Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission procède tout d'abord à la désignation de candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte pour les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises.
MM. Philippe Bas, André Reichardt, Mme Elisabeth Lamure, MM. Jean-Marc Gabouty, Martial Bourquin, Alain Richard, Mme Cécile Cukierman sont désignés en qualité de membres titulaires et Mme Nicole Bricq, MM. Olivier Cadic, Pierre-Yves Colombat, Gérard Cornu, Philippe Dominati, Jean-Jacques Filleul et Mme Catherine Procaccia sont désignés en qualité de membres suppléants, pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte pour les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises.
Cette commission mixte paritaire se réunira au Sénat le mardi 25 novembre à 14 heures.
La commission procède ensuite à la désignation des co-rapporteurs des missions d'information de la commission des lois (session 2014-2015).
MM. Christophe-André Frassa et Michel Delebarre sont nommés co-rapporteurs de la mission d'information « Le droit des entreprises : enjeux d'attractivité internationale, enjeux de souveraineté».
Catherine Tasca et M. Yves Détraigne sont nommés co-rapporteurs de la mission d'information « Assistance médicale à la procréation et gestation pour autrui : le droit français face aux évolutions jurisprudentielles ».
Catherine Troendlé et M. Pierre-Yves Colombat sont nommés co-rapporteurs de la mission d'information « Situation et évolution des services départementaux d'incendie et de secours et des secours sanitaires d'urgence dans le cadre de la réforme territoriale ».
MM. François Pillet et Thani Mohamed Soilihi sont nommés co-rapporteurs de la mission d'information « Le droit pénal à l'heure d'Internet ».
MM. François Bonhomme et Jean-Yves Leconte sont nommés co-rapporteurs de la mission d'information « Usage de la biométrie en France et en Europe ».
La commission procède ensuite à l'examen du rapport d'information de Mme Sophie Joissains, M. Jean-Pierre Sueur et Mme Catherine Tasca relatif à la Nouvelle-Calédonie.
Comme d'autres sénateurs l'avaient fait avant nous, nous nous sommes rendus en Nouvelle-Calédonie pendant une semaine. Nous y avons été accueillis par de nombreux responsables locaux, notamment notre collègue Pierre Frogier. Nous avons entendu l'ensemble des responsables politiques, les services de l'État, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, le président du Congrès, les présidents des trois provinces, des élus municipaux, les représentants des organisations patronales et syndicales, les chefs de cour et de juridictions locales, les autorités coutumières, les représentants de la sécurité civile, soit une trentaine d'auditions.
Les accords de Matignon en 1988 puis celui de Nouméa en 1998 ont initié un processus institutionnel inédit qui a ramené la paix civile après des troubles graves. Nous nous sommes appuyés sur les rapports de Christian Cointat et Bernard Frimat de 2011 ainsi que sur celui de nos collègues députés Urvoas, Bussereau et Dosière de 2013. Nous avons reçu Alain Christnacht et Jean-François Merle, auxquels le Gouvernement a confié une mission d'écoute et de conseil. Le président de la République vient de se rendre sur l'archipel où il a tenu des propos extrêmement équilibrés.
La transcription de l'Accord de Nouméa par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 a doté le territoire d'une autonomie sans équivalent dans notre pays. Depuis 1946, la Nouvelle-Calédonie a connu huit statuts différents. Celui qui est issu de l'Accord de Nouméa conforte les provinces qui apparaissent désormais comme l'instance décisionnaire principale. Malgré des ressources fiscales propres restreintes, les provinces font preuve d'une vitalité incontestable.
S'agissant des élections provinciales, le droit de vote est restreint. Le Conseil constitutionnel a imposé un corps électoral « glissant ». Évoquant avec nous la situation des 23 000 résidents calédoniens sans droit de de vote, qu'il qualifie de « sujets calédoniens », par opposition aux citoyens, M. Gaël Yanno, le président du Congrès, a souligné l'importance de la question de la composition du corps électoral.
Le Congrès, autrefois divisé entre indépendantistes et non-indépendantistes, comprend aujourd'hui cinq groupes différents.
Comme l'a rappelé avec fierté le président Yanno, le Congrès, doté de la faculté de voter des lois du pays soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, constitue la troisième assemblée législative française.
Mme Cynthia Ligeard, présidente du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, nous a décrit celui-ci comme une machine lente. Le consensus doit y être assuré à chaque instant afin d'éviter le blocage. Malgré la bonne entente des membres du gouvernement, la coexistence en son sein de deux camps ne favorise pas l'efficacité de l'institution. Nous reviendrons sans doute sur « l'affaire des deux drapeaux ». Selon Mme Ligeard, la réalité du pouvoir se situe dans les provinces. Le décalage entre l'affichage institutionnel et la réalité suscite l'incompréhension de la population.
S'agissant de l'exercice des compétences de l'État, la distance avec Paris est compensée par une entraide des services déconcentrés entre eux, par exemple la police et la gendarmerie. De même, une forte solidarité existant avec les services de l'administration pénitentiaire en raison de ce qu'il appelle l'éloignement du camp de base qui a été soulignée par le directeur de la prison de Nouméa. Le rapport de Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, n'a pas seulement marqué les esprits. Il a été fort utile et a débouché sur des travaux. Des progrès restent à faire dans les quartiers disciplinaires et d'isolement qui reçoivent les détenus dans des conditions indignes. Par ailleurs, les moyens budgétaires sont alloués en fonction des standards métropolitains sans égard pour le coût plus élevé des achats, ce qui débouche sur des impayés. Comme cela est souvent le cas, l'établissement s'adapte à son budget et non l'inverse. Le projet de déménagement de la prison, fort coûteux, a été heureusement abandonné. Enfin, sujet d'étonnement, 95 % des détenus sont Kanaks, 5 % sont européens.
La répartition des compétences entre l'État et les autorités locales dans les domaines régaliens - justice, formation professionnelle - n'est pas toujours cohérente et appelle des ajustements. Sur de nombreux sujets, tels l'entrée et le séjour des étrangers, la délivrance des visas, le maintien de l'ordre, la communication audiovisuelle, les contrats d'établissement avec les universités, la coopération est prévue. Partisan de l'indépendance, M. Paul Néaoutyine, président de l'assemblée de la province Nord, a regretté que le transfert des compétences régaliennes ne soit pas préparé dans la perspective d'une réponse positive au référendum d'autodétermination. Les autorités de l'État exercent encore un magistère d'influence important. Notre collègue Pierre Frogier souhaite qu'elle demeure et que l'État garde toute sa part dans le processus en cours.
Le transfert des compétences non régaliennes est bien avancé. Il est achevé en ce qui concerne la police, la sécurité de la circulation aérienne, la sécurité maritime interne, la sauvegarde de la vie en mer, l'enseignement primaire et secondaire public, l'enseignement privé, le droit civil et commercial, la sécurité civile. Nous avons d'ailleurs été alertés lors de notre visite du centre de crise de Nouméa sur un certain nombre de difficultés. Les disparités en matière d'équipements sont très importantes entre les communes. L'établissement public d'incendie et de secours dont la création était prévue par l'ordonnance du 15 février 2006 n'a pas vu le jour. Selon le directeur de la sécurité civile et de la gestion des risques, les compétences ont été transférées administrativement sans réflexion sur l'incidence pratique et financière de ces transferts.
En matière d'éducation, le vice-recteur nous a déclaré que le paiement du salaire des enseignants par l'État était un frein à l'indépendance. Cela dit, le transfert de compétences est réalisé avec un accompagnement de l'État pour l'enseignement primaire et secondaire.
MM. Frogier et Yanno s'inquiètent de la soutenabilité de certains transferts ; ils ont évoqué la « vitrification » du droit du travail et des assurances relevant de longue date de la compétence des autorités calédoniennes et les difficultés concernant le droit civil et le droit commercial.
Le transfert a également été réalisé pour les établissements publics de l'État : l'office des postes et télécommunications, l'institut de formation des personnels administratif, celle de développement de la culture kanak, le centre de documentation pédagogique sont déjà sous tutelle calédonienne, mais pas l'agence de développement rural et d'aménagement foncier.
L'article 27 de la loi organique du 19 mars 1999 suscite des débats. Les non-indépendantistes estiment que le transfert prévu par ce texte des dernières compétences en matière de communication audiovisuelle, d'enseignement supérieur, des règles relatives à l'administration des provinces, au contrôle de légalité et au régime comptable et financier des établissements publics, est optionnel. Les indépendantistes jugent au contraire qu'il s'impose.
