Monsieur le Président, mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous présenter pour la première année les crédits de la mission « Égalite des territoires et logement » inscrits au projet de loi de finances, dont le périmètre a été modifié, le programme « Politique de la ville » étant désormais rattaché à la mission « Politique des territoires ».
L'examen de ces crédits intervient dans un contexte particulier. Le nombre de permis de construire a diminué de 12,6 % en 2013 pour atteindre 433 000 permis et la baisse des mises en chantier a également reculé de 4,2 %, soit 332 000 logements mis en chantier. Le journal Les Echos a ainsi pu titrer : « Construction de logements : un naufrage sans précédent ». Les mises en chantier à la fin de l'année 2014 devraient être inférieures à 300 000 unités. Il faut remonter à 1997 pour atteindre un tel chiffre et à l'époque il y avait 55 millions de Français quand aujourd'hui nous sommes 10 millions de plus.
Avant d'en venir à l'examen des crédits de cette mission, je souhaite au préalable rappeler que le budget comporte par ailleurs de nombreuses mesures qui concernent le logement : dispositif Pinel, extension du prêt à taux zéro, mesures pour favoriser la libération du foncier, crédit d'impôt pour la transition énergétique entre autres.
Ces mesures traduisent des dispositions annoncées dans les plans de relance du logement du Gouvernement de juin et août dernier et censées être une réponse à la crise du bâtiment. Les professionnels que j'ai pu rencontrer en sont globalement satisfaits mais ils m'ont cependant unanimement dit que la confiance ne reviendrait que si ces mesures s'inscrivaient dans la durée, et que si se mettait en place rapidement un environnement juridique et fiscal stable et lisible.
Or, je constate que plusieurs mesures du projet de loi de finances sont limitées dans le temps et donc ne sont pas de nature à restaurer la confiance.
Les incohérences du Gouvernement nuisent également au retour de la confiance : à peine l'encre du plan de relance du logement est-elle sèche que le gouvernement annonce dans le projet de loi de finances rectificative une mesure pour renforcer la taxation des résidences secondaires. Comment voulez-vous que les Français s'y retrouvent ! Il est indispensable que le Gouvernement adopte une vision stratégique globale et cohérente.
J'en viens maintenant aux crédits de la mission « Égalite des territoires et logement ». Les crédits de ces programmes augmentent sensiblement cette année, de près de 75 %. Mais cette forte augmentation est le résultat d'une opération purement comptable de budgétisation des aides au logement
Le programme 177 « Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables » regroupe les crédits de la politique de l'hébergement et d'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées. Les crédits de ce programme augmentent de 4,5 %.
Je voudrais ici m'arrêter sur les crédits de l'hébergement d'urgence qui augmentent de nouveau très fortement cette année de 21 %. Ces crédits permettent le financement des nuitées d'hôtel. Au 31 décembre 2013, le nombre de places en hôtel avait augmenté de 23 % par rapport à 2012 en raison :
- d'une part, de l'augmentation du nombre de familles avec des enfants en bas âge nécessitant une prise en charge spécifique ;
- et, d'autre part, de l'augmentation de personnes présentant une situation administrative particulièrement complexe.
En raison de l'insuffisance des places dans les centres d'accueil pour les demandeurs d'asile (CADA) et du principe d'accueil inconditionnel, les demandeurs d'asile sont accueillis dans les structures d'accueil et d'hébergement généralistes. 20% de ces places seraient ainsi occupées par les déboutés du droit d'asile. Ce taux peut même atteindre dans certains cas 60 %, et ce au détriment, il faut bien en convenir, d'une population fragile en situation de précarité, créant de fait une inégalité pour les plus démunis.
Dans la détermination du montant des crédits, le gouvernement a anticipé les conséquences de la réforme de l'asile qui devrait permettre d'accélérer les procédures d'examen. L'Assemblée nationale n'a pas encore examiné cette réforme et je ne sais pas quand son examen sera inscrit à l'ordre du jour du Sénat.
En réalité, cette réforme permettra seulement de libérer plus rapidement des places dans les CADA pour les demandeurs d'asile et le nombre de déboutés présents dans les hébergements d'urgence généraliste augmentera.
Je crois qu'il est temps pour le Gouvernement d'adopter une position claire à l'égard des déboutés du droit d'asile : seul l'éloignement ou la régularisation permettra de diminuer les tensions sur l'hébergement d'urgence.
En prenant en compte cette réforme qui, n'ayant pas encore été examinée par l'Assemblée nationale, ne devrait être applicable que dans le courant de l'année prochaine et dont la ministre du logement a reconnu devant nos collègues députés que son effet « sur le volume de demandeurs d'asile [était], à ce jour, impossible à quantifier », j'estime que le Gouvernement a manifestement sous-évalué les crédits nécessaires à l'hébergement d'urgence. Ces crédits sont insincères.
Le programme 109 « Aide à l'accès au logement », comprend essentiellement la contribution de l'État au financement du Fonds national d'aide au logement (FNAL). Ses crédits augmentent de 115 % ... pour des raisons comptables l'État ayant décidé de budgétiser les aides au logement.
Je souhaite souligner que les aides à la personne constitueront le principal poste budgétaire de la politique du logement, soit 11 des 13 milliards du budget du ministère !
À périmètre constant, les crédits augmentent seulement de 3 %. Les dépenses d'aides au logement devraient se poursuivre en 2015 en raison de la persistance de la paupérisation des ménages, et malgré l'hypothèse d'une stabilisation du nombre de chômeurs, loin d'être acquise.
