent moins de CO2 et consomment moins de carburant ?
Dans le débat que nous aurons ce soir, est envisagé un bonus-malus réaménagé. Vous nous avez expliqué qu'une taxe nouvelle sur l'écologie ne doit pas être punitive et ne doit pas être à sens unique. Vous avez parlé de rééquilibrage, ce qui me paraît important. Concrètement, comment peut-on y arriver ?
Merci pour cette présentation, nous partageons beaucoup de points de vue. Avez-vous des exemples de pays étrangers qui ont réussi ce basculement de leur fiscalité ? Quel impact cela a-t-il eu en termes de redistribution et de croissance économique ?
La question de la spécialisation des outils fiscaux se pose. Le bonus-malus a été construit autour de la question du CO2, sans intégrer la question des particules ou des oxydes d'azote. Est-il pertinent, dans un même outil fiscal, de mettre deux objectifs différents, l'un visant les gaz à effet de serre, l'autre la santé ?
Vous avez évoqué le basculement de la fiscalité d'une assiette sur les outils de production vers une assiette sur la pollution. Vous n'avez pas parlé de la consommation. Or, un des problèmes de la France aujourd'hui est que nous réduisons facilement nos émissions de gaz à effet de serre mais qu'en réalité nous augmentons notre empreinte carbone. La réduction des émissions est en partie liée à une désindustrialisation qui fait que nous importons plus de produits et qu'à l'échelle mondiale notre bilan carbone n'est pas extraordinaire. La question de la consommation est évidemment plus difficile à aborder politiquement que la pollution. Faites-vous entrer cette assiette dans les outils de la fiscalité écologique ?
Concernant la négociation de la COP 21, il n'y a certes qu'une dizaine de pays à faire bouger, mais il sera nécessaire pour cela d'avoir avec nous le G77. Un des paris que nous faisions avec Jean-Louis Borloo est d'entraîner avec nous l'Afrique. Partagez-vous ce point de vue ?
Il existe un débat persistant entre une taxe carbone qu'on n'arrive pas à faire et un marché mondial du carbone. Qui affecterait les quotas d'émissions dans un tel marché ? Si le marché européen fonctionne mal, c'est en grande partie du fait de l'allocation des quotas. Qui aura l'autorité nécessaire et la reconnaissance internationale pour déterminer le niveau des quotas ?
Je vous remercie pour la qualité de votre exposé, c'est toujours un régal de vous entendre.
Qu'il soit européen ou mondial, j'ai du mal à croire au marché carbone. En Europe, nous n'avons pas réussi à imposer un prix du carbone qui soit véritablement dissuasif. Les lobbies sont à l'oeuvre pour maintenir des prix de l'énergie les plus bas possibles. Dans ce domaine comme dans d'autres, le poids des lobbies est considérable. Est-il crédible, en particulier au niveau mondial, d'envisager un marché carbone efficace ?
Dans le projet de loi relatif à la transition énergétique, on prône des économies d'énergie. Or, la première économie est d'éviter une consommation d'énergie. Les pays en développement souhaitent consommer davantage d'énergie. En outre, la population augmente. La piste des économies est-elle sérieuse ?
Enfin, certains parlent de sobriété dans la consommation, voire de décroissance. Est-il raisonnable d'imaginer aller vers une certaine sobriété dans une économie actuelle qui pousse à la consommation effrénée ?
Quel chiffre pertinent pouvez-vous nous donner sur le prix du carbone ? On entend parfois parler de 45 euros.
Vous avez indiqué qu'il manquait un volet économique dans le projet de loi relatif à la transition énergétique. Cette loi risque d'être déclarative. Ne serait-il pas pertinent d'envisager ces politiques de transition énergétique avec les autres États membres de l'Union européenne ? L'Allemagne s'est unilatéralement, à la suite de Fukushima, lancée dans une transition, sans même avertir la France. C'est un échec considérable, d'abord financier, ensuite écologique. L'Allemagne n'a jamais autant émis de gaz à effet de serre. Ils achètent du charbon en provenance des États-Unis. Ne faudrait-il pas inciter au niveau européen à des transitions énergétiques concertées entre les États ? Nous pourrions d'ailleurs y réfléchir entre la commission du développement durable et la commission des affaires européennes.
Qu'attendez-vous du nouveau commissaire européen à l'Union de l'énergie ? Le choix des bouquets énergétiques restera une compétence des États, mais l'Union de l'énergie devra dépasser les simples sujets de branchements et d'échanges. Les Allemands, en particulier quand il y a beaucoup de vent ou beaucoup de soleil, connaissent une surproduction brutale d'énergie ce qui fait chuter leurs prix de vente. Parallèlement, les pays voisins sont obligés de mettre des sortes de disjoncteurs pour éviter que cette surabondance brutale d'électricité ne perturbe leurs réseaux de transport de l'énergie. On ne pourra pas résoudre ces problèmes à l'échelle d'un État membre.
