Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au-delà des mots, au-delà des volontés, il existe des réalités. Au sein des territoires, qui constituent la richesse de notre pays, ces réalités sont vécues, perçues et relayées par les élus locaux que nous représentons ici. Le territoire s’apprend, se défend, s’invente et se réinvente. Il est le cœur de l’identité. Le territoire est un lieu de vie, de pensée et d’action : il est marqué par une identification.
La décision du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014 est apparue comme extrêmement dure pour nos territoires, notamment les territoires ruraux. Seule reste en vigueur, après cette décision, la règle de représentation démographique. Pis, si l’on traduit concrètement cette décision, le conseil communautaire ne serait qu’une réunion du conseil municipal de la ville-centre, dans son intégralité. Si un maire d’une commune rurale ne peut être présent à un conseil communautaire, personne ne sera là pour le remplacer, personne ne représentera la ruralité dans le conseil communautaire.
Monsieur le secrétaire d'État, chacun d’entre nous sait ici que, dans un contexte de baisse drastique des dotations aux collectivités, les orientations politiques et budgétaires des conseils communautaires seront essentiellement en faveur du territoire urbain. Nous devons éviter qu’une décision constitutionnelle ne cristallise de plus en plus notre organisation territoriale et politique autour d’une France urbaine, au détriment de la France rurale. Voici une réalité territoriale : la France se fracture de plus en plus, entre les territoires urbains et ruraux. Je ne fais ici aucune opposition entre l’urbain et le rural, mais j’indique simplement une réalité dont les maires du département de l’Eure me témoignent.
Mes chers collègues, je salue l’initiative qui a été prise avec cette proposition de loi, qui permet aux communes de déroger au principe de proportionnalité démographique pour les sièges de conseillers communautaires en autorisant l’accord local de représentation. En première lecture, le Sénat s’est attaché à renforcer l’encadrement de l’accord local proposé pour resserrer les écarts à la proportionnelle démographique. Je me réjouis que l’Assemblée nationale ait poursuivi la démarche sénatoriale, sur la base de l’avis du Conseil d’État saisi par le Premier ministre.
En 2010, j’avais accueilli avec beaucoup de soulagement – j’étais alors maire d’une commune rurale du département de l’Eure – les accords dérogatoires prévus par la loi de décembre 2010. J’ai également salué les améliorations apportées par la proposition de loi d’Alain Richard en 2012. Or la décision du Conseil constitutionnel de juin 2014 place les élus locaux dans une situation plus que particulière. En effet, ce sont les élus locaux qui construisent les intercommunalités sur la base d’accords locaux, qui tendent à introduire plus de justice dans la représentation des communes dans le conseil communautaire, dans la concertation et dans l’intérêt de leur territoire. Dans le département de l’Eure, où je suis élue, près de 80 % des intercommunalités ont conclu de tels accords.
Les élus locaux sont également dans une situation paradoxale, entre une décision du Conseil constitutionnel qui restreint leurs initiatives sur la création d’intercommunalités et une réforme territoriale présentée par le Gouvernement qui tend à confier aux intercommunalités de nouvelles compétences et donc à accroître leur poids dans l’organisation territoriale. Un peu de clarté pour nos élus locaux est, me semble-t-il, nécessaire. C’est pourquoi la proposition de loi va dans le bon sens. Laissons les initiatives locales se faire ! Laissons les élus locaux former les intercommunalités telles qu’ils les perçoivent et les vivent !
J’ai écouté attentivement la position du Gouvernement mardi soir, à l’occasion de la discussion générale sur la proposition de loi constitutionnelle du président Gérard Larcher et de Philippe Bas. Monsieur le secrétaire d'État, je n’ai pas saisi, encore une fois, la cohérence de votre ligne et celle du parti socialiste. Pourquoi être favorable à une proposition de loi autorisant l’accord local de représentation des communes membres d’une intercommunalité, qui n’a pas d’autre objectif que celui de déroger au seul critère démographique de représentativité, et émettre dans le même temps un avis défavorable sur une proposition de loi constitutionnelle qui souhaite inscrire cela dans la Constitution ?
Permettez-moi de m’interroger ! À l’heure où de nombreux socialistes prétendent qu’il n’existe que des réformateurs et des conservateurs, n’est-ce pas réformateur que de vouloir aller au-delà des conseils communautaires ? N’est-ce pas réformateur que de vouloir inscrire dans la Constitution les notions figurant dans le présent texte pour sortir enfin de cette simple règle arithmétique ? N’est-ce pas conservateur que de dire oui aux conseils communautaires et non à la prise en compte constitutionnelle des territoires ?
En ce temps de crise économique, de crise morale et de crise politique, je pense que, au-delà du conservatisme et du réformisme, il nous faut faire preuve de courage politique. Du courage politique, monsieur le secrétaire d'État, il en faut pour aller au bout des réformes ! Voilà pourquoi j’apporterai mon soutien à l’ensemble de la proposition de loi.