Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, malgré les difficultés traversées par le secteur du transport aérien depuis plusieurs années, le poids économique de ce secteur en France est suffisamment important pour que l’on s’interroge sur les défis de compétitivité auxquels il est confronté.
En effet, le transport aérien, en englobant les compagnies, les aéroports et les services de navigation aérienne, représente un million d’emplois, dont environ 300 000 emplois directs. Au cours des dernières décennies, le secteur a connu des mutations importantes, notamment sur le plan technologique, lui permettant de répondre à la hausse continue du trafic de passagers.
Les grandes compagnies européennes se sont inscrites dans ce mouvement. Comme vous le savez, mes chers collègues, des compagnies comme Air France-KLM, British Airways ou encore Lufthansa ont amélioré leur offre pour faire face à la concurrence, en nouant des alliances ou en constituant de grandes plateformes de redistribution du trafic, les hubs.
Bien que ces grandes compagnies européennes, dites « de pavillon », aient consenti des investissements considérables, elles sont néanmoins de plus en plus fragilisées. Sur les petits trajets, elles doivent faire face à la concurrence féroce des compagnies à bas coût, les fameuses compagnies low cost, mais elles sont aussi confrontées, désormais, à l’offensive des compagnies du Golfe sur les vols long-courriers.
Ces difficultés sont régulièrement soulignées dans des rapports aux titres parfois très explicites, à l’image de celui du Commissariat général à la stratégie et à la prospective remis au Premier ministre en 2013 et intitulé Les Compagnies aériennes sont-elles mortelles ?
Sans engager ce très vaste débat, on peut s’interroger sur les dérives liées à ce contexte fortement concurrentiel, qui contribuent à une certaine opacité des règles du marché. Je pense par exemple à la question, déjà évoquée, du dumping social. Des compagnies désormais bien identifiées élaborent sans cesse des stratégies pour minimiser le coût de la main-d’œuvre et contourner les règles sociales.
La France a depuis longtemps mis en avant la notion de « base d’affectation », considérant que les personnels navigants des compagnies aériennes sont rattachés au régime de sécurité sociale de l’État au sein duquel se trouve leur base d’affectation, soit le lieu où ils commencent et terminent leur service. L’Europe a fini par reconnaître ce principe, et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne l’a confirmé.
Toutefois, depuis lors, pour échapper à cette réglementation, des compagnies pratiquent de faux détachements ou recrutent des travailleurs indépendants par le biais de filières complexes, faisant intervenir des sociétés d’intérim et des cabinets d’experts-comptables pour brouiller les pistes.
Je n’oublie pas, bien sûr, les stratégies d’optimisation fiscale, tendant à minorer le bénéfice des compagnies qui les mettent en œuvre. Certaines encaissent les aides publiques, tandis que leurs flottes sont gérées par des entreprises installées dans les paradis fiscaux, parfois très proches de chez nous. Et ce ne sont que quelques exemples des montages peu scrupuleux de compagnies qui, certes, proposent des tarifs compétitifs aux consommateurs, mais qui le font au mépris du droit du travail et des règles de la concurrence.
Un autre sujet important a été évoqué par plusieurs de mes collègues. Il s’agit des larges subventions accordées par les États du Golfe à leurs compagnies nationales.
Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que le gouvernement français refuse d’attribuer des droits de trafic supplémentaires aux compagnies du Golfe tant que n’auront pas été établies des conditions de concurrence équitables et davantage de transparence financière. Je sais aussi qu’un dialogue européen est engagé sur ce dossier. J’espère que nous pourrons avancer, d’autant qu’il semble impossible d’occulter plus longtemps la position des aéroports français, qui se satisfont, de leur côté, du positionnement régional des compagnies du Golfe.
Enfin, je souhaitais évoquer un dernier sujet : la transparence due également aux consommateurs, puisqu’ils achètent leurs billets. Sur ce point, beaucoup de compagnies, pour ne pas dire toutes, abusent, où qu’elles soient, de ce que l’on appelle les « prix personnalisés ».
La pratique du yield management, soit la gestion de rendement, est une arme de tarification qui a le don de compliquer les comparaisons pour l’acheteur. Comme vous le savez, mes chers collègues, il s’agit d’instaurer des grilles tarifaires très volatiles, dépendant par exemple du taux d’occupation de l’avion, du type de clientèle ou encore du jour de la semaine.
Le développement d’internet a offert un tremplin à ces prix personnalisés. Si certains consommateurs peuvent s’y retrouver, disons clairement que c’est un moyen pour l’entreprise d’évaluer au plus près la « disponibilité à payer » du client.
Cette évolution du prix unique vers des prix individualisés pose donc une question de transparence. Dans ce système, le client perd un peu le fil de l’information sur son prix, ce qui peut in fine aboutir à renforcer des positions dominantes en faussant les règles de concurrence au niveau de l’achat de billets.
C’est pourquoi, si je souscris naturellement aux principes consistant à protéger les compagnies les plus vertueuses en matière de droit du travail ou de posture fiscale, il est souhaitable de demander à ces mêmes compagnies d’offrir, elles aussi, des garanties de transparence quant à la formation de leurs prix pour les consommateurs.
Puisqu’il est question de transparence, incitons également les aiguilleurs du ciel à pratiquer cette transparence. Ainsi, les arrêts de travail qui ne sont rien d’autre que des grèves perlées ne doivent pas être masqués par des avaries techniques ou des aléas climatiques. Le consommateur est en droit de savoir ce qui se passe dans une tour de contrôle. Ce n’est pourtant pas le cas aujourd'hui !