La consultation référendaire doit avoir lieu, en tout état de cause, avant 2019 si elle n'est pas demandée avant par la majorité des trois cinquièmes des membres du Congrès, ce qui est hautement improbable au regard des résultats des dernières élections provinciales. A défaut de demande d'ici fin 2018, l'État devra l'organiser.
Les indépendantistes et une partie des non-indépendantistes, comme Calédonie ensemble, sont favorables à l'organisation du référendum. L'autre partie du camp non-indépendantiste, dont notre collègue Pierre Frogier, souhaite un troisième accord négocié de manière consensuelle sur le modèle de ceux de Matignon et de Nouméa pour éviter les risques de tension et de ralentissement des investissements, liés selon eux à l'organisation d'un référendum dont les résultats peuvent au demeurant être anticipés.
En 1998, lors de la signature de l'Accord de Nouméa, l'État s'est engagé à organiser un référendum. En dépit de l'ouverture de M. Jean-Marc Ayrault, il n'y a pas de consensus sur une alternative au référendum. Comme le souhaite la majorité des forces politiques, le référendum aura sûrement lieu. Le président de la République a rappelé ce cadre.
Le rapport établi par MM. Jean Courtial et Ferdinand Mélin-Soucramanien à la suite d'une mission confiée par M. François Fillon puis confirmée par M. Jean-Marc Ayrault, rappelle qu'aucun modèle institutionnel ne peut être plaqué sur la situation calédonienne dont l'évolution institutionnelle sera nécessairement originale et créative. Plusieurs solutions sont possibles dont celle évoquée d'un accès à la pleine souveraineté assorti du maintien d'un lien privilégié entre une Nouvelle-Calédonie souveraine et la France ; un accord de partenariat pourrait être conclu sur un pied d'égalité entre ces deux nouveaux pays, comme pour Monaco, le Liechtenstein ou la Micronésie, et un statut privilégié pourrait être accordé aux ressortissants de l'État partenaire constitue une seconde voie crédible. Un statut d'autonomie étendue, à l'instar de celui des îles Cook par rapport à la Nouvelle-Zélande, avec une révision de la Constitution française pour pérenniser des dispositions particulières à la Nouvelle-Calédonie sur l'exercice des compétences régaliennes, sur la représentation du territoire au niveau national, sur l'équilibre des pouvoirs et le fonctionnement des institutions ou encore les droits attachés à la citoyenneté calédonienne.
Dans la perspective de ce référendum, la question de l'élaboration de la liste électorale des citoyens appelés à y participer - qui est distincte de la liste pour les élections provinciales - soulève plusieurs interrogations.
Les représentants des formations politiques ne remettent pas en cause les critères d'admission à voter fixés par la loi organique du 19 mars 1999 qui a fidèlement traduit l'Accord de Nouméa sur ce point. Il y a localement un consensus sur la nécessité d'élaborer cette liste au plus tôt, préoccupation que nous partageons afin d'éviter des polémiques sur les conditions du vote. Une divergence existe sur le rôle de la commission administrative chargée d'élaborer cette liste au niveau de chaque commune. Certains indépendantistes récusent son intervention. Le Gouvernement envisage le dépôt d'un projet de loi organique début 2015 pour modifier la procédure.
Si la question institutionnelle focalise les débats de la classe politique, les questions d'ordre social et économique méritent une certaine attention. La Nouvelle-Calédonie est en effet engagée dans un processus de rééquilibrage et de décolonisation inédit ; 30 % de la population calédonienne est d'origine européenne, plus de 40 % d'origine mélanésienne ; environ 10 % est originaire des îles Wallis et Futuna - il y a davantage de Wallisiens et Futuniens vivant en Nouvelle-Calédonie que dans ces deux îles.
L'Accord de Nouméa affirme que l'identité kanak doit être préservée. Plusieurs rencontres ont été précédées d'un geste coutumier. La coutume est un aspect essentiel de l'organisation sociale kanak même si les plus jeunes, attirés par la vie en ville plutôt qu'en tribu, lui accordent moins d'intérêt. La coutume évolue et doit prendre compte leurs aspirations, ainsi que celle des femmes.
Longtemps synonyme d'inégalité par rapport aux citoyens français, le statut de droit coutumier a été consacré par l'Accord de Nouméa. Droit commun et droit coutumier sont désormais appliqués par la justice, les assesseurs coutumiers apportant aux magistrats la connaissance de ce droit qui, du fait de son oralité, n'a jamais été codifié. La loi organique du 15 novembre 2013 a instauré une « passerelle procédurale » pour remédier à la situation des victimes relevant du droit coutumier qui devaient, après la condamnation définitive des auteurs de l'infraction, introduire un recours civil pour obtenir réparation. Désormais, la juridiction pénale compétente, dans sa formation de droit commun et en l'absence de demande contraire de l'une des parties, peut statuer sur les intérêts civils. En cas d'opposition de l'une des parties, cette juridiction est complétée par des assesseurs coutumiers. Des solutions équitables sont trouvées pour la prise en compte du statut coutumier.
Le préambule de l'Accord de Nouméa rappelle l'appropriation des terres coutumières au cours de la colonisation. Les accords de Matignon ont créé l'Agence de développement rural et d'aménagement foncier (ADRAF) qui acquiert des terres coutumières pour les restituer aux clans auxquels elles appartenaient. Depuis sa création, l'ADRAF a attribué 97 000 hectares. Ainsi, les terres coutumières occupent désormais 17 % de l'espace de la Grande Terre. L'Accord de Nouméa prévoit le transfert de l'ADRAF, avec son personnel et ses missions, à la Nouvelle-Calédonie sur demande à la majorité simple du Congrès. Malgré la concertation menée pour préparer ce transfert, ni une demande formelle, ni un calendrier précis n'ont à ce jour été transmis à l'État qui exerce encore la tutelle sur l'ADRAF. Cela suscite des interrogations sur les missions de l'ADRAF dans l'avenir et l'achèvement de la réforme foncière. Plusieurs autorités coutumières préfèrent que cette question soit résolue sous la tutelle de l'État jugé plus impartial, un besoin d'État qui nous a surpris.
Les autorités coutumières jouent un rôle éminent dans la régulation de la vie sociale. Le Sénat coutumier, composé de 16 membres désignés selon les usages de la coutume et dépourvu de rôle décisionnel, est toujours en quête de sa légitimité depuis sa création. Son initiative de publier une charte des valeurs kanak est de nature à favoriser une meilleure compréhension de la culture kanak et à conforter l'utilité de l'institution. Les membres du Sénat coutumier ont regretté que l'approche du pluralisme normatif, assurant la coexistence du droit écrit et du droit coutumier, ne soit pas encore aboutie ; la charte pourrait y contribuer. Les autorités coutumières souhaitent participer à la médiation pénale, comme l'évoque explicitement l'Accord de Nouméa.
La construction d'un destin commun est l'objectif partagé par toutes les communautés qui composent la population calédonienne.