Intervention de Philippe Dominati

Réunion du 18 décembre 2014 à 9h30
Convention fiscale avec andorre — Discussion en procédure accélérée et rejet d'un projet de loi

Photo de Philippe DominatiPhilippe Dominati, rapporteur de la commission des finances :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord du 2 avril 2013 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la Principauté d’Andorre en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu.

Le texte a été adopté par l’Assemblée nationale lundi 8 décembre 2014, mais rejeté par la commission des finances du Sénat le jeudi 11 décembre dernier.

Jusqu’à aujourd’hui, la France et Andorre, qui partagent pourtant le même chef d’État, n’étaient liées par aucune convention fiscale. Ce texte constitue donc une grande première, à laquelle la Principauté est très attachée, comme cela a été rappelé à l’occasion de la visite du Président de la République, coprince d’Andorre, le 12 juin 2014.

Pourquoi cette absence de convention fiscale ? Tout simplement parce que, jusqu’à récemment, Andorre ne disposait d’aucun système d’imposition directe des revenus, des bénéfices et du patrimoine. Les recettes fiscales de la Principauté étaient essentiellement constituées de droits de douane, forcément importants, puisque ce territoire enclavé entre la France et l’Espagne s’était fait une spécialité de la vente de certains produits – alcool, tabac, … – aux habitants des pays voisins. Ces particularités, renforcées par une coopération fiscale plus qu’aléatoire, avaient valu à Andorre d’être placée sur la « liste grise » des paradis fiscaux de l’OCDE.

Durement touchée par la crise de 2008, la Principauté d’Andorre a entrepris de diversifier son économie, fondée sur le tourisme, le commerce et la finance, et surtout de réformer en profondeur son système fiscal. Ont ainsi été instaurés un impôt de 15 % sur les plus-values immobilières, un impôt de 10 % sur les bénéfices des sociétés, une TVA unique de 4, 5 % et, à compter du 1er janvier 2015, un impôt sur le revenu des personnes physiques, fixé à 5 % ou à 10 % en fonction du revenu.

Ces réformes ambitieuses, ainsi que la signature de 26 accords d’échange de renseignements fiscaux, ont permis d’envisager la signature d’une convention fiscale, que la Principauté sollicite de longue date. L’accord signé le 2 avril 2013 est le résultat de ces négociations.

Que contient cette convention fiscale ? En fait, elle est pour l’essentiel très classique, et largement conforme au modèle de l’OCDE le plus récent, qui date de 2010. Lorsqu’elle s’écarte du modèle, c’est tantôt pour s’adapter – sans malice – aux spécificités de la législation des deux pays, tantôt pour se montrer plus exigeante que le modèle.

Les clauses d’élimination des doubles impositions sont ainsi conformes à celles qui figurent dans les autres conventions fiscales signées par la France. Ces clauses visent à répartir entre les deux États le droit d’imposer les différents revenus, qu’il s’agisse des traitements, des salaires, des pensions, des bénéfices des entreprises ou encore des revenus passifs tels que les dividendes, les intérêts et les redevances.

La présente convention va même plus loin que le modèle de l’OCDE du fait de l’introduction de plusieurs clauses anti-abus – cinq clauses catégorielles et une clause générale –, qui permettent de refuser les avantages de la convention aux montages artificiels.

Une autre spécificité de la convention franco-andorrane, c’est qu’elle ne prévoit pas de dispositif d’échange d’informations fiscales, mais qu’elle renvoie, à la place, à l’accord de coopération en matière fiscale signé par les deux pays le 22 septembre 2009.

Toutefois, il ne faut pas voir là une volonté d’échapper aux standards les plus récents en matière de coopération fiscale.

En fait, la signature de cet accord spécifique s’explique par le fait qu’à l’époque Andorre n’avait pas de convention fiscale avec la France qui aurait pu servir de support. Mais ces clauses ont sensiblement le même niveau d’exigence que celles du modèle 2010 de l’OCDE, notamment au regard du secret bancaire.

