Intervention de Anne Lavigne

Commission des affaires sociales — Réunion du 9 octobre 2013 : 3ème réunion
Avenir et justice du système de retraites — Table ronde avec des économistes

Anne Lavigne, professeur de sciences économiques à l'université d'Orléans :

Le préambule du projet de loi présente une réforme structurante avec trois objectifs essentiels : assurer la pérennité des régimes de retraite, rendre le système plus juste et le simplifier tout en renforçant sa gouvernance. Je pense que le texte contient de réelles avancées sur le deuxième point, mais j'ai un avis plus mitigé sur le premier et le troisième.

A mes yeux, il ne s'agit ni d'une réforme structurelle ni, pour utiliser un langage économique, d'une réforme systémique. Alors qu'on oppose habituellement capitalisation et répartition dans l'organisation des systèmes de retraites, le projet concerne la répartition et ne déplace pas le curseur vers la capitalisation.

Toute réforme structurelle se doit d'aborder deux perspectives : la méthode d'acquisition des droits, c'est-à-dire le caractère contributif ou non du système, et la façon dont les droits sont traduits, où il faut distinguer régimes en annuités comme les régimes de base aujourd'hui, régimes par points comme pour les retraites complémentaires, et les comptes notionnels tels qu'ils existent à l'étranger.

Au contraire, le projet de loi constitue un ajustement paramétrique qui porte essentiellement sur la durée de cotisation, de manière directe par son allongement et de manière incidente par la prise en compte de la pénibilité. Il y a également un ajustement des taux de cotisation ainsi que le décalage d'avril à octobre de la revalorisation des pensions, qui joue sur la générosité du système.

Pour les économistes, la distinction entre le taux de cotisation patronal et le taux de cotisation salarial n'est pas essentielle. Ce qui importe pour le salarié est le salaire net, tandis que ce qui importe pour l'employeur est le coût global du travail. On cherche toujours à présenter un partage des efforts entre ces deux parties, mais au final le poids de la réforme est porté par celui qui n'a pas les moyens de répercuter la hausse des cotisations.

Un point positif de cette réforme est qu'elle prévoit suffisamment longtemps à l'avance l'allongement de la durée de cotisation, en anticipant la hausse de l'espérance de vie pour les générations à venir.

La question de la pénibilité est apparue en France au début des années 2000, avec notamment le rapport Struillou de 2003, puis des négociations entre partenaires sociaux qui n'ont pas abouti. Je suis réservée sur la prise en compte de la pénibilité dans le système de retraites. Le projet de loi comporte un mécanisme de prévention de la pénibilité : le droit social doit le prévoir, mais son articulation avec la retraite me semble délicate. Dix-sept pays de l'OCDE ont des dispositions similaires qui concernent principalement les régimes spéciaux tandis que certains d'entre eux comme le Japon, l'Allemagne et la Finlande ont abandonné, dans leurs régimes généraux, cette prise en compte.

Dans une perspective historique, il faut rappeler que la création des régimes spéciaux est liée à l'exercice de métiers pénibles. Aujourd'hui, on peut se demander si la prise en compte de la pénibilité dans le régime général justifie encore le maintien de ces régimes spéciaux.

Les mesures de justice sociale vont dans le bon sens, notamment celles qui concernent les femmes et qui portent sur les carrières heurtées et les bas niveaux de salaire. Toutefois, les régimes de retraites ne peuvent pas résoudre toutes les inégalités. Leurs causes sont plus profondes et ne disparaîtront pas avec ce texte.

En matière de lisibilité et de pilotage, l'annonce précoce des réformes alors que leurs effets se feront sentir à long terme est une avancée. Le développement de l'évaluation comble une lacune traditionnelle française, tout comme l'information des polypensionnés.

Selon moi, il n'y avait pas d'urgence à faire cette réforme aujourd'hui. Les deux principaux problèmes de notre système de retraites sont le passage à la retraite de la génération du baby-boom et l'augmentation de l'espérance de vie. Pour surmonter le premier, un instrument spécifique avait été créé : le fonds de réserve des retraites (FRR). Quant à la hausse tendancielle de l'espérance de vie, je pense qu'il faut la gérer par une réforme systémique instaurant des comptes notionnels, comme l'ont fait plusieurs pays étrangers, parmi lesquels la Suède et l'Italie.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion