Vous l'avez rappelé en ouvrant cette séance, monsieur le président, la discussion que nous entamons aujourd'hui revêt un caractère historique, puisque, pour la première fois, le Gouvernement présente devant le Parlement son projet de loi de finances initiale conformément aux dispositions de la LOLF.
Pour la première fois, mes chers collègues, nous allons voter les crédits par mission, et non plus par ministère ; nous allons les voter au premier euro, et non plus pour les seules dépenses nouvelles, qui ne représentaient guère plus de 5 % du budget ; enfin, nous allons voter par référence à des objectifs de performance, et non plus seulement par référence à des moyens.
Une nouvelle culture est à l'oeuvre, voulue et conçue par la représentation nationale, votée dans un consensus supra- partisan, dictée par la nécessité de mettre un terme aux dysfonctionnements de l'État, à l'impéritie de la gestion publique ainsi qu'à l'immobilisme de la sphère étatique.
Alors que le « modèle français » paraît être à bout de souffle, ou en tout cas soumis à rude épreuve, comme en témoignent le niveau du chômage, les déficits abyssaux et les montagnes de dettes publiques, sans parler des violences urbaines, le renouveau est attendu. Il n'est plus question de jouer les prolongations dans l'attente des secours de la providence.
S'il est vrai que la LOLF n'est pas en soi une politique, elle doit cependant constituer désormais l'instrument de la lucidité de tous ceux qui prennent des décisions politiques. Certes, la LOLF n'est qu'un levier, un éclairage, un mode de gouvernance ; elle sous-entend la transparence et met l'accent sur l'obligation pour tout agent public de rendre compte de sa gestion. A sa façon, elle nous invite à rompre avec nos procédés approximatifs, puisque, dorénavant, les comptes publics devront être lisibles, vérifiables et sincères.
Allant jusqu'au bout de sa logique, notre nouvelle Constitution financière charge la Cour des comptes de certifier la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes de l'État. Mes chers collègues, la révolution est en marche !
Il n'y a plus de place pour la créativité conceptuelle, les petits arrangements de présentation budgétaire, les trompe-l'oeil, les petites tricheries convenues pour sauver les apparences et tenter de se mettre à l'abri des remontrances bruxelloises et, en fin de compte, se rassurer à bon compte. Il n'est donc plus question d'abuser les citoyens et de rendre impossible toute tentative de pédagogie, au nom de l'habileté politique.
Une ère nouvelle s'ouvre. C'est donc, messieurs les ministres, l'heure de vérité pour ce premier projet de loi de finances présenté sous l'empire de la LOLF.
Au moment où s'ouvre la discussion budgétaire, je voudrais tenter de répondre à trois questions. Le projet de budget pour 2006 est-il sincère ? Est-il l'expression de la réforme de l'État ? Enfin, les dispositions qu'il contient peuvent-elles stimuler la croissance et résorber le chômage ?
Première question : le budget est-il sincère ?
En juin dernier, monsieur le ministre de l'économie et des finances, vous avez tiré la sonnette d'alarme en affirmant que « la France vit au-dessus de ses moyens ». Votre projet de budget, avec un déficit prévisionnel de 46, 8 milliards d'euros, ne dément pas votre observation, surtout si l'on prend en compte les déficits prévisionnels des régimes obligatoires de protection sociale et l'assurance chômage, qui représentent, au total, plus de 60 milliards d'euros de déficit public - soit près de 2 000 euros de déficit par seconde ! - et qui viendront s'ajouter aux 1 100 milliards d'euros de dette publique.
À cet égard, il est sage de ne pas oublier que l'État supporte également la dette des droits à pension des fonctionnaires, qui est de l'ordre de quelque 800 milliards à 900 milliards d'euros.
Pour aller jusqu'au bout de l'exigence de sincérité, il conviendrait, en outre, de tenir compte des engagements souscrits par l'État en faveur d'organismes dont les dettes sont des dettes de l'État. Nous attendons donc les conclusions de la mission que vous avez confiée à Michel Pebereau, monsieur le ministre, pour avoir confirmation de nos analyses à ce sujet.
S'agissant de l'évolution des dépenses publiques, votre proclamation selon laquelle le cap du « zéro volume » est respecté s'expose quelque peu à la critique.
La suppression des crédits alloués à la sécurité sociale en compensation des exonérations de cotisations liées à la réduction du temps de travail constitue un heureux arrangement. En effet, si les crédits en cause étaient restés inscrits au budget général, il eût fallu, du fait de leur poids relatif - 18, 9 milliards d'euros, soit une progression de10 % - faire face à près de 0, 4 % de progression du volume de la dépense publique.
Par ailleurs, la débudgétisation des crédits alloués à l'Agence pour le financement des infrastructures de transport, l'AFIT, à l'Agence nationale de la recherche, l'ANR et à l'Agence de l'innovation industrielle, l'AII, par prélèvement sur les ressources de privatisation, permet au Gouvernement, de manière optique, de ne pas avoir à constater une évolution significative du volume des dépenses publiques.
A cet égard, je voudrais dire que, face à une situation donnée, tout gouvernement peut faire le choix d'un supplément de dépense publique. L'option est parfaitement respectable et mieux vaut qu'elle soit assumée comme telle.
En outre, le recours massif aux dépenses fiscales vous dispense, messieurs les ministres, de faire apparaître de nouveaux crédits budgétaires. Ne perdons pas de vue, mes chers collègues, que de telles pratiques « plombent » les recettes des budgets à venir.