Intervention de Roland du Luart

Réunion du 30 novembre 2007 à 10h45
Loi de finances pour 2008 — Justice

Photo de Roland du LuartRoland du Luart, rapporteur spécial :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans le projet de loi de finances pour 2008, la mission « Justice » est dotée de 6, 519 milliards d'euros de crédits de paiement, soit une augmentation de 4, 5 %.

Dans un contexte budgétaire globalement tendu, cette progression des crédits de la mission est particulièrement remarquable. Elle témoigne de l'importance attachée à la justice et de la priorité accordée à ses moyens.

Le programme « Justice judiciaire » compte 2, 73 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une hausse de 5, 1 % très notable dans le contexte budgétaire actuel.

Un rapide bilan de la loi d'orientation et de programmation pour la justice montre que, au terme de la programmation, tous les objectifs n'ont pas été atteints, notamment en termes de création d'emplois. Le taux de réalisation est de 76 % pour les magistrats, ce qui est assez satisfaisant, mais de seulement 32, 6 % pour les fonctionnaires.

Le présent projet de loi de finances ne rompt toutefois pas avec le renforcement nécessaire des effectifs des juridictions, en prévoyant une création nette de 400 emplois.

Ce nouvel effort doit être salué, car le ratio actuel de 2, 57 fonctionnaires de greffe par magistrat continue de traduire une certaine faiblesse du soutien logistique susceptible d'être apporté aux magistrats. S'il faut se féliciter de l'accroissement des effectifs de magistrats, il convient aussi de rappeler que l'effort doit plus particulièrement porter, désormais, sur les greffiers. À cet égard, on peut penser que le recours accru aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, en 2008, devrait améliorer sensiblement les conditions de travail de ces derniers.

En 2008, une dotation de 405 millions d'euros est prévue pour couvrir les frais de justice, soit une hausse de seulement 1, 7 % par rapport à 2007. Même si ce poste de dépense devra encore rester sous observation, il faut saluer les résultats obtenus dans ce domaine par les magistrats, ainsi que la politique volontariste de maîtrise des frais de justice engagée durant ces dernières années par la Chancellerie. Cette maîtrise s'est en outre réalisée sans porter atteinte au principe d'indépendance de l'autorité judiciaire, ce qui mérite d'être tout particulièrement souligné.

Pour ce qui concerne la révision de la carte judiciaire, il convient de rappeler qu'aucune réforme structurelle de fond de l'institution judiciaire n'a été entreprise depuis 1958. L'objectif de rationaliser les moyens de la justice sur l'ensemble du territoire ne peut qu'être soutenu, dès lors qu'il tient compte de la réalité humaine des territoires.

La lucidité doit toutefois être de mise : cette réforme ne peut être envisagée à moyens constants. Si l'on est en droit d'en espérer des sources d'économies à terme, elle nécessitera d'abord, comme toute réforme de structures, une importante « mise de fonds » initiale.

Les regroupements envisagés, notamment, auront un coût immobilier. Lors de votre audition par la commission des finances, madame la ministre, vous avez d'ailleurs évoqué un programme immobilier - hors palais de justice de Paris - portant sur un montant total de 800 millions d'euros sur six ans.

Il convient, par ailleurs, d'insister sur le caractère inacceptable des conditions de détention aujourd'hui en France. Nombre de nos prisons souffrent de vétusté et le taux de surpopulation carcérale y atteignait 121 % au 1er août 2007.

Pour 2008, le programme « Administration pénitentiaire » comporte 2, 383 milliards d'euros de crédits de paiement, soit une progression de 6, 4 % par rapport à 2007.

Afin de répondre à l'ouverture de nouveaux établissements, il enregistre la création de 772 emplois équivalents temps plein.

Toutefois, à supposer que le nombre de détenus reste au niveau actuel et que les prévisions en matière de création de places de détention soient respectées, le nombre de places ne pourra pas égaler, à terme, le nombre de personnes détenues.

Au regard de la mesure de la performance, le programme « Administration pénitentiaire » est entré, après deux exercices de « rodage » en mode LOLF, dans une phase de « création » et de « consolidation » : douze indicateurs sur dix-huit sont nouveaux.

Si cette ambition doit être encouragée, elle emporte aussi, malheureusement, une contrepartie de court terme regrettable : plusieurs de ces indicateurs ne sont pas renseignés dans le projet annuel de performances.

Le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » comporte, pour sa part, 809, 1 millions d'euros en crédits de paiement. Il est donc en progression de 1, 6 % par rapport à 2007.

