Commission des affaires sociales

Réunion du 9 octobre 2013 : 3ème réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • FRR
  • espérance
  • pénibilité
  • âge

La réunion

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Au cours d'une deuxième réunion tenue dans l'après-midi, la commission organise une table ronde avec des économistes sur le projet de loi n° 1376 (AN-XIVe) garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Jean-Hervé Lorenzi, qui devait initialement participer à cette table-ronde, a eu un empêchement de dernière minute. Nous recevons donc Henri Sterdyniak, directeur du département économie de la mondialisation de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ; Catherine Mills, maître de conférences en sciences économiques à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Anne Lavigne, professeur de sciences économiques à l'université d'Orléans.

Recueillir le point de vue d'économistes d'horizons différents a semblé, à notre rapporteure Christiane Demontès et à moi-même, pouvoir éclairer notre réflexion sur la réforme des retraites que nous examinerons bientôt.

Debut de section - Permalien
Anne Lavigne, professeur de sciences économiques à l'université d'Orléans

Le préambule du projet de loi présente une réforme structurante avec trois objectifs essentiels : assurer la pérennité des régimes de retraite, rendre le système plus juste et le simplifier tout en renforçant sa gouvernance. Je pense que le texte contient de réelles avancées sur le deuxième point, mais j'ai un avis plus mitigé sur le premier et le troisième.

A mes yeux, il ne s'agit ni d'une réforme structurelle ni, pour utiliser un langage économique, d'une réforme systémique. Alors qu'on oppose habituellement capitalisation et répartition dans l'organisation des systèmes de retraites, le projet concerne la répartition et ne déplace pas le curseur vers la capitalisation.

Toute réforme structurelle se doit d'aborder deux perspectives : la méthode d'acquisition des droits, c'est-à-dire le caractère contributif ou non du système, et la façon dont les droits sont traduits, où il faut distinguer régimes en annuités comme les régimes de base aujourd'hui, régimes par points comme pour les retraites complémentaires, et les comptes notionnels tels qu'ils existent à l'étranger.

Au contraire, le projet de loi constitue un ajustement paramétrique qui porte essentiellement sur la durée de cotisation, de manière directe par son allongement et de manière incidente par la prise en compte de la pénibilité. Il y a également un ajustement des taux de cotisation ainsi que le décalage d'avril à octobre de la revalorisation des pensions, qui joue sur la générosité du système.

Pour les économistes, la distinction entre le taux de cotisation patronal et le taux de cotisation salarial n'est pas essentielle. Ce qui importe pour le salarié est le salaire net, tandis que ce qui importe pour l'employeur est le coût global du travail. On cherche toujours à présenter un partage des efforts entre ces deux parties, mais au final le poids de la réforme est porté par celui qui n'a pas les moyens de répercuter la hausse des cotisations.

Un point positif de cette réforme est qu'elle prévoit suffisamment longtemps à l'avance l'allongement de la durée de cotisation, en anticipant la hausse de l'espérance de vie pour les générations à venir.

La question de la pénibilité est apparue en France au début des années 2000, avec notamment le rapport Struillou de 2003, puis des négociations entre partenaires sociaux qui n'ont pas abouti. Je suis réservée sur la prise en compte de la pénibilité dans le système de retraites. Le projet de loi comporte un mécanisme de prévention de la pénibilité : le droit social doit le prévoir, mais son articulation avec la retraite me semble délicate. Dix-sept pays de l'OCDE ont des dispositions similaires qui concernent principalement les régimes spéciaux tandis que certains d'entre eux comme le Japon, l'Allemagne et la Finlande ont abandonné, dans leurs régimes généraux, cette prise en compte.

Dans une perspective historique, il faut rappeler que la création des régimes spéciaux est liée à l'exercice de métiers pénibles. Aujourd'hui, on peut se demander si la prise en compte de la pénibilité dans le régime général justifie encore le maintien de ces régimes spéciaux.