Comment faire lorsqu'on fait face à plusieurs externalités environnementales qui ne vont pas toujours dans le même sens ? La question du diesel et des particules est à ce titre emblématique. Nous avons tendance à l'aborder, en France, sous un mode polémique ou idéologique. Si l'on réalise une tarification environnementale au litre, c'est simple : dans un litre de diesel, il y a 15 % de CO2 en plus que dans un litre d'essence. C'est mathématique. Pour les particules, c'est beaucoup plus compliqué. Le diesel n'est pas le seul à émettre des particules. Le fioul domestique et le fioul lourd émettent des particules ; c'est le cas également de la biomasse. Quel est le bon instrument pour tarifer les nuisances liées aux émissions de particules venant des véhicules ? Le bon système est le péage. Les véhicules n'émettent pas les mêmes quantités de particules selon leurs équipements : on ne peut donc pas tarifer correctement la nuisance par le prix du carburant. En revanche, avec les progrès de la technologie, il est possible de tarifer de manière plus fine. C'est pour cette raison que l'écotaxe était une tentative intéressante, qui avait au départ fait l'objet d'un grand consensus. Cet outil permettait de tracer les déplacements en prenant en compte la qualité technique des véhicules et l'usage. C'est ce qu'il faut, en particulier dans les villes. À ce titre, l'exemple du péage urbain de Stockholm est très intéressant. Il est calibré en fonction de l'usage, de l'heure de pointe et il fonctionne bien. Le système est socialement équitable dans la mesure où le produit du péage est utilisé pour favoriser l'accès des personnes aux transports en commun.
Concernant le bonus-malus, il est effectivement aujourd'hui favorable au diesel.
En matière de taxation du carbone, la Suède est un cas d'école. Chaque ménage paie une taxe carbone d'environ 110 euros par tonne de CO2 lorsqu'il utilise de l'énergie fossile pour se chauffer ou pour se déplacer. Dans ce pays, la montée en régime de la taxation environnementale s'est faite dans un contexte de réforme fiscale globale qui a conduit à baisser le niveau des prélèvements obligatoires. Du point de vue des performances macroéconomiques de la Suède, la part de la valeur ajoutée industrielle dans le PIB place le pays au troisième rang de performance des pays de l'OCDE. La taxation carbone n'a donc pas détruit l'industrie ; l'industrie s'est reconvertie, en s'appuyant sur le développement de la richesse locale qu'est la biomasse.
Faut-il prendre une assiette fondée sur la consommation ou la production ? Il est en théorie préférable d'avoir une taxe au carbone ajouté, au niveau final. Le problème est qu'il n'existe pas de comptabilité microéconomique des flux de carbone. Malgré le caractère imparfait de l'assiette utilisée aujourd'hui, j'ai toujours considéré qu'il valait mieux mettre en place un système plutôt que de reporter l'action dans le futur.
Ce principe vaut aussi pour les négociations internationales. J'ai discuté encore récemment avec des collègues chinois. Ils proposent de signer un accord climatique sur la base des émissions liées aux habitudes de consommation : une grande partie des émissions reviendrait dans cette approche aux pays de l'OCDE. Ce raisonnement risque d'enliser les négociations pour plusieurs années avant de pouvoir mettre en place des mesures. Par ailleurs, la Chine porte également une part de la responsabilité dans le développement de ses industries d'exportation. Il faut quitter la vision dualiste, du monde en développement opposé au monde riche. Je n'ai jamais pour ma part considéré qu'on développerait les pays d'Afrique par de l'aide. Le développement passera par un co-développement. L'aide au développement implique le respect mais pas la déresponsabilisation des partenaires, notamment sur les choix de production ou les choix sociaux.
Le G77 est évidemment important dans les négociations internationales. La gouvernance de ces négociations est aujourd'hui dans un système qui ressemble aux coopératives agricoles... Chaque pays dispose d'une voix, et les prises de décision se font au consensus. Il est important qu'il y ait une instance des Nations unies dans laquelle chaque pays ait une voix. Pour autant, face à la réalité du risque climatique, on ne peut pas mettre sur le même plan les États-Unis ou la Chine et les petits États insulaires. Il nous faut trouver une géométrie variable dans la négociation. Il faut coupler des accords entre les gros émetteurs de CO2 avec la redistribution envers les petits émetteurs. C'est le sens du bonus-malus mondial que nous proposons. La difficulté de notre proposition est cependant qu'il faudrait faire payer non seulement les pays riches, mais aussi les pays émergents d'Asie et les pays pétroliers.
Qui affectera les quotas sur le marché mondial du carbone ? Sur le plan économique, il est important qu'il y ait un signal-prix du carbone, c'est-à-dire qu'un nombre croissant d'émetteurs de CO2 paient le coût du changement climatique associé à chacune de leurs émissions. Qu'on atteigne cet objectif par un mécanisme de marché ou une taxe est pour moi une question secondaire.
