Intervention de Olivier Cadic

Réunion du 18 décembre 2014 à 9h30
Convention fiscale avec andorre — Discussion en procédure accélérée et rejet d'un projet de loi

Photo de Olivier CadicOlivier Cadic :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il est tout à fait satisfaisant d’observer que la Principauté d’Andorre a décidé de se doter d’un système fiscal moderne. Il est d’autant plus satisfaisant que, à ce titre, la France ait décidé de convenir avec celle-ci d’une convention fiscale permettant de lutter contre les doubles impositions.

Sur la forme, il n’y a rien à y redire : tous les éléments standard du modèle de l’OCDE y sont. L’adoption de ce texte aurait donc dû être une pure formalité.

Le problème en soi n’est pas là, monsieur le secrétaire d’État ; vous le savez, nous le savons. Comme le veut l’adage, « le diable se cache dans les détails » ; en l’espèce, il réside dans l’article 25 de la convention, qui stipule tout bonnement que « la France peut imposer les personnes physiques de nationalité française qui résident en Andorre comme si la présente convention n’existait pas ». La belle affaire !

Qu’entend-on par là ? Tout bonnement que le champ d’application de la loi fiscale procède non plus de la territorialité, mais de la nationalité.

Cela signifie que l’impôt se paie au titre du sang et non plus au titre de « l’entretien de la force publique », selon les dispositions bien connues de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Il est absolument inadmissible – et je pèse mes mots – que l’on introduise pareille brèche dans un édifice législatif vieux de plus de deux siècles au détour d’une obscure stipulation conventionnelle.

C’est inadmissible quant à la méthode employée ; c’est également inadmissible sur le fond.

Concernant le fond du problème, à savoir le passage d’une fiscalité assise sur le lieu de résidence à une fiscalité assise sur la nationalité, je ne peux qu’exprimer mon étonnement et mon interrogation, pour ne pas dire d’emblée mon indignation.

L’impôt n’est pas la contrepartie de la nationalité. Ce n’est pas dans notre tradition, ce n’est pas dans notre histoire ni dans nos usages.

L’impôt est le prix du service public. C’est l’un des legs de la Révolution française – et j’ai cité à l’instant la Déclaration de 1789. Vous résidez en France, vos enfants sont scolarisés en France, vous bénéficiez des soins dispensés dans les hôpitaux en France, vous profitez de la sécurité par les forces de l’ordre en France, en conséquence, vous payez vos impôts en France pour contribuer au financement du service public.

Bénéficier de l’organisation de nos services publics a donc un prix ; la nationalité ne saurait en avoir.

Quelle serait d’ailleurs la conséquence logique d’un redressement fiscal dans une telle hypothèse ? La déchéance de la nationalité ? Je n’ose l’imaginer, et j’espère que vous non plus !

Concernant la méthode, la forme est aussi carencée que le fond. Une telle évolution de notre droit fiscal mériterait, comme l’a très justement dit M. le rapporteur, un véritable débat national, une concertation, au minimum un groupe de travail.

Et là ? Rien, ou presque, si ce n’est une convention qui aurait dû être adoptée sans grande formalité.

La fiscalité sur la nationalité n’est pas impossible. Elle existe d’ailleurs de longue date aux États-Unis, qui est le seul pays de l’OCDE à la pratiquer, comme le rappelle à juste titre Philippe Dominati dans son excellent rapport, démontrant ainsi qu’il est un législateur attentif à la sauvegarde du principe de liberté, principe fondateur de notre République.

Mes chers collègues, une différence profonde sépare l’Europe des États-Unis. Margaret Thatcher l’a exprimé ainsi : « L’Europe s’est construite par l’histoire, l’Amérique par la philosophie. »

Je ne suis pas convaincu que l’initiative de l’administration française pour introduire cette évolution fiscale à la sauvette nous propose également de faire partager à nos compatriotes la même philosophie que le modèle anglo-saxon.

Mais, si la France devait tourner un jour le dos à son histoire, de nombreux Français tourneraient alors le dos à la France, et le monde ne s’arrêterait pas de tourner.

Les Français de l’étranger le savent parce que c’est leur expérience : la liberté trouve toujours son chemin !

Monsieur le secrétaire d'État, j’ai lu avec attention les débats à l’Assemblée nationale. J’ai bien noté les engagements répétés du Gouvernement, qui a déclaré n’avoir nullement l’intention, en tout cas à court terme, de faire évoluer la fiscalité applicable aux Français établis hors de France vers une imposition due en raison de leur nationalité. Je n’ai aucune raison de mettre votre parole en doute.

J’ai également bien noté que, selon vos déclarations, cette stipulation n’aurait finalement pas à s’appliquer.

Cependant, vous n’êtes pas sans savoir que les mandats politiques sont souvent précaires et que vos successeurs pourraient bien ne pas se sentir contraints par ce que vous aurez pu dire à la représentation nationale. Seul le droit écrit restera, et ce que vous nous proposez de rédiger comporte toute l’ambiguïté de cet article 25.

Toujours concernant la méthode, j’entends les remarques quant aux conséquences diplomatiques que le rejet de cette convention impliquerait. Il faudrait renégocier, reprendre le travail depuis le début, relancer le processus, etc.

Les parlementaires représentant les Français établis hors de France ont rencontré l’administration fiscale à Bercy sur cette question. Les hauts fonctionnaires nous ont bien fait comprendre que les ministres passaient, mais qu’eux restaient.

Qui dirige ce pays ? Qui décide de l’orientation des éléments fondamentaux de la loi fiscale ? Vous, le Gouvernement ? Nous, le Parlement ? Ou bien l’administration qui vous écrit le papier que vous nous lisez ?

Si les dispositions de l’article 53 de la Constitution prévoient l’existence de projets de loi d’approbation des conventions internationales, c’est bien parce que le Parlement doit jouer son rôle afin de contrôler la signature diplomatique de notre exécutif.

Or, en l’espèce, cette signature ne saurait prospérer. Il est préférable de reporter l’adoption d’une convention internationale en demandant l’abrogation de l’article litigieux plutôt que de fragiliser les fondations de l’ensemble de notre droit fiscal.

D’autant que, comme le rappelle Gaspard Koenig dans une excellente tribune publiée cette semaine dans Les Échos, l’exigence de cet article 25, qui permet à cette convention de prévoir sa propre nullité – ceux qui sont encore attachés au respect des contrats et à l’État de droit apprécieront –, est une demande 100 % française. Nul doute alors que vos homologues andorrans ne verront aucune objection à la faire disparaître.

Aussi, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous l’aurez compris, les membres du groupe UDI-UC voteront contre l’approbation de cette convention internationale, suivant en cela la position de la commission des finances.

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