Certes, l’accord de 2009 prévoit seulement l’échange d’informations fiscales à la demande, qui, comme vous le savez, est moins efficace que l’échange automatique puisqu’il suppose une bonne volonté de la part de l’État interrogé. Toutefois, la Principauté d’Andorre s’est formellement engagée, le 29 novembre 2014, à Berlin, à mettre en œuvre l’échange automatique d’informations d’ici à 2018. La France s’y est engagée pour 2017.

Si la présente convention se limitait aux points que je viens d’évoquer, il n’y aurait rien à y redire : il s’agit d’une convention fiscale classique, équilibrée et conforme aux standards les plus récents.

Mais l’accord franco-andorran comporte, en plus, une clause très particulière qui nous a semblé problématique.

Le 1 de l’article 25 prévoit en effet que « la France peut imposer les personnes physiques de nationalité française résidentes d’Andorre comme si la présente convention n’existait pas ». Pour le dire autrement, cette clause permet à la France d’instituer une imposition des personnes physiques en raison de leur nationalité, et non pas en raison de leur résidence ou de l’origine de leurs revenus.

Cet élément est complètement dérogatoire par rapport au droit français, l’article 4 A du code général des impôts prévoyant depuis longtemps une imposition selon un principe de résidence.

Au sein de l’OCDE, les États-Unis sont le seul pays à pratiquer une imposition selon la nationalité, étant entendu que l’impôt acquitté par ailleurs par les citoyens américains ouvre droit à un crédit d’impôt aux États-Unis.

Cette stipulation est, de même, parfaitement dérogatoire par rapport au modèle de l’OCDE, fondé lui aussi sur un principe de résidence, repris par les conventions fiscales signées par la France.

Certes, la secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie, Annick Girardin, a expliqué devant nos collègues députés que « la mention d’une possible imposition des nationaux français résidant en Andorre est sans effet juridique », que celle-ci « résulte du contexte particulier dans lequel se sont déroulées les négociations » et qu’« aucun projet de ce type n’existe » dans les conventions actuellement négociées par la France.

Toutefois, alors que l’engagement d’un gouvernement vaut pour le présent, une convention fiscale peut rester en vigueur des dizaines d’années – et la question d’un impôt lié à la nationalité revient très régulièrement dans le débat public, par exemple à l’occasion de la campagne présidentielle de 2012. Les gouvernements passent, les textes demeurent…

L’inquiétude de nos compatriotes Français de l’étranger est donc bien légitime. Et elle pourrait bientôt faire écho à l’inquiétude des autres partenaires de la France, avec lesquels nous négocions actuellement de nouvelles conventions fiscales.

Nous ne sommes pas hostiles à l’idée d’un débat sur le sujet d’un impôt lié à la nationalité. Mais il doit s’agir d’un débat national, et non d’une discussion au détour de l’approbation d’une convention fiscale.

En tout état de cause, l’instauration d’un impôt selon la nationalité imposerait de résoudre plusieurs problèmes, d’autant que la rédaction du texte actuel demeure très vague.

Ainsi, comment assurer le lien nécessaire entre l’impôt payé et les contreparties reçues, qu’il s’agisse de la protection sociale, de la sécurité ou encore de la gratuité de l’enseignement, lien actuellement assuré par le principe de résidence ?

Comment éliminer les cas de double imposition pour les personnes qui se retrouveraient à la fois imposées à la résidence et en raison de leur nationalité ?

Comment régler le cas des binationaux ? Je rappelle à cet égard qu’un grand nombre des quelque 3 millions de Français de l’étranger possèdent une double nationalité.

Si la clause de l’article 25 n’a pas vocation à s’appliquer, nous estimons que la négociation d’un avenant, qui peut être rapide, est préférable à un engagement verbal. Notre volonté n’est nullement de compliquer les choses, mais au contraire de les simplifier et de les stabiliser pour l’avenir.

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