Intervention de Jean-Marie Bockel

Réunion du 15 décembre 2014 à 14h30
Délimitation des régions et élections régionales et départementales — Adoption d'un projet de loi en nouvelle lecture dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Marie BockelJean-Marie Bockel :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nos interventions, qu’il s’agisse de celles d’aujourd’hui ou des précédentes lectures, témoignent une fois de plus de l’absence de vision du Gouvernement dans sa démarche, comme vient de le souligner notre collègue Jacques Mézard avec talent.

Le Gouvernement a décidé, depuis le début, de mettre la charrue avant les bœufs, alors que la clarification des compétences, dont l’examen ne débutera que demain avec la discussion générale du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République aurait dû être le point de départ de toute réforme.

Nous le regrettons vivement.

Surtout, je demeure convaincu qu’aucune réforme territoriale ne pourra produire pleinement ses effets sans une réforme en profondeur de l’État. C’est bien là un préalable indispensable ! Or je constate que l’exécutif semble bien peu enclin – au-delà des paroles – à faire bouger les lignes sur ce sujet...

Malgré toutes ces critiques, le Sénat a démontré, lors de ses travaux tant en commission spéciale qu’en séance publique, qu’il entendait s’impliquer de manière constructive dans ce processus de réforme. Nous avons ainsi apporté des modifications substantielles à ce texte, notamment sur le droit d’option, et établi une carte équilibrée et cohérente en rejetant, lors d’un vote sans appel, un amendement visant à réformer la trop grande région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne, ou ALCA.

Malgré cela, le Gouvernement et la majorité socialiste continuent de se montrer complètement fermés, ne laissant aucune place au dialogue et au bon sens. On l’a compris, le Gouvernement veut imposer sa carte à treize régions. Dans ce contexte, la commission mixte paritaire n’avait aucune chance d’aboutir.

Cette attitude jusqu’au-boutiste est d’autant plus incompréhensible que la formation de cette région ALCA – aussi grande que la Belgique ! – repose sur des arguments méconnaissant les réalités historiques, culturelles, sociales et économiques de nos territoires.

On nous rétorque que l’Alsace ne pourrait rester seule, car elle n’atteindrait pas la fameuse « taille critique » – vous l’avez encore dit à l’instant, monsieur le secrétaire d’État. Or, si l’on regarde nos voisins, on constate qu’il n’y a pas d’optimum régional. Par ailleurs, quid de la Corse et de la Bretagne, inchangées ? L’argument ne tient pas... Plutôt qu’à la taille des régions, c’est à leur gouvernance qu’il fallait s’atteler, en leur donnant plus de marges de manœuvre afin qu’elles disposent des moyens nécessaires pour mener des politiques territoriales ambitieuses.

À cet égard, l’Alsace souhaite toujours s’inscrire dans une démarche innovante à travers une union des collectivités alsaciennes, dotée de compétences nouvelles, financées par des transferts de fiscalité. Cette expérimentation unique, qui répondrait aux objectifs de simplification et de proximité, pourrait servir d’exemple... Les trois assemblées départementales et régionale se sont largement prononcées en faveur de cette option. Dès lors, pourquoi bâillonner cette initiative ?

On nous rétorque ensuite que l’hostilité des Alsaciens à cette grande région serait synonyme de repli sur soi... C’est tout le contraire ! Une telle affirmation laisse transparaître un raisonnement purement hexagonal, faisant fi de la position de l’Alsace, au cœur de l’Europe. Nous nous sommes engagés depuis plusieurs années déjà – plusieurs décennies, même – dans une coopération transfrontalière dense et dynamique dans le bassin rhénan, avec nos voisins suisses et allemands.

La carte, telle qu’elle a été modifiée par l’Assemblée nationale et acceptée par le Gouvernement, a été perçue comme une provocation par les Alsaciens, ce qui n’a pas manqué de susciter – hélas ! – la résurgence d’un discours autonomiste, pourtant ultra-marginal depuis soixante-dix ans. Bravo ! Beau succès ! Moi qui suis issu d’une famille qui, dès l’entre-deux-guerres, a combattu les autonomistes et a été combattue par eux de manière virulente, je ne pensais pas que notre génération connaîtrait cette résurgence. Que voilà un bel exploit, monsieur le secrétaire d’État !

Par ailleurs, le républicain que je suis, et comme nous le sommes tous, ne peut que déplorer les propos outranciers tenus à notre encontre par quelques-uns, originaires d’autres régions. Je mets ces propos, pour l’essentiel, sur le compte d’une profonde incompréhension, voire d’un vrai désarroi.

Comment le Gouvernement peut-il rester sourd à la mobilisation des Alsaciens, très inquiets ? Un redécoupage ne peut procéder de l’improvisation, alors même que notre pays a signé, rappelons-le, la charte européenne de l’autonomie locale, qui prévoit une consultation préalable à toute modification des limites territoriales locales...

Monsieur le secrétaire d’État, la méthode employée par le Gouvernement est inacceptable : on nous demande de nous prononcer sur le contenant avant le contenu, sans études d’impact dignes de ce nom. On veut nous imposer une nouvelle carte des régions sans concertation, sans prise en compte des identités. On refuse de prendre en considération les apports du Sénat, émanation des collectivités locales. Vraiment, tout cela est très dommageable et laissera des traces...

À l’heure de cette ultime lecture, dont l’issue ne laisse guère de place à l’optimisme, je regrette que l’Alsace apparaisse comme une variable d’ajustement et que la voix de la Haute Assemblée, la voix de l’assemblée des territoires, ne soit pas suffisamment écoutée.

Une démarche pleinement concertée eût été pourtant indispensable pour poser les jalons d’une réforme territoriale réussie. Mme Assassi a fait allusion aux lois de 1982 : je fais partie de ceux qui ont voté ces textes, et je n’en retrouve pas ici le souffle !

Monsieur le secrétaire d’État, qui sème le vent, récolte la tempête !

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