Intervention de Dominique de Legge

Réunion du 3 décembre 2014 à 22h00
Loi de finances pour 2015 — Compte d'affectation spéciale : gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien des systèmes et des infrastructures de télécommunications de l'état

Photo de Dominique de LeggeDominique de Legge :

Madame la présidente, monsieur le ministre de la défense, mes chers collègues, en cet instant, 8 300 de nos soldats sont engagés sur neuf théâtres extérieurs. Le débat budgétaire de ce soir ne peut faire abstraction de cette réalité. Tout naturellement, nos pensées vont vers nos 210 000 militaires français et leurs familles. Les valeurs qu’ils portent, les responsabilités qui leur incombent, les attentes et interrogations qu’ils formulent doivent guider nos débats.

Au nom de la commission des finances, je me bornerai à poser une seule question : ce budget est-il sincère et crédible ? Pour répondre de façon très prosaïque, j’analyserai les recettes et les dépenses.

S’agissant des recettes, en 2014, les crédits budgétaires proprement dits étaient de 29, 6 milliards d’euros. Pour atteindre les 31, 4 milliards d’euros fixés par la loi de programmation militaire, la LPM, 1, 77 milliard d’euros de recettes exceptionnelles, dont 1, 5 milliard d’euros au titre du programme d’investissements d’avenir, le PIA, et 0, 27 milliard d’euros issu de ventes immobilières, viennent compléter cette somme. L’utilisation du PIA pour financer des dépenses payables en 2014 mais engagées depuis plusieurs années est contestable ; toutefois, il s’agit de recettes certaines.

Cette année, les crédits budgétaires passent de 29, 6 milliards à 29 milliards d’euros, soit une baisse de 600 millions d’euros. Dans le même temps, sont inscrits 600 millions d’euros de recettes exceptionnelles, soit 2, 3 milliards d’euros.

Je ne conteste pas la probabilité de la réalisation de la recette sur le compte d’affectation spéciale « Immobilier », mais chacun sait que la vente de fréquences est improbable. Vous-même en convenez, monsieur le ministre, lorsque vous déclarez devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, le 14 octobre dernier, que « le produit de la vente de la bande des 700 mégahertz devait, dans la trajectoire budgétaire, intervenir dès 2015 : je sais que ce délai ne sera pas tenu, quoiqu’on m’en ait trop longtemps dit ». Ce matin, ici même, M. le secrétaire d’État chargé du budget, alors que nous évoquions ce sujet, nous disait que l’on pouvait bien évidemment encore compter sur la vente de ces fréquences. Vous poursuiviez vos propos en indiquant que vous vous orientiez vers des solutions alternatives, à savoir vers des sociétés de projet. Mais le texte soumis à notre approbation ne fait pas état d’un tel montage et prévoit toujours l’inscription au compte d’affectation spéciale « Fréquences » de 2, 2 milliards d’euros de crédits.

S’agissant de la constitution de sociétés de projet qui pourrait venir en substitution, nous n’avons pas d’objections idéologiques, même si ce montage semble plus guidé par le souci de trouver une solution technique à une impasse financière que par un choix stratégique pour améliorer l’efficacité de nos armées. Toutefois, le problème demeure entier, car nous n’avons aucune garantie sur la faisabilité technique de ce montage, et ce dans des délais respectueux de la LPM, c’est-à-dire dès cette année. Je ne doute pas que, si vous pouviez étayer ce montage et vous engager sur des délais, vous n’auriez pas manqué d’inscrire dès à présent ce scénario de remplacement dans le texte soumis à notre appréciation.

Vous avez commandé un rapport à l’IGF, l’Inspection générale des finances, et au CGA, le Contrôleur général des armées. Il vous a été remis. Tout comme nos collègues de l’Assemblée nationale, nous avons cherché à avoir accès à ce document, mais en vain. J’entends dire que l’IGF et Bercy s’opposeraient à sa diffusion et que vous n’y seriez pas hostile. Soit ! Mais, à ce banc, vous représentez le Gouvernement, et j’attends que le Gouvernement nous dise pourquoi, malgré les sollicitations répétées des deux assemblées, il s’obstine à refuser de communiquer ce rapport. Nous attendons une réponse. La diffusion de ce document participerait d’un souci de transparence et serait de nature à apaiser nos craintes ainsi que celles de la communauté militaire.

Certains invoquent la piste européenne pour boucler le budget des armées. Je ne la rejette pas, mais il appartient au Gouvernement d’ouvrir cette voie. Je le crains, tant que nous refuserons de nous conformer aux règles budgétaires communautaires, il nous sera d’autant plus difficile de solliciter la mobilisation de nos partenaires.

J’en viens aux dépenses.

Vous inscrivez 450 millions d’euros pour les OPEX, les opérations extérieures. Or, l’an passé, elles se sont élevées à 1, 1 milliard d’euros, soit un surcoût de 650 millions d’euros représentant un dépassement de 150 % des crédits inscrits.

Vous ne manquez pas d’invoquer qu’il s’agit d’une prévision, de surcroît conforme à la loi de programmation militaire. Mais, que je sache, lorsque la LPM a été votée, notre engagement en Centrafrique et en Irak n’était pas à l’ordre du jour, et le Mali ne devait nous mobiliser que quelques mois. Je ne vous ai pas entendu, pas plus que le Président de la République, nous annoncer un retrait du Mali, de Centrafrique ou d’Irak, pour ne citer que ces trois engagements majeurs. D’ores et déjà, nous savons que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, nous aurons de nouveau un dépassement de 650 millions d’euros. Le problème, c’est que, contrairement à ce que certains laissent croire, le surcoût des OPEX est supporté par tous les ministères, le premier contributeur étant le ministère de la défense, lequel a vu ses crédits amputés de 400 millions d’euros au titre de la réserve générale et de la contribution au surcoût des OPEX. Dans ces conditions, comment peut-on dire qu’on met en œuvre toute la LPM, à l’euro près, avec des crédits « sacralisés », tandis que, dans le même temps, on ampute lesdits crédits ?

