Intervention de Pierre Roger

Commission des affaires sociales — Réunion du 9 octobre 2013 : 2ème réunion
Avenir et justice du système de retraites — Table ronde avec les partenaires sociaux syndicats de salariés

Pierre Roger, délégué national du secteur protection sociale de la CFE-CGC :

Nous considérons que la réforme des retraites était effectivement nécessaire. La protection sociale est un secteur éminemment structurant pour la société française. Dès lors que l'on touche à cet élément, on envoie des signaux à la population sur de nouveaux repères, dans une société qui en perd beaucoup.

Il s'agit de la quatrième réforme ; imprudemment, certains gouvernements ont assuré qu'il s'agirait de la dernière. Or, on sait aujourd'hui que ce ne sera pas le cas, et ceci provoque dans la population un sentiment d'inquiétude et de méfiance vis-à-vis de ceux qui ont en charge le traitement de ces dossiers, rendant plus difficile l'acceptation d'une telle réforme.

Pour qu'une réforme soit acceptée, il faut qu'elle génère un sentiment de justice et d'équité, même si on a toujours tendance à penser que c'est à l'autre d'accomplir les efforts. Un des premiers reproches que l'on peut adresser à cette réforme est qu'elle n'est pas juste, toutes les catégories n'étant pas touchées de la même manière. Si on peut constater quelques avancées, elle ne va cependant pas au fond des choses.

Si ce projet de loi est accepté en l'état, l'équilibre du régime est prévu pour 2017, avec un taux de chômage de 7 %. Or, celui-ci dépasse aujourd'hui les 10 % ! On peut donc être méfiant...

Un jeune de trente ans a, en moyenne, huit à dix trimestres de cotisations de moins aujourd'hui qu'il y a dix ans. Certaines avancées ont été réalisées, notamment en matière de stage et d'apprentissage, mais cela ne touche pas toutes les catégories socioprofessionnelles.

On sait que la performance des entreprises et la compétitivité de notre pays passent désormais par des jeunes formés, encadrés. Avec un taux de cotisations de 43 ans, beaucoup de jeunes qui constitueront demain les cadres de nos futures entreprises n'auront pas les annuités nécessaires pour prendre leur retraite. Cette réforme ne le dit pas, mais elle entérine une baisse des pensions à terme. Beaucoup de salariés qui partent aujourd'hui à la retraite ont connu les Trente Glorieuses et ont des carrières relativement complètes. On compte parmi elles relativement peu de décotes. Dans le futur, on est certain qu'il n'y aura plus de surcotes, et on peut craindre des baisses de pension importantes, toutes catégories sociales confondues.

Le Gouvernement avait envisagé la possibilité d'un rachat d'un certain nombre de trimestres sur cinq à dix ans, cette durée correspondant aux périodes d'études. Nous souhaitons que cette capacité soit portée à huit trimestres sur quinze ans, au prix du SMIC, soit 1 000 euros environ, ce rachat étant dans les conditions actuelles matériellement impossible pour un jeune. La mesure est donc marginale, et n'atteint pas sa cible : la population qui aura fait des études est donc lésée.

Injuste, ce projet l'est également pour les seniors. Parmi eux, un certain nombre souhaite continuer à travailler pour obtenir une surcote. A l'inverse, les entreprises se séparent plus tôt des seniors. Passé 50 ans, le parcours professionnel devient aujourd'hui extrêmement compliqué. On est vite mis sur la touche, et incité au départ. Nombre de ruptures conventionnelles se font avec la complicité des seniors, qui ont souvent la chance d'avoir tous leurs trimestres, sans pour autant donner lieu à l'embauche de jeunes. Le problème ne peut que s'accélérer, car on imagine mal les entreprises proposer des parcours professionnels, des mobilités et des formations à des salariés ayant dépassé 60 ans -à moins d'un véritable changement de culture.

On se dirige vers une baisse du niveau de vie des retraités, même si les plus basses pensions sont pondérées. Globalement, les retraités de la classe moyenne vont subir une profonde attaque. Rappelons que les retraités acquittent un supplément de cotisation de 0,3 % au titre de la dépendance depuis le 1er avril dernier. Pour ce qui est des retraites complémentaires, une désindexation des pensions a été entérinée pour trois ans. On reporte en outre la revalorisation des retraites de base d'avril à octobre.

On connaît le poids des retraités dans la consommation et l'économie française, ainsi que leur rôle d'aide à la famille -quand ils n'ont pas eux-mêmes des ascendants à charge. On prend là le risque de paupériser une population qui constitue un socle important de notre société.

La pénibilité est, par ailleurs, un sujet et important. Nous regrettons que son champ n'ait pas été étendu aux risques psychosociaux. Plus personne ne peut nier qu'un certain nombre de facteurs sont liés à la pénibilité : travail de nuit, travaux physiques, etc. On entend régulièrement parler de burn-out, et le suicide n'est plus un sujet tabou. Malheureusement, ce critère n'a pas été pris en compte, malgré le fait qu'il concerne beaucoup de monde, toutes catégories sociales confondues.

Selon le texte, c'est l'employeur qui définit le niveau de pénibilité de chaque poste. Il me semble que ceci devrait plutôt être réalisé en commun avec des organismes comme les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). C'est un domaine où la concertation est nécessaire, afin qu'un seul acteur ne soit pas tenté de définir des critères minimums.

On n'a pas évoqué le problème, quelque peu pervers, du cumul emploi-retraite. Les pensions de réversion sont aujourd'hui conditionnées par les plafonds de ressources et concernent surtout les femmes. Les textes prévoient l'impossibilité du cumul. Nous demandons un déplafonnement des réversions, afin d'éviter toutes difficultés en ce domaine.

Quant au financement, celui-ci ne correspond pas aux ambitions que devrait afficher un texte de cette nature. Mes collègues l'ont déjà évoqué : contrairement aux salariés, les entreprises sont exonérées de tout effort, au titre de la compétitivité. Même si on peut le comprendre, la compensation va nécessairement devoir être réalisée via l'impôt ou au travers de cotisations salariées supplémentaires.

On ne peut espérer relancer ainsi l'économie et le pouvoir d'achat. On ne traite aujourd'hui que des conséquences d'une situation économique. La véritable solution consiste à fournir du travail à un plus grand nombre de salariés, qui pourront ainsi davantage cotiser. C'est la raison pour laquelle nous avions proposé une cotisation sociale sur la consommation. Nous sommes en effet persuadés qu'on ne peut plus raisonner sur des taxations ou des cotisations basées uniquement sur le salaire. La mondialisation oblige nos entreprises à être compétitives. Nous souhaiterions que cette cotisation fasse l'objet d'une réforme ambitieuse ; elle permet d'augmenter les cotisations vieillesse, d'abaisser les cotisations des entreprises et des salariés, et faire en sorte que les importations supportent une partie des charges imputables aux salariés et aux entreprises.

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