Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, fusions de communes, communes associées, maires délégués, transformations d’établissements publics de coopération intercommunale en communes, tout a été essayé : la panoplie des dispositifs inventés depuis la célèbre loi Marcellin de 1971 est très riche ! Comme l’ont expliqué plusieurs orateurs, notamment M. le rapporteur, la loi Marcellin n’a pas eu beaucoup de succès – vous-même l’avez montré avec talent, madame la ministre.
Pourquoi en a-t-il été ainsi ? Et pourquoi en sommes-nous encore là aujourd'hui ? Je le crois, chacune et chacun d’entre nous connaît la réponse à cette question.
Pourquoi est-il si difficile de réunir et de fusionner des communes en France ? Pourquoi y a-t-il parfois plus de « défusions » à la suite de fusions que de divorces dans la vie civile, ce qui n’est pas peu dire ? Pour une raison très simple, mes chers collègues : depuis la loi du 14 décembre 1789, l’une des grandes lois de la République, les Françaises et les Français ont la commune dans leur cœur, et les brillants réformateurs qui se succèdent butent sur cette réalité ! §
On nous répète à l’envi que ces 36 767 communes sont en nombre excessif, que notre pays en compte davantage que toute l'Europe réunie. Mais la France est la France ! C’est un pays où la diversité se rencontre dans de nombreux domaines… De cela, il faut tirer les leçons.
D'abord, il convient de rendre hommage à la commune, comme M. Baroin vient de le faire.
Plutôt que de présenter un inconvénient – ou une multiplicité d’inconvénients –, ces communes, ce sont 550 000 conseillers municipaux, soit autant de citoyens qui, eux, procurent un avantage incomparable : connaître chaque route, chaque chemin, chaque commerce, chaque ferme, chaque entreprise, chaque école, chaque maison… Et lorsque ces diverses réalités sont abordées autour de la table du conseil municipal, alors ces élus savent de quoi ils parlent ! Cette connaissance du terrain, aucune structure technocratique ne saurait l’atteindre.
À cet égard, je veux également rendre hommage à ces 550 000 conseillers municipaux, véritables fantassins de la démocratie et de la cohésion sociale, dont le dévouement est sans limites. Je le dis souvent, rapporter les indemnités que certains d’entre eux perçoivent – et ils constituent une minorité ! – au nombre d’heures passées à l’exercice du mandat montre que la tâche qu’ils assument est assez peu payée.
Pour avancer, la voie française, c'est l’intercommunalité – je le répète depuis deux décennies et demie. Autant la loi Marcellin a rencontré peu de succès, autant les lois de 1992 et de 1999 relatives à l’intercommunalité en ont connu un formidable. En effet, toutes les communes de France, sans exception, appartiennent aujourd'hui à une intercommunalité ! Et n’oublions pas, mes chers collègues, que la plus grande part du chemin – au moins 90 % – a été accomplie grâce au volontariat.
La loi de 1992 n’aurait jamais été adoptée si M. le préfet – et Dieu sait le respect que nous avons pour les préfets de la République – avait dû avoir la charge d’établir les périmètres des intercommunalités. Elle n’aurait jamais été votée si l’on n’avait pas affirmé haut et clair que l’intercommunalité allait de pair avec le maintien des communes et le respect qui leur est dû, et que l'intercommunalité était au service des communes, non l’inverse.
Ce chemin constitue, je crois, la voie française, une voie efficace, puisqu'elle a montré que l’on pouvait mutualiser, associer les efforts et aller de l’avant, notamment dans une intercommunalité de développement, tout en respectant cette cellule de base de la démocratie, où bat le cœur de la République, qu’est la commune.
Cela dit, il faut, selon moi, aller plus loin dans le sens de l’intercommunalité. Mes chers collègues, nous examinerons dès demain le projet de loi dit « NOTRe ». Bien que ce soit un drôle de titre, madame la ministre, on peut sans doute considérer qu’il s’agit d’un pluriel, donc d’une forme de solidarité et d’un refus de l’individualisme. S’il est une mesure de ce texte dont je me félicite, c’est bien celle qui concerne le renforcement de l’intercommunalité.
Je pense en effet que l’intuition première de ce projet de loi est excellente. Cette intuition première – je sais que vous y tenez tout autant que moi, madame la ministre –, c’est la volonté d’aller vers des régions et des intercommunalités fortes. C’est pourquoi il me paraît logique de renforcer les intercommunalités. Pour ma part, le seuil de 20 000 habitants me paraît convenir, dès lors, bien sûr, que la commission départementale de la coopération intercommunale puisse prévoir les exceptions qui s’imposent lorsque sont en cause des secteurs ruraux très peu ou peu peuplés, des vallées de montagne ou des territoires insulaires.
