Intervention de Jean-Louis Malys

Commission des affaires sociales — Réunion du 9 octobre 2013 : 2ème réunion
Avenir et justice du système de retraites — Table ronde avec les partenaires sociaux syndicats de salariés

Jean-Louis Malys, secrétaire national de la CFDT :

Je remercie la commission des affaires sociales du Sénat pour son invitation.

Nous considérons globalement que la réforme a atteint un certain équilibre, mais il existe des améliorations importantes à y apporter.

L'ambition du syndicalisme, selon la CFDT, est d'améliorer concrètement la situation des salariés et des retraités. Nous dépassons ainsi les postures et les slogans rarement efficaces, et essayons d'obtenir des résultats. C'est pourquoi nous sommes pleinement engagés depuis longtemps dans la concertation qui, selon nous, a démarré à l'issue de la conférence sociale de 2012.

Au cours de celle-ci, nous avons pesé sur plusieurs aspects et en sommes fiers. Nous sommes tout d'abord intervenus à propos de mesures de justice prévues par ce texte qui, pour certaines, ont été demandées depuis longtemps et sont, d'après nous, significatives.

En second lieu, nous avons souhaité que les mesures de financement soient limitées, notamment concernant l'allongement de la durée de cotisation.

Je l'ai dit à d'autres occasions : si une réforme des retraites était indolore et incolore, cela fait longtemps qu'on le saurait ! Une telle réforme est forcément douloureuse, et réclame des efforts. Le problème est de savoir qui les fournit, la façon dont ils sont répartis et s'ils sont justes.

Nous considérons que le mode de pilotage doit sortir de la vision exclusivement financière des grands équilibres. Il faut porter un regard qualitatif, et savoir qui finance. De ce point de vue, la question des prestations définies est d'une grande hypocrisie. On parle de 50 % du salaire plafonné, alors que tout le monde sait que c'est 43 % et que certaines mesures, introduites depuis des années, ont déjà modifié ce niveau !

La dimension systémique des évolutions contenues dans ce projet de loi est réelle, même si nous pensons qu'elle ne va pas suffisamment loin pour rapprocher les régimes des assurés concernés. Un des grands problèmes de notre système de retraite réside aujourd'hui dans le nombre croissant de polypensionnés : plus de 40 % des salariés qui liquident leur retraite ont déjà cotisé à plusieurs régimes -et ce phénomène va continuer à s'accroître. Or, il est anormal que des dispositifs de retraite pénalisent les mobilités. On ne peut effacer toutes les inégalités, mais il est scandaleux que le système aggrave la situation de certains salariés, en particulier les femmes !

En 2010, la CFDT a tenu un congrès, juste avant la réforme précédente. Nous avions à l'époque défendu trois axes...

Le premier concernait les conditions de l'harmonisation des régimes, qui passe par un examen en profondeur des carrières et des rémunérations dans les fonctions publiques -intégration des primes, etc. Il est illusoire de parler d'unification des régimes si on n'aborde pas ces questions avec les agents concernés. C'est un peu la même chose en matière de pénibilité, le système actuel ne traite pas de tous les facteurs de pénibilité, ni du cas de tous les fonctionnaires.

Le deuxième axe concernait la durée de cotisation. La CFDT ne demande pas d'allongement, mais si des efforts sont à faire sur les carrières, nous pensons qu'agir sur la durée de cotisation est plus juste que de décaler l'âge de la retraite, puisque ce sont les salariés les plus modestes qui sont dans ce cas pénalisés, ceux qui ont commencé à travailler jeunes ou qui ont des carrières plates.

Si nous considérons la durée de cotisation comme le critère le plus juste, nous sommes en revanche opposés à toute accélération de l'allongement de la durée de cotisation. Cela signifie que la règle de 2003, qui estimait que deux tiers de la vie devait être consacrés au travail et un tiers à la retraite, doit être maintenue. Il nous paraît juste que les futures générations passent plus de temps à la retraite que leurs aînés. On peut espérer qu'ils passeront également plus de temps au travail !

Aujourd'hui, la fin des études est en moyenne comprise entre 21 et 22 ans. Le premier emploi débute en moyenne à 22-23 ans. Deux phénomènes arrivent ensuite en même temps, et sont souvent confondus. Le premier concerne les contrats à durée indéterminée (CDI) : beaucoup de jeunes traversent en effet des périodes de précarité avant de trouver un premier emploi stable, et il faut le combattre. Le second phénomène n'a rien à voir avec le premier ; il s'agit des jeunes qui poursuivent des études longues -grandes écoles, etc.- jusqu'à 28-29 ans. Or, on parle des jeunes, comme si tous les parcours étaient identiques. Selon nous, un système de retraite intelligent et juste doit tenir compte de cette diversité !

