Intervention de Ladislas Poniatowski

Commission des affaires économiques — Réunion du 27 janvier 2015 : 1ère réunion
Transition énergétique pour la croissance verte — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Ladislas PoniatowskiLadislas Poniatowski, rapporteur :

D'autres États, et ils sont nombreux, n'ont pas encore amorcé leur transition. La France n'était certainement pas à deux ou trois mois près.

Ce texte s'attaque à de nombreux défis, plus ou moins faciles à relever. Le premier est celui de l'intermittence de certaines énergies renouvelables, en particulier du photovoltaïque ou de l'éolien, dont les rendements n'atteindront jamais ceux des autres sources de production. Leur développement obligera à renforcer les réseaux, à mettre au point un stockage innovant de l'électricité sans pour autant répondre aux pointes de consommation. Deuxième défi, l'intégration des technologies de l'information pour mieux piloter la demande d'énergie, optimiser nos consommations et créer des réseaux dits intelligents ou smart grids. Troisième défi, l'augmentation attendue des prix de l'énergie, qu'elle soit liée à l'épuisement des ressources fossiles ou à la mise en oeuvre du principe « pollueur payeur » par l'intégration dans le prix de l'énergie du coût des gaz à effet de serre.

Pour ne pas déplaire au président Lenoir, un mot et un seul sur le gaz de schiste. Je regrette que notre pays ait confondu l'interdiction de la fracturation hydraulique, nécessaire au vu de ses conséquences environnementales, avec l'interdiction de toute recherche, ce qu'autorise expressément la loi. Alors que les États-Unis ou le Canada en tirent un avantage considérable, le pragmatisme voudrait que l'on cherche au moins à savoir de quelles ressources nous disposons. Si celles-ci étaient bien plus faibles qu'espéré, le débat s'éteindrait. Que les anti-gaz de schiste se rassurent cependant, je ne compte pas le rouvrir à l'occasion de ce texte.

Le secteur de l'énergie est agité de soubresauts au fil des crises géopolitiques -chacun a en tête la crise ukrainienne-, des catastrophes naturelles et des accidents industriels. Après celui de Fukushima, de nombreux pays ont réévalué leur politique énergétique. L'Allemagne est sortie définitivement du nucléaire tandis que d'autres ont choisi de poursuivre leurs investissements : la Grande-Bretagne s'est lancée dans le renouvellement d'une partie de son parc ; les États-Unis ont prolongé la durée de vie de leur parc actuel jusqu'à soixante ans.

Or, si j'adhère à la quasi-totalité des objectifs fixés dans ce texte, qu'il s'agisse de réduire les émissions de gaz à effet de serre, de développer un modèle de croissance économique plus économe en ressources, d'améliorer l'efficacité énergétique des bâtiments ou de favoriser les énergies renouvelables, je crois contraire à l'intérêt du pays de fixer un objectif de réduction notable de la part du nucléaire en 2025 tout en plafonnant dès aujourd'hui la capacité de production à son niveau actuel.

Ce couperet priverait la France de l'un de ses principaux atouts : un atout de souveraineté, grâce auquel elle assure son indépendance énergétique ; un atout économique, qui lui garantit l'électricité la moins chère d'Europe pour les particuliers et une des moins chères pour les industriels ; un atout industriel, doté de perspectives à l'export favorables et qui fait vivre un grand nombre de PME et d'entreprises de taille intermédiaire dans le sillage de nos champions nationaux, EDF et Areva ; un atout social, puisque le seul renouvellement des effectifs conduira au recrutement de 110 000 personnes d'ici à 2020 ; un atout territorial, enfin, qui participe du développement économique de nos bassins de vie - pour s'en convaincre, voyez les conséquences désastreuses qu'aurait la fermeture de la centrale de Fessenheim.

Surtout, le nucléaire, parce qu'il est une énergie totalement décarbonée, est un allié objectif de la transition énergétique. Grâce à lui et à l'hydroélectricité, notre pays est déjà l'un des plus faibles émetteurs de gaz à effet de serre par habitant : le deuxième en Europe. Aussi serait-il paradoxal de s'en priver à l'heure où tout doit être mis en oeuvre pour limiter le réchauffement climatique.

S'il me semble indispensable que notre pays conserve un socle d'électricité nucléaire, je n'en suis pas moins favorable, ne serait-ce que pour éviter une trop forte dépendance à l'égard d'une seule filière, à une diversification progressive de notre mix électrique s'appuyant sur toutes les énergies renouvelables sans en exclure une seule, et même sur un socle d'énergies fossiles pour faire face aux pointes de consommation. Aussi vous proposerai-je d'encadrer l'objectif nucléaire, plutôt que de le supprimer. Profiter de la fin de vie des installations pour réduire progressivement cette part de façon pragmatique serait, du reste, bénéfique aux finances publiques puisque l'exploitant ne pourrait exiger d'indemnisation pour la perte d'un actif encore opérationnel.

Autre difficulté majeure, le financement. L'Allemagne a retenu un modèle de financement unique, simple, très efficace dans lequel la banque publique de développement, la KfW, joue un rôle central. En matière de rénovation des bâtiments, les aides octroyées obéissent à trois principes : une exigence de performance des rénovations, une progressivité des aides en fonction de l'ambition du projet, le contrôle par un expert des travaux réalisés. La France, elle, a multiplié les dispositifs de financements des travaux de rénovation afin que chaque propriétaire public ou privé dispose d'une aide adaptée en fonction de ses ressources. Parmi ces aides, on peut citer l'éco-prêt à taux zéro (PTZ), le crédit d'impôt pour la transition énergétique, le taux réduit de TVA pour les travaux de rénovation ou encore les aides de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH). Le projet de loi crée de nouveaux outils : sociétés de tiers-financement ou fonds de garantie de la rénovation énergétique dont les ressources restent à définir.

En complément sera constitué un fonds de la transition énergétique doté de 1,5 milliard d'euros sur trois ans ; on ignore toujours comme il sera financé. Les autres ressources évoquées consistent en des enveloppes existantes qui seront fléchées vers la transition énergétique aux dépens d'autres investissements. C'est le cas des 5 milliards d'euros de prêts de la Caisse des dépôts destinés aux collectivités territoriales pour l'isolation des bâtiments, de la mobilisation d'une part du programme des investissements d'avenir et des programmes européens ou encore des prêts de la Banque publique d'investissement en faveur des entreprises. Ces mesures, aussi bienvenues qu'elles soient, risquent d'être insuffisantes pour atteindre les objectifs très ambitieux fixés par le texte.

Après le titre premier et les objectifs, dont nous débattrons longuement en séance, le titre II, traite des bâtiments. Ce volet du texte est fondamental à considérer son nombre d'articles, qui est passé de 6 à 30 à l'Assemblée nationale, et les amendements qu'il inspire.

Le projet fixe deux objectifs symboliquement forts, dont nous savons d'emblée qu'ils ne seront pas faciles à respecter : la rénovation de 500 000 logements par an à partir de 2017 ; la rénovation avant 2030 des bâtiments privés résidentiels consommant plus de 330 kilowattheures d'énergie primaire par mètre carré et par an, les fameuses « passoires énergétiques ».

Professionnels et associations de défense du patrimoine s'inquiètent de l'obligation d'isoler par l'extérieur des bâtiments et de la possibilité de déroger aux règles d'urbanisme pour y parvenir prévues aux articles 3 et 5. Pour les apaiser, redonnons à l'autorité administrative chargée de délivrer le permis de construire la possibilité de déroger aux règles d'urbanisme et levons l'obligation d'isoler par l'extérieur.

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