Les mesures de justice sociale vont dans le bon sens, notamment celles qui concernent les femmes et qui portent sur les carrières heurtées et les bas niveaux de salaire. Toutefois, les régimes de retraites ne peuvent pas résoudre toutes les inégalités. Leurs causes sont plus profondes et ne disparaîtront pas avec ce texte.

En matière de lisibilité et de pilotage, l'annonce précoce des réformes alors que leurs effets se feront sentir à long terme est une avancée. Le développement de l'évaluation comble une lacune traditionnelle française, tout comme l'information des polypensionnés.

Selon moi, il n'y avait pas d'urgence à faire cette réforme aujourd'hui. Les deux principaux problèmes de notre système de retraites sont le passage à la retraite de la génération du baby-boom et l'augmentation de l'espérance de vie. Pour surmonter le premier, un instrument spécifique avait été créé : le fonds de réserve des retraites (FRR). Quant à la hausse tendancielle de l'espérance de vie, je pense qu'il faut la gérer par une réforme systémique instaurant des comptes notionnels, comme l'ont fait plusieurs pays étrangers, parmi lesquels la Suède et l'Italie.

Debut de section - Permalien
Henri Sterdyniak, directeur du département économie de la mondialisation à l'OFCE

Nous n'avons heureusement pas affaire à une réforme des retraites, mais simplement à un ajustement paramétrique d'importance limitée. On peut le déplorer, pour ma part je m'en réjouis. Le système français est l'un des plus généreux du monde. Il est très dangereux de vouloir le bouleverser, au risque de mettre en place un nouveau régime qui apporterait moins de garanties aux salariés et aux retraités et serait sans doute plus injuste. Un système par points s'équilibrerait automatiquement par la baisse du niveau des retraites tandis que les comptes notionnels demanderaient à chacun d'arbitrer entre l'âge de son départ à la retraite et le niveau de sa pension sans tenir compte des disparités professionnelles et des différences d'espérance de vie.

La question des retraites est secondaire en France : il faut plutôt s'interroger sur les moyens de retrouver la croissance et une industrie forte. Elle n'est pas urgente, grâce à notre démographie et à la générosité du système, et n'appelle que des ajustements. Le déficit actuel est important, mais est essentiellement la conséquence de la crise. C'est la raison pour laquelle il est au niveau qu'il aurait dû atteindre dans dix ans. Pour le combler, il faut diminuer les dépenses publiques ou promouvoir, à l'échelle européenne, une politique de croissance. Cette réforme vise essentiellement à rassurer les marchés financiers et la commission européenne.

Des points demeurent préoccupants. Le Gouvernement compte combler en partie le déficit prévisionnel de 20 milliards d'euros en 2020 en retardant l'indexation des retraites. C'est un tour de passe-passe étrange. Par ailleurs, alors que les majorations familiales de retraite vont être fiscalisées, il faut rappeler qu'elles sont financées par la caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) : il serait donc légitime que le produit de cette fiscalisation aille à la branche famille et non à l'assurance vieillesse.

Sur un déficit de 12 milliards d'euros, quatre proviennent de l'Agirc-Arrco. Le Gouvernement laisse les partenaires sociaux le résorber. Ils négocieront donc dans quelques années pour réduire le niveau des retraites. En parallèle, les régimes que l'Etat équilibre sont en déficit à hauteur de 8 milliards d'euros. Il y a donc une disparité de traitement choquante entre le public et le privé. Les salariés du privé subiront, à travers la baisse de leur retraite complémentaire, une diminution de leur pouvoir d'achat alors que les fonctionnaires seront épargnés. Il serait équitable que le Gouvernement aide l'Agirc-Arrco à faire face à ses déficits conjoncturels.

Les conséquences néfastes des réformes précédentes ne sont pas corrigées. L'âge de la retraite à taux plein passera bien à soixante-sept ans au lieu de soixante-cinq. Cette mesure touche particulièrement les femmes, dont les carrières sont courtes et qui ont peu de chances de retrouver un emploi après soixante-cinq ans. Le report du relèvement de l'âge du taux plein aurait été une mesure de justice.