Selon moi, l’avenir de notre pays se dessinera à partir de régions fortes. Je le précise, ces régions ne sont pas uniquement celles dont la superficie est importante : ce sont des régions qui ont les compétences et les moyens appropriés pour aller de l’avant.
Je vois une bonne articulation entre des régions fortes et des intercommunalités de projet fortes, qu’il s’agisse de métropoles, de communautés urbaines, de communautés d’agglomération ou de communautés de communes, le sort du département pouvant être considéré de manière très pragmatique et diversifiée, selon les différents contextes.
Madame la ministre, pour aller dans ce sens, il faut rester le plus fidèle possible à l’intuition de départ de ce projet de loi. Je le répète, je sais combien cette intuition vous est chère.
Je crois que l’avenir est dans cette double articulation entre des régions fortes et des intercommunalités fortes, dans le respect des communes, qui sont le cœur battant de la démocratie.
Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour saluer Jacques Pélissard, avec qui Jacqueline Gourault et moi-même avons eu l’occasion de travailler sur un certain nombre de propositions de loi adoptées par les deux assemblées. J’ai également plaisir à évoquer Bruno Le Roux, avec qui je partage un certain nombre d’idées et de valeurs. Mes deux collègues députés ont bien fait de déposer la présente proposition de loi, qui permettra d’améliorer les choses dans un certain nombre de cas, et qui n’est nullement contradictoire avec le mouvement que je viens de décrire en faveur de régions fortes et d’intercommunalités fortes et auquel je crois beaucoup.
À mon sens, ce texte s’adresse surtout – c’est son intérêt principal – aux petites et moyennes communes. Certes, il peut être tentant, pour des agglomérations de 200 000 ou 300 000 habitants, de vouloir réaliser des économies en créant une commune nouvelle. Très franchement, mes chers collègues, un tel projet me semble irréaliste.
Quand on connaît la réalité des communes de ce pays, on constate bien que la grande agglomération qui ferait fi de la réalité communale dans laquelle les Français se reconnaissent depuis plus de deux siècles ne peut être qu’une illusion.
En revanche, il existe dans le monde rural, dans le tissu des petites et moyennes communes, des situations où, à l’évidence, des rationalisations sont nécessaires. J’ai infiniment de respect pour les communes de moins de 100 habitants non seulement du département dont je suis l’élu, mais aussi des autres départements français. À vrai dire, si ces communes peuvent être incitées à se regrouper dans le respect de la spécificité de chacune qui pourrait être marquée par l’existence de maires délégués, ce sera une bonne chose.
Par conséquent, facilitons une telle évolution, mais sans trop d’illusions. Au demeurant, les réunions auxquelles M. Mercier a fait allusion montrent un véritable intérêt en la matière de la part d’un certain nombre d’élus. Encourageons donc ce qui va dans le bon sens.
Pour finir, j’évoquerai les incitations financières prévues dans ce texte. Toutefois, pas plus que pour l’intercommunalité, elles ne seront, selon moi, décisives. Les élus de ce pays ont institué des communautés de communes ou des communautés d’agglomération parce qu’ils y croyaient. De la même manière, les communes nouvelles se feront si les élus et les habitants y croient, s’ils perçoivent que c’est un plus. Cela dit, les incitations financières seront bien entendu les bienvenues.
Je le souligne également, l’une des dispositions de ce texte qui permet le maintien des conseils municipaux en l’état jusqu’au prochain renouvellement, ou plutôt le maintien, monsieur le président de la commission, de l’effectif des conseils municipaux, peut entraîner quelques conséquences singulières.
Par exemple, si dix communes décident de fusionner, il faudra sans doute requérir la salle des fêtes de la plus grande d’entre elles pour réunir une importante assemblée, qui sera une sorte de petit parlement. Il y aura peut-être là quelque expérience étonnante, dont nous pourrons tirer profit et parti.
Mes chers collègues, une fois replacée dans le dessein qui est le nôtre, à savoir des régions et des intercommunalités fortes, cette proposition de loi due à Jacques Pélissard et à Bruno Le Roux comporte des avancées incontestables, dont les élus et les habitants pourront tirer parti s’ils le veulent. Ce texte n’aura d’effet, vous le savez bien, que s’il respecte pleinement – tel est le cas, j’en donne acte à ses auteurs et à M. le rapporteur – la souveraine liberté des Françaises et Français. §