Intervention de Jean Gaubert

Commission des affaires économiques — Réunion du 3 décembre 2014 : 1ère réunion
Transition énergétique pour la croissance verte — Audition de M. Jean Gaubert médiateur national de l'énergie

Jean Gaubert, médiateur de l'énergie :

Merci pour votre accueil, Monsieur le président, vous connaissez particulièrement bien cette fonction de Médiateur national puisque vous en êtes l'un des fondateurs et que vous avez en avez inauguré l'exercice. En arrivant il y a maintenant un an, j'ai trouvé une maison en ordre de marche, résultat du travail de mes prédécesseurs.

Le Médiateur national de l'énergie, depuis son origine, a deux grandes missions. D'abord celle d'informer le consommateur : le Parlement a préféré lui confier ce rôle plutôt qu'à la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et notre site « info-énergie » a enregistré l'an passé quelque 1,3 million de connexions pour des demandes de tous ordres - cela va de la simple demande d'information, que nous réorientons éventuellement vers d'autres instances, comme la CRE, à des demandes de saisines sur des cas particuliers. Deuxième grande mission : les litiges. Nous recevons chaque année près de 15 000 saisines, pour quelque 35 millions de contrats ; nous examinons d'abord leur recevabilité, sachant que nous ne couvrons que le gaz et l'électricité, à l'exclusion des autres énergies, et que nous exigeons que les demandeurs aient, au préalable, saisi leur fournisseur et qu'ils se déclarent insatisfaits de la réponse obtenue. La plupart de ces saisines se règlent soit par un complément d'information, soit par un retour vers l'opérateur, ce que mon prédécesseur appelait « une seconde chance » : je demande à l'opérateur de reconsidérer le dossier, une solution est alors généralement trouvée. Reste une proportion assez variable de dossiers - 2 300 en 2013, 3 000 cette année - pour lesquels nous adressons une recommandation à l'opérateur, laquelle n'est pas obligatoire - comme en Grande-Bretagne, par exemple - mais qui est suivie dans 70 à 80 % des cas. Le caractère obligatoire de nos recommandations fait débat, je pense qu'une telle disposition ferait évoluer ma fonction vers une fonction d'arbitrage.

Le Médiateur national de l'énergie compte 41 agents, contre 45 en 2013, ce repli me paraît trop important vu l'augmentation importante du nombre de dossiers à traiter, et nous espérons une solution du côté de relais locaux, comme il en existe par exemple pour le Défenseur des droits.

La directive du 21 mai 2013 relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation fixe au 1er juillet 2015 le butoir pour que tous les services de consommation soient couverts par un dispositif de médiation. La directive est en cours de transposition, le Parlement a été saisi du projet de loi d'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance. Parmi les points en débat, l'élargissement du champ de compétence du Médiateur national de l'énergie à toutes les sources d'énergie, y compris le bois et le fioul, ou encore les critères pour labelliser les médiateurs nationaux, sachant qu'ils sont en concurrence avec ceux mis en place par les grandes entreprises qui délivrent les services, par exemple EDF et GDF-Suez pour ce qui est de l'électricité et le gaz. La Cour des comptes ne manquera pas, dans l'avis qu'elle prépare, de signaler les risques de gaspillage entre ces différents niveaux de médiation, je crois pour ma part que les doublons sont très rares, d'abord parce que nous nous organisons en amont : le médiateur d'EDF, par exemple, se dessaisit des cas dont nous nous saisissons.

Le projet de loi pour la transition énergétique aidera certainement à améliorer la situation de précarité énergétique de nos concitoyens même si, dans le fond, je crois que le vrai remède est dans la rénovation du bâti. Le Médiateur national de l'énergie n'est pas en position d'analyse comme l'Observatoire national de la précarité énergétique, mais nous sommes saisis au quotidien par des précaires en grande difficulté pour régler leurs factures énergétiques. Et ce que nous constatons, c'est que la responsabilité de décalages temporels importants ou d'erreurs de facturation incombe souvent aux opérateurs. Ceux-ci ont l'obligation de relever physiquement le compteur une fois par an ; or, ils ne le font parfois que tous les deux ou trois ans, pour des raisons diverses : le décalage constaté peut atteindre alors plusieurs milliers d'euros, un montant bien trop élevé pour des ménages précaires. Vos collègues députés ont adopté un amendement, contre l'avis de la commission et du Gouvernement, pour limiter à un an la période de rattrapage pour l'opérateur dès lors que le défaut de relevé lui est imputable : j'espère qu'une telle disposition subsistera.

Les tarifs sociaux étaient appliqués, fin 2013, à 2,4 millions de contrats, alors qu'on estime les bénéficiaires possibles entre 3,8 et 4 millions de ménages. L'application de ces tarifs ne va pas sans difficulté, d'abord parce qu'en apportant en moyenne 100 euros par an quand les factures ont augmenté de 150 euros depuis 2008, leur effet n'est pas toujours visible ; ensuite, parce que si certains ménages n'en bénéficient pas, par exemple ceux qui se chauffent au bois ou au fioul, d'autres y émargent deux fois, au titre du gaz et de l'électricité ; enfin, parce qu'en cas de compteur collectif, le contrôle est délicat à effectuer.

