Intervention de Jérôme Bignon

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 25 novembre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Crédits « biodiversité - transition énergétique » - examen du rapport pour avis

Photo de Jérôme BignonJérôme Bignon, rapporteur :

Monsieur le Président, mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous présenter l'avis budgétaire relatif aux politiques de la biodiversité et de la transition énergétique. Il concerne les crédits de trois programmes au sein de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » : le programme 113 « Paysages, eau et biodiversité » ; le programme 159 « Information géographique et cartographique » et le programme 174 « Énergie, climat et après-mines ».

Ces trois programmes regroupent au total 918 millions d'euros, soit 13,8 % des 6,65 milliards d'euros de l'ensemble de la mission, auxquels il faut ajouter un volume important de recettes fiscales affectées aux opérateurs qui en assurent l'exécution.

Je vais vous les présenter successivement, en examinant les crédits et les principales évolutions et je m'arrêterai, pour chacun d'entre eux, sur un ou deux points thématiques, qui devront faire l'objet de notre vigilance et de notre suivi au cours de l'année 2015.

Aussi bien les politiques de la biodiversité que celles de la transition énergétique doivent cette année être à la hauteur de rendez-vous importants.

Le premier est le projet de loi relatif à la transition énergétique pour une croissance verte, qui devrait être examiné par le Sénat début 2015. Premier grand rendez-vous législatif depuis le Grenelle de l'environnement, il vise à mettre en oeuvre les orientations issues des dernières Conférences environnementales et du grand Débat national sur la transition énergétique, et à opérer une véritable mutation écologique de notre modèle de développement.

Le deuxième est le projet de loi relatif à la biodiversité, adopté en juin dernier par la commission du développement durable à l'Assemblée nationale, avec Geneviève Gaillard comme rapporteure, et qui devrait rapidement venir à l'ordre du jour en 2015. Il entend renouveler les outils permettant d'agir sur la restauration des écosystèmes, la qualité de l'eau et la préservation de la biodiversité, en prévoyant notamment la création d'un nouvel établissement public administratif, l'Agence française pour la biodiversité (AFB).

Si 2014 était une année importante pour la politique de l'eau avec le 50ème anniversaire de la loi sur l'eau, 2015 le sera également avec la 4ème Conférence européenne sur l'eau, qui se tiendra à Bruxelles le 23 mars 2015, et le 7ème Forum mondial de l'eau, en avril, en Corée du Sud.

Enfin, la 21ème Conférence des parties à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui se tiendra à Paris dans un an, doit, nous l'espérons tous, aboutir à un nouvel accord international sur le climat, applicable à tous les pays, dans l'objectif de maintenir le réchauffement mondial en deçà de 2°C. Dans ce contexte, les crédits consacrés cette année à la biodiversité, à l'énergie et au climat ne peuvent pas être en-deçà de ces enjeux : il en va de la crédibilité des politiques publiques menées dans ces domaines.

Le programme 113 a pour principal objectif de mettre en oeuvre la stratégie nationale de la biodiversité 2011-2020. Il est doté de 277 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 275,9 millions d'euros en crédits de paiement, ce qui est quasiment stable par rapport à l'année dernière. Il convient d'y ajouter les recettes fiscales destinées aux opérateurs, soit 2,3 milliards d'euros, principalement affectées aux agences de l'eau.

L'action n° 1 « Sites, paysages, publicité », avec 6 millions d'euros, concentre 2,2 % des crédits du programme. Elle consiste en la protection et la gestion des sites classés. C'est d'autant plus important que les lois relatives aux paysages sont anciennes et méritent d'être actualisées. Un million d'euros sera consacré à la mise en oeuvre des atlas de paysage, qui sont des outils de connaissance partagés par les acteurs du territoire. C'est un point qui sera abordé dans le projet de loi relatif à la biodiversité.

L'action n° 7 « Gestion des milieux et biodiversité » concentre à elle seule, avec 265 millions d'euros en AE et 264 millions en CP, l'essentiel des crédits (95,7 %) du programme.

Concernant la mise en oeuvre de la stratégie nationale pour la biodiversité, le décret permettant de finaliser le socle réglementaire de la Trame verte et bleue a été publié le 20 juin 2014 : il s'agit d'un document-cadre qui appuie l'élaboration des schémas régionaux de cohérence écologique, les SRCE. Le premier de ces schémas a été adopté en Île-de-France en octobre 2013 et la dynamique régionale se poursuit : 3 SRCE ont été adoptés en juin et juillet 2014. La totalité des schémas devrait être adoptée en 2015. Deux millions d'euros y seront consacrés en 2015.

