Cette année 2015 sera, nous le savons, placée sous le signe de l'écologie avec, en point d'orgue, l'organisation de la 21e Conférence des parties (COP 21) à la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (CNUCC), qui se tiendra du 30 novembre au 11 décembre à Paris. Le projet de loi que nous allons examiner fait partie de cette « séquence » écologique. Vous vous en souvenez sans doute, sa genèse a pris du temps. Annoncé depuis le début du quinquennat, reprenant certains des engagements du président de la République alors qu'il était candidat, ce texte a été préparé par quatre ministres successifs avant, finalement, d'être soumis au Conseil des ministres du 30 juillet 2014. L'Assemblée nationale l'a adopté le 14 octobre 2014, il y a donc un peu plus de trois mois. Depuis lors, les contraintes du Sénat, en particulier notre « session budgétaire » puis l'examen, encore en cours, du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ne nous ont pas permis de nous en saisir plus tôt.
J'en arrive au contenu de ce texte. Il est vaste : les 64 articles initiaux du projet de loi sont devenus 173 à l'issue de son examen par les députés. L'objet et la portée de ces dispositions varient, bien sûr, de façon conséquente d'un article à l'autre. Plusieurs des titres du projet de loi débutent ainsi par des articles ayant pour objet de fixer des objectifs de politique nationale, plus ou moins ambitieux, et à échéance variable. Cette construction ne facilite pas la lecture et l'appréhension d'ensemble de ces objectifs. À titre d'illustration, pour prendre les objectifs les plus emblématiques de ce texte, l'article 1er du projet de loi propose successivement de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050 ; de réduire la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 par rapport à la référence 2012, en visant un objectif intermédiaire de 20 % en 2030 ; de réduire la consommation énergétique primaire des énergies fossiles de 30 % en 2030 par rapport à la référence 2012 ; de porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d'énergie en 2020 et à 32 % de cette consommation en 2030 et enfin de réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à l'horizon 2025. Même les économistes spécialisés sur la question de l'énergie ont du mal à voir comment ces différents objectifs peuvent être menés de front, s'ils sont compatibles entre eux et ce qu'ils impliquent à chacune de ces échéances.
Une bonne douzaine d'articles de ce projet de loi n'ont ainsi d'autre ambition que de donner des objectifs ou des orientations à l'action de l'État. Des esprits malicieux pourraient peut-être d'ailleurs se demander si l'article 34 de la Constitution ne réserve pas à des lois de programmation - ce que n'est pas ce texte - le soin de déterminer les objectifs de l'action de l'État au sein d'articles non normatifs.
À côté de ces articles, on trouve tout de même des dispositions au caractère normatif plus affirmé : citons par exemple la création de diverses structures ou d'outils pour l'action publique, le changement des modalités de rémunération des producteurs d'énergie ou le régime des concessions hydroélectriques. Sans vouloir critiquer systématiquement ces initiatives, nous aurons l'occasion de vérifier, au travers des articles entrant dans le champ de la saisine pour avis de notre commission, que nombre de ces dispositifs restent très flous. La marge de manoeuvre du pouvoir réglementaire est tellement forte que l'on peut parfois vraiment affirmer sans exagérer que le Parlement est écarté d'arbitrages, parfois lourds et visiblement non rendus à ce stade.
Par exemple, je vous lis les principales dispositions de l'article 5 quater, qui propose de créer un fonds de garantie pour la rénovation énergétique, sur lequel nous aurons l'occasion de revenir : « Le fonds de garantie pour la rénovation énergétique a pour objet de faciliter le financement des travaux d'amélioration de la performance énergétique des logements. Ce fonds peut être abondé par toutes ressources dont il peut disposer en application des lois et règlements. (...) Le fonds est administré par un conseil de gestion dont la composition, les modes de désignation des membres et les modalités de fonctionnement sont fixés par décret en Conseil d'État. Les modalités d'intervention du fonds sont fixées par décret en Conseil d'État. »
Ce que l'on ne trouve quasiment nulle part dans ce projet de loi, non plus que dans l'étude d'impact d'ailleurs, ce sont les conséquences financières, budgétaires ou fiscales, des décisions sur lesquelles le Parlement est amené à se prononcer. La « question financière » reste presque toujours virtuelle et semble ne pas être une contrainte aux yeux du Gouvernement. L'étude d'impact contient d'ailleurs quelques « perles » assez révélatrices de cette volonté de mettre sous le tapis l'évaluation financière des décisions à prendre. On y lit ainsi, à propos des mécanismes de soutien aux énergies renouvelables, que « les coûts des dispositifs de soutien étant supportés par les consommateurs finals d'électricité, les mesures prévues n'engendreront pas d'impact sur les finances publiques ». Ou encore, à propos de la création d'un chèque énergie, que « le calage final du dispositif sera arrêté ultérieurement, en particulier en termes de nombre de bénéficiaires cibles, de montant du chèque énergie, et d'identification et répartition des ressources contribuant à alimenter le dispositif. L'impact économique, budgétaire et financier pourra alors être étudié précisément ». Tout cela est quand même un peu léger, surtout que l'impact en question se chiffrera, sans nul doute, à au moins plusieurs centaines de millions d'euros par an.