Face à ces difficultés, nous avons soutenu le principe du chèque énergie, ouvert à toutes les sources d'énergie. Pour le bois, il faudra cependant veiller à ce que le matériau ait été acheté à un professionnel, pour éviter d'encourager de l'activité non déclarée.

Reste, cependant, la question du financement de ce chèque, sachant qu'il faudra aller au-delà des 100 euros actuels - l'Ademe évalue le montant souhaitable à 250 euros annuels, la Fondation Abbé Pierre, à 400 euros.

La contribution au service public de l'électricité (CSPE) rapporte globalement 6 milliards d'euros, dont 4 milliards vont aux énergies renouvelables, 1,7 milliard à la compensation des systèmes insulaires, 600 millions à la cogénération et 300 millions aux tarifs sociaux : il est donc inexact de dire que les tarifs sociaux coûtent cher en CSPE et il faut poser ces questions : quels tarifs sociaux veut-on, à quels niveaux ? Il faut débattre également des priorités, parce qu'on ne pourra pas tout faire à la fois - et nous n'avons pas bien tranché, me semble-t-il, entre la baisse de la consommation d'énergie et le soutien aux énergies renouvelables, alors que nous n'avons pas les moyens de poursuivre ces deux objectifs de façon satisfaisante. Pour chaque euro investi, nous devons nous poser la question de leur efficacité ; vaut-il mieux, par exemple, financer de l'éolien off shore fournissant une électricité à 200 euros le MWh, ou bien des travaux d'isolation dans le bâti, qui feront faire des économies pendant des décennies ?

La CSPE connaît une hausse exponentielle, liée notamment aux tarifs de rachat trop élevés, j'ai fait partie de ceux qui ont alerté sur ce risque dès les années 1990. Et quand on y regarde de plus près, le système ne va pas dans le sens de la justice sociale. Il y a quelques années, l'époque était à la dénonciation du chauffage tout électrique ; pourtant, les « chauffés électriques » étaient le plus souvent des locataires du parc privé, des locataires HLM en périurbain et en milieu rural, où les gestionnaires n'avaient pas tous été vertueux, ou encore des « petits » accédant à la propriété dont les budgets étaient trop limités pour investir dans des systèmes énergétiques plus performants : ces trois catégories ne comptent certainement pas parmi les privilégiés, et on voit des gens qui ne se chauffent plus aujourd'hui...

Une contradiction, aussi, à signaler : on veut limiter la consommation d'énergie, mais par ailleurs plus on investit en cautionnant sur la CSPE, plus il serait utile que les consommations montent, afin d'éviter que la part de CSPE pour chaque facture n'augmente trop. Il faut être très attentif à ce que finance la CSPE. Attention à la cohérence d'ensemble. Je déborde ici de mon rôle strict de médiateur, mais nous devons constater, collectivement, que l'accès à l'énergie est devenu l'une des principales préoccupations de nos concitoyens, nous devons trouver des solutions.

L'affichage déporté est certainement une source d'économies, elles seraient de 6 % pour le fonctionnement, en Grande-Bretagne. Je fais la comparaison, sur le plan personnel, avec l'inflexion de ma conduite automobile : je dois bien reconnaître que l'affichage de ma consommation instantanée de carburant m'a fait lever le pied plus souvent qu'auparavant, non pas parce que je n'aurais pas pu payer le prochain plein, mais tout simplement parce qu'une consommation de 20 litres au 100 m'apparait déraisonnable... L'affichage déporté, pareillement, nous fait nous interroger sur la nécessité de consommer à tel moment de la journée, ou de brancher simultanément des machines qui consomment beaucoup, il nous conduit à interroger nos usages.

L'Assemblée nationale a élargi le champ de compétence du Médiateur national à toutes les sources d'énergie, c'est une bonne chose, mais les députés n'ont pas souhaité une extension aux installations de production d'énergies renouvelables, je le regrette. En effet, nous sommes saisis par des consommateurs qui manquent d'interlocuteurs face à des démarcheurs sans scrupules qui, en leur promettant un eldorado d'économies énergétiques, leur vendent des matériels inutiles ou redondants, pour une facture énergétique qui se trouve finalement augmentée ! J'ai en tête un margoulin de l'Orne, je sais qu'il y en a dans bien des départements, labélisés trop rapidement « EDF Bleu ciel » et qui travaillait de mèche avec une société de financement, proposant des installations « clés en mains » pas toujours pertinentes, quand elles n'étaient pas inutiles, sauf peut-être à EDF qui récupérait des certificats d'énergie - les consommateurs qui se sont plaints n'ont eu aucun recours, parce que l'entreprise en question avait été mise en liquidation...

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