Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur la présentation du budget pour 2015 en faveur des outre-mer. Permettez-moi simplement, comme certains de mes collègues, de me réjouir que, conformément à l’engagement du Président de la République, les crédits de la mission « Outre-mer » augmentent à périmètre constant. La situation socio-économique difficile des outre-mer a été prise en compte par le Gouvernement.
J’en viens immédiatement au sujet sur lequel la commission des lois a souhaité se pencher cette année, à savoir les difficultés d’application de la législation outre-mer. Ce sujet n’est pas sans incidence budgétaire. En effet, le droit ultramarin est foisonnant. Il devient de plus en plus du « sur-mesure », ce dont on peut se réjouir. Le droit pensé pour la métropole nécessite en effet d’être adapté à nos territoires ultramarins, tout le monde en conviendra.
Cependant, créer ce droit particulier, le suivre et le faire vivre suppose de disposer de moyens humains, notamment d’une expertise pointue. Cette affirmation est aussi vraie pour l’État que pour les collectivités ultramarines. Pensez-vous, madame la ministre, que ces moyens existent au sein de l’État, au niveau tant central que déconcentré ?
Je concentrerai mon propos sur quatre points.
Premièrement, j’évoquerai les ordonnances adoptées pour l’application et l’adaptation de la loi outre-mer. Ce recours est devenu traditionnel, pour ne pas dire systématique. Le Gouvernement peut compter autant sur l’article 38 que sur l’article 74-1 de la Constitution. D’ailleurs, cette dernière disposition, introduite en 2003, n’a pas, contre toute attente, limité le recours à l’article 38, bien au contraire !
Je rappellerai simplement un chiffre pour illustrer l’ampleur du phénomène : sur les textes examinés au fond ou pour avis par la commission des lois, quelque 87 habilitations ont été sollicitées par les gouvernements successifs depuis 2009. Pis, sur ces 87 habilitations, 25 n’ont pas été utilisées à temps, ce qui pose tout de même question !
Un tel constat soulève une difficulté de principe : les parlementaires ne peuvent pas correctement débattre des adaptations de la législation dans les outre-mer. Madame la ministre, je sais que vous n’êtes pas à l’origine de ce phénomène, mais je vous pose la question : pourquoi le Gouvernement réserve-t-il un traitement à part à nos territoires ? Le ministère des outre-mer peut-il davantage se faire entendre auprès des autres administrations, pour que les outre-mer ne soient pas seulement la préoccupation de votre ministère ? Les outre-mer doivent être non pas l’apanage des Ultramarins, mais un souci partagé par l’ensemble des ministres et des parlementaires.
J’évoquerai maintenant le principe de spécialité législative, qui constitue seulement une possibilité ouverte par la Constitution pour les collectivités d’outre-mer. C’est un principe aux racines anciennes – il remonte à l’Ancien Régime –, qui aboutit souvent à un droit obsolète ou lacunaire dans plusieurs de ces collectivités. Il a inexorablement décliné : abandonné pour plusieurs collectivités, puis pour plusieurs pans de la législation au sein des collectivités qui en connaissent encore l’application, sans doute faudrait-il faire preuve d’audace en envisageant son renversement ou, à tout le moins, en le réservant à des sujets pour lesquels son utilité est avérée. Par exemple, je ne suis pas sûr qu’il soit absolument pertinent en droit pénal et en procédure pénale, matières à propos desquelles il n’y a pas de raison objective de penser que la loi ne doit pas être la même pour tous les citoyens.
Un autre dispositif constitutionnel permet d’assurer l’adaptation de notre droit aux réalités ultramarines. Je pense aux délégations prévues par l’article 73 de la Constitution, que, depuis 2007, les départements et régions d’outre-mer peuvent recevoir du pouvoir législatif et règlementaire pour adapter les normes sur le territoire de leurs collectivités. Pour résumer, à l’exception des matières régaliennes, les assemblées locales sont conduites à « légiférer » avec l’accord du Parlement.
Ce mécanisme a été sollicité à plusieurs reprises, particulièrement par les collectivités guadeloupéennes et martiniquaises. Je regrette que nous ne prenions pas davantage le temps de dresser un bilan de l’utilisation qui est faite de ces délégations. Comment les normes nationales ont-elles été adaptées ? Des difficultés existent-elles ? Autant de questions sur lesquelles le Gouvernement et le Parlement devraient se pencher, plutôt que d’accorder des habilitations « à l’aveugle », sans songer aux conséquences.
Je conclurai en évoquant l’homologation ou l’approbation des sanctions pénales édictées par les autorités locales. Cette procédure est importante, car, à défaut, les règles édictées localement ne sont assorties d’aucune sanction : autant dire que leur effectivité est gravement compromise.
La responsabilité des retards, parfois de plusieurs années, observés en la matière incombe à l’État, particulièrement au Gouvernement. Notre collègue Michel Magras en a fait l’expérience malheureuse à Saint-Barthélemy. Madame la ministre, le Gouvernement s’engage-t-il à respecter des délais raisonnables pour procéder à ces approbations ?
Sous réserve de ces observations, la commission des lois a émis un avis favorable sur les crédits de cette mission.