Le point central de la réforme est la fixation de la durée de cotisation requise à pour la retraite à taux plein, à compter de la génération née en 1973. A trente ans, les personnes nées en 1950 avaient accumulé, en moyenne, onze années de cotisation. La génération née en 1978 n'a plus, au même âge, que sept années de cotisation derrière elle. Cette mesure qui s'appliquera dans vingt ans les pénalisera grandement par rapport à leurs ainés. J'espère qu'il s'agit avant tout d'une mesure d'affichage et qu'elle ne sera pas mise en oeuvre, après un réexamen de la situation et des droits acquis par ceux arrivant à la retraite en 2030. Il faudra tenir compte de la situation du marché du travail et de l'état de santé de la population : il est difficile de dire si le plein emploi sera atteint ou si le chômage de masse aura persisté.

Les marchés financiers ont été rassurés, mais pas les jeunes. Il faudrait prendre en compte les difficultés qu'ils rencontrent pour s'insérer et, dans l'idéal, créer une allocation d'insertion qui leur donnerait des droits pour la retraite. Comme dans certains pays scandinaves, la retraite à taux plein pourrait leur être donnée même s'ils n'ont pas soixante-sept ans sur la base de critères reposant sur leur activité professionnelle passée ou les difficultés qu'ils rencontrent pour se maintenir en emploi. La distinction doit être faite entre les cadres et les ouvriers dont l'espérance de vie est plus courte.

Les inégalités de genre doivent être combattues, par exemple en concentrant les majorations familiales de traitement sur les mères et de les rendre forfaitaires. Cela permettrait de combler une partie des écarts de pension entre les femmes et les hommes.

Je suis très favorable aux dispositions concernant la pénibilité. Les entreprises devront identifier les emplois pénibles, négocier et chercher à les faire disparaître. On peut regretter que ces mesures ne vaillent que pour l'avenir et qu'un mécanisme rétroactif permettant la reconstitution des carrières n'ait pas été prévu.

Le comité de surveillance des retraites peut être la meilleure comme la pire des choses. Il est inquiétant de constater qu'il ne sera composé que de cinq experts, sans doute des hauts fonctionnaires. C'est un recul de la démocratie sociale, qui ne donne pas l'élan souhaitable aux mesures à prendre pour aller vers la convergence des régimes.

Debut de section - Permalien
Catherine Mills, maître de conférences en sciences économiques à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Ce projet de loi est examiné au pas de course au Parlement, sans permettre qu'un véritable débat public ait lieu. Il se présente comme étant inoffensif, alors qu'il constitue la première étape de la marche vers une réforme systémique de grande ampleur. Il se concentre sur la réduction des dépenses sans le dire explicitement et fuit les questions de financement, qui sont reléguées au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2014.

Alors que ce texte prétend garantir l'avenir et la justice du système de retraites, il demande aux retraités et aux salariés de contribuer entre 2020 et 2035 à hauteur de 10 milliards d'euros contre seulement trois milliards pour les entreprises. Il augure d'un nouveau modèle social qui tourne le dos à celui issu de la Résistance et à notre système de sécurité sociale. Il met en place un plan de réforme extrêmement brutal de la politique familiale en réalisant le vieux rêve du patronat : réduire la part patronale des cotisations familiales en transférant son financement sur l'impôt des ménages. Les mesures envisagées traduisent une profonde méconnaissance de cette politique.

Je suis bien sûr d'accord pour corriger les inégalités entre les femmes et les hommes. Elles sont d'abord salariales, puisque le salaire des hommes est en moyenne 27 % plus élevé que celui des femmes. Les pensions des femmes ne représentent que 42 % de celles des hommes. L'augmentation du salaire des femmes et le développement de leur taux d'activité généreraient d'ailleurs d'importantes ressources supplémentaires pour la sécurité sociale. Toutefois, je ne pense pas que le rôle du système de retraites soit de corriger les inégalités fondamentales qui se situent en amont.

