Intervention de François Bonhomme

Réunion du 16 décembre 2014 à 21h45
Nouvelle organisation territoriale de la république — Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de François BonhommeFrançois Bonhomme :

En effet, il n’y a pas de transfert de nouvelles compétences de l’État, et les transferts de compétences entre niveaux décentralisés n’en font pas pour autant un approfondissement de la décentralisation.

Par ailleurs, je note que les quatre niveaux de décentralisation demeurent. Du reste, qu’aurait-on pu attendre de l’État, et pas seulement de ce seul gouvernement ?

Face aux visions locales, qui sont par nature fragmentées, face à ceux qui sont rétifs à tout changement, l’État se doit d’avoir un rôle de chef d’orchestre. Lui seul peut penser la décentralisation de manière globale et s’extraire de l’influence des seuls intérêts « localistes ».

Cette vision existe-t-elle ? L’État s’est-il élevé au-dessus de ces considérations ? Je crains que non ! Faute de fil directeur, cette réforme n’est qu’une collection d’idées qui s’entrecroisent et s’entrechoquent, au risque du statu quo. J’en veux pour preuve le traitement de la clause générale de compétence, d’abord supprimée, puis rétablie, puis de nouveau supprimée, ou encore du conseiller territorial, qui semble suivre le même mouvement, incompréhensible.

Plus ennuyeux, le Gouvernement a procédé à des revirements à contretemps, et il a fait preuve d’un autoritarisme inopportun en imposant une nouvelle carte régionale ou en renonçant brutalement à la suppression du département. À ce sujet, il a fait la démonstration de son impréparation, s’apercevant, mais un peu tard, de l’impasse politique et juridique qui se profilait s’il s’entêtait à concrétiser cette annonce tonitruante.

Tous ces changements de pied intervenus depuis le mois de mai, avec des modifications importantes, voire contradictoires, ont forcément changé l’architecture globale, laquelle est devenue aujourd’hui une véritable construction byzantine. Que reste-t-il donc de ce projet désarticulé ?

La région se voit indiscutablement renforcée. Ce projet tend à promouvoir le niveau régional par la concentration des compétences entre les mains d’acteurs régionaux moins nombreux. En combinant gigantisme et octroi de nouveaux pouvoirs, le Gouvernement souhaite créer des « super-régions ».

C’est du moins ce qu’il annonce, mais, s’il est bien question de transférer de nouvelles compétences et d’affirmer un renforcement de la compétence de développement économique en érigeant les régions en chefs de file et en leur donnant mission d’élaborer certains schémas, en revanche, aucun pouvoir fiscal ne leur est accordé, ce qui peut paraître paradoxal au regard du rôle nouveau qu’on entend leur faire jouer.

Concernant les intercommunalités, le projet de relever leur seuil de 5 000 habitants à 20 000 habitants est effectivement étonnant. Multiplier la taille des intercommunalités par quatre au minimum est irréaliste, car seul le seuil choisi prête à discussion, mais il ne correspond à rien, sinon à un fétichisme du chiffre. Certes, ce relèvement ne posera pas de difficulté majeure dans les zones urbaines, mais, en zone rurale, il aboutira, en l’état, à un regroupement artificiel de territoires, très ou trop étendus du fait de la faiblesse démographique.

La géographie des territoires est ici totalement ignorée, la réalité des bassins de vie s’en trouve véritablement négligée. En conséquence, on s’achemine vers une intercommunalité imposée qui continuera à cohabiter avec une myriade de communes de petite taille.

Concernant les économies affichées, on peut douter de la réduction des dépenses publiques, tout au moins dans les premières années, notamment parce que l’harmonisation des traitements des personnels, en cas de fusion et de mutualisation, se fera sur la base du régime le plus avantageux.

Enfin, pour les départements, chacun se souvient que le projet initial consistait à les supprimer par évaporation, selon une méthode sournoise. Puis, faisant machine arrière, le Gouvernement a opté pour la strangulation, alors même que beaucoup de départements sont déjà affaiblis par une compétence sociale qui en fait des pachydermes, situation aggravée par la disette financière que vous imposez aux collectivités locales avec la baisse brutale des dotations.

À cela s’ajoute un facteur aggravant, le nouveau mode d’élection des conseillers départementaux dans des cantons binominaux, redécoupés à rebours de la carte et de la réalité intercommunales, ce qui aura inévitablement pour effet d’accélérer et d’achever le processus de décomposition.

Enfin, cette réforme présente un risque accru de disparité entre les différents types de collectivités locales, car la seule existence des métropoles aboutira à une organisation hétérogène de la carte, du fait de leur taille ou de l’ampleur de leurs compétences. Nous aurons, d’un côté, les territoires « métropolisés », urbains, disposant d’une nouvelle organisation plus dynamique, intégrée, dans laquelle les métropoles viendront inévitablement concurrencer les régions et, de l’autre, des territoires « interstitiels », ruraux, avec une organisation plus classique et nécessairement moins dynamique.

En conclusion, ce projet de loi laisse une impression d’improvisation et même d’incohérence. Plus préoccupant, les collectivités vont connaître une forme d’insécurité, inadaptée à un fonctionnement serein et finalement bien éloignée des objectifs initiaux.

Au total, après l’acte I de la décentralisation, qui se voulait à l’époque édificateur, l’acte II, qui se voulait consolidateur, l’acte III, qui se voulait refondateur, risque, au fond, de n’être que bredouilleur et même, l’avenir le dira peut-être, fossoyeur d’une certaine France des territoires.

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