En 2015, une fois encore, les crédits de l’ensemble de la mission seront en forte chute. En effet, le projet de loi de finances alloue à la mission « Politique des territoires », dans son nouveau périmètre, quelque 708 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 295 millions d’euros de crédits de paiement, ce qui correspond à une baisse de 13 % et 7 % respectivement par rapport aux crédits prévus pour 2014.
Cette baisse constante des crédits consacrés à l’aménagement du territoire n’est pas de nature à répondre aux ambitions de cette politique, qui sert pourtant un double objectif d’égalité des territoires et de cohésion sociale et territoriale. Force est de constater que, au contraire, c’est un sentiment d’abandon qui est ressenti dans de nombreuses campagnes et dans beaucoup de quartiers.
Le risque de fracture territoriale est donc bien réel, et il sera difficile de répondre aux attentes légitimes de nos populations dans ce domaine avec des moyens aussi faibles. Il le sera d’autant plus que l’Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement tendant à minorer de 13, 33 millions d’euros supplémentaires les crédits de la mission.
Mes chers collègues, avant de vous exposer quelques perspectives pour la politique des territoires, je traiterai des programmes « Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire » et « Interventions territoriales de l’État ».
Le programme 112, « Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire », dit « PICPAT », correspond aux moyens traditionnellement alloués à la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, la DATAR. Depuis la disparition de cette dernière, il retrace les moyens affectés au Commissariat général à l’égalité des territoires, le CGET.
Ce programme est doté de 222 millions d’euros d’autorisations d’engagement et de 270 millions d’euros de crédits de paiement ; ces montants font apparaître une baisse considérable, de 18 % et 4 % respectivement, par rapport aux crédits de 2014.
Ces moyens serviront à financer de nombreux dispositifs, à commencer par les contrats de plan État-région, dont la génération 2007-2013, prolongée en 2014, sera remplacée l’année prochaine par une nouvelle génération. Or les nouveaux contrats de plan État-région porteront sur les périmètres régionaux actuels : madame la ministre, quelles conséquences seront-elles tirées de la réforme des régions pour ces contrats ?
Ils financeront également les pôles d’excellence rurale, ainsi que diverses actions en faveur des territoires ruraux, telles que les maisons de santé pluridisciplinaires, les maisons de services au public et la revitalisation des centres-bourgs.
Madame la ministre, vous avez choisi pour une opération expérimentale cinquante projets sur un total de trois cents centres-bourgs identifiés : le Gouvernement ira-t-il plus loin, et dans quel délai, pour répondre aux attentes de très nombreuses petites villes de France qui connaissent de réelles difficultés ?
Enfin, ce programme intègre la prime d’aménagement du territoire et le plan d’accompagnement du redéploiement des armées, sans oublier les pôles de compétitivité.
Le programme 162, « Interventions territoriales de l’État », couramment appelé « PITE », relève du Premier ministre et comprend quatre actions interministérielles de portée régionale : la reconquête de la qualité de l’eau en Bretagne, le plan d’investissements en Corse, qui représente d'ailleurs plus de 54 % du total des crédits, les dépenses consacrées à l’écologie du marais poitevin et un plan spécifique à la Guadeloupe et à la Martinique.
Le projet de loi de finances prévoit de doter le PITE de 30 millions d’euros d’autorisations d’engagement et de 33 millions d’euros de crédits de paiement, soit une baisse de 18 % et 11, 5 % respectivement par rapport aux crédits de 2014.
En ce qui concerne la lisibilité de la politique des territoires, je tiens à souligner que, en dépit du volume limité de ses crédits, la mission continue de figurer au cœur de la politique transversale d’aménagement du territoire.
Néanmoins, les actions concourant à cette politique excèdent de beaucoup le périmètre de la mission, puisque près de 6 milliards d’euros sont engagés chaque année par l’État pour l’aménagement du territoire. Ainsi, les trois programmes de la mission « Politique des territoires » ne représenteront en 2015 que 13 % de cet effort total, éclaté entre quatorze missions et trente et un programmes budgétaires.
Cette politique doit être rendue plus lisible, pour être plus cohérente et plus efficace. De ce point de vue, je me félicite de l’intégration au sein de la mission « Politique des territoires » du programme 147, « Politique de la ville », auparavant rattaché à la mission « Égalité des territoires et logement ». Cette évolution résulte de la création en 2014 du Commissariat général à l’égalité des territoires, le CGET, placé sous l’autorité du Premier ministre.
Si ce rattachement va dans le bon sens, le Gouvernement s’est malheureusement arrêté au milieu du gué en maintenant la séparation entre les missions « Égalité des territoires et logement » et « Politique des territoires ». Or l’égalité des territoires est au cœur même d’une approche juste et équitable de l’aménagement du territoire.
La création du CGET, qui va dans ce sens, peut constituer une occasion de rendre plus cohérente l’approche globale de la politique des territoires, mais elle devrait être suivie de la création d’une mission budgétaire unique, de nature à offrir une vision plus large et plus claire des crédits en matière d’aménagement du territoire. Cette mission unique serait d’autant plus justifiée que les programmes concernés sont de plus en plus interdépendants. Madame la ministre, le Gouvernement envisage-t-il de rapprocher ces deux missions ?
Je souhaite, pour finir, présenter quelques observations et propositions.