La consultation référendaire doit avoir lieu, en tout état de cause, avant 2019 si elle n'est pas demandée avant par la majorité des trois cinquièmes des membres du Congrès, ce qui est hautement improbable au regard des résultats des dernières élections provinciales. A défaut de demande d'ici fin 2018, l'État devra l'organiser.
Les indépendantistes et une partie des non-indépendantistes, comme Calédonie ensemble, sont favorables à l'organisation du référendum. L'autre partie du camp non-indépendantiste, dont notre collègue Pierre Frogier, souhaite un troisième accord négocié de manière consensuelle sur le modèle de ceux de Matignon et de Nouméa pour éviter les risques de tension et de ralentissement des investissements, liés selon eux à l'organisation d'un référendum dont les résultats peuvent au demeurant être anticipés.
En 1998, lors de la signature de l'Accord de Nouméa, l'État s'est engagé à organiser un référendum. En dépit de l'ouverture de M. Jean-Marc Ayrault, il n'y a pas de consensus sur une alternative au référendum. Comme le souhaite la majorité des forces politiques, le référendum aura sûrement lieu. Le président de la République a rappelé ce cadre.
Le rapport établi par MM. Jean Courtial et Ferdinand Mélin-Soucramanien à la suite d'une mission confiée par M. François Fillon puis confirmée par M. Jean-Marc Ayrault, rappelle qu'aucun modèle institutionnel ne peut être plaqué sur la situation calédonienne dont l'évolution institutionnelle sera nécessairement originale et créative. Plusieurs solutions sont possibles dont celle évoquée d'un accès à la pleine souveraineté assorti du maintien d'un lien privilégié entre une Nouvelle-Calédonie souveraine et la France ; un accord de partenariat pourrait être conclu sur un pied d'égalité entre ces deux nouveaux pays, comme pour Monaco, le Liechtenstein ou la Micronésie, et un statut privilégié pourrait être accordé aux ressortissants de l'État partenaire constitue une seconde voie crédible. Un statut d'autonomie étendue, à l'instar de celui des îles Cook par rapport à la Nouvelle-Zélande, avec une révision de la Constitution française pour pérenniser des dispositions particulières à la Nouvelle-Calédonie sur l'exercice des compétences régaliennes, sur la représentation du territoire au niveau national, sur l'équilibre des pouvoirs et le fonctionnement des institutions ou encore les droits attachés à la citoyenneté calédonienne.
Dans la perspective de ce référendum, la question de l'élaboration de la liste électorale des citoyens appelés à y participer - qui est distincte de la liste pour les élections provinciales - soulève plusieurs interrogations.
Les représentants des formations politiques ne remettent pas en cause les critères d'admission à voter fixés par la loi organique du 19 mars 1999 qui a fidèlement traduit l'Accord de Nouméa sur ce point. Il y a localement un consensus sur la nécessité d'élaborer cette liste au plus tôt, préoccupation que nous partageons afin d'éviter des polémiques sur les conditions du vote. Une divergence existe sur le rôle de la commission administrative chargée d'élaborer cette liste au niveau de chaque commune. Certains indépendantistes récusent son intervention. Le Gouvernement envisage le dépôt d'un projet de loi organique début 2015 pour modifier la procédure.
Si la question institutionnelle focalise les débats de la classe politique, les questions d'ordre social et économique méritent une certaine attention. La Nouvelle-Calédonie est en effet engagée dans un processus de rééquilibrage et de décolonisation inédit ; 30 % de la population calédonienne est d'origine européenne, plus de 40 % d'origine mélanésienne ; environ 10 % est originaire des îles Wallis et Futuna - il y a davantage de Wallisiens et Futuniens vivant en Nouvelle-Calédonie que dans ces deux îles.
L'Accord de Nouméa affirme que l'identité kanak doit être préservée. Plusieurs rencontres ont été précédées d'un geste coutumier. La coutume est un aspect essentiel de l'organisation sociale kanak même si les plus jeunes, attirés par la vie en ville plutôt qu'en tribu, lui accordent moins d'intérêt. La coutume évolue et doit prendre compte leurs aspirations, ainsi que celle des femmes.
Longtemps synonyme d'inégalité par rapport aux citoyens français, le statut de droit coutumier a été consacré par l'Accord de Nouméa. Droit commun et droit coutumier sont désormais appliqués par la justice, les assesseurs coutumiers apportant aux magistrats la connaissance de ce droit qui, du fait de son oralité, n'a jamais été codifié. La loi organique du 15 novembre 2013 a instauré une « passerelle procédurale » pour remédier à la situation des victimes relevant du droit coutumier qui devaient, après la condamnation définitive des auteurs de l'infraction, introduire un recours civil pour obtenir réparation. Désormais, la juridiction pénale compétente, dans sa formation de droit commun et en l'absence de demande contraire de l'une des parties, peut statuer sur les intérêts civils. En cas d'opposition de l'une des parties, cette juridiction est complétée par des assesseurs coutumiers. Des solutions équitables sont trouvées pour la prise en compte du statut coutumier.
Le préambule de l'Accord de Nouméa rappelle l'appropriation des terres coutumières au cours de la colonisation. Les accords de Matignon ont créé l'Agence de développement rural et d'aménagement foncier (ADRAF) qui acquiert des terres coutumières pour les restituer aux clans auxquels elles appartenaient. Depuis sa création, l'ADRAF a attribué 97 000 hectares. Ainsi, les terres coutumières occupent désormais 17 % de l'espace de la Grande Terre. L'Accord de Nouméa prévoit le transfert de l'ADRAF, avec son personnel et ses missions, à la Nouvelle-Calédonie sur demande à la majorité simple du Congrès. Malgré la concertation menée pour préparer ce transfert, ni une demande formelle, ni un calendrier précis n'ont à ce jour été transmis à l'État qui exerce encore la tutelle sur l'ADRAF. Cela suscite des interrogations sur les missions de l'ADRAF dans l'avenir et l'achèvement de la réforme foncière. Plusieurs autorités coutumières préfèrent que cette question soit résolue sous la tutelle de l'État jugé plus impartial, un besoin d'État qui nous a surpris.
Les autorités coutumières jouent un rôle éminent dans la régulation de la vie sociale. Le Sénat coutumier, composé de 16 membres désignés selon les usages de la coutume et dépourvu de rôle décisionnel, est toujours en quête de sa légitimité depuis sa création. Son initiative de publier une charte des valeurs kanak est de nature à favoriser une meilleure compréhension de la culture kanak et à conforter l'utilité de l'institution. Les membres du Sénat coutumier ont regretté que l'approche du pluralisme normatif, assurant la coexistence du droit écrit et du droit coutumier, ne soit pas encore aboutie ; la charte pourrait y contribuer. Les autorités coutumières souhaitent participer à la médiation pénale, comme l'évoque explicitement l'Accord de Nouméa.
La construction d'un destin commun est l'objectif partagé par toutes les communautés qui composent la population calédonienne.
Les accords de Matignon et de Nouméa ont fait du rééquilibrage du territoire un objectif central, compte tenu de l'inégalité de développement des provinces. La réalisation de certains équipements, tels que la route transversale de la province Nord, y contribue.
L'instauration d'une clé de répartition des moyens financiers des provinces établit une solidarité entre elles. Les dotations versées par l'État sont ainsi réparties non en fonction du poids démographique mais de façon à corriger les déséquilibres. Les dotations en fonctionnement profitent pour 50 % à la province Sud, pour 32 % à la province Nord et pour 18 % aux îles ; 40 % des dotations d'équipement sont versées à la province Sud, 40 % à la province Nord et 20 % aux îles Loyauté. Cette clé de répartition est contestée par la province Sud qui connait une importante croissance démographique (les trois quarts de la population calédonienne habitent le grand Nouméa). Toutefois son maintien s'avère nécessaire, d'autant que les dispositifs de défiscalisation bénéficient au Sud et que la province des îles Loyauté demeure pénalisée par la distance, la division en trois îles et le coût des transports. Le maintien de ce correctif apparaît légitime.
Une politique active de formation constitue une seconde voie de rééquilibrage. La nécessité de préparer l'accès des jeunes aux fonctions d'encadrement figure dès les accords de Matignon. Les programmes « 400 cadres » et « cadres avenir », élargis au secteur privé, ont favorisé l'insertion d'une élite locale. Ces efforts doivent être renforcés, notamment dans le domaine des professions juridiques qui restent l'apanage des non calédoniens. La préférence locale étant difficile à mettre en oeuvre dans la fonction publique d'État en raison des règles constitutionnelles, appelle imagination et souplesse, notamment pour les postes d'encadrement.