La politique familiale, sur la base du consensus de toutes les forces politiques à la Libération, bénéficie à toutes les familles, quelles qu'elles soient. Elle doit être universelle et venir en aide aux enfants, y compris dans les familles aisées. Les mesures envisagées vont remettre en cause le travail des femmes : ce sont les familles où chaque membre du couple touche un salaire qui vont être touchées.

Le texte du Gouvernement est injuste et inefficace. La question du financement va se reposer dans le futur. Plusieurs pistes existent : soumettre à cotisation les revenus financiers des entreprises rapporterait 30 milliards d'euros par an aux caisses de retraite ; la modulation des taux des cotisations patronales en fonction du rapport entre les salaires et la valeur ajoutée permettrait de sanctionner les entreprises qui le diminuent, licencient et ne mettent pas l'accent sur la formation. Il faut mettre en place une nouvelle forme de progression de la productivité du travail, qui s'appuierait sur le développement des ressources humaines.

J'ai malheureusement constaté de nombreuses similitudes et même une continuité troublante entre ce projet de loi et la réforme de 2010. Il reprend certains de ses dogmes, notamment le lien qui est fait entre la progression de l'espérance de vie et l'allongement de la carrière professionnelle. La réduction du temps de travail est un processus historique. Le développement économique peut le permettre pendant toute la vie et favoriser les activités personnelles. Par ailleurs, les cotisations sociales sont considérées comme une charge qui pénalise l'emploi et il faudrait baisser le coût du travail à tout prix en diminuant les cotisations patronales. Elles ont pourtant un rôle : financer des prestations sociales qui créent des débouchés pour les entreprises par la consommation et développer la productivité du travail par la formation. Elles sont à l'origine d'une nouvelle dynamique économique.

Faisons-nous face à un choc démographique ? L'élévation de l'espérance de vie est une très bonne nouvelle, mais elle est très inégalitaire selon les catégories professionnelles. La pénibilité doit donc être reconnue. Sur ce point le projet de loi comporte quelques avancées, mais il renvoie leur mise en oeuvre à des décrets, excluant de fait les partenaires sociaux et le Parlement.

La création du comité de surveillance me semble dangereuse. Ces experts nommés par le pouvoir pourront empiéter sur le rôle du conseil d'orientation des retraites (COR) et faire des recommandations sur l'évolution de tous les paramètres sans qu'il y ait débat.

Grâce à la politique familiale, notre taux de fécondité est largement supérieur à celui de nos voisins européens et garantit le remplacement des générations. Il y aura donc demain plus d'actifs cotisants. La question de l'emploi et des salaires est donc centrale : une hausse de la masse salariale de 1 % augmente de 2,5 milliards d'euros les cotisations sociales. Le problème des retraites se résout donc par une nouvelle gestion des entreprises et par un nouveau type de politique économique développant l'emploi et les salaires. Une réforme de progrès des cotisations patronales est nécessaire.

Les retraites ne constituent pas seulement un coût mais un véritable enjeu de civilisation, pour lequel on ne peut se passer d'un débat public. Chaque article du projet de loi doit donc être amendé afin de promouvoir des solutions alternatives, notamment en matière de financement.

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Demontès

Je tiens à apporter plusieurs précisions : les salariés du public sont bien concernés par l'augmentation des cotisations. En ce qui concerne la politique familiale, les familles ne sont plus les mêmes qu'à l'issue de la Seconde Guerre mondiale ou des Trente Glorieuses. La majoration de 10 % des pensions défiscalisée ne me semble plus convenir à la réalité de notre société.

Sur le pilotage, il n'a jamais été question de demander au COR de faire des préconisations. C'est un outil d'analyse. Le futur comité de surveillance ne sera pas appelé à prendre des décisions mais à faire des propositions, sur la base notamment des travaux du COR. L'Etat ne se défausse donc pas de ses responsabilités.

