Intervention de Françoise Férat

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 21 janvier 2015 : 1ère réunion
Transition énergétique pour la croissance verte — Examen du rapport pour avis

Photo de Françoise FératFrançoise Férat, rapporteure pour avis :

Ce projet de loi relatif à la « Transition énergétique pour la croissance verte », a déjà été adopté par l'Assemblée nationale et son titre, comme c'est d'usage pour les textes touchant à l'environnement, constitue tout un programme - tout comme il fait encore l'objet d'âpres débats, on le verra en séance publique.

Ce texte est copieux et gagne en volume à mesure de son examen : nos collègues députés l'ont fait doubler d'épaisseur et je crois savoir que les deux commissions de l'économie et du développement durable ne vont pas s'interdire de l'enrichir encore, malgré la regrettable procédure accélérée. L'enjeu est de taille, puisque le Gouvernement nous propose d'inscrire dans la loi l'objectif global de réduire de moitié notre consommation d'énergie finale d'ici 2050 - et d'adopter un ensemble de mesures susceptibles de nous placer sur cette trajectoire.

Notre commission s'est plus précisément saisie du titre II, intitulé : « Mieux rénover les bâtiments pour économiser l'énergie, faire baisser les factures et créer des emplois » ; il comprenait 6 articles dans sa rédaction initiale, le voici à 29 articles après son examen par les députés : on voit que le passage à une rénovation énergétique généralisée, partiellement contrainte, ne va pas de soi. Car c'est bien le fond de ce titre II : obliger peu ou prou les propriétaires à la rénovation énergétique des logements, sachant que le secteur résidentiel représente la moitié de notre consommation énergétique globale et que nos bâtiments sont encore trop énergivores : 85 % d'entre eux sont mal classés pour la consommation énergétique, c'est-à-dire en étiquettes D, E et F dans les diagnostics.

Devant un tel enjeu, il est parfois difficile de s'en tenir à notre compétence « culture », mais c'est bien une obligation de méthode ; nous examinons ce texte sous l'angle du patrimoine, en nous posant ces questions : les règles nouvelles sont-elles compatibles avec la conservation et la valorisation de notre patrimoine ? En particulier, imposent-elles des charges qui pèseraient trop lourdement sur les propriétaires de ce patrimoine, ou qui risqueraient de le dégrader ?

À cette aune, les articles 3 et 5 appellent toute notre attention et inquiètent les professionnels ; je vous présenterai des amendements sur chacun d'eux.

L'article 3 dispose que les règles locales d'urbanisme relatives à l'aspect extérieur, à l'emprise au sol, à la hauteur et à l'implantation des constructions, « ne peuvent être opposées » à des travaux d'isolation de la façade ou du toit par l'extérieur. En somme, le maire ne pourrait pas opposer des règles du plan local d'urbanisme (PLU) concernant la hauteur des bâtiments ou l'aspect extérieur des façades, contre des projets d'isolation par l'extérieur qui contrediraient ces règles locales.

Cet article inquiète les défenseurs du patrimoine, ils s'alarment de voir « les plus beaux villages et sites de France défigurés et sacrifiés », alors même que « l'emballage des bâtiments », comme ils le disent, est « inadapté au bâti ancien » ; de son côté, le Gouvernement nous dit que son texte est mal compris, qu'il s'agit seulement de pouvoir dépasser de quelques centimètres la hauteur maximale autorisée d'un bâtiment ou la limite du parcellaire, mais pas de toucher au patrimoine ni d'imposer « l'emballage » du bâti ancien, une technique dont le ministère reconnait qu'elle n'est pas adaptée aux matériaux traditionnels de construction. Le Gouvernement met en avant les exceptions prévues par l'article 3 : la dérogation aux règles locales ne sera pas possible dans les secteurs sauvegardés, ni pour les immeubles classés ou inscrits Monuments historiques, ni pour les immeubles protégés au titre de délibérations locales prises après avis de l'architecte des bâtiments de France.

Je crois que ces exceptions sont trop étroites et je vous proposerai de les étendre selon deux axes : d'abord à l'ensemble de ce qui peut être considéré comme « zones patrimoniales », en particulier les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), les périmètres de protection des immeubles classés, les immeubles labellisés Patrimoine du XXe siècle, les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP), les parcs nationaux et parcs naturels régionaux, ou encore les zones inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco.