La Nouvelle-Calédonie réalise 6 % des extractions mondiales de nickel et disposeraient de 17 % des réserves mondiales de ce minerai. L'exploitation de cette richesse, dont l'encadrement relève de la compétence des provinces, doit être organisée de manière équitable afin de contribuer au développement territorial. Le secteur est très concentré au niveau mondial. La consommation de nickel augmente. En Nouvelle-Calédonie, quatre sociétés majeures se partagent le marché, dont la SLN est la plus ancienne. Une stratégie commune de l'ensemble de ces acteurs devrait être mise en oeuvre. En outre, afin d'éviter les dangers d'une mono-industrie, Mme Anne Duthilleul a plaidé pour que les ressources financières du nickel servent aussi à la diversification économique.
La construction de l'usine de Koniambo, portée avec conviction et persévérance par M. Paul Néaoutyine, répond à une attente de tous les Calédoniens. Nous avons constaté l'ampleur impressionnante du projet et la bonne insertion du chantier dans l'environnement. L'emploi local y a été privilégié. L'environnement n'a pas été oublié.
Le rééquilibrage est en marche. Il est loin d'être achevé. Les défis de la « vie chère » restent à l'origine d'inégalités sociales. La Nouvelle-Calédonie pâtit de son insularité, du faible nombre de ses habitants - 250 000 - de l'habitude prise par ces derniers de consommer des produits métropolitains comme de sa situation à l'écart des grands circuits de distribution. Les prix très élevés qui en résultent ont provoqué des mouvements sociaux durs en 2011 et 2013. Les négociations entamées entre le patronat et les syndicats, sous l'égide de l'État, y ont mis fin. En 2013, un protocole d'accord a prévu le gel immédiat des prix, la baisse de 10 % du prix des produits de première nécessité et des mesures de contrôle des prix. Une autorité locale de la concurrence a été créée. Une loi du pays « anti-trust » a été adoptée. Selon les représentants syndicaux, les progrès sont dus à la forte mobilisation sociale. La question sociale est plus importante pour l'opinion que la question institutionnelle qui mobilise tant la classe politique.
Les fortes inégalités sociales se superposent aussi aux différences ethniques. L'accès au logement est au coeur des difficultés, notamment dans l'agglomération de Nouméa. La conférence économique, sociale et fiscale tenue les 20 et 21 août 2014 à Nouméa a élaboré un agenda des réformes nécessaires. Le chantier, qui concerne la fiscalité, les frais bancaires, la protection de l'emploi local, est immense. Des lois du pays devront être votées. Un travail considérable attend les institutions calédoniennes et l'État qui les épaule.
Ce déplacement a été l'occasion d'évaluer sur place le devenir de la Nouvelle-Calédonie. Des progrès importants ont été effectués depuis 1988 et surtout 1998. La Nouvelle-Calédonie a retrouvé la paix civile. Elle a posé les jalons pour construire le destin commun de la société calédonienne. Le rééquilibrage en cours produit ses premiers effets tangibles ; un vivier d'élus locaux, actifs et compétents a émergé dans toutes les provinces. Par-delà la question institutionnelle, la Nouvelle-Calédonie doit affronter de nouveaux enjeux économiques ainsi que le défi social et ethnique du processus de décolonisation. Le respect de l'identité kanak est une composante essentielle du destin commun. La jeunesse kanak est attirée par les modes de vie urbains. Les formations politiques locales devront prendre en compte ses aspirations. L'éducation et la formation professionnelle seront déterminantes pour l'avenir et le partage du territoire. Les Calédoniens doivent prendre le chemin de la réconciliation et bâtir ensemble les conditions de la concorde.
Je vous remercie pour ce rapport très complet. La Nouvelle-Calédonie de 2014 est différente de celle de 1988 et de 1999, du point de vue démographique, économique, institutionnel et politique. Nos rapporteurs ont rappelé les récentes tensions sociales que l'État a apaisées après avoir réuni les parties prenantes. La question du logement a revêtu une grande acuité dans certaines parties du territoire.
Le référendum prévu par les textes a contribué à rétablir la paix sur le territoire. La question de l'indépendance, dont l'on avait différé la formulation, se pose désormais dans de nouveaux termes. L'on n'est plus dans la perspective univoque qui avait été conçue. Décidément, les déplacements outre-mer sont utiles à notre commission.
Je vous remercie pour l'attention que vous portez à la Nouvelle-Calédonie, dont je ne saurais traiter avec le même recul que vous. Elu local depuis 1977, j'ai été maire du Mont-Dore à partir de 1984. Entre cette date et 1988, j'ai dû affronter des barrages et des balles ont sifflé à mes oreilles.
Si l'on veut comprendre la situation, il faut remonter au 18 novembre 1984, lorsqu'Eloi Machoro a brisé une urne à Canala. Thio a ensuite été pris en otage par le FLNKS pendant plusieurs semaines ; les gendarmes ont été désarmés. Hier, 400 personnes y ont manifesté en tenant des propos assez agressifs.
L'Accord de Nouméa, que j'ai négocié et signé, prévoit d'ici 2019 un référendum d'autodétermination et je crains que ce choix manichéen ne réveille une lutte bloc contre bloc. Je me battrai de toutes mes forces pour éviter cet affrontement. Avant de quitter la Nouvelle-Calédonie, le président François Hollande a prononcé un discours devant les élus puis il a été interviewé par France Ô : il a dit que la France serait toujours présente en Nouvelle-Calédonie, quel que soit son statut. Il a estimé que son rôle n'était pas d'imposer sa solution, mais qu'il valait toujours mieux parvenir à une solution consensuelle. Il espère que la consultation pourra ressembler plutôt que diviser. J'approuve bien évidemment ces propos - je tiens à votre disposition la lettre ouverte que je lui ai adressée, mais comment imaginer que la consultation va réduire l'antagonisme fondamental entre les pro et les anti-indépendantistes ? Comment croire à une solution qui exclurait la France alors qu'en mai 2014, le rapport de forces donnait 60 % en défaveur de l'indépendance ?
Le corps électoral est contesté. L'Accord de Nouméa prévoyait qu'il serait « glissant ». Comme la loi du 19 mars 1999 n'était pas claire, le Conseil constitutionnel l'a interprétée. La majorité de l'époque a alors voté, à la demande des indépendantistes, la révision constitutionnelle de 2007. Aujourd'hui, la jurisprudence de la Cour de cassation va plus loin que la volonté du constituant. Une loi organique sur la procédure ne suffira pas. Les indépendantistes ont porté le débat sur le corps électoral provincial devant l'ONU. Tant que cette question ne sera pas réglée, il ne sera pas possible d'organiser un référendum. Contrairement à ce qu'a indiqué le Gouvernement lors du dernier comité des signataires, ce n'est pas en créant une nouvelle commission administrative qu'on résoudra ce problème avant tout politique. En début d'année, j'ai proposé au Premier ministre de convoquer un comité des signataires extraordinaire, mais il n'a pas donné suite.
Je regrette que les gouvernements successifs ne se soient pas plus impliqués dans ce dossier. Les réunions du comité des signataires ne servent pas à grand-chose. Un haut fonctionnaire m'a dit être là pour nous expliquer comment nous passer de ce dont nous avions besoin...
Pour revenir sur les propos de Mme Tasca sur la clé de répartition : depuis 1988, l'État verse en effet une dotation d'investissement. Mais la dotation de fonctionnement repose sur la fiscalité locale qui est répartie entre chacune des provinces. Cette clé de répartition peut aussi être modifiée par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Or la province Sud, soit les trois-quarts de la population, consacre 60 % de ses dépenses de fonctionnement à la santé et à l'enseignement. L'exercice 2015 sera un numéro d'équilibriste. Un rééquilibrage de cette clé est donc nécessaire.
Je partage les propos de mes collègues sur l'identité kanak, au centre de l'Accord de Nouméa. Il est essentiel que le drapeau kanak soit devenu celui de l'identité, et non de la violence. Le Sénat coutumier, auquel je l'avais remis avec Charles Pidjot, l'a voulu ainsi et il doit flotter à côté du drapeau bleu blanc rouge. Je regrette que la majorité ne soit pas capable de reconnaître cette réalité : contrairement à l'Australie qui n'a pas su reconnaître sa population originelle, notre République prend acte de l'identité particulière - kanak, mais aussi océanienne - de la Nouvelle-Calédonie. Voilà la réalité sur laquelle nous construirons une nouvelle solution évitant un scrutin d'autodétermination qui dresserait les uns contre les autres, car la revendication indépendantiste est avant tout identitaire et non pas en rupture avec la France.
Je remercie Pierre Frogier d'avoir exprimé ce qu'il a vécu de cette histoire complexe, que la commission des lois a toujours suivie avec une grande attention.