L’engagement de nos armées sollicite bien sûr les hommes, j’y reviendrai, mais aussi nos matériels. Les coûts de maintenance explosent, en raison non seulement de leur sollicitation, mais aussi de leur vétusté, qui rend de plus en plus aléatoire leur maintien en condition opérationnelle, à des coûts de plus en plus élevés.

La situation de vétusté de nos matériels rend encore plus prégnante la nécessité d’honorer le programme d’investissement. Or, aujourd’hui, les reports, en partie dus au financement des OPEX, s’élèvent à 3, 4 milliards d’euros et pourraient atteindre, au regard des annulations auxquelles procède le décret d’avance, 3, 8 milliards d’euros. Mes chers collègues, pour mesurer la gravité de la situation, songez que 3, 8 milliards d’euros représentent plus de 12 % du budget des armées et 50 % des crédits du titre V consacré aux investissements.

Enfin, le budget repose sur des économies dont les réalisations ne sont pas certaines.

Les dépenses de personnels hors OPEX sont en recul de 2, 4 %, avec une diminution escomptée de 7 500 effectifs. Je veux noter ici, pour dénoncer une telle situation, que c’est l’armée qui supportera, en 2015, 65 % des diminutions d’effectifs, tandis que le Gouvernement persiste à créer 60 000 postes dans l’éducation nationale, qu’il peine d’ailleurs à pourvoir. Quand l’idéologie l’emporte sur le pragmatisme, on en arrive à l’imposture. Cette exigence de baisse des moyens humains est d’autant plus insupportable qu’elle intervient à un moment où nos armées sont engagées sur plusieurs fronts et où l’actualité ne peut nous laisser espérer que les choses iront en s’améliorant. Le message envoyé n’est pas de nature à rassurer nos troupes, qui sont engagées actuellement sur plusieurs fronts. Et je n’évoque pas les questions de pyramidage ou de transmission des spécialités et des compétences, qui découleront de ces coups de rabot systématiques et précipités !

Concernant les économies escomptées des restructurations, elles se réaliseront d’autant mieux qu’elles seront connues assez tôt. Vous avez annoncé celles qui sont prévues pour 2015, monsieur le ministre. Quand comptez-vous communiquer celles de 2016 et 2017 ?

Mes chers collègues, le budget des armées est une illustration et un concentré de tous les défauts que peut receler un budget : trompe-l’œil, insincérité et fuite en avant.

Le trompe-l’œil, c’est de nous faire croire que la LPM est respectée, avec des inscriptions budgétaires irréalistes, à l’instar des 2, 2 milliards d’euros de vente de fréquences.

L’insincérité, c’est de refuser d’inscrire des dépenses certaines, tels les 650 millions d’euros destinés aux seules OPEX.

La fuite en avant, ce sont les 3, 8 milliards d’euros de reports. Cela consiste à payer nos fournisseurs avec retard. C’est aussi de faire miroiter d’hypothétiques créations de sociétés de projet, qui supposent de reporter l’investissement d’aujourd’hui sur des loyers de demain.

Il n’est pas dans la tradition de notre assemblée de rejeter les crédits de la défense. Cependant, la recherche d’un consensus suppose un minimum d’actes et de gestes qui donnent crédits aux bonnes paroles. Or trop de signaux alarmants sont venus étayer nos craintes ces dernières semaines concernant la volonté du Gouvernement d’apporter des réponses crédibles aux appels lancés par nos armées elles-mêmes, les experts et les parlementaires de toutes tendances.

Premier signal : l’amendement du Gouvernement voté à l’Assemblée nationale voilà quinze jours, qui prive l’armée de 100 millions d’euros de crédits budgétaires, au profit de 100 millions d’euros de recettes exceptionnelles improbables.

Deuxième signal : le refus de communiquer à la représentation nationale le rapport commandé par le Gouvernement sur la faisabilité des sociétés de projet, qui se substitueraient à la vente de fréquences.

Pis encore, la réponse en date du 26 novembre dernier du Président de la République, chef suprême des armées, aux courriers de MM. Gérard Larcher, président du Sénat, et Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères et de la défense, qui l’alertaient sur la situation. Non seulement le Président de la République maintient l’hypothèse de la vente de fréquences, laisse entendre qu’à défaut on travaillera sur les sociétés de projet, mais surtout, conscient de l’irréalisme de ces deux hypothèses, il écrit : « Dans le cas où les efforts des services de l’État ne permettraient pas de générer les ressources nécessaires, le Gouvernement prévoira de les compenser par l’ouverture au 1er janvier 2016 de crédits budgétaires supplémentaires ». De tels propos s’inscrivent en totale contradiction avec les objectifs et le calendrier de la LPM, dont il est le gardien.

Aussi, par respect pour nos armées, la commission des finances a-t-elle souhaité dénoncer ce qu’elle considère être un mensonge d’État. Elle refuse de cautionner une insincérité manifeste. Ce vote de refus n’est pas une attaque portée contre vous, monsieur le ministre, ni contre la communauté militaire. Cette prise de position est un cri d’alarme, un appel solennel au Président de la République, chef suprême des armées, afin qu’il ouvre les yeux sur les réalités financières d’un budget qui n’est pas compatible avec les ambitions qu’il affiche. Le moment est grave. Maintenant, il faut choisir : soit le budget est inchangé et il faut revoir l’engagement et la disponibilité de nos troupes, soit le maintien de nos troupes est confirmé, et il faut revoir le budget.

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