Lorsqu'on veut mettre en place un dispositif de tarification pour les émissions diffuses dans un pays comme la France, il est plus facile de mettre en place une taxe qu'un marché. Il est plus simple de partir d'un impôt existant en élargissant son assiette au carbone, plutôt que d'en créer un nouveau. Depuis 1990, on essaye de faire la même chose au plan européen. Entre 1990 et 1997, la proposition de la Commission européenne était de mettre en place, pour l'énergie et la grande industrie, une taxe sur le CO2 harmonisée, mais elle n'a jamais abouti, à cause du droit de veto du Royaume-Uni notamment. Pratiquement, aujourd'hui, il est impossible de mettre en place un dispositif de tarification du carbone via une taxe à l'intérieur de l'Europe. Pour mettre en place une taxe, il faut l'unanimité. Or, pour mettre en place un marché de permis, il faut une majorité qualifiée. Sur le plan international, c'est encore pire. Donc, d'un point de vue pragmatique, la tarification du carbone au niveau international passe par des marchés de permis plutôt que par des taxes. En outre, en Chine et aux États-Unis, la question d'une taxe carbone n'est même pas envisageable.
Le système mis en place en Europe ne fonctionne pas car il y a un problème de gouvernance et une absence de leadership politique. Une bonne illustration de cette difficulté est la réforme proposée par la Commission européenne visant à changer le calendrier des enchères, est en cours de négociation depuis deux ans et demi. Dans n'importe quelle agence du Trésor au monde, lorsqu'on met sur le marché des obligations d'État, le pouvoir de fixer le calendrier est délégué à l'agence spécialisée. D'un côté, on empile une complexité administrative et technocratique à laquelle personne ne comprend plus rien, et de l'autre, il n'y a pas de leadership politique. Or, pour faire la réforme du marché du carbone européen, on a besoin d'un fort leadership politique. Et il faut un principe de délégation à une autorité de régulation indépendante, comme pour la politique monétaire, qui doit avoir une légitimité de compétence. Le dernier problème est celui de l'allocation. On observe en effet que dans un premier temps, par peur que le prix du carbone s'envole, on alloue trop. Sur le mode de l'allocation aussi, il y a des interrogations : est-ce qu'on met des quotas gratuits, auquel cas on rétrocède la valeur du carbone au pollueur, ou est-ce qu'on les met aux enchères ? Les économistes pensent qu'il est préférable d'avoir un système d'enchères. Cette question est très peu traitée.
Au plan international, je ne préconise pas un marché mondial du carbone dès demain. Je suis plutôt favorable à un accord à trois entre États-Unis, Europe et Chine entre 2015 et 2020 pour construire ensemble une plateforme commune de tarification du carbone pour le secteur électrique et pour la grande industrie. À mon avis, cette gouvernance tripartite constituerait le bon niveau politique.
Pour répondre à Evelyne Didier. Actuellement, oui, l'économie d'énergie est le principal levier à court terme, et le plus rapide, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans les pays industrialisés. Mais le meilleur levier pour faire des économies durables sur un bien, c'est de le tarifer correctement. Je pense donc que la question de la durabilité des économies d'énergie est liée à celle de la tarification de l'énergie. Pour des politiques, c'est un choix très difficile à faire et à assumer. Il y a là un vrai passage de l'économique au politique.
Est-ce la décroissance que de faire de l'économie d'énergie ? Je suis pour ma part très mal à l'aise avec les économistes de la décroissance. J'ai vécu cinq ans dans des pays en voie de développement et cela n'a aucun sens pour un pays pauvre de dire qu'on veut faire de la décroissance. Certes, il existe une version intelligente de la décroissance, développée par un économiste anglais, la « prosperity without growth », qui veut qu'à partir d'un certain niveau de richesse, la surabondance des biens ne génère plus d'amélioration de bien-être. Selon cette théorie, à partir d'un certain seuil, l'intelligence collective permettrait d'arrêter l'accumulation des biens et le gaspillage pour les transférer vers le sud. J'aime cette idée mais je pense qu'elle n'est pas réaliste pour notre société.
Jean Bizet m'a demandé s'il y avait un bon niveau du prix du carbone. Selon moi, ce n'est pas le niveau auquel on introduit le carbone qui est important mais l'anticipation et le signal donné aux acteurs économiques. À l'époque où j'étais rapporteur d'un des deux groupes Rocard sur la contribution climat - énergie, j'étais effaré par le débat sur le niveau d'introduction du prix du carbone. La vraie question est de savoir ce que les grands opérateurs économiques anticipent, au moment de leurs choix d'investissement, au regard de la valeur du carbone dans plusieurs années.
Il ne faut donc pas introduire un prix mais une trajectoire. Au sein du Comité sur la fiscalité écologique, j'en avais d'ailleurs sciemment fixé une jusqu'en 2020.