Pour ma part, je considère que le Conseil constitutionnel a mal interprété notre volonté en 1999 et nous avons dû y revenir avec une révision constitutionnelle en 2007. Certains craignent des violences à l'occasion du référendum, mais nous savons tous quel en sera le résultat. Je suis en revanche inquiet de l'évolution de la société calédonienne, notamment chez les jeunes. Comment parler de rééquilibrage entre les provinces alors que la concentration de la population s'accentue dans l'agglomération de Nouméa ? Certes, de beaux immeubles sortent de terre, mais aussi des bidonvilles, tandis que l'alcool et la drogue se répandent. Je ne suis pas sûr que le nickel offrira des emplois à tous les jeunes.
Cette collectivité, qui a beaucoup de potentialités, doit encore trouver sa place : ce débat me semble bien plus important pour l'avenir que celui sur le corps électoral.
Merci à nos collègues pour cet excellent travail. Les choses changent, dites-vous. Sans doute, mais pas si vite que cela, car lorsque nous sommes allés en Nouvelle-Calédonie avec Jean-Jacques Hyest et Christian Cointat en 2003, les constats que nous avions formulés étaient sensiblement identiques aux vôtres. Il est vrai qu'à l'époque, le débat sur la consultation était bien plus apaisé, car encore lointain. Le centre pénitentiaire connaissait déjà une situation dramatique.
Ce n'aurait peut-être pas été une mauvaise option. Depuis, M. Delarue est venu et les choses se sont améliorées.
Lorsque nous sommes allés à Nouméa, M. Pierre Frogier était président du gouvernement et il nous avait fort bien reçus. Nous avions été la première délégation à nous rendre à Ouvéa après les événements dramatiques qui s'y étaient déroulés.
Comme le dit Jean-Jacques Hyest, le problème n'est pas l'indépendance : il n'est qu'à constater la situation du Vanuatu pour s'en persuader. La question centrale est celle de l'identité kanak. Même s'ils ne sont pas parfaits, les accords de Matignon et de Nouméa ont été signés : si l'on ne parvient pas à une solution consensuelle après avoir accompli les gestes nécessaires, le référendum devra avoir lieu. Pour ce qui est du corps électoral, nous devons respecter les grands principes républicains, à savoir que les citoyens sont égaux entre eux.
Bien que n'ayant jamais été en Nouvelle-Calédonie, j'ai le sentiment que la question sociale a quelques similitudes avec celles que nous rencontrons en métropole : des minorités se sentent bafouées dans leur identité et sont confrontées à des problèmes sociaux. Pour ce qui est du référendum, nous devons respecter notre parole. Il n'est pas possible de différer éternellement ce scrutin. Enfin, il serait choquant que, lors du vote, le corps électoral ne soit pas celui des citoyens : nous serions en totale contradiction avec les principes fondamentaux de notre République.
- Présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente -
Nous ne pouvons pas ne pas organiser ce référendum. Cela dit, la question sera évidemment clivante. Enfin, nous devrons faire en sorte que le résultat de cette consultation soit acceptable par ceux qui n'auront pas gagné. Pensez-vous que nous serons prêts ?
Tous les syndicats de Nouvelle-Calédonie nous ont dit que leur principal problème n'était pas le référendum, mais la question économique et sociale.
Les perdants auront sans doute du mal à accepter le résultat du vote, mais il me semble difficile de ne pas procéder à cette consultation. D'ici deux ans, il est indispensable de parvenir à un accord sur la composition du corps électoral. La clef est politique, sans accord sur le corps électoral, il y aura une élection sur l'élection. Il faut trouver un accord maintenant.
Notre collègue Pierre Frogier nous a dit que des conflits pourraient intervenir en Nouvelle-Calédonie à l'occasion du référendum, mais le risque n'est-il pas plus fort en l'absence de scrutin ? On ne peut oublier que 40 % de la population est favorable à l'indépendance. S'il est très important de ne pas arriver à une solution binaire, il me paraît compliqué de faire autrement. La Cour européenne des droits de l'homme a autorisé seulement un gel temporaire du corps électoral.
Nous sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait franchir l'étape du référendum pour que ce ne soit plus l'unique objet du débat politique. Après quoi, le chantier des réformes sera colossal.
Je suis néanmoins optimiste car les communautés ont appris à travailler ensemble et les élites des deux camps se connaissent bien. Une fois purgé la question référendaire, les communautés pourront bâtir ensemble leur destin commun, car elles n'ont pas d'autre choix. N'oublions pas l'histoire : un peuple d'origine a été colonisé par des colons venus d'ailleurs. J'espère que les communautés se mettront autour de la table pour apporter des réponses concrètes aux questions qui se posent, quelle que soit l'issue du référendum.
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
En période électorale, un camp a travesti le message initial des « deux drapeaux », si bien que ce message n'a pas été aussi important qu'espéré.
Si l'on renonce au référendum, il n'y aura pas d'accord. Le référendum ne pourrait-il pas être le prélude à un nouvel accord ?
La commission autorise la publication du rapport d'information relatif à la Nouvelle-Calédonie.
Puis la commission procède à l'examen du rapport d'information de Mme Sophie Joissains et M. Jean-Pierre Sueur relatif aux îles Wallis et Futuna.
Notre mission n'est pas allée à Futuna en raison des difficultés des moyens de transport mais nous avons reçu les représentants des deux rois.
Situées à plus de 19 500 kilomètres de la métropole, les îles Wallis et Futuna, isolées dans l'océan Pacifique, se trouvent à 3 000 kilomètres au sud-ouest de la Polynésie française et à 2 200 kilomètres à l'est de la Nouvelle-Calédonie, avec laquelle Wallisiens et Futuniens conservent un lien privilégié, fruit de l'histoire. L'île de Wallis est elle-même distante de Futuna de 240 kilomètres.
Futuna a été découverte en 1616 par un navigateur hollandais et Wallis en1767 par un capitaine anglais qui lui a donné son nom. L'arrivée des puissances européennes dans la région s'effectue à la faveur d'une concurrence aiguisée entre les missions religieuses dans le Pacifique Sud. En 1837, les pères maristes installent les premières missions catholiques. Ils joueront un rôle moteur dans la demande des autorités locales pour solliciter la protection de la France.
Une demande de la reine Amélia de Wallis et du roi de Futuna aboutit en 1886. Le protectorat français unit l'île de Wallis et celle de Futuna qui connaissaient jusque-là des histoires distinctes. Le décret de 1909 réglant l'organisation administrative et financière des îles Wallis et Futuna crée, pour la première fois, officiellement le « protectorat des îles Wallis et Futuna » et lie ainsi le sort des Wallisiens et Futuniens.
La création, en 1942, d'une base arrière américaine dans la perspective d'une percée japonaise dans le Pacifique central entraîne subitement Wallis-et-Futuna dans l'ère des biens matériels et de l'économie monétaire, période aussi faste qu'éphémère car la base ferme à la fin de 1943 - une grande quantité de matériel américain a d'ailleurs été noyée dans un lac volcanique de Wallis. Une crise économique intervient alors, provoquant des tensions politiques au gré de la succession rapide de rois contestés. Lors du référendum du 22 décembre 1959, Wallisiens et Futuniens choisissent l'adhésion à la France par un vote sans ambiguïté : 94,12 % des suffrages exprimés, et près de 100 % pour la seule île de Wallis, approuvent l'intégration dans la République. Conformément à ce souhait, les îles Wallis et Futuna sont érigées en territoires d'outre-mer par la loi du 29 juillet 1961 qui constitue encore le statut du territoire. La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 n'a pas conduit à la refonte de ce statut d'une grande stabilité.
Nous nous sommes rendus du 28 au 30 juillet à Wallis, en recevant également les premiers ministres des rois de Futuna. C'était le quatrième déplacement d'une délégation de notre commission à Wallis. Les rapports de nos collègues et anciens collègues de 1985, de 1993 et de 2003 attestent de l'intérêt que notre commission porte à ce territoire.
Les institutions locales résultent d'une alliance surprenante mais réussie entre la coutume et la République. Les grands équilibres du statut de 1961 n'ont pas été remis en cause et nous avons, lors de la fête du territoire organisée le 29 juillet, date de la promulgation de la loi, mesuré la ferveur patriotique des Wallisiens et partagé le kava avec le roi et les dignitaires du territoire.
L'assemblée territoriale, organe délibérant de la collectivité, dispose d'attributions encore limitées. Elle est élue au suffrage universel direct, tous les cinq ans, dans le cadre de cinq circonscriptions à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne. Les élections de 2012 ont marqué un profond renouvellement de sa composition politique. Il existe depuis un ballet des majorités qui nuit à son fonctionnement, le président changeant pratiquement chaque année.
