Comme d'autres sénateurs l'avaient fait avant nous, nous nous sommes rendus en Nouvelle-Calédonie pendant une semaine. Nous y avons été accueillis par de nombreux responsables locaux, notamment notre collègue Pierre Frogier. Nous avons entendu l'ensemble des responsables politiques, les services de l'État, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, le président du Congrès, les présidents des trois provinces, des élus municipaux, les représentants des organisations patronales et syndicales, les chefs de cour et de juridictions locales, les autorités coutumières, les représentants de la sécurité civile, soit une trentaine d'auditions.
Les accords de Matignon en 1988 puis celui de Nouméa en 1998 ont initié un processus institutionnel inédit qui a ramené la paix civile après des troubles graves. Nous nous sommes appuyés sur les rapports de Christian Cointat et Bernard Frimat de 2011 ainsi que sur celui de nos collègues députés Urvoas, Bussereau et Dosière de 2013. Nous avons reçu Alain Christnacht et Jean-François Merle, auxquels le Gouvernement a confié une mission d'écoute et de conseil. Le président de la République vient de se rendre sur l'archipel où il a tenu des propos extrêmement équilibrés.
La transcription de l'Accord de Nouméa par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 a doté le territoire d'une autonomie sans équivalent dans notre pays. Depuis 1946, la Nouvelle-Calédonie a connu huit statuts différents. Celui qui est issu de l'Accord de Nouméa conforte les provinces qui apparaissent désormais comme l'instance décisionnaire principale. Malgré des ressources fiscales propres restreintes, les provinces font preuve d'une vitalité incontestable.
S'agissant des élections provinciales, le droit de vote est restreint. Le Conseil constitutionnel a imposé un corps électoral « glissant ». Évoquant avec nous la situation des 23 000 résidents calédoniens sans droit de de vote, qu'il qualifie de « sujets calédoniens », par opposition aux citoyens, M. Gaël Yanno, le président du Congrès, a souligné l'importance de la question de la composition du corps électoral.
Le Congrès, autrefois divisé entre indépendantistes et non-indépendantistes, comprend aujourd'hui cinq groupes différents.
Comme l'a rappelé avec fierté le président Yanno, le Congrès, doté de la faculté de voter des lois du pays soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, constitue la troisième assemblée législative française.
Mme Cynthia Ligeard, présidente du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, nous a décrit celui-ci comme une machine lente. Le consensus doit y être assuré à chaque instant afin d'éviter le blocage. Malgré la bonne entente des membres du gouvernement, la coexistence en son sein de deux camps ne favorise pas l'efficacité de l'institution. Nous reviendrons sans doute sur « l'affaire des deux drapeaux ». Selon Mme Ligeard, la réalité du pouvoir se situe dans les provinces. Le décalage entre l'affichage institutionnel et la réalité suscite l'incompréhension de la population.
S'agissant de l'exercice des compétences de l'État, la distance avec Paris est compensée par une entraide des services déconcentrés entre eux, par exemple la police et la gendarmerie. De même, une forte solidarité existant avec les services de l'administration pénitentiaire en raison de ce qu'il appelle l'éloignement du camp de base qui a été soulignée par le directeur de la prison de Nouméa. Le rapport de Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, n'a pas seulement marqué les esprits. Il a été fort utile et a débouché sur des travaux. Des progrès restent à faire dans les quartiers disciplinaires et d'isolement qui reçoivent les détenus dans des conditions indignes. Par ailleurs, les moyens budgétaires sont alloués en fonction des standards métropolitains sans égard pour le coût plus élevé des achats, ce qui débouche sur des impayés. Comme cela est souvent le cas, l'établissement s'adapte à son budget et non l'inverse. Le projet de déménagement de la prison, fort coûteux, a été heureusement abandonné. Enfin, sujet d'étonnement, 95 % des détenus sont Kanaks, 5 % sont européens.
La répartition des compétences entre l'État et les autorités locales dans les domaines régaliens - justice, formation professionnelle - n'est pas toujours cohérente et appelle des ajustements. Sur de nombreux sujets, tels l'entrée et le séjour des étrangers, la délivrance des visas, le maintien de l'ordre, la communication audiovisuelle, les contrats d'établissement avec les universités, la coopération est prévue. Partisan de l'indépendance, M. Paul Néaoutyine, président de l'assemblée de la province Nord, a regretté que le transfert des compétences régaliennes ne soit pas préparé dans la perspective d'une réponse positive au référendum d'autodétermination. Les autorités de l'État exercent encore un magistère d'influence important. Notre collègue Pierre Frogier souhaite qu'elle demeure et que l'État garde toute sa part dans le processus en cours.
Le transfert des compétences non régaliennes est bien avancé. Il est achevé en ce qui concerne la police, la sécurité de la circulation aérienne, la sécurité maritime interne, la sauvegarde de la vie en mer, l'enseignement primaire et secondaire public, l'enseignement privé, le droit civil et commercial, la sécurité civile. Nous avons d'ailleurs été alertés lors de notre visite du centre de crise de Nouméa sur un certain nombre de difficultés. Les disparités en matière d'équipements sont très importantes entre les communes. L'établissement public d'incendie et de secours dont la création était prévue par l'ordonnance du 15 février 2006 n'a pas vu le jour. Selon le directeur de la sécurité civile et de la gestion des risques, les compétences ont été transférées administrativement sans réflexion sur l'incidence pratique et financière de ces transferts.
En matière d'éducation, le vice-recteur nous a déclaré que le paiement du salaire des enseignants par l'État était un frein à l'indépendance. Cela dit, le transfert de compétences est réalisé avec un accompagnement de l'État pour l'enseignement primaire et secondaire.
MM. Frogier et Yanno s'inquiètent de la soutenabilité de certains transferts ; ils ont évoqué la « vitrification » du droit du travail et des assurances relevant de longue date de la compétence des autorités calédoniennes et les difficultés concernant le droit civil et le droit commercial.
Le transfert a également été réalisé pour les établissements publics de l'État : l'office des postes et télécommunications, l'institut de formation des personnels administratif, celle de développement de la culture kanak, le centre de documentation pédagogique sont déjà sous tutelle calédonienne, mais pas l'agence de développement rural et d'aménagement foncier.
L'article 27 de la loi organique du 19 mars 1999 suscite des débats. Les non-indépendantistes estiment que le transfert prévu par ce texte des dernières compétences en matière de communication audiovisuelle, d'enseignement supérieur, des règles relatives à l'administration des provinces, au contrôle de légalité et au régime comptable et financier des établissements publics, est optionnel. Les indépendantistes jugent au contraire qu'il s'impose.