Pourtant, en matière énergétique comme ailleurs, l'argent est le « nerf de la guerre », et les belles intentions affichées ne se traduiront pas, à défaut de financements adéquats dont on peine à trouver la trace au sein de la dernière loi de programmation des finances publiques. De plus, la trajectoire qu'a suivie une imposition comme la contribution au service public de l'électricité (CSPE) ces dernières années montre bien que les conséquences de nos décisions peuvent être très lourdes pour les contribuables.
Venons-en à présent au champ de la saisine de la commission des finances. Au vu de la variété des sujets qu'aborde ce projet de loi et au vu du grand nombre de commissions qui s'en sont saisies pour avis, ce qui est le signe du caractère très transversal des questions énergétiques et environnementales, il m'a semblé nécessaire de focaliser notre attention sur le nombre, relativement limité, de sujets qui intéressent directement notre commission.
Tout d'abord, naturellement, les articles fiscaux. Généralement de portée limitée, ils sont isolés à divers endroits du texte et résultent tous d'amendements d'origine parlementaire introduits par l'Assemblée nationale. Ils concernent, nous le verrons, la taxe de publicité foncière et diverses aides fiscales à l'usage du vélo. Il faudra également évoquer les articles relatifs à la répartition de certaines recettes entre les collectivités territoriales.
Ensuite, les articles dont l'adoption aurait un impact direct sur les charges publiques. Il s'agit de l'article 5 quater, relatif au fonds de garantie pour la transition énergétique ; de l'article 13, dont une partie traite d'une nouvelle aide à l'acquisition de véhicules propres ; de l'article 23, qui réforme le soutien à la production électrique d'origine renouvelable et de l'article 60, qui propose la création d'un chèque énergie, appelé à se substituer aux tarifs de première nécessité de l'électricité et du gaz.
La saisine de la commission a également concerné l'encadrement des sociétés de tiers financement, car il s'agit d'un sujet de régulation financière. Elle porte aussi sur le plafonnement du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) pour les industriels les plus intensifs, dans une logique de compétitivité industrielle du pays. Elle concerne également l'article proposant la création d'un comité de gestion de la CSPE, vecteur adéquat afin de poser les bases d'une vraie réforme de la contribution elle-même. Enfin, je vous proposerai l'adoption d'un article additionnel.
Avant d'en venir aux amendements, je voudrais dire un mot sur l'esprit qui m'a guidé dans l'examen de ce texte. À titre personnel, je suis très sensible à l'importance des multiples enjeux de la question énergétique : enjeu écologique ; enjeu d'indépendance nationale ; enjeu de compétitivité et enfin enjeu de pouvoir d'achat pour nos concitoyens.
De ce fait, j'ai souhaité abordé ce projet de loi dans un état d'esprit constructif, dans l'idée d'accepter et, éventuellement, d'améliorer les propositions intéressantes qui pourraient y figurer, quelle que soit leur origine. Il me semble, en revanche, important que le Parlement ne se contente pas d'avaliser de belles pétitions de principe mais sache bien ce qu'il vote, en particulier quand ses choix auront des conséquences fiscales ou financières. C'est pourquoi je vous proposerai de supprimer certaines dispositions, qui me semblaient soit inopportunes, soit d'un trop grand flou. C'est également pourquoi je formulerai plusieurs propositions destinées à mieux cadrer d'autres mesures ou à renforcer le contrôle du Parlement sur des dispositifs potentiellement coûteux pour les finances publiques. J'en resterai là pour l'instant. L'examen des amendements que je vous proposerai nous permettra, je le pense, d'entrer plus en profondeur sur le fond de la plupart des sujets dont la commission s'est saisie.