L'exécutif de la collectivité est assuré par le représentant de l'État. L'administrateur supérieur est donc également le chef du territoire. Il existe même une tutelle administrative puisqu'il doit approuver les délibérations de l'assemblée territoriale pour les rendre exécutoire, ce qui est une fragilité constitutionnelle au regard des articles 72 et 74 de la Constitution quand bien même l'usage qui en est fait est éclairé.
L'autorité coutumière est associée à la gestion des affaires territoriales. Il existe trois royaumes : Uvéa situé à Wallis, Alo et Sigave à Futuna. Ces rois, désignés par les familles nobles, exercent le pouvoir coutumier avec leurs ministres et les chefs de district et de village qu'ils désignent. Les rois perçoivent une dotation de l'État et ils ont un rôle éminent et une influence plus importante encore. Ils ont parfois des prétentions qui excèdent leurs compétences : le président du tribunal de première instance nous a ainsi expliqué comment le porte-parole du roi de Wallis lui avait demandé de libérer les prisonniers auxquels le roi avait accordé sa grâce à l'occasion de Pâques.
Les communes sont remplacées à Wallis-et-Futuna par des circonscriptions territoriales, correspondant aux royaumes. Chaque circonscription est dirigée par un conseil présidé par le roi et dispose d'un budget autonome pour assurer les missions qui relèvent traditionnellement d'une commune. À cet égard, il faudra veiller à ce que le budget reste suffisant. L'absence de commune ne constitue pas un amoindrissement démocratique : les affaires du village sont gérées par les assemblées d'habitants qui décident collectivement et peuvent même déchoir les chefs de village.
A Wallis-et-Futuna, l'Église assure une mission de service public en matière d'enseignement. En effet, l'État concède l'enseignement primaire à la mission catholique des îles Wallis et Futuna à laquelle il est lié par convention. Ce n'est pas un enseignement privé, comme le précisait l'évêque de Wallis-et-Futuna, mais bel et bien un enseignement public, contrôlé par l'éducation nationale, assuré par la mission catholique pour le compte de l'État qui compense d'ailleurs la charge financière.
Les juridictions judiciaires et administratives sont représentées à Wallis-et-Futuna mais avec des spécificités. Un tribunal de première instance juge tous les contentieux civils, commerciaux et pénaux. Il ne comporte qu'un juge et une fonctionnaire territoriale de grand talent qui fait office de magistrat du Parquet. Sans doute faudrait-il la nommer magistrat. Les moyens matériels et humains sont dérisoires. L'appel se fait devant la cour d'appel de Nouméa ou devant la cour administrative d'appel de Paris : dire qu'il y a des obstacles matériels à son exercice est un doux euphémisme.
Autre particularité, le territoire ne compte aucune profession judiciaire : ni avocat, ni huissier, ni notaire. Des adaptations ont ainsi été prévues : la compagnie de gendarmerie locale assure parmi ses missions celle de « fonctionnaire-huissier », les personnes agréées par le président du tribunal de première instance, de « citoyens défenseurs », peuvent faire office d'avocat, même s'ils ne disposent pas de formation juridique.
La coutume a une place prépondérante. Ainsi nous a-t-on dit qu'un divorce « civil » pouvait être prononcé pour un mariage civil « coutumier ».
La prison de Wallis qui compte six places à Mata'Utu est située dans l'emprise de la caserne du commandement de la gendarmerie locale. Cependant, les mineurs sont envoyés à Nouméa, ce qui soulève encore une fois la question de l'éloignement et met en relief la difficulté des visites familiales comme du coût du transfèrement.
Enfin, la Cour des comptes est toujours compétente pour le Territoire de Wallis-et-Futuna. Il y aurait sans doute lieu de confier cette mission à la chambre territoriale des comptes de Nouméa ou à une chambre distincte mais rattachée à celle de Nouméa.
Le président du tribunal de grande instance nous a dit que le droit applicable à Wallis-et-Futuna est complexe et obsolète pour l'essentiel. Une réflexion sur la portée du principe de spécialité législative serait bienvenue.
Les trois rapports d'information précédents ont conclu à des ajustements nécessaires du statut de 1961. La tutelle administrative soulève ainsi une question de constitutionnalité mais les habitants sont attachés à l'équilibre des pouvoirs institués en 1961 - c'est par référendum, à rebours de la décolonisation des années 1960, que les Wallisiens et Futuniens ont choisi librement de devenir Français sans que le territoire ait jamais été colonisé par la France. Le protectorat devient territoire d'outre-mer : ses habitants accèdent à la nationalité française et au droit de vote. Ils peuvent dès lors participer aux scrutins nationaux et ont un représentant à l'Assemblée nationale et un autre au Sénat. La clef de voûte de cet accord est l'article 3 de la loi du 29 juillet 1961 : « La République garantit aux populations du territoire des îles Wallis et Futuna le respect de leurs croyances et de leurs coutumes en tant qu'elles ne sont pas contraires aux principes généraux du droit et aux dispositions de la présente loi. »
Les termes de l'adhésion à la République ont été négociés par Jacques Soustelle, avec les rois en place. Les réflexions sur l'avenir institutionnel n'ont pas abouti, essentiellement à cause des réserves des autorités coutumières sur un possible affaiblissement de la place reconnue à la coutume dans le statut. La discussion doit se poursuivre car la coutume évolue. En 2005, une grave crise politique a éclaté à l'occasion de la condamnation judiciaire pour homicide du petit-fils du Lavelua. Pour échapper à la justice, ce dernier s'est réfugié au palais royal, provoquant de fortes dissensions au sein des familles aristocratiques tiraillées entre le devoir de solidarité familiale et le respect de la légalité républicaine. Après une tentative de destitution du roi par l'administrateur supérieur, un médiateur envoyé par le gouvernement a finalement maintenu sa reconnaissance de l'autorité du Lavelua en place. Cet épisode a laissé des traces : coexistent les tenants d'une lecture réformatrice de la coutume et ceux soucieux de préserver la coutume des atteintes de la modernité. Nous avons ainsi assisté à un débat étonnant sur l'opportunité d'un réseau de téléphonie mobile sur Wallis. La coutume est très riche : on ne peut la réduire à une interprétation monolithique.
Pour la première fois, une délégation de notre commission assistait à la grande fête du 29 juillet, date à laquelle Wallis-et-Futuna a été déclaré territoire d'outre-mer. Reçus par le roi, nous avons bu le kava. Mon discours, dans lequel j'ai mis toute ma conviction, a satisfait le roi, puisque j'ai eu droit à une deuxième coupe. Le Monde nous a appris peu après que le roi avait été destitué, si bien que notre collègue Robert Laufoaulu aurait pu y prétendre plutôt qu'à un mandat de sénateur.
Le poids de la coutume est très important. La majeure partie de la population n'est pas intégrée dans une économie monétarisée. La solidarité entre les familles, qu'il s'agisse d'agriculture ou de pêche, joue à plein. L'administration publique représente 54 % du PIB. La contribution du secteur privé est relativement faible.
La principale question est l'exode puisque la population a diminué de 2 000 habitants depuis 1996 : il y a plus de Wallisiens en Nouvelle-Calédonie qu'à Wallis. Une fois partis, les jeunes ne reviennent pas. Certes, un lycée agricole a été créé, mais les choses n'ont pas fondamentalement changé ; le bateau de pêche, financé par l'État reste à quai ; le tourisme pourrait être développé, mais le coût du transport est dissuasif.
Les nouvelles technologies de l'information et de la communication sont une des clés de la réussite de ce territoire : un réseau de téléphonie mobile ainsi que des liaisons satellitaires sont indispensables. En outre, des câbles sous-marins avec les iles Samoa et Fidji devraient relier ces îles au reste du monde.
Nous demandons que la desserte aérienne des îles Wallis-et-Futuna se diversifie et qu'un navire mixte assurant une liaison à plus faible prix entre les îles soit envisagé.
L'offre bancaire devra également se développer : pour l'instant, il n'y a que la banque de Wallis-et-Futuna, détenue à 51 % par BNP-Paribas Nouvelle-Calédonie, avec un guichet permanent à Wallis et un guichet périodique à Futuna. Une seconde banque, publique par exemple, pourrait intervenir. L'association pour l'initiative économique (Adie) a déjà octroyé des micro-crédits à des personnes ayant des difficultés à accéder aux prêts bancaires.