Second axe d'extension : les bâtiments construits avant 1948, parce que l'emballage des matériaux traditionnels est dangereux pour les bâtiments anciens, autant que pour la santé de leurs occupants, mais aussi parce que nous avons un très grand nombre de bâtiments « intéressants » sur le plan patrimonial mais hors « zones patrimoine ».

J'insiste sur ce point : en étendant ainsi les exceptions, probablement contre l'avis du Gouvernement et de nos collègues d'autres commissions, nous ne défendons pas un « pré carré » du patrimoine, nous ne cherchons pas à freiner la rénovation énergétique du bâti mais nous tenons compte des réalités, de l'expérience acquise en la matière. Quand bien même l'emballage des bâtiments ne serait pas obligatoire, le simple fait que la loi mentionne cette technique comme prioritaire pour tout le bâti, sans dire qu'elle n'est pas adaptée au bâti ancien, suffira à galvaniser bien des démarches commerciales agressives de la part de professionnels de la rénovation, qui n'entrent pas dans le détail juridique. Le niveau d'information général est encore trop faible, de même que la qualité des diagnostics énergétiques, pour se permettre de « lâcher dans la nature » une telle obligation, même si, comme l'affirme le Gouvernement, la contrainte est conditionnelle.

Il semble que la commission de l'économie, saisie au fond, envisage de réécrire cet article et que sa nouvelle rédaction nous donne satisfaction ; nous verrons alors ce qu'il en est, mais cela ne doit pas nous empêcher d'adopter des amendements aujourd'hui.

Second article épineux, l'article 5 instaure une obligation générale d'améliorer la performance énergétique d'un bâtiment à chaque fois que des travaux importants y sont réalisés. Ici encore, l'objectif est tout à fait louable : il s'agit en gros de « profiter » de travaux importants de rénovation, pour imposer un résultat énergétique. Cependant, les obligations nouvelles posent un problème sous l'angle patrimonial.

L'article 5 précise que les travaux réalisés doivent atteindre « un niveau de performance énergétique compatible avec les objectifs de la politique énergétique nationale (...) et se [rapprocher] le plus possible des exigences applicables aux bâtiments neufs » : cette référence aux bâtiments neufs n'est guère souhaitable, parce qu'elle est floue et parce que l'exigence applicable aux bâtiments neufs est inaccessible au bâti ancien, en raison des matériaux de construction eux-mêmes ; je vous proposerai donc de la remplacer par une mention plus conforme aux objectifs réalistes pour le bâti ancien.

L'article 5 dispose encore qu'un décret en Conseil d'État détermine les catégories de bâtiments qui auront l'obligation d'effectuer une isolation extérieure de la façade et de la toiture, « excepté lorsque cette isolation n'est pas réalisable techniquement ou juridiquement ou lorsqu'il existe une disproportion manifeste entre ses avantages et ses inconvénients de nature technique, économique ou architecturale ». Ici encore, je crois qu'il faut faire une place dans la loi aux bâtiments d'avant 1948 : je vous le proposerai par amendement et je sais d'ores et déjà pouvoir compter sur un bon accueil en commission de l'économie.

Enfin, les auditions m'ont alertée sur un problème devenu urgent - celui de l'implantation des éoliennes. Je vous proposerai donc d'ajouter un article à ce texte, pour que les éoliennes ne puissent plus être implantées en dépit du bon sens patrimonial et paysager. La question des éoliennes ne manquera pas d'être posée en séance publique, une bonne dizaine d'amendements sont déposés devant la commission de l'économie, nous ne pouvons taire l'aspect patrimonial.

Je vous proposerai donc de rendre obligatoire l'avis conforme de l'architecte des bâtiments de France pour l'implantation d'une éolienne située dans un rayon de covisibilité de 10 kilomètres d'un monument historique, mais également d'exclure ces implantations de l'ensemble des zones « patrimoniales », en particulier les ZPPAUP, les AVAP ou encore les zones « patrimoine mondial de l'Unesco ». Le droit est très insuffisant en la matière, des abus existent, nous en connaissons tous : nous ne pouvons pas rester sans rien faire.

Sous réserve de l'adoption de ces amendements, je vous proposerai un avis favorable à l'adoption des articles dont notre commission s'est saisie.

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