Intervention de Charles Guené

Réunion du 27 janvier 2015 à 14h30
Débat sur l'évolution des finances locales

Photo de Charles GuenéCharles Guené :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, disserter de l’évolution des finances locales en huit minutes relève de la gageure, surtout lorsqu’on sera peut-être, dans quelque temps, chargé des affaires. J’ai préféré me livrer à un exercice de prospective générale en traitant le sujet selon les quatre points suivants, avec peut-être un œil plus universitaire : les bases à retenir pour un nouvel impôt local, l’hétérogénéité des territoires et la péréquation, l’autonomie fiscale, une nouvelle gouvernance des finances publiques.

Quelles peuvent être les bases d’un nouvel impôt local ? L’histoire de la fiscalité locale moderne comporte des étapes clefs : en 1789, on crée les contributions directes nouvelles ; en 1917, on substitue aux contributions directes l’impôt sur le revenu, tout en conservant la référence aux « principaux fictifs » ; l’ordonnance du 7 janvier 1959 fonde une nouvelle fiscalité – qui ne sera mise en place que dans les années soixante-dix puis quatre-vingt –, assise sur des valeurs locatives et instaurant la taxe professionnelle ; enfin, la réforme de 2010-2015, marquée par le constat de la nécessité de revoir les bases de l’impôt économique, vidé de sa substance et devenu dotation d’État pour moitié, et la naissance de la contribution économique territoriale, la CET.

Nous avons incontestablement manqué d’audace depuis 1789, alors que nous aurions pu déconnecter le système local du système national, pour lui donner une certaine indépendance. En 2015, alors qu’il nous appartient de finaliser la réforme en cours, je suis de ceux qui pensent que nous serons à nouveau conservateurs : premièrement, la pression fiscale générale empêchera d’orienter la fiscalité locale selon des critères touchant aux revenus, ce qui n’est pas fait pour me déplaire ; deuxièmement, le besoin de ressources dynamiques auquel est confronté l’État l’empêchera de consentir au transfert d’impôts nouveaux souhaité.

On peut donc estimer que, en la matière, nous nous acheminons vers le statu quo, avec une orientation renforcée vers un système de dotations, sans oublier, bien sûr, les effets induits par le transfert de compétences issu de l’adoption de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République et ceux de la contribution à l’effort de redressement national, qu’a si bien évoqués M. Baroin. Il importera, bien entendu, que l’équité fiscale soit renforcée par le biais de la révision des valeurs locatives, qui ne doit plus souffrir d’aucun retard.

En ce qui concerne l’hétérogénéité des territoires, la mondialisation et la péréquation, je dirai que, jusqu’à la fin du XXe siècle, chacun a pu se satisfaire d’un système largement corrélé aux fondamentaux de notre fiscalité nationale que sont les investissements ou biens corporels et leur localisation géographique, le credo reposant sur le lien entre le contribuable et l’élu avec, au faîte du dispositif, le rapport de l’impôt économique avec le territoire concerné.

Cette règle a longtemps trouvé sa justification, tant que l’économie pouvait se déployer harmonieusement sur le seul territoire national, en accordant une prime aux plus ingénieux et à ceux qui déployaient de justes efforts pour attirer et capter industrie et économie.

Depuis une ou deux décennies, cependant, force est de constater que notre géographie économique, altérée par la mondialisation, s’est cristallisée autour de zones stratégiques, portuaires, de convergence logistique ou de consommation, et autour des zones urbanisées qui offrent la main-d’œuvre qualifiée attendue. Est apparue une dichotomie territoriale entre territoires à fort potentiel et hyper-ruralité, sans que la perspective de la métropolisation soit en mesure de remédier à cette fracture.

Dès lors, le choix que nous avons fait de ne pas répartir nationalement l’impôt économique nous obligea à amplifier la péréquation pour assurer la survie des territoires ruraux.

En contrepartie, cette situation nous oblige à plusieurs constats et mesures. L’hétérogénéité des territoires exige que nous passions le plus rapidement possible à une territorialisation des politiques et des financements, ainsi que de l’évaluation des besoins, et à l’agrégation des potentialités. Nous ne pouvons plus raisonner de manière macro-économique sur l’ensemble de l’Hexagone pour faire nos projections. Nous devons recourir à une modélisation des divers territoires existants pour vérifier leur comportement et les effets des réformes successives.

Par exemple, l’objectif d’évolution de la dépense publique locale, l’ODEDEL, fixé par la dernière loi de programmation, avec l’option de chiffres globalisés sur l’Hexagone, ne permet pas la lecture de la diversité territoriale.

Il conviendra, bien sûr, de prendre aussi la mesure de toutes les péréquations et contre-péréquations existantes sous toutes leurs formes, et de pallier l’incohérence des valeurs locatives en la matière, en raisonnant sur ces territoires agrégés.

Les mécanismes de la péréquation doivent être affinés et adaptés aux modélisations, et les effets nocifs actuels corrigés, mais chacun doit intégrer le fait qu’elle est désormais consubstantielle au système existant, d’autant que la contribution de 12, 5 milliards d’euros est prélevée sur les collectivités à l’aune de leurs recettes et n’a donc aucun caractère péréquateur.