Il bénéficie, lui aussi, d'un renforcement significatif de ses moyens humains. Avec 9 027 emplois équivalents temps plein, la protection judiciaire de la jeunesse, PJJ, sera en mesure d'assurer le fonctionnement à pleine capacité de sept établissements pénitentiaires pour mineurs, tout en maintenant son action éducative pour l'ensemble des 80 000 mineurs dont elle a la charge. L'augmentation du plafond d'emploi accompagne l'ouverture en 2008 de trois nouveaux établissements pénitentiaires pour mineurs, ainsi que le renforcement de la présence de la PJJ dans les quatre établissements ouverts en 2007.

S'agissant de ce programme, il convient tout particulièrement de se féliciter de la nette amélioration de la situation du financement des prises en charge du secteur associatif habilité. L'apurement du passif des charges de financement de ce secteur permet ainsi de mettre fin à une situation particulièrement anormale qui caractérisait pourtant ce champ d'action depuis plusieurs années : la charge de la trésorerie de l'État ne pèse plus sur le secteur associatif habilité.

En matière de performance, il faut relever que le coût d'une journée en centre éducatif fermé est de 627, 86 euros en 2007. Il enregistre une baisse régulière depuis 2005, avec une cible de 616, 40 euros en 2008.

De même, les taux d'occupation des établissements enregistrent des progrès significatifs. Ainsi, ce taux est passé de 67, 8 % pour les centres éducatifs fermés gérés par le secteur public en 2005, à 75 % en 2007, avec une cible de 78 % pour 2008, ce qui explique la baisse du prix de journée par individu.

Je ferai une dernière remarque, non négligeable, sur ce sujet : 64, 1 % des jeunes pris en charge au pénal n'ont ni récidivé, ni réitéré, ni fait l'objet de nouvelles poursuites dans l'année qui a suivi la clôture de la mesure.

Les moyens du programme « Accès au droit et à la justice » diminuent de 2 % en crédits de paiement, en passant de 342 millions d'euros à 335 millions d'euros.

L'action « Aide juridictionnelle » voit en particulier passer sa dotation de 326, 9 millions d'euros en 2007 à 318, 2 millions d'euros, soit une baisse de 2, 7 %.

Cette baisse pourrait susciter l'inquiétude, au vu de la dynamique de ce poste de dépense au cours des dernières années et des revendications récurrentes de la profession d'avocat à propos de l'insuffisance de la rétribution attachée aux missions d'aide juridictionnelle.

Pour autant, les hypothèses retenues par la Chancellerie pour établir le budget de cette action permettent a priori de dissiper d'éventuelles craintes. Ainsi, le nombre prévu de bénéficiaires de l'aide est stable par rapport à 2007 et s'élève à 905 000 admissions. En outre, la Chancellerie anticipe un rétablissement de crédits à hauteur de 8, 9 millions d'euros, au titre d'un meilleur recouvrement des dépenses d'aide juridictionnelle. J'espère qu'elle y parviendra.

Cette prévision est conforme à l'estimation théorique réalisée par l'audit de modernisation sur le recouvrement de l'aide juridictionnelle, l'AJ, paru en février 2007, à condition d'améliorer l'efficacité du recouvrement.

Dans cette perspective, la création d'un nouvel objectif « Améliorer le taux de recouvrement des frais de justice par l'État au titre de l'aide juridictionnelle » apparaît fort utile.

Prolongeant les conclusions de mon récent rapport d'information, j'estime naturellement, madame la ministre, que l'année 2008 doit être celle de la réforme de l'aide juridictionnelle. Nous vous aiderons bien entendu à dissiper tout malentendu.

Le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice et organismes rattachés », qui correspond essentiellement à un programme de soutien administratif et logistique de la mission, comprend 261, 8 millions d'euros, soit une progression de 3 %.

Ce programme concerne une large part des crédits informatiques du ministère de la justice. Mais il apparaît difficile de porter un jugement sur la gestion des grands projets menés en la matière. En particulier, il est regrettable qu'aucun indicateur ne porte sur le respect des délais dans le cadre de ces projets.

En conclusion, la justice de notre pays se trouve incontestablement à un tournant. Après la mise en oeuvre réussie de LOLF, voici que se profilent deux nouvelles réformes majeures : la révision en cours de la carte judiciaire et la réforme nécessaire de l'aide juridictionnelle.

Si, comme on l'a vu, l'institution judiciaire est dotée de moyens importants en 2008, cet exercice budgétaire devra offrir l'occasion d'avancées significatives et concertées dans ces deux chantiers essentiels de modernisation, avec pour horizon une justice toujours plus efficace, plus rapide et plus sereine.

Sous réserve de ces remarques, la commission des finances propose au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Justice » et de chacun de ses programmes.

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