Quels sont les points de repère ? Lorsqu'on a un prix du carbone inférieur à 10 euros par tonne, il n'y a pas d'effet particulier ; entre 10 et 35 euros par tonne, des ajustements commencent à être notables dans le secteur électrique. Au-delà, tout dépend des prix relatifs du charbon et du gaz. À partir de 40 euros, les changements sont significatifs dans l'usage des centrales existantes et les choix d'investissements. À partir de 60 euros la tonne, le Carbone capture and storage - c'est-à-dire l'équipement de la centrale électrique dans lequel le carbone est capturé puis réinjecté - commence à être rentabilisé. Des effets massifs de substitution dans l'industrie sont alors ressentis, notamment en faveur de la biomasse ou des productions décentralisées d'énergies renouvelables.
Les technologies actuelles seront dans les prochaines années bousculées du fait, d'une part, du stockage décentralisé de l'électricité, d'autre part, de la révolution de la gestion des données. Avec ces changements technologiques, des prix de carbone même beaucoup plus faibles pourront avoir des effets plus importants sur l'incitation au changement des modes de production et de consommation.
Concernant la dimension européenne de la transition énergétique, il est évident, en absolu, qu'une concertation plus importante sur nos choix énergétiques avec les pays membres de l'Union européenne serait souhaitable. Toutefois, cette concertation est difficile à mener dans la pratique. Les pays européens sont souvent contraints d'envisager les problématiques à des échelles différentes. L'environnement et le changement climatique peuvent néanmoins représenter un ciment, en dépit de nos différences de choix dans le secteur énergétique.
Je n'ai pas encore rencontré le Commissaire européen à l'énergie. Je pense en tout cas que la gestion commune des marchés énergétiques en Europe est fondamentale. On a évoqué cette question - pas toujours de manière heureuse - en ce qui concerne l'électricité, mais il faut aussi l'aborder s'agissant du marché du gaz. Aujourd'hui, l'organisation des infrastructures de transport et de distribution du gaz est aberrante ! L'Europe de l'ouest est suréquipée en la matière, mais ne serait pas en mesure d'approvisionner l'Europe de l'est si la Russie se désistait !
Je souhaiterais aborder le thème de la fiscalité liée à la gestion des déchets. Ne croyez-vous pas qu'il serait souhaitable de repenser la taxe d'enlèvement des ordures ménagères et la taxe générale sur les activités polluantes - ou TGAP ? La première, qui concerne tous les citoyens, est en effet en augmentation constante et n'est plus du tout adaptée. Il faudrait parvenir à faire payer un prix juste par un système de prélèvement fondé sur le service réellement rendu. La seconde pénalise les zones géographiques qui n'ont pas d'autre choix technique que d'enfouir leurs déchets dans des centres spécialisés. Une taxe incitative liée à la performance des collectivités territoriales en matière de recyclage ne serait-elle pas préférable pour obtenir des résultats beaucoup plus rapides ?
À quelques mois de la conférence sur le climat de Paris (COP 21), ne pensez-vous pas que la France manque une occasion de montrer l'exemple à ses partenaires, avec un projet de loi sur la transition écologique qui ne met pas réellement en oeuvre des instruments économiques ?
Je souhaitais vous demander si vous pensiez que la conférence de Paris sur le climat serait un succès, si l'on peut mettre en place une politique mondiale du prix du carbone. Vous avez déjà répondu par la négative.
Il est nécessaire d'agir sur la pollution pour favoriser l'économie. Or les pays en voie de développement ont des besoins considérables. Avez-vous des pistes afin que ces pays puissent développer des énergies nouvelles moins polluantes ?
En réponse à la question posée par Gérard Miquel, j'indiquerai que la TGAP est un instrument rendu imparfait par des modifications successives importantes. L'un des critères qu'il serait opportun de retenir est celui de la modulation de la taxation en fonction des performances des collectivités, à condition d'avoir une métrique correcte. La taxe sur l'enlèvement des ordures ménagères est, quant à elle, avant tout un instrument de rendement et non de fiscalité de substitution. Il faut aller vers des dispositifs incitatifs, offrant une corrélation entre le coût du service, son efficacité et le comportement des ménages. Cela sera sans doute plus délicat en habitat collectif qu'en habitat individuel. En dépit des difficultés pour faire évoluer ces instruments, je crois que l'évolution se fera dans le bon sens car l'efficacité économique exige de mettre fin à la dérive des coûts.
