Intervention de Elisabeth Doineau

Réunion du 28 janvier 2015 à 14h30
Protection de l'enfant — Discussion générale

Photo de Elisabeth DoineauElisabeth Doineau :

… alors qu’il y a quelques jours encore nous débattions du maintien des départements. Or nous sommes là sur l’une des compétences clés de ces collectivités en matière sociale. La protection de l’enfance, ce sont 300 000 mineurs – 1, 8 % des jeunes de moins de vingt et un ans -, pour une dépense d’environ 7 milliards d’euros.

La proposition de loi était présentée comme une mise en application du rapport d’information. Ce n’est vrai que partiellement. Elle contient en outre des dispositions, touchant à des sujets aussi sensibles que l’inceste, qui n’ont pas été inspirées par le rapport. La protection de l’enfance étant vraiment une question majeure, constat sur lequel, me semble-t-il, nous sommes unanimement d’accord, nous aurions pu éviter ce sentiment de rendez-vous manqué.

Cela étant, le groupe UDI-UC tient à saluer le travail effectué dans le cadre de la mission d’information précédemment citée, spécifiquement par les auteurs de la proposition de loi : Michelle Meunier, notre rapporteur, qui a montré dans son approche beaucoup d’empathie et d’humanisme, et notre ancienne collègue Muguette Dini. Dans leur rapport d’information, toutes deux ont dressé un bilan exhaustif et formulé une cinquantaine de propositions d’amélioration. Ce travail est remarquable, notamment au regard de l’enquête menée auprès de 400 personnes ayant été accueillies par l’aide sociale à l’enfance, l’ASE. Si 54 % d’entre elles ont un regard positif sur la prise en charge, des critiques existent. Ainsi, 62 % des personnes interrogées déclarent avoir souffert des ruptures liées au parcours et 43 % du maintien à tout prix du lien avec les parents. Du chemin reste donc à parcourir.

Je tiens également à saluer le travail de la commission, qui a permis d’apporter des clarifications au texte initial, dans ses volets tant social que judiciaire. Le volet judiciaire a d’ailleurs été substantiellement réformé sous l’impulsion du rapporteur pour avis de la commission des lois, François Pillet, dont je salue l’excellent travail et les qualités de pédagogue.

Un état des lieux s’imposait effectivement, mes chers collègues ! Il devait donner lieu à un débat, et ce débat est aujourd'hui possible.

La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a représenté un véritable progrès. Elle a notamment permis de clarifier les missions et le vocabulaire de la protection de l’enfance, de mieux prendre en compte l’intérêt de l’enfant et la place des parents, de donner au conseil général un rôle pivot, de renforcer la prévention et d’améliorer le dispositif d’alerte, de signalement et d’évaluation, enfin de travailler à une amélioration de la formation des personnels et à une diversification des modes d’intervention. Toutefois, huit ans après, si des avancées sont perceptibles, nous savons toutes et tous que la mise en œuvre de cette loi ambitieuse a été progressive et partielle. Pour quelles raisons ?

Il y a tout d’abord le manque de moyens financiers. La loi de 2007 avait créé le Fonds national de financement de la protection de l’enfance, destiné à compenser, pour les départements, la charge résultant de la mise en œuvre de la loi et à financer les actions innovantes en faveur de la protection de l’enfance. Malheureusement, l’État n’a jamais abondé ce fonds à sa juste hauteur.

Il y a ensuite le contexte dégradé. Les départements ont vu leurs dépenses sociales exploser, avec une charge nette après déduction des apports de l’État en augmentation de 4, 6 % entre 2012 et 2013. En Mayenne, par exemple, le nombre de jeunes placés a crû de 36 % en cinq ans et le volume des mesures éducatives de 21 %, tandis que les dépenses progressaient de 11 % entre les deux derniers budgets.

Il y a en outre les nouvelles prises en charge. Un nombre croissant de jeunes faisant l’objet de mesures pénales sont confiés à l’ASE au titre de l’assistance éducative, alors qu’ils devraient relever de la protection judiciaire de la jeunesse. Le placement des jeunes au titre de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante est aujourd’hui peu activé.

La protection de l’enfance est essentiellement le fait du juge : 75 % des placements et les deux tiers des mesures éducatives relèvent d’une décision judiciaire. L’importance donnée à la réponse judiciaire en France distingue notre pays des autres pays européens, ces derniers privilégiant l’épuisement préalable de toutes les autres possibilités de négociation avec les parents.

Dans une logique de restriction des dépenses, l’État s’est également désengagé de certaines de ses missions, notamment s’agissant des jeunes souffrant de pathologies psychiatriques ou de troubles du comportement. Faute de structures de soins et de professionnels en nombre suffisant, en particulier dans le domaine de la pédopsychiatrie, les ARS, les agences régionales de santé, ne sont pas en mesure d’assurer cette mission aux côtés des départements.

Toujours en matière de nouvelles prises en charge assurées par les départements, il faut noter celles qui concernent les mineurs étrangers isolés. Ces jeunes aux profils bien différents contraignent nos services départementaux à un suivi très spécifique, tant administratif que sanitaire et socio-éducatif. À ce titre, je remarque - c’est un point quelque peu paradoxal – que nous avons institué, à l’occasion de l’examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, un prélèvement sur les recettes de l’État au profit des départements pour financer cette prise en charge. N’y avait-il pas lieu de prévoir un tel dispositif dans le cadre du présent texte, alors même que la question est largement ouverte ?

Il y a enfin les abondantes contraintes qui ont pesé sur les départements : élaborations de schémas, de plans, mises en place de cellules, d’observatoires, de commissions ou autres protocoles, créations de tableaux de bord, etc. Ces mesures, certes utiles – ces travaux nous permettent de remettre en cause nos pratiques –, se révèlent chronophages pour nos services. N’oublions pas non plus les audits internes que nous pouvons commander ou les audits externes auxquels nous sommes soumis, notamment ceux de la Cour des comptes et de l’Inspection générale des affaires sociales.

Oui tout cela a été fait dans l’intérêt supérieur de l’enfant ! Oui, tout cela participe au bien-être de l’enfant ! Oui, tout cela concourt à une meilleure organisation de nos services en vue de protéger l’avenir des enfants ! Mais, de grâce, restons vigilants et faisons en sorte de ne pas oublier l’humain au profit des grilles statistiques, des stratégies opérationnelles et des remises en cause perpétuelles !

Je m’attacherai donc à examiner cette proposition de loi avec attention et détermination. S’il nous faut viser la perfection dans l’accompagnement de l’enfant, nous devons aussi être réalistes : certains articles supposent des moyens que les départements n’ont pas ou plus. « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible », disait Antoine de Saint-Exupéry. Cela s’applique vraiment au texte dont nous débattons aujourd'hui.

En tout dernier lieu, on peut également regretter que la proposition de loi n’aborde pas certains des sujets les plus préoccupants. Nous avons eu un vrai débat, en commission, concernant la question des adoptions forcées d’enfants dans leur pays d’accueil à l’étranger, du fait, parfois, d’un manque de communication des services sociaux français auprès de l’autorité centrale. Ces enfants sont élevés dans un environnement culturel qui leur est étranger. Au vu des éléments mentionnés, l’État a reporté sa responsabilité sur les conseils généraux. II y a donc urgence à dégager de nouveaux moyens en direction de ces publics les plus difficiles.

Mes chers collègues, notre vote sur ce texte dépendra du sort réservé aux amendements examinés en séance publique.

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