Je vous remercie pour l'attention que vous portez à la Nouvelle-Calédonie, dont je ne saurais traiter avec le même recul que vous. Elu local depuis 1977, j'ai été maire du Mont-Dore à partir de 1984. Entre cette date et 1988, j'ai dû affronter des barrages et des balles ont sifflé à mes oreilles.
Si l'on veut comprendre la situation, il faut remonter au 18 novembre 1984, lorsqu'Eloi Machoro a brisé une urne à Canala. Thio a ensuite été pris en otage par le FLNKS pendant plusieurs semaines ; les gendarmes ont été désarmés. Hier, 400 personnes y ont manifesté en tenant des propos assez agressifs.
L'Accord de Nouméa, que j'ai négocié et signé, prévoit d'ici 2019 un référendum d'autodétermination et je crains que ce choix manichéen ne réveille une lutte bloc contre bloc. Je me battrai de toutes mes forces pour éviter cet affrontement. Avant de quitter la Nouvelle-Calédonie, le président François Hollande a prononcé un discours devant les élus puis il a été interviewé par France Ô : il a dit que la France serait toujours présente en Nouvelle-Calédonie, quel que soit son statut. Il a estimé que son rôle n'était pas d'imposer sa solution, mais qu'il valait toujours mieux parvenir à une solution consensuelle. Il espère que la consultation pourra ressembler plutôt que diviser. J'approuve bien évidemment ces propos - je tiens à votre disposition la lettre ouverte que je lui ai adressée, mais comment imaginer que la consultation va réduire l'antagonisme fondamental entre les pro et les anti-indépendantistes ? Comment croire à une solution qui exclurait la France alors qu'en mai 2014, le rapport de forces donnait 60 % en défaveur de l'indépendance ?
Le corps électoral est contesté. L'Accord de Nouméa prévoyait qu'il serait « glissant ». Comme la loi du 19 mars 1999 n'était pas claire, le Conseil constitutionnel l'a interprétée. La majorité de l'époque a alors voté, à la demande des indépendantistes, la révision constitutionnelle de 2007. Aujourd'hui, la jurisprudence de la Cour de cassation va plus loin que la volonté du constituant. Une loi organique sur la procédure ne suffira pas. Les indépendantistes ont porté le débat sur le corps électoral provincial devant l'ONU. Tant que cette question ne sera pas réglée, il ne sera pas possible d'organiser un référendum. Contrairement à ce qu'a indiqué le Gouvernement lors du dernier comité des signataires, ce n'est pas en créant une nouvelle commission administrative qu'on résoudra ce problème avant tout politique. En début d'année, j'ai proposé au Premier ministre de convoquer un comité des signataires extraordinaire, mais il n'a pas donné suite.
Je regrette que les gouvernements successifs ne se soient pas plus impliqués dans ce dossier. Les réunions du comité des signataires ne servent pas à grand-chose. Un haut fonctionnaire m'a dit être là pour nous expliquer comment nous passer de ce dont nous avions besoin...
Pour revenir sur les propos de Mme Tasca sur la clé de répartition : depuis 1988, l'État verse en effet une dotation d'investissement. Mais la dotation de fonctionnement repose sur la fiscalité locale qui est répartie entre chacune des provinces. Cette clé de répartition peut aussi être modifiée par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Or la province Sud, soit les trois-quarts de la population, consacre 60 % de ses dépenses de fonctionnement à la santé et à l'enseignement. L'exercice 2015 sera un numéro d'équilibriste. Un rééquilibrage de cette clé est donc nécessaire.
Je partage les propos de mes collègues sur l'identité kanak, au centre de l'Accord de Nouméa. Il est essentiel que le drapeau kanak soit devenu celui de l'identité, et non de la violence. Le Sénat coutumier, auquel je l'avais remis avec Charles Pidjot, l'a voulu ainsi et il doit flotter à côté du drapeau bleu blanc rouge. Je regrette que la majorité ne soit pas capable de reconnaître cette réalité : contrairement à l'Australie qui n'a pas su reconnaître sa population originelle, notre République prend acte de l'identité particulière - kanak, mais aussi océanienne - de la Nouvelle-Calédonie. Voilà la réalité sur laquelle nous construirons une nouvelle solution évitant un scrutin d'autodétermination qui dresserait les uns contre les autres, car la revendication indépendantiste est avant tout identitaire et non pas en rupture avec la France.