Didier Mandelli m'a demandé si la France ne manquait pas l'occasion d'afficher son exemplarité. Je crois d'abord qu'il faut être réaliste : un certain nombre de pays très pollueurs n'ont qu'un intérêt très limité pour les démarches entreprises par la France ! Ensuite, je considère que nous avons tort, en France, d'insister sur ce qui ne fonctionne pas. Notre pays peut se prévaloir d'expériences positives. Nous avons, par exemple, le 2ème taux le plus bas d'émissions de gaz à effet de serre en Europe, après la Suède. Notre système de tarification de l'eau est souvent cité en modèle par les pays étrangers en matière de tarification environnementale. Nous avons également introduit une tarification du carbone. Vous le voyez, les exemples sont nombreux, tant au niveau national qu'au niveau local. Pensons aussi, en matière d'urbanisation, à la RATP, premier transporteur public au monde, ou encore au succès d'Autolib, qui réussit à coupler l'électrification des véhicules avec un changement d'usage... Ne soyons pas persuadés que notre image est mauvaise, car ce n'est pas le cas, et améliorons notre communication en insistant sur nos atouts !
Charles Revet m'a interrogé sur la possibilité, pour les pays en voie de développement, de s'engager dans une démarche écologique et de la respecter. 400 millions de Chinois sont sortis d'une situation de grande pauvreté en un temps record. Est-ce possible sans surcoût écologique, et dans l'affirmative, comment ? Les changements techniques devraient réserver quelques heureuses surprises en matière de modes de production d'énergie. Je pense notamment à l'accélération des gains par le biais du photovoltaïque, mais aussi aux améliorations des moyens de stockage de l'électricité et aux progrès de la biomasse. La palette des sources énergétiques possibles va donc s'élargir à des coûts raisonnables. Toutefois, le véritable enjeu pour les pays en voie de développement est de gérer leur urbanisation et leurs usages des sources d'énergie, pour les rendre rationnels. Cela n'est pas toujours le cas à l'heure actuelle. Je m'en suis aperçu lors de mes déplacements en Chine et au Maghreb. Il est essentiel que les pays concernés tirent les leçons de notre expérience et qu'ils ne reproduisent pas nos erreurs passées, notamment en matière d'étalement urbain.
Nous vous remercions pour vos réponses et vos explications sur ces sujets de la plus haute importance.
La séance est levée à 11 h 55.
La commission examine le rapport pour avis sur les crédits relatifs à la Recherche en matière de développement durable du projet de loi de finances pour 2015.
Nous avons désigné notre collègue Geneviève Jean rapporteure pour avis sur les crédits du projet de loi de finances pour 2015 relatifs à la recherche en matière de développement durable. Ma chère collègue, il s'agit de votre premier rapport en tant que nouvelle sénatrice. Aussi, je voudrais saluer le travail que vous avez dû effectuer pour, dans un temps record, vous plonger dans un sujet aussi foisonnant.
Monsieur le Président, mes chers collègues, il me revient effectivement de vous présenter, pour la première fois, les crédits du programme 190 relatifs à la recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables, inscrits dans la mission « Recherche et enseignement supérieur » du projet de loi de finances pour 2015.
Ce programme 190 comprend six actions : la recherche dans le domaine de l'énergie ; la recherche dans le domaine des risques ; la recherche dans le domaine des transports, de la construction et de l'aménagement ; la recherche partenariale dans les domaines du développement et de l'aménagement durables ; la recherche et développement dans le domaine de l'aéronautique civile ; enfin, les charges nucléaires de long terme des installations du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Les crédits que le projet de loi de finances pour 2015 envisage d'allouer à ce programme, soit 1,4 milliard d'euros en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, sont en légère hausse par rapport à ceux ouverts par la loi de finances pour 2014.
Ces crédits ont vocation à financer six opérateurs de l'État : l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN) ; l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (IFSTTAR) ; l'Institut de radioprotection et de la sûreté nucléaire (IRSN) ; l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) ; le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ; l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS).
Le périmètre du programme est marqué cette année par la suppression de la subvention versée à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).
L'Ademe recevait jusqu'ici une subvention pour charges de service public au titre du programme 181 « Prévention des risques » et du programme 190. La subvention accordée au titre du programme 181 a été supprimée en 2014. Celle du programme 190 l'est cette année. L'agence, qui est depuis 2010 opérateur des investissements d'avenir, ne bénéficiera donc plus d'aucune subvention budgétaire et sera, pour l'essentiel, financée par une fraction des produits de la taxe générale sur les activités polluantes - TGAP.
Les six opérateurs qui perçoivent toujours des crédits au titre du programme 190 sont, dans l'ensemble, relativement épargnés dans le projet de loi de finances pour 2015 par les contraintes liées au contexte budgétaire. Si deux d'entre eux voient leur dotation budgétaire diminuer, trois ont une dotation quasiment stable par rapport à l'année 2014, et l'un d'eux - le CEA - profite même d'une augmentation de la subvention pour charges de service public qui lui est versée au titre du programme 190.
Je m'intéresserai tout d'abord aux deux opérateurs dont les crédits alloués au titre du programme 190 sont en baisse : l'IRSN et l'INERIS.