Alors que 50 % des personnes qui liquident leur pension de retraite ne sont plus en activité, comment développer l'emploi des seniors ? Il ne suffit pas de retarder l'âge légal de départ à retraite.

Quel est votre point de vue sur la prise en compte de la pénibilité dans le projet de loi ?

Debut de section - Permalien
Anne Lavigne, professeur de sciences économiques à l'université d'Orléans

Le comité de surveillance touche à la question de la lisibilité et de la gouvernance des systèmes de retraites, dont la complexité est avérée. Toutefois, on ne peut pas dire qu'ils soient réellement plus simples à l'étranger, notamment au Royaume-Uni en ce qui concerne les conditions de ressources.

Pour moi, la retraite est un dispositif assuranciel dont l'objet est de couvrir des risques sociaux : la longévité, l'incapacité à générer des ressources avec l'âge et des risques associés au travail comme les interruptions de carrière. Je suis donc opposée à l'idée de financer les retraites par autre chose que des cotisations assises sur les revenus du travail. Le recours à l'impôt ou à des taxes sur des produits financiers ne correspond pas à ma vision de la retraite. Je trouve quelque peu paradoxal d'être contre la capitalisation tout en soutenant l'idée que le produit du capital va financer les retraites.

Il faut aller vers l'unification des régimes, et le faire à travers les comptes notionnels me semble être une idée intéressante car elle préserve l'aspect assuranciel et la contributivité tout en permettant aux individus de choisir la durée de cotisation, l'âge de départ ou la combinaison de ces deux facteurs. Ce n'est d'ailleurs pas forcément un progrès social, comme l'a souligné Henri Sterdyniak. On ne peut pas dans tous les cas laisser les salariés choisir leur âge de départ à la retraite car ils ne disposent pas de toutes les informations nécessaires. Néanmoins, les comptes notionnels permettent d'assurer un pilotage par génération et de s'affranchir des difficultés actuelles liées aux polypensionnés, qui représentent 40 % des liquidations. Il n'y aurait ni gagnants, ni perdants et pas d'opposition entre public et privé. A côté de ce bloc assuranciel, des mesures redistributives en direction de certaines catégories de travailleurs peuvent être mises en place.

Le comité de surveillance ne m'apparait pas comme une structure politique mais plutôt comme une instance d'expertise. La France a besoin de développer l'évaluation des politiques publiques afin d'éclairer la décision publique à travers des études précises et chiffrées. Elles permettent d'affiner les constats qui reposent sur des données anciennes et qu'on entend encore trop souvent et de confronter données objectives et subjectives. Je n'ai pas de défiance vis-à-vis des experts dès lors qu'ils apportent des éléments de réflexion.

Concernant l'emploi des seniors, on observe une corrélation entre l'augmentation de l'âge légal de départ à la retraite et le maintien en activité de ces salariés. C'est le pari fait par la réforme de 2010, mais le recul est encore insuffisant pour en mesurer pleinement l'impact. On constate toutefois un frémissement du taux d'activité des jeunes seniors.

Le marché du travail n'est pas un gâteau à partager. Le maintien en activité des seniors n'empêche pas les jeunes d'y entrer. La période actuelle n'est propice ni à l'emploi des jeunes, ni à celui des seniors. Lorsque la croissance redémarrera, leur taux d'activité progressera.

Je comprends l'argument de bon sens sur la pénibilité : dès lors qu'un salarié a été longtemps exposé à des facteurs de risques, il doit pouvoir bénéficier d'un départ anticipé à la retraite. Cela renvoie à la réduction de l'espérance de vie causée par cette situation. Ce raisonnement généreux s'accommode peu de la vision assurancielle. L'idée qu'il faut profiter de sa retraite va plus loin que le taux de remplacement ou même le niveau de vie à la retraite : cela revient à reconnaître à chacun le droit à une certaine durée de retraite. C'est alors un objectif social qui devrait être affirmé par la loi en tant que tel.

