Intervention de Jean-Pierre Vial

Réunion du 10 décembre 2014 à 14h30
Expulsion des squatteurs de domicile — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Pierre VialJean-Pierre Vial :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui saisis de la proposition de loi visant à faciliter l’expulsion des squatteurs de domicile, présentée par notre collègue Natacha Bouchart, maire de Calais, et cosignée par plusieurs membres de la Haute Assemblée.

Ce texte tend à lutter contre le développement préoccupant de la pratique des squats, à savoir une occupation sans droit ni titre, de manière souvent violente, d’un local, voire d’une habitation. Ce type de procédé se caractérise par une grande simplicité d’installation pour l’occupant illégal, mais, à l’inverse, par d’importantes difficultés pour y mettre un terme.

La situation est particulièrement préoccupante dans des villes de transit frontalier, comme Calais, qui ne compte pas moins de 3 000 personnes en situation irrégulière, fréquemment proies de réseaux organisés de passeurs, où certains locaux sont squattés par plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de personnes. Tout cela vient de nous être décrit.

Aussi l’auteur de la proposition de loi a-t-elle voulu renforcer l’arsenal législatif existant de lutte contre un phénomène qui conjugue la protection du domicile et l’ordre public.

Dans sa rédaction initiale, le texte, qui comportait deux articles, avait pour objet de traiter la problématique non pas de l’ensemble des squats, mais seulement des occupations illicites de domicile. Les amendements déposés, nous y reviendrons lors de la discussion des articles, semblent sortir de ce périmètre.

L’article 1er prévoyait de modifier l’article 53 du code de procédure pénale, afin de porter de quarante-huit heures à quatre-vingt-seize heures la durée pendant laquelle le flagrant délit de violation de domicile, infraction sanctionnée à l’article 226-4 du code pénal, peut être constaté.

Pour tout dire, la demande d’allongement du délai pouvait conduire à s’interroger, car, selon l’interprétation constante du ministère de la justice confirmée par une circulaire, la violation de domicile est une infraction dite « continue ». En d’autres termes, la flagrance peut être constatée aussi longtemps que dure l’infraction, aussi longtemps que le maintien illicite dans le domicile se poursuit, ce qui peut représenter un délai bien supérieur à quarante-huit heures ou à quatre-vingt-seize heures...

Dans les faits, les choses ne sont pas si simples. Tout d’abord, la Cour de cassation n’a jamais été saisie de cette question et n’a donc pas confirmé cette interprétation du délit continu. En revanche, la cour d’appel de Paris, dans une décision du 22 février 1999, l’a écartée, considérant que la violation de domicile n’était pas une infraction continue, commencée lors de l’introduction dans le domicile et qui se poursuivrait par le maintien dans les lieux. Selon elle, cette infraction se commettrait lors aussi bien de l’entrée que du maintien dans le domicile, à chaque fois qu’il est fait usage de manœuvres, menaces ou voies de fait pour y parvenir. Cette précision est capitale pour distinguer l’introduction du maintien dans ces mêmes lieux.

Pour constater la flagrance, il serait donc nécessaire que le maintien comme l’entrée dans le domicile s’accompagnent de manœuvres, menaces ou voies de fait.

Or, si de telles pratiques sont couramment utilisées au moment de l’introduction dans les lieux, elles le sont plus rarement lorsqu’il s’agit du maintien dans ces lieux. Il suffit par conséquent aux squatteurs de se dissimuler pendant les quarante-huit premières heures d’occupation pour empêcher les forces de l’ordre de pouvoir intervenir, la flagrance de l’infraction ayant cessé, imposant alors un retour à l’action judiciaire, longue et coûteuse, de droit commun.

Pour autant, la solution proposée par le biais de la proposition de loi initiale – un allongement de la durée de la flagrance de quarante-huit heures à quatre-vingt-seize heures – n’a pas été jugée satisfaisante par la commission.

En effet, ni l’article 53 du code de procédure pénale, texte général qui définit la flagrance pour l’ensemble des crimes et délits, ni aucun autre texte pénal ne fixe une durée précise pour la flagrance. En réalité, le délai de quarante-huit heures est tiré de la pratique ; c’est un délai prétorien.

Selon l’article 53 du code susvisé, est flagrant « le délit qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre. » Cette définition est volontairement ouverte pour permettre de couvrir l’ensemble des situations.