L'IRSN, expert public pour les risques nucléaires et radiologiques, contribue à la mise en oeuvre des politiques publiques relatives à la sûreté et à la sécurité nucléaires, ainsi qu'à la protection de l'homme et de l'environnement contre les effets des rayonnements ionisants. Les crédits que le projet de loi de finances pour 2015 lui attribue, soit 178 millions d'euros, sont en baisse de 4 % par rapport à 2014. Cette baisse significative, alors que les demandes d'expertises de l'institut devraient croître ces prochaines années, avec par exemple la mise en service du réacteur de recherche Jules Horowitz, la préparation du démantèlement de la centrale de Fessenheim et l'analyse des demandes de prolongation d'exploitation d'autres réacteurs, devrait conduire l'IRSN à retarder ou étaler certains programmes de recherche.
Il est toutefois permis d'espérer que cette baisse de dotation sera compensée par un accroissement du produit de la contribution acquittée par les exploitants d'installations nucléaires de base, ce qui assurera à l'institut un maintien global de ses moyens.
L'INERIS, quant à lui, a pour mission de réaliser ou de faire réaliser des études et des recherches permettant de prévenir les risques que les activités économiques font peser sur la santé, la sécurité des personnes et des biens, et sur l'environnement. Les crédits ouverts dans le cadre du programme 190, d'un montant de 6,7 millions d'euros, sont plus particulièrement destinés à permettre à cet institut de réaliser des recherches sur l'évaluation et la prévention des risques technologiques et des pollutions causés par les substances et produits chimiques, l'après-mine, les stockages souterrains et les risques naturels. L'INERIS devra faire face en 2015 à une réduction de 1,8 % du montant de sa dotation budgétaire globale par rapport à la loi de finances initiale pour 2014. Cette diminution est plus marquée s'agissant des crédits alloués au titre du programme 190, en baisse de 3 %. Il faut toutefois souligner que ce niveau de baisse n'atteint pas celui opéré entre 2013 et 2014 (- 17 %).
Trois opérateurs ont, ensuite, un niveau de dotation budgétaire quasiment stable par rapport au projet de loi de finances pour 2014 : l'IFPEN, l'IFSTTAR et l'Anses.
Après avoir subi une diminution constante de sa dotation depuis 2002, l'IFPEN, établissement public industriel et commercial de recherche, d'innovation et de formation intervenant dans les domaines de l'énergie, du transport et de l'environnement, disposera en 2015 d'une subvention pour charges de service public de 141 millions d'euros.
L'IFSTTAR, établissement public à caractère scientifique et technologique, a pour mission de réaliser des recherches dans les domaines du génie et des matériaux de construction, des risques naturels, de la mobilité, des systèmes et des moyens de transports et des infrastructures. La dotation budgétaire qui lui est attribuée, soit 88 millions d'euros, est quasiment stable par rapport à celle fixée par la loi de finances initiale pour 2014.
L'Anses, établissement public à caractère administratif, est chargée de missions de veille, de recherche, d'expertise et de référence sur la sécurité sanitaire des aliments, de l'environnement et du travail, ainsi que sur la protection de la santé, sur le bien-être des animaux et sur la santé des végétaux. Cette agence voit, elle aussi, sa dotation se maintenir par rapport à 2014. Le projet de loi de finances pour 2015 prévoit de lui allouer 94 millions d'euros de subventions pour charges de service public, dont 1,6 million au titre du programme 190.
Enfin, le CEA, établissement public industriel et commercial à la fois impliqué dans le domaine du nucléaire et dans celui des nouvelles technologies de l'énergie, profite d'une hausse substantielle du montant de ses crédits au titre du programme 190 (+ 7,3 % pour atteindre environ 880 millions d'euros).
Je crois donc que nous pouvons nous féliciter de la stabilité générale du budget alloué à la recherche en matière de développement durable.
Ce maintien d'un niveau suffisant de crédits est d'autant plus important que le programme 190 contribue au financement de plusieurs projets accompagnant le défi de la transition écologique et énergétique.
Les auditions que j'ai réalisées m'ont permis de percevoir tout leur intérêt.
Je souhaiterais notamment évoquer le projet, actuellement mené par l'IFPEN, de développement d'un « véhicule pour tous » ne consommant que 2 litres de carburant aux 100 kilomètres. La technologie mise au point par cet institut devrait pouvoir être commercialisée dès 2022. Une véritable prouesse dont on comprend tout l'enjeu, alors que les transports sont à l'origine de 27 % des émissions de gaz à effet de serre en France.