À cet égard, les choix du Gouvernement ne peuvent porter que sur le degré de renforcement de la péréquation ou l’allongement de la période de contribution à l’effort de redressement…

J’en viens à la question épineuse de l’autonomie fiscale. J’aurais pu l’éliminer du débat en disant que, d’après les réformes constitutionnelles de 2003 et de 2004 et la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de finances de 2010, l’autonomie fiscale n’existe pas en droit français.

Le concept, né avec les lois des années soixante-dix, qui ont donné l’illusion – et plus – d’une autonomie fiscale avec le droit de voter les taux, correspondait à une aspiration et à un besoin réel du système local, l’État n’étant plus en mesure d’assumer lui-même le développement du pays et l’idée de lui substituer les collectivités pour partie s’étant instillée. Le mouvement fut accentué au cours des Trente Glorieuses, et c’est ainsi que progressa l’idée de la décentralisation et de l’autonomie.

Toutefois, alors que ce système se mettait en place vers 1975, apparurent la première crise mondiale et les premiers budgets nationaux en déséquilibre. La suite ne sera que l’expression de ce mouvement contradictoire entre l’énergie nouvelle libérée au profit des collectivités et la tentation de l’État de la tempérer afin de retrouver l’équilibre budgétaire perdu. Nous aurions sans doute dû employer ces années de lutte stérile à troquer cette illusoire autonomie fiscale contre des parties d’impôts nationaux sans pouvoir de taux, mais corrélés à l’activité économique, à l’instar de ce qui se pratique autour de nous. Mais on ne refait pas l’histoire…

Il reste que l’État a fait dépendre assez largement le financement des collectivités de dotations, a diminué le poids de l’impôt économique au sein du panier de ressources pour mieux en assumer le contrôle en ces temps difficiles. Ces deux effets cumulatifs de perte d’autonomie fiscale et d’encadrement par une enveloppe normée contribuent à un sentiment justifié de recentralisation.

Enfin, j’évoquerai une nouvelle gouvernance des finances publiques. Je suis de ceux qui militent, depuis quelques lustres, en faveur d’une remise à plat des finances publiques afin qu’elles ne forment qu’une seule entité et qu’elles soient régulées au travers d’un système partenarial de contrôle.

Atteindre un tel objectif nécessite que nous clarifiions notre fonctionnement systémique. C’est ce que nous tentons de faire actuellement, avec plus ou moins de bonheur, au travers du projet de loi NOTRe, après la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, la loi MAPTAM. Nous devons, pour ce faire, mettre en place un lieu de dialogue et les outils d’une telle gouvernance.

La Conférence nationale des finances publiques et le Haut Conseil des territoires relèvent de ces tentatives, et les aspirations financières traduites dans le projet de loi NOTRe visent à en réintroduire les principes. La volonté d’institutionnaliser le Comité des finances locales, le CFL, est aussi présente : cela constitue une nouvelle tentative de réinstaurer cette normalisation du dialogue.

Si l’État a beaucoup de progrès à faire sur le plan de la qualité de sa démarche, le CFL, ou l’instance qui sera retenue, au sein de laquelle le Sénat, représentant des territoires, doit avoir tout son rôle, ne doit pas être une simple chambre d’ajustement, mais doit bien devenir un espace de co-construction des finances publiques. Nous devons aller dans cette direction, ainsi que dans celle d’un meilleur accès aux informations de l’État pour le Parlement et les autres acteurs concernés.

Le pouvoir politique et la libre administration dépendent largement du pouvoir fiscal. Aussi, faute d’avoir la liberté d’agir sur les taux, les collectivités doivent-elles pouvoir participer à la décision. Parallèlement à ce mouvement, les collectivités doivent aussi s’engager dans la normalisation et la modernisation des procédures, des évaluations, de la mutualisation, ce qu’elles font à grands pas. Le projet de loi NOTRe nous entraîne vers la certification, vers une dépense circonstanciée. Les collectivités devront choisir entre la dépense vertueuse ou un arbitrage démocratique plus étroit de la décision.

Ma conclusion sera brève.

Je ne pense pas que l’évolution des finances locales nous réservera, pour l’immédiat, de grandes surprises s’agissant des bases nouvelles de l’impôt : l’essentiel a été fait. La mutation prochaine interviendra lorsque le système fiscal national aura, lui aussi, intégré la numérisation de l’économie qui érode les bases fiscales actuelles, ce qui dépendra assez largement de l’élaboration d’un consensus international.

La crise économique actuelle et la résorption durable de la dette nous contraindront à ne pas élargir le spectre fiscal des collectivités à des impôts plus dynamiques, l’État se les réservant.

La fracture croissante entre nos territoires, qui ne sera pas amoindrie par la mise en œuvre de la transition énergétique, va accentuer le besoin de péréquation, mais aussi, eu égard à son ampleur, celui d’en adapter les outils pour qu’elle atteigne véritablement ses objectifs en matière d’équité.

Enfin, l’autonomie fiscale sera pour longtemps remisée et nous devrons nous évertuer à rechercher avec l’État un équilibre, dans la gouvernance, entre la soutenabilité des finances publiques, exigée sur le plan international, et la réalité politique, économique et sociale que la République veut conserver à ses collectivités. §

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