Pour ce qui est du réseau Natura 2000, il est quasiment achevé au niveau national, sauf en ce qui concerne la désignation des sites marins au large. Des travaux sont en cours, en vue de proposer à la Commission européenne des sites complémentaires d'ici la fin 2015. S'agissant des sites en mer, il peut y avoir des difficultés avec l'armée, notamment sur les lignes de rupture du plateau continental, où on trouve une très grande richesse biologique mais qui sont aussi parfois des zones de « cache » des sous-marins. Le réseau Natura 2000, qui n'est plus aussi conflictuel qu'il a pu l'être, comprend aujourd'hui 1 758 sites et couvre plus de 12,5 % du territoire métropolitain terrestre, 43 % de la mer territoriale et 5 % de la zone économique exclusive, hors outre-mer.

Environ 4,5 millions d'euros seront consacrés à la mise en oeuvre de la directive cadre Stratégie pour le Milieu Marin, qu'on appelle la DCSMM, et de la directive cadre sur l'eau, la DCE. Je m'y arrête un instant pour vous dire que nous entrons cette année dans une phase très importante pour la mise en oeuvre de la DCSMM. En effet, après la notification en décembre 2012 à la Commission européenne des trois premiers éléments qui doivent constituer les plans d'action pour le milieu marin, autrement appelés PAMM, à savoir « l'évaluation initiale des eaux marines », « la définition du bon état écologique des eaux marines » et « les objectifs environnementaux et les indicateurs associés », la consultation publique sur les « programmes de surveillance » vient de prendre fin en novembre 2014 pour une adoption à la fin de l'année, et la consultation publique sur les « programmes de mesures » s'ouvrira le 19 décembre 2014 avec l'objectif d'une notification à la Commission européenne fin 2015. On peut d'ailleurs se réjouir que tout se passe bien et sans retard sur l'application de cette directive.

Concernant plus particulièrement les milieux humides, un 3ème plan d'action national en faveur des zones humides a été lancé en septembre 2014. Un nouvel élan est donné.

Enfin, concernant la préservation du milieu marin, on compte depuis septembre 2014 six parcs naturels marins. Le parc Estuaire de la Gironde et Pertuis charentais est en voie d'aboutissement et trois autres projets sont à l'étude.

J'attire votre attention sur l'exécution des crédits de ce programme. En effet, plus de 143 millions d'euros d'engagements ne seront pas couverts par des paiements au 31 décembre 2014, c'est-à-dire environ la moitié de la dotation en crédits de paiements du programme, qui s'établit à 275 millions d'euros. Cela risque fortement de contrarier la réalisation de nouveaux projets prévus dans le cadre de ce programme.

Un premier point concerne les moyens et l'ambition qui seront mis au service de la future Agence française pour la biodiversité (AFB). Consistera-t-elle en une simple fusion d'établissements existants ? Aura-t-elle les moyens de sa politique ? Vous le savez, le projet de loi biodiversité prévoit la création de ce grand opérateur public en matière de biodiversité, dont l'idée n'est pas nouvelle puisqu'on parlait déjà à l'époque du Grenelle d'une agence de la nature.

Un premier rapport de préfiguration a été rendu par Bernard Chevassus-au-Louis et Jean-Marc Michel, que notre commission a d'ailleurs entendu, en avril 2013. Mais une nouvelle mission de préfiguration vient d'être lancée par la ministre fin octobre, pour la phase plus opérationnelle de mise en oeuvre, autour de Gilles Boeuf, Annabelle Jaeger et Olivier Laroussinie, sous le « haut patronage » d'Hubert Reeves.

Les contours de cette future agence sont encore flous. Son périmètre d'abord : à ce stade, l'ONCFS, l'ONF ou encore le Conservatoire du littoral, resteraient en dehors, mais est-ce optimal ? L'harmonisation des statuts sera également un enjeu budgétaire majeur puisque la moitié des 1 200 agents concernés sont des contractuels et qu'il s'agira de faire entrer sous plafond tous les personnels hors plafond. Le budget de l'agence, qui à ce stade, serait constitué des ressources des établissements existants, pourrait également être élargi à d'autres sources de financement : je pense par exemple à la piste, devenue serpent de mer, des redevances pour occupation du domaine public maritime. J'insiste pour ma part sur l'importance de la dimension marine de la future agence et des moyens qui y seront consacrés. Le directeur de l'agence des aires marines actuelle, indique qu'un budget de l'ordre de 40 millions d'euros et une équipe de 400 personnes serait nécessaire pour mener à bien ses missions, alors que cette agence ne dispose en 2014 que 22,2 millions d'euros et 145 ETP. Il y a toujours un appétit formidable pour lancer des aventures sans avoir forcément les moyens d'y parvenir. Les enjeux ultramarins sont considérables, puisque 97 % de la mer française est ultramarine.