L'IFSTTAR oeuvre lui aussi à l'essor de transports durables. L'un de ses projets porte sur la conception d'une « route de 5ème génération ». Plusieurs démonstrateurs ont été mis au point par l'institut, permettant d'ores et déjà de tester, sur certains territoires, des « échantillons » de routes devenues capables de gérer des informations grâce aux systèmes de transport intelligent, de diagnostiquer leurs points de faiblesse, de résister aux aléas climatiques, d'informer sur leur état de service, sur le trafic ou les risques pour l'usager... Cette route de 5ème génération sera à terme capable de récupérer de l'énergie pour alimenter ses propres équipements, voire les véhicules ; elle pourrait même être en mesure d'absorber du CO2 ! On comprend aisément tous les bénéfices que de telles infrastructures permettraient d'obtenir.
Je voudrais également évoquer un autre projet auquel participe l'IFSTTAR, en faveur cette fois du concept de ville intelligente.
En 2050, les villes devraient accueillir 75 % de la population mondiale. Cette urbanisation grandissante menace à la fois la population et l'environnement.
Or le cadre de vie des populations urbaines se dégrade sous l'effet de nuisances variées (pollution, bruit, saturation des réseaux...) tandis que les attentes en matière de qualité de vie et de services augmentent.
Il est en outre établi que les territoires urbains contribuent de manière déterminante à l'effet de serre et à la consommation d'énergie fossile.
Une reconception de la ville est donc nécessaire et souhaitable. L'IFSTTAR participe à cette réflexion au travers du projet « Sense City » qui se concrétise par la création d'une « mini-ville » climatique dans un vaste hall de 400 m² unique en Europe. Ce hall sera capable d'accueillir des maquettes à échelle réelle ou réduite des principales composantes de la ville, telles que les bâtiments, les infrastructures, les réseaux de distribution et le sous-sol. Il sera le moyen de tester des micro et nano-capteurs inventés pour instrumenter et piloter une ville moderne, plus durable et plus humaine. En outre, les aménagements de l'espace urbain et les scenarii météorologiques envisagés (canicule, vague de froid, pluie et air pollués) permettront d'étudier la qualité environnementale des villes, la qualité sanitaire et l'efficacité énergétique des bâtiments et des quartiers, ainsi que la qualité et la durabilité des infrastructures et des réseaux urbains.
La mise en service de cette mini-ville, située à Marne la Vallée, est prévue pour fin 2015.
Enfin, j'insisterai sur le fait que les crédits du programme 190 sont nécessaires au développement des systèmes industriels nucléaires du futur et à l'expérimentation de biocarburants - ou agrocarburants - de 2ème génération.
Le CEA, dont une partie des ressources provient du programme 190, est ainsi chargé de mener pour la France des recherches sur les réacteurs nucléaires de 4ème génération, capables d'utiliser directement l'uranium naturel ou appauvri et de produire 50 à 100 fois plus d'électricité avec la même quantité de minerai que les réacteurs nucléaires actuels, en ne produisant quasiment pas de gaz à effet de serre. Son effort se concentre principalement sur les technologies de réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium, au travers, notamment, du projet de développement du réacteur de démonstration ASTRID. Les options innovantes étudiées pour ce projet portent sur la mise au point d'un coeur performant à sûreté améliorée, sur une résistance renforcée aux accidents graves et sur une conversion d'énergie optimisée minimisant le risque apporté par le sodium. La première phase de l'avant-projet sommaire concernant ASTRID s'est terminée à la fin de l'année 2012. La deuxième phase devrait se terminer fin 2015. Une phase d'avant-projet détaillé est prévue ensuite jusqu'à fin 2019 pour permettre, en fonction des décisions qui seront prises à ce moment-là, le début de la construction du démonstrateur industriel.
Parallèlement, parce que les recherches pour les systèmes nucléaires actuels et futurs nécessitent des outils de simulation spécifiques, le CEA développe un parc d'installations expérimentales.
La construction, dans ma région, à Cadarache, du réacteur Jules Horowitz (RJH) en est une illustration. Alors que les réacteurs de recherche en Europe datent des années 1960, le RJH constituera, à terme, une installation unique dédiée aux études, sous irradiation, des combustibles et des matériaux pour les différentes générations de réacteurs nucléaires.
Le CEA ne mène pas uniquement des recherches en matière nucléaire. Il participe par exemple au projet Syndièse qui vise à transformer des végétaux en un gaz, qui est ensuite converti en carburant : biodiesel pour moteurs de véhicules routiers ou maritimes, biokérosène pour l'aviation. Je souhaiterais une fois encore insister sur l'intérêt que présente ce projet, les biocarburants de 2ème génération étant susceptibles de constituer une réponse aux défis énergétiques de la France à l'horizon 2020.
En conclusion, mes chers collègues, et vous l'aurez compris à travers ces quelques exemples, les crédits du programme 190 sont indispensables pour permettre aux opérateurs de l'État, dont l'excellence n'est plus à démontrer, de mener à bien des projets de recherche déterminants pour franchir le cap de la transition écologique et énergétique.
Ces crédits étant globalement préservés dans un contexte financier contraint, je vous proposerai de donner un avis favorable à leur adoption.