En premier lieu, la politique d’aménagement du territoire est indissociable des réformes territoriales en cours. Si les régions sont confortées dans leur mission d’aménagement du territoire, la question de la solidarité territoriale sera déterminante pour assurer, demain, un juste équilibre entre le développement des pôles urbains et celui des territoires ruraux. L’État doit veiller à cet équilibre et être le garant de cette solidarité ; ces grands principes devront donc être inscrits dans la loi.
En deuxième lieu, les collectivités territoriales assument aujourd’hui les missions essentielles d’aménagement du territoire dans leurs actions de proximité, autour du fameux triptyque de développement que nous connaissons tous : emplois, services, logements. Or force est de constater que les moyens dont elles disposent pour mener cette politique ne sont pas toujours adaptés à la réalité de leur situation. La réforme de la dotation globale de fonctionnement, prévue pour 2016, sera donc la bienvenue, si elle assure une répartition plus équitable des dotations de l’État, notamment au bénéfice des territoires les plus fragiles.
En troisième lieu, certains territoires en souffrance ont des besoins plus marqués, comme notre collègue Alain Bertrand l’a très bien montré dans son récent rapport sur l’hyper-ruralité. Dans la période actuelle de rigueur budgétaire, il sera donc nécessaire de mieux cibler les dispositifs de soutien, notamment en matière fiscale. D’ailleurs, telle est aussi l’une des conclusions du rapport d’information de nos collègues députés Jean-Pierre Vigier et Alain Calmette sur les zones de revitalisation rurale.
En vérité, la concentration des moyens de l’État sur les zones les plus fragiles sera déterminante pour assurer une réelle efficacité à la politique d’aménagement du territoire. Certains territoires subissent des handicaps naturels qu’il faut mieux prendre en compte ; d’autres, des mutations économiques qui méritent une plus grande solidarité nationale.
Dans l’attente de ces nouveaux zonages, il est absolument essentiel de maintenir en 2015 les dispositifs de soutien liés aux zones de revitalisation rurale. C’est, je crois, ce qui est prévu dans le projet de loi de finances rectificative pour 2014, ce dont je me félicite.
En somme, c’est une nouvelle approche de l’aménagement du territoire qui est nécessaire : une approche plus ciblée, je le répète, mais aussi plus globale et plus territoriale, fondée sur l’accompagnement des stratégies locales de développement territorial.
Nous nous plaignons souvent de la lourdeur des financements croisés par les différentes collectivités territoriales. Toutefois, en matière d’intervention de l’État, il faut reconnaître que nous sommes aussi bien servis : la dotation d’équipement des territoires ruraux, le fonds national d’aménagement et de développement du territoire, le fonds d’intervention pour la sauvegarde de l’artisanat et du commerce et les autres dispositifs obéissent chacun à des modalités propres, sans réels liens entre eux.
Aujourd’hui, les acteurs locaux s’organisent et bâtissent des projets de territoire en hiérarchisant leurs priorités d’intervention sur le fondement d’objectifs de développement adaptés à leurs spécificités. Ces projets sont contractualisés avec les départements et les régions. L’Union européenne soutient ces démarches globales, notamment en milieu rural avec les programmes LEADER. Ces partenariats contractualisés sont des gages d’efficacité de l’action publique. À cet égard, l’expérimentation des opérations de revitalisation des centres-bourgs est extrêmement intéressante.
En secteur urbain, les contrats urbains de cohésion sociale répondent à la nécessité de rassembler tous les acteurs locaux autour d’un projet cohérent, ciblé, partenarial et contractualisé. Puisque cette démarche fait la preuve de son efficacité, pourquoi ne pas créer sur le même modèle des contrats ruraux de cohésion territoriale ?
De fait, les stratégies locales de développement existent et les projets de territoires, notamment intercommunaux, sont de plus en plus nombreux ; ils mobilisent les acteurs locaux et ont déjà donné des résultats concrets sur le terrain.
Aussi, dans les territoires en souffrance, qu’il est urgent d’identifier, la participation de l’État à des contrats issus d’une démarche volontariste de développement serait à la fois utile et source d’une plus grande efficacité. Elle permettrait, en outre, de passer enfin d’une logique de guichet à une logique de projet, à l’instar de ce que font aujourd’hui l’Union européenne, les régions et les départements dans leur politique de contractualisation.
Madame la ministre, madame la secrétaire d’État, les assises de la ruralité ont montré que les attentes en matière d’aménagement du territoire sont non seulement nombreuses, mais aussi pressantes.
Pour remédier au sentiment d’abandon que j’ai évoqué tout à l’heure, les élus et les populations des zones rurales attendent des signes forts, notamment l’instauration d’un nouveau lien entre le monde rural et le monde urbain – car il ne faut surtout pas opposer les deux –, pour renforcer notre cohésion territoriale, et la mise en œuvre d’un pacte de solidarité en direction des territoires les plus en difficulté.
Plus généralement, c’est un nouvel élan de la politique d’aménagement du territoire qui est attendu. C’est pourquoi nous serons très attentifs aux prochaines annonces du Gouvernement, prévues, je crois, dans quelques jours.
Mes chers collègues, dans l’attente de ces annonces, les crédits de la mission « Politique des territoires » étant ce qu’ils sont, la commission des finances vous propose de les rejeter.