Le rapport de 1993 de notre commission dressait un constat toujours d'actualité : l'inaliénabilité des terres coutumières, l'absence de cadastre et de propriétaires identifiables et la non-applicabilité du droit de la prescription et de l'expropriation à ces terres demeurent. La Cour des comptes demande une évolution, ce qui a suscité de fortes craintes localement. Il faudra nous appuyer sur des projets économiques pour faire évoluer les règles foncières.
Il y a deux établissements hospitaliers à Wallis-et-Futuna, mais pas de système de garde. En cas de prescription urgente, il est possible de se fournir dans la pharmacie de la salle d'urgence. La ministre des outre-mer souhaite doter ce territoire d'un scanner, d'une mammographie et d'une salle d'obstétrique : 9 millions d'euros sont prévus, ce qui représentera une économie étant donné les frais de transport économisés pour les évacuations sanitaires.
Les relations financières entre l'agence de santé de Wallis-et-Futuna et le régime d'assurance maladie calédonien est, selon Mme Pau-Langevin, « un sujet qui empoisonne les relations des Wallisiens et Futuniens avec la Nouvelle-Calédonie depuis trop longtemps ». L'agence de santé est effectivement recevable d'une année de fonctionnement envers le régime d'assurance maladie calédonien. Les conséquences financières de cette situation conduit à une dégradation des rapports entre les acteurs sanitaires des deux territoires, laquelle pourrait à terme entraîner une limitation de l'accueil des patients de Wallis-et-Futuna à la seule prise en charge des évacuations sanitaires urgentes. Plusieurs mesures ont été adoptées par l'État, qui assure la tutelle de l'agence de santé, pour circonscrire le montant de cette dette. Ainsi, le ministère de la défense a accepté d'abandonner les créances détenues sur l'agence de santé, soit une aide financière indirecte de 1,4 million d'euros. Afin d'éviter que la dette ne se reconstitue chaque année, il a été mis fin, dans le projet de budget pour 2015, à la sous-évaluation chronique des crédits versés à l'agence de la santé. Reste à la tutelle d'apurer l'arriéré de la dette selon un plan de remboursement réaliste et soutenable.
Je veux rendre hommage à l'action remarquable menée par Mme Marie-Ange Gerbal contre la vie chère. Elle préside l'observatoire des prix, des marges et des revenus, qui a montré l'importance des marges. Appliquer l'ensemble des règles pour favoriser la concurrence est nécessaire pour avancer.
La réalité coutumière encore prégnante doit se concilier avec les principes républicains, sans constituer une cause d'immobilisme. Le développement économique reste indispensable pour enrayer la diminution de la population et son exil.
Nous vous remercions pour la qualité de votre travail et sommes très sensibles à l'accueil que vous avez reçu à Wallis-et-Futuna.
Je signale qu'un cochon et une natte ont été offerts à la délégation par le roi de Wallis.
Nous sommes sensibles au témoignage d'amour de nos compatriotes de Wallis-et-Futuna à l'égard de la France. Votre rapport illustre le souci du Sénat de favoriser le développement économique des îles, en travaillant les questions des télécommunications, de la desserte maritime, des services bancaires, du foncier, de la santé, de la lutte contre la « vie chère ». J'espère que son écho parviendra jusqu'à Wallis-et-Futuna.
Je regrette que vous n'ayez pu vous rendre à Futuna où vous auriez pu rencontrer les deux autres rois. J'attire votre attention sur les dégâts écologiques dont souffre Wallis. Il n'y a plus de sable sur les plages ; il a été utilisé pour les constructions. J'avais avec le Président Hyest et notre ancien collègue Christian Cointat participer à la délégation de notre commission qui s'était rendue à Wallis et Futuna.
Il est crucial que nos collègues de l'hexagone se déplacent dans les outre-mer, où les choses évoluent très vite et de façon déconnectée des autres territoires.
La demande d'une intervention plus importante de l'État peut sembler paradoxale sur un territoire qui revendique son autonomie. On la comprendra le jour où l'on étudiera les fondements de cette demande.
Je félicite nos collègues pour la qualité de leur rapport. Il existe un accord particulier entre la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna. La population de ces deux îles - 12 000 habitants - diminue. Les habitants s'exilent en Nouvelle-Calédonie. Ils y sont 35 000 et bientôt 45 000. Ils peuvent y rencontrer des difficultés en matière d'accès à l'emploi local. Les dispositions de l'accord particulier sur ce sujet ne sont pas respectées. L'existence de cette communauté n'est pas neutre pour l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie.
La commission autorise la publication du rapport d'information relatif aux iles Wallis et Futuna.
La commission procède ensuite à l'examen du rapport pour avis de M. Thani Mohamed Soilihi sur le projet de loi de finances pour 2015 (mission « Outre-mer »).
Il me revient, pour la première fois, de vous présenter l'avis budgétaire sur les crédits de la mission « outre-mer », succédant ainsi à notre collègue Félix Desplan, à qui je tiens à rendre hommage, et à notre ancien collègue Christian Cointat qui a mené cet exercice pendant une décennie au nom de notre commission. C'est l'occasion pour moi, comme la ministre des outre-mer lors de son audition, de saluer son engagement pour les outre-mer, nourri d'une passion et d'une expérience précieuses pour le Sénat.
Sans revenir sur les éléments budgétaires que la ministre des outre-mer a présentés en commission mercredi dernier et qui seront approfondis lors de la discussion en séance publique, j'insisterai sur deux points.
D'une part, la mission « outre-mer » ne regroupe pas l'ensemble des crédits de l'État qui sont affectés en faveur des populations ultramarines puisque ces crédits sont ventilés au sein des autres missions budgétaires : le « document de politique transversale » permet d'avoir une vision consolidée ;
D'autre part, conformément à l'orientation du Président de la République, la mission « outre-mer » connaît une hausse de ses crédits : à périmètre constant, l'augmentation est de 2,7 % pour 2015 et 8,3 % pour le budget triennal. L'équilibre retenu est simple : faire participer à l'effort financier les collectivités ultramarines en prenant en compte leur situation actuelle pour calculer leur part de l'effort. Cette différence est justifiée par la situation socio-économique difficile dans laquelle se trouvent les territoires ultramarins.
Ces éléments me conduiront à vous proposer un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
Au-delà de ce cadrage budgétaire, compte-tenu des délais contraints, j'ai souhaité m'intéresser à un sujet particulier : les difficultés d'application de la législation outre-mer. Sujet récurrent pour notre commission, cette question a d'ailleurs été évoquée par notre collègue Alain Richard lors de la réunion du Bureau de notre commission.
Ce sujet n'est pas sans incidence budgétaire. En effet, le droit ultramarin - le statut de ces collectivités mais aussi les règles de fond qui s'y appliquent - est foisonnant. Il correspond à du « sur-mesure » pour reprendre l'expression de la ministre des outre-mer. On peut a priori se féliciter que dans une logique de subsidiarité le droit soit adapté au fait.
Cependant, manier des règles différentes d'une collectivité à l'autre, jongler avec les régimes d'entrée en vigueur des lois et règlements variant d'une collectivité à l'autre, suppose d'avoir une expertise interne suffisante. Or les effectifs du ministère des outre-mer à la suite de la réforme de 2007 à 2009 de son administration centrale ont drastiquement diminué. De même, les collectivités territoriales disposent-elles des moyens pour exercer leur compétence normative ?
Je vous propose de parcourir les quelques particularités ultramarines en matière d'application de la loi, sans épuiser la réflexion que notre commission pourrait poursuivre.
Tout d'abord, les collectivités situées outre-mer ont davantage de compétences que leurs homologues métropolitaines, ce qui est particulièrement vrai pour les collectivités d'outre-mer et la Nouvelle-Calédonie dont le statut et les compétences sont fixées par une loi organique.
Si le législateur empiète sur cette compétence, le Conseil constitutionnel le censure, au besoin d'office. Cependant, les lois relatives à l'outre-mer font rarement l'objet d'une saisine du Conseil et échappe donc à son contrôle. C'est pourquoi en 2003 le constituant a prévu une procédure inédite : la demande de « déclassement » au Conseil constitutionnel des dispositions législatives qui seraient intervenues dans le domaine de compétence d'une collectivité d'outre-mer. Cette procédure s'applique pour la Polynésie française, Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
Longtemps, elle fut une « belle endormie » : on comptait une seule décision - en 2007 - qui plus est de rejet. En 2014, la Polynésie française a décidé de saisir le Conseil constitutionnel de 7 requêtes. 5 décisions ont été rendues et 4 d'entre elles ont constaté, en tout ou partie, que l'État avait excédé sa compétence. C'est ainsi que le Conseil a admis la compétence de la Polynésie française pour fixer elle-même les règles en matière d'accès et de motivation des actes administratifs. Il nous faudra, en tant que législateur, en tirer toutes les conséquences.