Le deuxième point sur lequel je souhaite insister est celui des moyens consacrés à la politique de l'eau. Le PLF prévoit, à l'article 16, un prélèvement de 175 millions d'euros sur le budget des agences de l'eau, prélèvement qui sera renouvelé en 2016 et en 2017. Cet article est peut-être, à l'heure où je vous parle, en cours de discussion en séance publique.

Un prélèvement de 210 millions d'euros avait déjà été opéré l'année dernière et les comités de bassin l'avaient voté dans la mesure où cette ponction leur avait été présentée comme exceptionnelle. En réalité, il est devenu pérenne.

Si elles pouvaient le supporter l'année dernière, un grand nombre d'agences se retrouvent aujourd'hui dans une situation financière difficile. Le premier problème est un problème de principe : toute la législation sur l'eau en France, qu'on a même réussi à transposer au niveau européen, est remise en cause par cette idée du prélèvement. Si on pérennise ce prélèvement et que cet argent ne va plus à la biodiversité ou à l'eau, on rentre dans un nouveau système. Cela pose un deuxième problème : nous ne serons plus en mesure de respecter nos engagements européens, dans le cadre de la directive eaux résiduaires urbaines et de la directive cadre sur l'eau.

L'argument du dynamisme des redevances des agences de l'eau a été avancé à l'Assemblée nationale par la rapporteure générale du budget et par le Gouvernement, qui affirment que leurs recettes ont augmenté de 24 % entre 2010 et 2014. Mais cela ne reflète pas la réalité car ce chiffre prend pour référence l'année 2010, qui a été anormalement basse. En effet, en raison du changement opéré par la loi sur l'eau, les agences de l'eau ont mis deux ans pour mettre en place le nouveau type de redevances et on a donc observé un phénomène de rattrapage en 2012. En outre, le calcul du Gouvernement tient compte du fonds de concours pour l'ONEMA, de celui pour l'État et de la part nationale affectée au plan Ecophyto.

Ainsi, en raisonnant sur six ans et sans inclure ces prélèvements nationaux, les recettes des agences n'ont en réalité augmenté que de 2,6 % en six ans, soit moins que l'inflation, qui est d'environ 7% sur la période.

C'est pourquoi j'ai déposé en séance publique un amendement visant à supprimer cet article 16, amendement destiné à alerter les élus sur ce sujet qui risque d'avoir de réelles conséquences. Plus encore que la logique de l'investissement local, c'est un coup de canif donné à l'esprit de la politique de l'eau en France. Je sais d'ailleurs que la ministre a reçu la semaine dernière les six présidents des comités de bassin et a été très sensible à ce cri d'alerte. Mais maintenant, quelle solution pourra être trouvée ?

Concernant le programme 159 « Information géographique et cartographique », les crédits alloués, qui s'élèvent cette année comme l'année dernière à 97 millions d'euros, recouvrent pour l'essentiel la subvention versée à l'Institut national de l'information géographique et forestière, l'IGN, issu de la fusion en 2012 de l'IGN et de l'Institut national forestier.

J'ai entendu, dans le cadre de cet avis budgétaire, le directeur adjoint de l'Institut. Beaucoup de choses m'ont semblé particulièrement intéressante pour notre commission, notamment au titre de sa compétence aménagement du territoire. J'ai d'ailleurs eu l'impression que l'IGN était un instrument d'aménagement du territoire trop peu connu, trop peu utilisé et qui mériterait probablement d'être mieux valorisé.

Je pourrais vous raconter l'histoire de la cartographie depuis le XVIIème siècle mais je vais vous en dispenser : vous pourrez consulter mon rapport si ces questions vous intéressent.

Je tiens seulement à souligner que le projet de synergie entre les cartes cadastrales et topographiques, qui avait été prévu par l'ordonnance royale du 11 juin 1817 mais qui avait échoué à l'époque va enfin aboutir aujourd'hui, grâce à la signature, le 22 mai 2014, d'une convention relative à la constitution de la représentation parcellaire cadastrale unique (RPCU), qui devrait être achevée dans sept ans environ.

Autre point de vigilance, le contrat d'objectifs et de performance signé entre l'État et l'IGN pour la période 2013-2016, signé en mai 2014. Il devra permettre de remédier aux difficultés financières structurelles de l'établissement, qui présente un décalage entre ses recettes et ses dépenses d'investissement. Il serait intéressant de rendre visite aux personnels de l'IGN, d'autant que ce n'est pas très loin.