Le gouvernement prévoit deux mesures d'économie : la première résulte de l'indexation sur l'inflation de l'abattement forfaitaire sur le revenu pris en compte dans les calculs d'aide. La seconde est prévue à l'article 52 du projet de loi de finances, qui est rattaché à la mission, et prévoit la réforme de l'APL-accession. L'APL et l'ALS seraient désormais attribuées uniquement lorsque les ressources du ménage diminuent de plus de 30 % par rapport à leur niveau lors de la signature du prêt ou du contrat de location-accession. Les députés ont reporté cette mesure d'une année après engagement de créer un groupe de travail sur les APL. Les professionnels du secteur de la construction sont unanimes pour considérer que la réforme du dispositif de l'APL-accession était un signal négatif envoyé aux Français et qu'elle aurait des conséquences désastreuses sur le nombre de construction. L'Union des maisons françaises estime ainsi entre 15 et 20 000 le nombre d'opérations qui ne pourraient pas être réalisées. En conséquence, je vous proposerai un amendement de suppression de cette disposition qui porte un mauvais coup aux familles et à l'accession à la propriété.
Il est très difficile de dire si les montants prévus seront à la hauteur des demandes. Si on se fie aux dernières années, j'ai envie de vous dire que non, des dotations complémentaires ont dû être attribuées en projet de loi de finances rectificative pour faire face aux dépenses ; je ne suis pas certaine que 2015 échappera à la règle.
Plus généralement, l'augmentation du nombre de bénéficiaires doit nous conduire à réfléchir à une refonte de ces aides et à cette occasion, à examiner comment faire pour éviter leur effet inflationniste sur les loyers
Je finis en indiquant que le FNAL qui gère les APL recevra également une contribution renforcée d'Action logement, encore lui...contribution exceptionnelle de 300 millions d'euros en 2015 contre 150 millions prévus initialement. Je vous proposerai également de supprimer cette disposition car comme me l'ont expliqué les représentants d'Action logement le financement des APL est très éloigné de leur mission première : l'investissement dans la construction !
J'en viens au programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat », dont les crédits diminuent fortement en 2015, de 9 % en autorisations d'engament et de 28 % en crédits de paiement. Ce programme comprend notamment les crédits budgétaires destinés à soutenir la construction locative et l'amélioration du parc, autrement dit les « aides à la pierre ».
Les crédits budgétaires destinés aux aides à la pierre sont en forte diminution : les autorisations d'engagement diminuent 47 millions et les crédits de paiement de 105 millions d'euros. Je déplore ce choix alors même que les collectivités territoriales ne sont pas en mesure de compenser cette baisse et que les HLM utilisent de plus en plus leurs fonds propres.
Je formulerai plusieurs observations :
- de nouveau cette année, cette diminution des crédits de paiement est compensée par 216 millions d'euros de fonds de concours issus d'un Fonds géré par la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). On va de nouveau prélever sur les taxes versées par les bailleurs sociaux. On ne peut pas accepter que l'État se désengage autant.
- les objectifs annuels de construction de logements sociaux restent fixés au même niveau depuis 2012, à savoir 150 000 logements, alors que ces objectifs ne sont jamais atteints ; je m'interroge sur leur maintien. Ne faudrait-il pas plutôt se fixer des objectifs moindres mais plus réalistes ?
- la subvention unitaire par logement social est supprimée s'agissant des PLUS et l'effort est concentré sur les PLAI ou sur les super-PLAI. Or je le redis nous avons aussi besoin d'aide pour les PLUS
- les crédits pour la surcharge foncière sont également en baisse.
Un mot du financement de l'Anah. Alors que le Gouvernement renforce le crédit d'impôt pour la transition énergétique, et s'engage dans la transition énergétique avec un projet de loi dédié, il ne donne pas à l'Anah les moyens d'assurer ses missions. Chacun d'entre vous a pu le constater dans son département, faute de moyens suffisants, l'Anah a dû restreindre l'attribution des aides du programme « Habiter mieux » qui a de bons résultats, aux seuls ménages très modestes, mettant ainsi de côté les ménages modestes.
La ministre nous a expliqué que le Gouvernement était conscient de la fragilité du financement de l'Anah avec pour principale ressource la vente des quotas carbone et que l'agence verrait augmenter ses ressources issues de la taxe sur les logements vacants de 30 millions et recevrait une contribution d'Action logement à hauteur de 50 millions.
Il n'est pas question ici de remettre en cause le rôle de l'Anah dans la lutte contre l'habitat indigne mais une remise à plat de ses ressources et de ses missions me paraît inévitable.
Enfin, le dernier programme, le programme 337 « Conduite et pilotage des politiques publiques de l'égalité des territoires, du logement et de la ville », qui regroupe les effectifs et les crédits de masse salariale du ministère de l'égalité des territoires et du logement, voit ses crédits diminuer de 3 %.
Je voudrais dire un mot également des dépenses fiscales dont je rappelle qu'elles sont pour cette mission aussi importante que les crédits. Pour 2015, elles sont en baisse de 6 %.
Enfin, j'ai souhaité, dans mon rapport écrit, m'intéresser à la question de l'adaptation de la politique du logement au vieillissement de la société. Selon les prévisions de l'INSEE, entre 2007 et 2060, le nombre de Français âgés de plus de 75 ans devrait doubler et celui des plus de 85 ans pourrait être multiplié par 4 !
En conclusion, au vu de ces différentes observations, je vous invite à émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Égalité des territoires et logement », à adopter deux amendements de suppression des articles 52 et 53 et à adopter sans modification l'article 54 rattaché à la mission.