Je vous remercie pour la présentation de ce rapport à la fois complet et intéressant. Je sais d'ailleurs que vous avez procédé à de multiples auditions et je vous en félicite.
Vous avez évoqué la suppression du montant de la subvention versée à l'Ademe. Quel était le montant de cette subvention ?
Je souhaite à mon tour féliciter notre collègue pour la qualité de son rapport, qui méritera d'être relu de manière attentive car il apporte de nombreuses informations en matière de recherche et d'innovation sur les questions écologiques et énergétiques. De nombreuses start-ups travaillent, sur tous nos territoires, dans ces domaines. Vous nous avez démontré que le Gouvernement accompagne l'ensemble de ces recherches, nous soutiendrons donc l'avis favorable que vous avez exprimé sur l'adoption des crédits du programme 190.
Je souhaiterais à mon tour revenir sur le financement de l'Ademe. Tantôt cette agence a bénéficié de subventions, tantôt de taxes affectées. Bien souvent, le recours à l'attribution d'une fraction de la TGAP a été un moyen de masquer une réduction du budget de l'Ademe. Quelles sont les garanties de maintien du niveau du budget de l'agence ? Par ailleurs, comment évolue le plafond d'emplois rémunérés par l'Ademe ?
Je félicite également notre collègue pour son rapport très complet. Vous avez évoqué le démantèlement de la centrale de Fessenheim, mais quel est l'état d'avancement de ce projet ? Avez-vous des informations ? Par ailleurs, comment évoluent globalement les crédits en matière de recherche ? Je comprends que certains sont en hausse et que d'autres en baisse... Vous avez même évoqué des suppressions. Y a-t-il des compensations ?
Le Centre scientifique et technique du bâtiment - le CSTB - joue un rôle très important, mais ses moyens vont être diminués pratiquement d'un quart. J'aurais souhaité que l'effort accompli jusqu'à présent en faveur du financement de cet opérateur soit maintenu.
En 2014, l'Ademe a perçu 26 millions d'euros au titre du programme 190, ainsi qu'une fraction de la TGAP égale à 448,7 millions d'euros et des transferts de crédits au titre du programme des investissements d'avenir. En 2015, l'agence ne sera plus financée qu'au travers d'une fraction de la TGAP, maintenue à 448,7 millions d'euros, et par les fonds issus du programme des investissements d'avenir. Les emplois sous plafond rémunérés par l'opérateur seront diminués de 19 ETP.
S'agissant de la centrale de Fessenheim, je n'ai pas d'éléments complémentaires à apporter ; les crédits sont ouverts pour financer des travaux de recherche en perspective d'opérations de démantèlement, sans qu'ils soient spécifiques à cette centrale.
Le CSTB n'est pas considéré comme un opérateur de l'État car plus de la moitié de ses ressources est d'origine privée. Il est prévu de lui verser, d'une part, des crédits d'intervention pour un montant de 15,4 millions d'euros, d'autre part, une dotation en capital d'un montant d'un million d'euros.
Je souhaiterais ajouter que tous les organismes que j'ai rencontrés sont disposés à recevoir les membres de notre commission pour présenter leurs travaux de recherche et leurs activités.
Ce rapport est important car la recherche permettra le développement économique. Nous ne pouvons pas baisser la garde !
Ces précisions apportées, je partage votre point de vue, Monsieur le président : il reste beaucoup à faire pour permettre la transition écologique. Ce n'est pas le moment de diminuer les crédits de la recherche en matière de développement durable ! Je ne peux donc pas être favorable à l'adoption des crédits de ce programme.
Je tiens à rappeler que les crédits du programme 190 sont, globalement, en légère hausse par rapport à ceux inscrits dans la loi de finances pour 2014, puisqu'ils augmentent de 1,13 % en autorisations d'engagement et de 0,97 % en crédits de paiement. Les crédits alloués à l'IRSN et à l'INERIS sont en baisse, certes, mais ceux alloués à l'IFPEN, à l'IFSTTAR et à l'Anses sont stables ; ceux attribués au CEA augmentent même de 7 % ! Ce dernier opérateur ne mène d'ailleurs pas uniquement des recherches sur le nucléaire. Il en effectue aussi sur les nouvelles technologies de l'énergie.
Je voudrais féliciter notre rapporteure pour avis. Je me réjouis que les crédits « Recherche en matière de développement durable » évoluent positivement. Nous avons la chance d'avoir en France des outils de recherche remarquables. Quelques efforts sont encore demandés : le nombre d'emplois de l'Ademe va diminuer quelque peu et son budget sera réduit, avec compensation par un prélèvement sur la TGAP. Nous sommes dans une période de difficultés et j'espère que les précisions apportées par notre rapporteure pour avis auront rassuré nos collègues.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits « Recherche en matière de développement durable » du projet de loi de finances pour 2015.
La réunion est levée à 15 h 40.