Je souligne que dans les quatre cas où le Conseil a « déclassé » des dispositions législatives, trois étaient issues, dans leur dernière rédaction, d'ordonnances, ce qui démontre que le recours aux ordonnances, même pour des sujets prétendument techniques, n'est pas un gage absolu d'infaillibilité.
J'en viens à une seconde particularité qui concerne, cette fois, les régions d'outre-mer. L'article 73 de la Constitution leur permet de disposer d'un pouvoir législatif délégué. L'assemblée délibérante, dans le cadre de l'habilitation consentie par le Parlement, peut être habilitée à adapter sur leur territoire les lois et règlements dans les matières où s'exercent leurs compétences. Elle doit formuler une demande à l'État qui peut accorder ou non une habilitation qui ne vaut que pour la durée du mandat en cours. L'assemblée délibérante peut alors adapter les règles de droit commun par délibération. Ces délibérations obéissent à un régime particulier : elles ne peuvent être adoptées qu'à la majorité absolue des élus, elles sont publiées au Journal officiel et peuvent être déférées au Conseil d'État.
Ce mécanisme a été sollicité depuis 2007 à plusieurs reprises, le législateur y ayant donné suite dans au moins six cas, à chaque fois, en faveur de la Martinique et de la Guadeloupe qui semblent demanderesses de ce mécanisme.
Aucun bilan n'a été dressé de l'usage que ces collectivités ont fait de ces habilitations : ont-elles été complètement utilisées ? Des délibérations ont-elles déjà été déférées au juge ? Comment faire pour que le droit applicable localement reste lisible ? Nous n'avons pas de retour réel, ce qui pourrait pourtant nous éclairer lorsque ces collectivités territoriales saisissent le Parlement de nouvelles demandes d'habilitation.
Sur la lisibilité du droit en particulier, il faudrait sans doute mieux préciser la coordination de l'intervention du législateur et de l'assemblée délibérante. Actuellement, de manière concrète, il y a la loi ou le code national et, à côté, une délibération qui vient y déroger. Il n'est pas sûr que cette manière de « légiférer » assure un droit facilement lisible et accessible.
Après avoir évoqué les pouvoirs normatifs des collectivités territoriales, je voudrais présenter les difficultés d'application du droit édicté par l'État dans ces collectivités.
Se pose la question délicate du principe de spécialité législative auquel nous sommes confrontés avec l'article final de la plupart des lois qui prévoit, comme une ritournelle, que les articles sont applicables « en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna ».
Cette précision est nécessaire puisque la loi n'y est applicable que sur mention expresse. Le législateur doit donc prévoir d'étendre l'application d'un article lorsqu'il le crée mais aussi chaque fois qu'il le modifie. À défaut, on peut aboutir à une « fossilisation » du droit : le droit se fige et devient en décalage par rapport au droit applicable en métropole.
Je ne présenterai pas l'historique du principe de spécialité législative qui remonte, au moins, aux lettres royales de 1744 et 1746. Il était à l'origine une manière de s'assurer que le droit applicable outre-mer était adapté ou devait l'être avant d'y être étendu. Il a progressivement décliné.
D'une part, il a été abandonné pour une large partie des outre-mer : les départements d'outre-mer puis - ce qui est plus notable - certaines collectivités d'outre-mer sont régies par le principe d'identité législative.
D'autre part, dans les collectivités où il s'applique réellement - Polynésie française, Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et Terres australes et antarctiques françaises -, le législateur organique a prévu des dérogations en permettant que certaines dispositions s'y appliquaient sans nécessiter de mention expresse.
Enfin, le juge constitutionnel lui-même a forgé la notion de « loi de souveraineté » qui implique que les lois appartenant à cette catégorie sont directement applicables.
La question se pose : faut-il maintenir le principe de spécialité ? En effet, il crée une complexité particulièrement forte dans le droit applicable localement. Nos collègues qui se sont rendus en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna ont été alertés par les magistrats de cette difficulté. Les juridictions doivent parfois, avant tout examen au fond, se demander quelle est la rédaction applicable de la disposition en cause.
L'utilité de ce principe de spécialité n'est plus évidente. En effet, l'État n'est compétent dans ces collectivités que pour des matières essentiellement régaliennes : le besoin d'adaptation ne s'impose pas a priori dans ces matières. En outre, même dans le cadre du principe d'identité législative, les adaptations restent possibles. Dès lors, on pourrait sérieusement s'interroger sur la possibilité de renverser le principe de spécialité et de prévoir l'application directe de la loi, sauf dans certaines matières qui appellent par principe des adaptations.
Je conclurai mon propos avec le recours massif aux ordonnances pour l'application et l'adaptation de la loi outre-mer. Il est quasiment devenu traditionnel qu'une habilitation accompagne chaque projet de loi pour prévoir le « volet outre-mer » de la loi. Le constituant lui-même a, d'une certaine manière, reconnu cet état de fait avec l'article 74-1 de la Constitution qui habilite de manière permanente le Gouvernement à étendre et adapter, par ordonnance, le droit dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie. Je rappelle que c'est à l'initiative de notre commission qu'en 2003, il a été prévu que ces ordonnances devraient être ratifiées de manière expresse, ce qui fut fait seulement en 2008 pour les ordonnances de l'article 38.
Le Gouvernement utilise indistinctement l'article 38 et l'article 74-1 pour adopter des ordonnances spécifiques aux outre-mer ou comportant une adaptation outre-mer.
Depuis 2009, sur le fondement de l'article 38 - et pour ne retenir que les projets de lois que notre commission a examinés au fond ou pour avis -, 87 habilitations ont été accordées au Gouvernement. 25 n'ont pas été utilisées avant leur terme, ce qui pose tout de même question sur l'inertie de l'action gouvernementale. Sur les 50 habilitations qui ont donné lieu à ordonnances, 12 d'entre-elles sont en attente de ratification.
Je préciserai que 31 habilitations accordées depuis 2009 ont eu pour objet exclusif Mayotte, notamment du fait de sa départementalisation, ce qui représente plus d'un tiers des habilitations concernées sur la période examinée.
Depuis 2007, sur le fondement de l'article 74-1, les 20 ordonnances - à l'exception d'une - ont été ratifiées car c'est une condition pour les faire échapper à la caducité.
Ce recours aux ordonnances donne parfois un sentiment de relégation des outre-mer qui font l'objet d'un traitement à part. Pourtant, le recours quasi-systématique aux ordonnances pourrait être évité si le ministère des outre-mer était davantage associé en amont à la rédaction des projets de loi, ce que la ministre a admis lors de son audition. Ce serait surtout un moyen pour le Parlement de se prononcer sur les adaptations qui sont prévues pour chaque projet de loi. Je crois que le Gouvernement devrait se tenir à cette discipline dans le dépôt de ses projets de loi.
Puisque nous sommes à la commission des lois, il est utile que l'on soulève des questions juridiques lors de l'examen des avis budgétaires. Notre rapporteur l'a fait sur un certain nombre de procédures qui apparaissent davantage formalistes que substantielles et qui, pour certaines, finissent par devenir des procédures parasitaires.
D'abord, il faut saluer l'effort de notre rapporteur d'aborder ces questions. Il est très utile que nous puissions ratifier effectivement et que nous soyons associés en amont à l'élaboration de ces ordonnances qui sont fréquentes pour les outre-mer.
Ensuite, il faut souligner que le budget des outre-mer est en hausse, ce qui est remarquable compte tenu du contexte.
Enfin, qu'en est-il de l'immigration très importante à Mayotte en provenance des Comores ? La situation a -t-elle évolué ? Cette question ne se résoudra pas seule.
Notre rapporteur a souligné, de manière argumentée la dysfonctionnalité de notre système Le principe de spécialité législative trouve ses sources dans l'histoire de la colonisation française, et plus spécifiquement dans l'histoire de la République colonisatrice qui a voulu, en permanence, adapter les principes républicains à des réalités sociales et des modes de pensée radicalement opposés. Si l'on retrace l'histoire institutionnelle de la colonisation française, ce que l'on ne fait pas suffisamment, on constate que le législateur républicain a fait le choix, par exemple en 1905, de ne pas appliquer partout dans l'empire colonial le principe de séparation de l'Église et de l'État. On a appliqué le protectorat pour protéger des institutions non républicaines, à la fois une royauté et une théocratie au Maroc, par exemple. Nous avons une responsabilité d'État qui fait que l'on ne peut pas balayer cela d'un geste de la main. Nous avons des intérêts nationaux et une volonté de la population de ces territoires d'être dans un ensemble français. Nous rencontrons trois obstacles.