Cette intuition concerne essentiellement les hommes : l'écart d'espérance de vie entre les femmes ouvrières et les femmes cadres supérieures est compris entre deux et trois ans, tandis qu'il est beaucoup plus important pour les hommes. Existerait-il donc des travaux pénibles essentiellement masculins ? Il n'y a pas de raison qu'il y ait des travaux spécifiquement masculins ou féminins. Ce n'est donc pas uniquement une question de pénibilité du travail mais également d'inégalité devant la santé. Est-ce vraiment la mission des systèmes de retraites de les résoudre ?

Debut de section - Permalien
Henri Sterdyniak, directeur du département économie de la mondialisation à l'OFCE

En raison de l'accord négocié récemment par les partenaires sociaux sur les régimes complémentaires Agirc et Arrco, les retraités du secteur privé vont subir une perte de pouvoir d'achat qui devrait être comprise entre 2,5 % et 2,8 %. Un tel scénario pourrait se reproduire à nouveau dans un futur proche. L'Etat, de son côté, équilibre le régime des fonctionnaires. Il devrait également s'investir pour garantir le niveau des retraites complémentaires du privé.

Les familles nombreuses n'ont pas le niveau de vie des couples avec un ou deux enfants. Pour elles, le montant des allocations familiales est trop faible. Les économies réalisées sur les majorations de cotisations devraient leur être reversées. Ce dispositif ancien compensait le fait que les parents de plusieurs enfants épargnent moins pour leur retraite, il a ses justifications. Il peut être mieux ciblé sur les femmes car la retraite est un mécanisme rétributif d'assurance sociale. Il n'est donc pas illégitime de maintenir des majorations familiales de traitement forfaitaires.

Le COR réalise de très bons travaux techniques sur la question des retraites, en mobilisant des experts si nécessaire. Ensuite, la prise de décision relève du Gouvernement, après concertation avec les partenaires sociaux. Quelle pourrait donc être le rôle du nouveau comité de surveillance ? Par quelles compétences techniques spécifiques se distinguerait-il du COR ? Quelle serait sa légitimité politique et sociale ? Un choix social doit être fait non par de prétendus experts mais par le Gouvernement et les syndicats. Il est d'ailleurs étonnant que le Gouvernement ne cherche pas à mobiliser les partenaires sociaux sur un projet de convergence des régimes de retraites mais utilise ce comité à cette fin.

Il est normal que de meilleures conditions de retraite soient assurées à des personnes usées par des métiers pénibles et qui auront du mal à se maintenir en emploi à la fin de leur carrière. Cette question doit être l'objet d'une négociation sociale. L'idéal serait d'avoir un âge de départ à la retraite qui varierait entre cinquante-huit et soixante-cinq ans suivant les caractéristiques de l'activité professionnelle.

Le taux d'emploi des seniors s'est amélioré depuis cinq ans, malgré la crise. Les jeunes ont supporté le poids de l'ajustement et ont vu leur taux de chômage augmenter. Néanmoins, lorsque la situation de l'emploi sera meilleure, il sera possible de demander aux entreprises de négocier une réforme des carrières et des conditions de travail visant à concilier pénibilité et travail et à permettre la reconversion des salariés en seconde partie de carrière pour qu'ils restent en emploi jusqu'à l'âge de la retraite. Les entreprises doivent faire des efforts pour maintenir l'employabilité de leur personnel. Mais, face aux contraintes écologiques qui seront les nôtres en 2035, aura-t-on besoin d'autant d'emplois marchands ? On peut accepter, dans une société riche, des départs à la retraite relativement jeunes.

Debut de section - Permalien
Catherine Mills, maître de conférences en sciences économiques à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

La politique familiale doit poursuivre sa modernisation pour tenir compte de nouveaux phénomènes : familles monoparentales, conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, demande accrue de modes de garde. Elle ne doit toutefois pas mettre de côté l'existant pour devenir une politique de réduction des inégalités de revenu : cette confusion doit être évitée.