Dernier programme, le programme 174 « Énergie, climat et après-mines ». Ses crédits s'élèvent à 541,6 millions d'euros en AE, et 545,2 millions d'euros en CP, en baisse d'environ 8,5 % par rapport à l'exercice précédent. Ils sont quasi-intégralement destinés à garantir les droits sociaux et l'accompagnement des mineurs en cas de fermeture d'entreprises minières et ardoisières, via la subvention versée à l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs. La baisse des crédits du programme s'explique en grande partie par la diminution naturelle des ayants droits de « l'après-mines ».

Les 5 % restants de ces crédits sont donc consacrés, d'une part, à la politique de l'énergie, d'autre part, à la lutte contre le réchauffement climatique.

Au-delà de ces crédits, je souhaiterais donner un signal d'alarme sur trois sujets :

Le premier est la grande inconnue du financement de la transition énergétique : malgré les financements mis en avant par le Gouvernement, de l'ordre de 10 milliards d'euros sur 3 ans, les mesures du projet de loi ne paraissent pas clairement financées, comme nous l'avait d'ailleurs dit le Conseil économique, social et environnemental quand nous l'avons entendu. Le coût du plafonnement du nucléaire reste flou, les objectifs fixés par l'article 1er semblent pour la plupart très optimistes et leur calendrier de mise en oeuvre difficile à croire.

Le deuxième point de vigilance concerne le fonds chaleur, dont les crédits n'ont pas cessé de diminuer depuis 2010. On sait pourtant que cet outil, institué par le Grenelle de l'environnement, est efficace sur les territoires. La Cour des comptes, dans un rapport sur le financement des énergies renouvelables a indiqué que les dotations au profit de ce fonds auraient dû augmenter pour progressivement atteindre 500 millions d'euros en 2012, puis 800 millions d'euros en 2020, selon le plan arrêté lors de sa création. Or, les décisions budgétaires successives ont limité l'enveloppe à 1,2 milliard d'euros sur la période 2009-2013, soit 240 millions d'euros seulement en moyenne annuelle, un niveau très inférieur aux intentions initiales. La ministre de l'écologie a annoncé en juin un doublement du fonds, pour atteindre 400 millions d'euros en 2017. Or, aucune précision sur les moyens d'atteindre cet objectif ne figure dans le projet de loi de finances. Il y a donc là une vraie incertitude sur laquelle nous devrons interroger le Gouvernement.

Le dernier point de vigilance concerne la lutte contre le réchauffement climatique, avec notamment la conférence des parties qui se tiendra à Paris en décembre 2015. Cette dernière devra aboutir un nouvel accord sur le climat, qui soit applicable à tous et qui permette de maintenir le réchauffement climatique mondial en deçà de 2°C d'ici à la fin du siècle. C'est pourquoi le débat parlementaire à venir sur la transition énergétique devra être l'occasion d'engager résolument la France sur la voie d'une transition vers un modèle décarboné. Je suis convaincu qu'il est absolument nécessaire d'articuler lutte contre le changement climatique et politique de préservation de la biodiversité. Dans son rapport « Planète vivante » de septembre 2014, le Fonds pour la nature (WWF) indiquait que la Terre a perdu la moitié de ses populations d'espèces sauvages en quarante ans, sous l'effet combiné de la dégradation de leurs habitats, des pratiques agricoles, de la pollution et du changement climatique. En Europe, à titre d'exemple, selon une étude publiée le 3 novembre dernier par le journal scientifique Ecology Letters, plus de 400 millions d'oiseaux d'espèces communes ont disparu en 30 ans.

Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a fait adopter lors d'une seconde délibération sur l'article 32 un amendement minorant les crédits de la mission de 33 millions d'euros. Cette baisse affecte le programme 113 à hauteur de 4 millions d'euros, le programme 159 à hauteur de 860 000 euros et le programme 174 à hauteur de 800 000 euros.

Les crédits des programmes que je viens de présenter ont certes été en partie préservés, mais ils ne semblent pas à la hauteur des enjeux cruciaux qui nous attendent, non pas dans trois ou cinq ans, mais en 2015. Aucun signal positif n'est donné, à travers ces crédits, concernant le financement de la transition énergétique ou celui de la mise en oeuvre de la nouvelle gouvernance de la biodiversité. En regardant uniquement les crédits, j'aurais plutôt eu tendance, à titre personnel, à vous proposer de donner un avis favorable. Mais il n'y a aucune lecture par rapport aux perspectives importantes qui sont devant nous. C'est pourquoi je vous proposerai, mes chers collègues, de donner un avis défavorable aux crédits de ces trois programmes.

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