Le troisième axe est relatif au financement de la protection sociale. Nous considérons qu'il faut être cohérent par rapport aux risques couverts. Nous sommes donc favorables au fait que les droits qui portent principalement sur une logique contributive et assurantielle soient basés sur une cotisation sur le travail. D'autres droits, dits universels, comme la famille, la maladie et la perte d'autonomie, nécessitent un financement plus large. Nous estimons qu'il convient que tous les revenus, dont ceux du capital et du patrimoine, financent ces aspects.

C'est pourquoi nous sommes opposés à une augmentation de la CSG en vue de financer l'assurance vieillesse, même si le système de retraite comporte des éléments de solidarité.

Nous revendiquons le fait d'avoir réclamé depuis de nombreuses années un certain nombre de mesures de justice qui ont été prises. La première a trait à la question du compte de prévention de la pénibilité. Nous insistons sur la dimension de prévention que comporte ce compte, ne serait-ce que grâce aux six premiers mois consacrés à la formation. Il faut éviter que les salariés ne soient prisonniers de la pénibilité, ou qu'un dispositif ne les contraignent ou ne les incitent à y demeurer. On doit à la fois reconnaître les périodes de pénibilité, en réduisant la carrière de ces salariés, mais également mettre en place des dispositifs permettant aux salariés d'en sortir.

La CFDT se bat depuis 2003 pour qu'un dispositif prenne en compte cette situation. C'est une conquête sociale majeure. Nous pensons que ce système, lorsqu'il connaîtra son rythme de croisière, sera très proche de ce que nous espérions.

La question de la transition pour les salariés les plus âgés particulièrement exposés pose cependant un problème sur lequel je reviendrai...

La validation des périodes d'apprentissage constitue une demande fort ancienne de la CFDT et de plusieurs organisations de jeunesse. Le fait que les temps d'apprentissage et d'alternance soient pris en compte constitue pour nous une avancée sociale majeure...

La réduction de 200 à 150 Smic horaires du seuil de validation d'un trimestre, même si elle est techniquement compliquée à expliquer, est une mesure de justice, qui va en direction des salariés précaires ou à temps partiel. Cette mesure bénéficiera principalement aux jeunes et aux femmes, catégories aujourd'hui les plus touchées par le temps partiel et les emplois précaires.

L'accord national interprofessionnel que nous avons signé en début d'année, et qui a été transposé dans la loi, comportait des mesures destinées à augmenter le minimum d'heures de temps partiel. Nous pensons que tout ceci est assez cohérent.

Les carrières longues sont globalement maintenues et améliorées, alors que la loi de 2010 sonnait leur extinction. La CFDT a également été à l'origine du dispositif pour carrières longues, ce qui est une excellente chose !

Enfin, une amélioration du minimum contributif a été mise en place pour les retraités les plus modestes. Nous nous en félicitons. Les droits des personnes handicapées et de leurs aidants sont également renforcés.

Nous considérons toutefois que le financement de la réforme des retraites est déséquilibré depuis la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale. La CFDT était opposée à une augmentation de la CSG, qui doit être réservée aux risques universels -famille, maladie, perte d'autonomie.

Cependant, le Gouvernement a fait le choix d'une hausse de cotisations salariales et patronales qui aurait pu être équilibrée, sans la compensation intégrale de l'effort des employeurs annoncée récemment. Cette compensation se traduira par une baisse de la cotisation famille, elle-même compensée par le budget de l'Etat qui repose principalement sur des prélèvements sur les ménages. Ce transfert a été décidé alors même que les travaux du Haut conseil du financement de la protection sociale ne sont pas terminés. Ils avaient pourtant été annoncés par le Premier Ministre.

Nous considérons qu'il s'agit là d'une politique de gribouille. Tout ceci manque de clarté et de visibilité.

Nous souhaitons des améliorations significatives lors du débat parlementaire, notamment sur les basses pensions, la pénibilité, la prise en compte des périodes de stages et les droits familiaux de retraite. Nous continuons à affirmer la nécessité d'une réforme systémique de nos systèmes de retraite.

La CFDT considère par ailleurs qu'il est d'autant plus important de préserver les retraités modestes que les retraites de base constituent une part majeure de leur pension.

Le projet de loi prévoit un recul de six mois de la revalorisation des pensions au 1er octobre, sauf pour les bénéficiaires du minimum vieillesse. Cette mesure ne protège qu'un tiers des retraités qui vivent sous le seuil de pauvreté. Nous considérons que tous ceux-ci devraient être exonérés de cet effort. Nous demandons que les bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) soient protégés, ainsi que tous ceux qui bénéficient du minimum contributif ou du minimum garanti dans les fonctions publiques.