D'abord, nous demandons à ces territoires de construire un système de droit complet à partir de rien. Cela pose un problème de disproportion écrasante des moyens entre l'État central et ces collectivités. Qui, dans les administrations locales de territoires aussi petits, peut participer à la construction d'un système aussi abouti ? Comment demander à ces territoires de construire aussi rapidement un système de droit que nous avons mis deux cents ans à construire.
Ensuite, se posent des problèmes conceptuels. Ces systèmes de représentation de la société sont radicalement opposés au système français traditionnel. En même temps, il me semble que la piste de la révision constitutionnelle n'est pas à ouvrir. En revanche, il faudrait appliquer le principe de spécialité avec moins de dommages. Je me demande s'il ne faut pas chercher du côté des modalités de décision des assemblées délibérantes de ces collectivités. J'avance une piste. Si, dans un délai donné, l'assemblée délibérante ne s'est pas prononcée sur un texte législatif national qui vient d'être adopté, alors seulement le législateur national se substituerait à elle. On demanderait en fait à la collectivité éventuellement de renoncer à adapter plutôt que de demander au législateur national de tout régler.
Enfin, les territoires de la collectivité concernée ne parviennent pas à construire le droit qui serait nécessaire. Quand le droit n'est plus repérable, c'est la voie de fait, donc la raison du plus fort, qui l'emporte. Si on laisse ce « droit à trous » se développer, on créera de la conflictualité.
Notre rapporteur a parfaitement compris sous quel angle orienter sa mission, en tant que bon juriste. Il a souligné certaines incohérences législatives. Il a également souligné l'augmentation des crédits alloués aux outre-mer, c'est le cas depuis deux ou trois ans, ce sera également le cas dans les deux ou trois années à venir. Cela ne doit pas masquer qu'il existe une légère diminution, si l'on tient compte de la répartition territoriale, des crédits affectés aux départements d'outre-mer. Il ne faudrait pas que cette diminution des crédits gêne la continuité territoriale, en particulier en raison de l'impact sur les politiques publiques à destination des jeunes et des étudiants. D'ici à 2017, on attend jusqu'à 6 000 stagiaires du service militaire adapté. Beaucoup d'entre eux, selon la spécialité choisie, viennent en métropole se former. Il ne faudrait pas que la diminution de ces crédits contrarie ce plan de formation pour les jeunes.
Il faut aussi aborder la situation carcérale. J'ai visité en 2013 le centre pénitentiaire de Baie-Mahault, qui est une prison relativement récente par rapport à d'autres mais victime de la surpopulation : il faut mettre deux à trois matelas supplémentaires par cellule pour y faire face. J'ai également visité la maison d'arrêt de Basse-Terre, qu'un ministre avait qualifié il y a quelques années de « honte de la République ». Aucune amélioration n'a été apportée et ce n'est pas possible au regard de sa situation initiale. Je sais que les prisons de Guadeloupe n'ont pas été retenues parmi les établissements concernés par les trois premières années du plan d'amélioration et de construction de prisons. Souhaitons qu'elles le soient par la suite, car cette situation est inhumaine.
Sur la politique carcérale outre-mer, je partage votre analyse, Monsieur Desplan. Rien de nouveau n'est intervenu depuis ce rapport. Un groupe de travail a été mis en place au ministère de la Justice sur les prisons outre-mer. Ces travaux seront, je l'espère, suivis d'effets.
S'agissant de la spécialité législative, la question est posée. Faut-il maintenir ou aménager ce principe ? Il y a en tout cas unanimité sur la nécessité d'améliorer son application.
Enfin, sur l'immigration clandestine à Mayotte, rien ne semble avoir évolué. J'insiste sur le fait que ce n'est pas un problème qui concerne seulement Mayotte, car Mayotte est en fait une porte d'entrée ponctuelle vers le reste de la France.
Parmi les menaces à l'humanité, il y a le virus Ébola et la radicalisation religieuse. Si on ne contrôle pas davantage les entrées sur le territoire, cela posera des problèmes. Le virus Ébola pourrait entrer par ce territoire. Nous avons recensé des immigrés clandestins venant du Bhoutan, via l'Afrique puis Mayotte ! C'est une menace réelle et non virtuelle.
Pour ce qui concerne la radicalisation religieuse, en particulier musulmane, il faut souligner que c'est récent et intense à Mayotte où 95 % de la population est musulmane. Il existe une longue tradition musulmane, pour des raisons historiques. Des signes de radicalisation apparaissent pour la première fois. La problématique de l'immigration concerne donc tout le territoire français.
La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-Mer » inscrits au projet de loi de finances pour 2015.
La commission procède enfin à l'examen du rapport pour avis de M. Hugues Portelli sur le projet de loi de finances pour 2015 (mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », programme « Fonction publique »).
Ce programme « fonction publique » concerne la formation et l'action sociale interministérielles.
Pour 2015, le plafond des emplois des ministères s'établit comme suit : 10 601 ETP sont créés dans les secteurs prioritaires tandis que 11 879 sont supprimés par ailleurs, soit un solde négatif de 1 278 ETP. Les créations interviennent principalement dans l'éducation nationale (10 561) conformément à la promesse présidentielle de créer 60 000 emplois dans l'enseignement. La Police et la Gendarmerie bénéficient de 405 postes et la Justice 635, dont 35 seulement au bénéfice de la juridiction administrative, ce que l'on peut regretter.
Les ressources humaines sont marquées par une évolution des départs en retraite. En baisse en 2012, ils sont en hausse en 2013. On peut envisager un nouveau ralentissement de la tendance, certains personnels pouvant faire valoir leurs droits à la retraite optent pour un départ plus tardif.
Le programme 148 comprend deux actions : la formation des fonctionnaires et l'action sociale interministérielles. La formation est pour l'essentiel assurée par les ministères. Les crédits de formation inscrits au programme 148 sont quant à eux destinés à financer principalement l'ENA et les cinq IRA. Le reste de l'enveloppe revient sous forme de subventions aux organisations syndicales, centres de préparation, Institut européen d'administration publique et classes préparatoires intégrées.
Ce programme a aussi pour objectif de renforcer l'aide sociale, grâce à des prestations individuelles (chèques-vacances) et collectives qui complètent l'action de chaque ministère, diverse de l'un à l'autre.
En conclusion, les orientations de ce programme pour 2015 sont les mêmes depuis cinq ans. Je suis favorable à l'adoption de ses crédits
C'est un programme qui se situe dans la continuité des précédents. C'est la continuité de l'État et du Parlement.
La continuité est parfois discutable. J'ai l'impression que la théorie est de mutualiser par des programmes interministériels mais que la LOLF et le découpage en missions sont un obstacle à la compréhension et à la mise en oeuvre de ces objectifs de mutualisation et polyvalence. Est-ce que vous partagez ce sentiment M. le rapporteur ?
Les ministères, notamment les plus puissants, mènent leur propre politique à laquelle se superpose la politique interministérielle.
On peut regretter qu'il n'y ait aucune projection sur les mouvements susceptibles d'être observés, avec la logique de la clarification des compétences, comme par exemple pour les DIRECCTE. Concernant la politique de la ville, les préfets sentent que la recentralisation n'a jamais été aussi efficace. Il y a beaucoup à attendre de ce que M. Thierry Mandon, secrétaire d'État à la réforme de l'État, va produire en synchronisation avec la réforme territoriale.
Nous sommes dans la continuité avec 150 000 emplois en moins depuis 2008. Dans l'éducation nationale, les créations ne compensent pas les suppressions de postes. L'État doit jouer un rôle important ; ce ne doit pas être un État « rabougri », replié sur ses compétences régaliennes, et ce afin d'assurer l'égalité des citoyens sur le territoire. Pour ma part, je ne donnerai pas un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
On constate une évolution inquiétante des services de l'État. On sent sur le terrain que les préfets ont de moins en moins de liberté d'appréciation. C'est le retour à l'État central avec des normes et des contraintes qu'on nous impose sur le terrain et qui nous paralysent et nous gênent. Nous avons un problème de cohérence dans le fonctionnement de l'État entre les discours et les réalités. Élu local depuis plusieurs années, je constate un retour à la norme centrale sur la mise en oeuvre des politiques sur le terrain.
Effectivement l'inquiétude se manifeste sur l'état d'un certain nombre de services déconcentrés de l'État.
Mon point de vue est purement technique sur les crédits du programme. Je note une fidélité de ces objectifs par rapport à ce qui se passe depuis plusieurs années. Je donne donc un avis favorable à la cohérence.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Fonction publique » de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » inscrits au projet de loi de finances pour 2015.
La réunion est levée à 11 h 50
La réunion est ouverte à 18 h 30