La commission des lois a écarté l’idée de fixer, à ce même article, une durée précise et spécifique à la flagrance pour le délit de violation de domicile. De surcroît, limiter la durée de la flagrance à quatre-vingt-seize heures à compter de la commission de l’infraction pourrait se révéler contraire à l’intérêt de la victime. En effet, si celle-ci s’absentait pour une durée supérieure à quatre-vingt-seize heures – en cas d’hospitalisation, de vacances ou de voyage à l’étranger, par exemple – et si son domicile était toujours occupé à son retour, les forces de l’ordre ne pourraient pas davantage intervenir pour flagrant délit, car les quatre-vingt-seize heures seraient de toute façon passées.

En revanche, pour lever toute ambiguïté sur la nature continue du délit de violation de domicile et éviter les différentes interprétations du juge civil et de l’administration, quand l’occupant illégal se maintient dans les lieux, il a paru plus clair et efficace de modifier la rédaction de l’article 226-4 du code pénal en qualifiant le maintien dans le domicile au même titre que l’introduction dans les lieux.

Dès lors que l’introduction dans le domicile d’autrui s’est produite par le biais de « manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte », les forces de l’ordre pourront désormais intervenir au titre du flagrant délit tout au long du maintien dans les lieux, quelle que soit sa durée, sans qu’il soit besoin de prouver que ce maintien est également le fait de « manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ». Cette précision permettra de sécuriser l’action du préfet et, par conséquent, de renforcer l’application de l’article 38 de la loi DALO, car tel est bien l’objectif.

Quant à l’article 2 de la proposition de loi, qui modifiait ce même article 38, il prévoyait que le maire ayant connaissance de la violation du domicile de l’un de ses administrés pouvait demander au préfet de mettre l’occupant en demeure de quitter les lieux.

La commission des lois a supprimé cet article. Elle a en effet considéré qu’il n’était pas opportun d’étendre le champ d’application de cette procédure dérogatoire au droit commun qui permet au préfet de faire usage de la force publique pour évacuer les squatteurs d’un domicile privé sans qu’il soit besoin de justifier d’une menace pour l’ordre public et d’une décision de justice.

Le caractère quelque peu hybride de cette procédure explique que les préfets fassent preuve d’une certaine prudence dans son application. Sur le plan contentieux, selon les services du Conseil d’État, l’article 38 de la loi DALO n’a donné lieu qu’à dix recours entre 2011 et 2014, dont quatre en référé-liberté, tendant à ce qu’il soit enjoint au préfet de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire évacuer l’occupant.

Ces données sont assez révélatrices de l’utilisation limitée de cette procédure très particulière et des mesures de prudence qu’il convient de prendre pour la mettre en œuvre.

Or quand certains squats, en raison de leur importance et des conditions d’occupation des locaux qu’ils présentent, mettent en péril la sécurité publique, le maire peut, dans le cadre de ses pouvoirs de police, saisir directement le préfet. De surcroît, cette faculté qui serait ouverte au maire ne ferait naître aucune obligation pour le préfet.

En revanche, il existe un risque – nous l’avons longuement évoqué en commission – de voir la responsabilité du maire engagée s’il n’a pas agi alors qu’il avait connaissance de l’occupation du domicile de l’un de ses administrés ou, à l’inverse, s’il a agi de manière abusive, en déclenchant indûment l’expulsion de personnes, dans l’hypothèse où il n’aurait pas réussi à contacter le propriétaire ou le locataire du logement.

Enfin, par cohérence avec les modifications apportées à la proposition de loi, la commission a tenu à modifier le titre de celle-ci, afin de le rendre plus conforme à son contenu. Elle a proposé d’intituler ce texte : « proposition de loi tendant à préciser l’infraction de violation de domicile ».

En effet, il n’est pas question en l’espèce de mettre en place un nouveau dispositif d’expulsion dérogatoire au droit commun ni de revenir sur les garanties qui encadrent les procédures d’expulsion actuelles, comme le respect de la trêve hivernale. Il s’agit de renforcer l’efficacité des règles existantes en matière de violation de domicile et de sécuriser l’action du préfet au titre de l’article 38 de la loi DALO.

Au bénéfice de ces observations liminaires, la commission vous propose, mes chers collègues, d’adopter le présent texte, tel qu’il résulte de ses travaux. §

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