Nous demandons également la prise en compte effective de la situation des salariés en fin de carrière toujours exposés à la pénibilité, ainsi que diverses améliorations du compte pénibilité. Le compte pénibilité sera ouvert à partir du 1er janvier 2015 à tous les salariés du privé exposés à un ou plusieurs facteurs de risque. Il leur permettra d'acquérir des droits nouveaux, pour se former en vue d'une reconversion, ou partir à la retraite plus tôt. Le projet de loi prévoit la possibilité d'un dispositif transitoire pour certains salariés en fin de carrière, âgés d'au moins 52 ans au 1er janvier 2015. Le texte renvoie à des décrets pour définir l'acquisition des droits pour les personnes concernées. Le barème prévu par le Gouvernement est très restrictif et laisserait de nombreux salariés exposés dans le passé sans compensation.

La CFDT demande le maintien d'un dispositif transitoire à partir de 52 ans, et surtout l'amélioration du barème d'acquisition des droits dans le dispositif transitoire -jusqu'à quatre trimestres pour les salariés nés en 1954. Les droits doivent être d'autant plus importants que l'exposition à la pénibilité a été longue et que les salariés concernés sont âgés.

Les autres demandes d'amélioration du compte pénibilité concernent les salariés non titulaires de la fonction publique, qui ne bénéficient ni du service actif, ni du compte de prévention de la pénibilité.

Enfin, nous pensons que ceux qui bénéficieront du compte pénibilité devraient pouvoir disposer d'une pension à taux plein, avec une durée de carrière minimum de trente ans, afin d'éviter les effets d'aubaine, se rapprochant ainsi du dispositif pour carrières longues.

Nous pensons également qu'il faut élargir le compte pénibilité pour compenser tout ou partie des éventuels différentiels de rémunération des salariés qui quittent l'activité concernée.

S'agissant des stages rémunérés, la gratification minimale de 436 euros par mois fait l'objet d'une exonération de cotisations sociales. Les jeunes qui effectuent ces stages ne bénéficient donc d'aucun trimestre pour la retraite, contrairement à ceux dont les stages sont rémunérés de plus de 1 000 euros, qui sont souvent les étudiants des filières les plus nobles. C'est un paradoxe qu'il faudrait réexaminer.

L'amendement du Gouvernement introduit à l'Assemblée nationale permet de constituer des droits, avec un rachat de 300 euros par trimestre, dans la limite de deux trimestres rachetés. C'est un premier pas intéressant, mais il nous semble qu'il faut aller plus loin, en particulier pour ceux qui enchaînent stage sur stage avant de signer un contrat de travail.

Pour permettre aux stagiaires rémunérés de valider au moins un trimestre pour quatre mois de cotisation, nous demandons la suppression de l'exonération de cotisation vieillesse jusqu'à la gratification minimale. Il faut également prévoir des modalités spécifiques pour les stages à l'étranger, de plus en plus nombreux chez les jeunes.

Enfin, nous souhaitons l'inscription dans la loi d'une date de lancement de la refonte des droits familiaux de retraite, avant 2020. On parle beaucoup des retraites des femmes. La question de la redistribution des droits familiaux est centrale. Actuellement, le système profite principalement aux hommes et aux familles aisées. Il faut le redéployer. Le Premier ministre, dans son intervention, a repris cette idée. Elle l'est également dans l'exposé des motifs du projet de loi, mais elle n'est pas inscrite dans le projet de loi et ne comporte aucune date. Il faut enclencher cette mesure avant 2020, et que la loi le précise.

Enfin, c'est le Sénat qui avait, en 2010, introduit l'idée d'un rendez-vous pour engager cette année une réflexion sur la réforme systémique. La loi, en creux, a été respectée. Tous les syndicats, même ceux qui ne partagent pas cette idée, abordent le sujet. Nous pensons que ce point mérite d'être travaillé. Dans quelques années, il sera insupportable qu'il existe des régimes aussi différents et aussi peu lisibles pour les citoyens et les salariés. Cela doit se faire dans le cadre d'une vraie concertation, en prenant en compte l'intérêt de tous, sans stigmatiser personne. Nous souhaitons donc que cette réflexion soit actée dans la loi.

Seule la question du financement de la protection sociale, qui nous paraît essentielle, semble ne pas avoir été assez approfondie. Il faut clarifier les choses. En cas de compensation des cotisations retraite des employeurs, nous souhaitons que les salariés soient également protégés !

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