Je ne peux être favorable au comité de surveillance dès lors que les partenaires sociaux en sont absents. L'objectif semble également être, en jouant sur la durée de cotisation ou le taux de remplacement, de repousser la mise en place de comptes notionnels. La souplesse du mécanisme permettrait d'éviter les conflits sociaux. Je trouve cela grave : un grand débat public est indispensable.

L'emploi des seniors est un problème très inquiétant, mais aussi une priorité depuis plusieurs décennies : comme aujourd'hui, il était au coeur des réformes de 2003 et de 2010. Leur taux d'emploi a légèrement augmenté et se rapproche de la moyenne européenne, mais leur taux de chômage est très important. Seule une véritable politique de lutte contre le chômage pourrait améliorer cette situation, surtout quand on connaît la situation financière très dégradée de l'assurance chômage.

La pénibilité est mieux prise en compte dans cette réforme qu'en 2010 et en 2003. Néanmoins, le compte individuel de prévention de la pénibilité sera alimenté par des points reçus en fonction de l'exposition à des facteurs de risques. Il n'y a plus de métiers pénibles : c'est problématique. De plus, l'employeur gérera le compte. En cas de conflit, toute contestation sera soumise à une commission ad hoc dont les partenaires sociaux seront exclus. Est-ce vraiment acceptable ? Qui plus est, le projet de loi renvoie très largement à des décrets pour définir précisément cette reconnaissance de la pénibilité : nous sommes donc dans un flou le plus total.

Un salarié exposé à un risque pourra demander soit une formation pour se reconvertir, soit un passage à temps partiel, soit un départ anticipé à la retraite. L'ampleur de ces mesures reste à améliorer.

Il y a peu d'avancées pour les jeunes, hormis les apprentis et les stagiaires. Les organisations étudiantes demandent que soient prises en compte dans la durée cotisée les années d'études et d'insertion dans le monde du travail, ce qui est ici encore refusé. Seul le rachat est possible : une année revient à 32 000 euros, soit une somme évidemment inabordable.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Il y a de nombreuses divergences parmi nos intervenants, ce qui confirme l'intérêt de cette table ronde. Ces points de vue vont enrichir la réflexion de chaque membre de la commission.

La pénibilité est un des sujets majeurs de ce texte. Il faut la prévenir autant que possible, mais certaines activités pour lesquelles l'exposition aux facteurs de risques est inévitable sont indispensables au bon fonctionnement de notre société. Nous bénéficions tous de la pénibilité de certains métiers : il faut donc développer la solidarité envers ceux qui les exercent.

Debut de section - Permalien
Henri Sterdyniak, directeur du département économie de la mondialisation à l'OFCE

Soixante-deux ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Muguette Dini

Vous auriez dû prendre votre retraite à soixante ans, car vous nous avez abreuvés d'affirmations ineptes et contradictoires sans faire aucune proposition. Je suis scandalisée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Noël Cardoux

J'ai également eu du mal à suivre le raisonnement de M. Sterdyniak. Vous nous dites qu'on peut se dispenser d'une réforme avant de souligner des problèmes graves, que ce soit pour l'Agirc-Arrco, la fiscalisation de la majoration familiale ou la situation des femmes. La situation est-elle donc véritablement si idyllique ?

Je regrette de ne pas avoir entendu, de la part des intervenants, de propositions sérieuses concernant des financements innovants. Il faut sortir de la dichotomie classique augmentation des impôts - augmentation des cotisations sociales.

La multiplicité des régimes est source de problèmes de gestion. Les frais de gestion de ces régimes paritaires sont de l'ordre de six milliards d'euros par an, soit le double de ce que connaissent les pays européens comparables. Il y a un différentiel de 3 milliards d'euros qui représente un gisement d'économies que la convergence permettrait d'exploiter.

Je suis surpris que la question de l'espérance de vie ait été balayée d'un revers de main. Depuis trente ans, au moins cinq ans, sans doute plus, ont été gagnés. En conséquence, serait-il anormal d'augmenter l'âge de départ à la retraite ? C'est arithmétique.

Certains syndicats sont prêts à étudier la mise en oeuvre d'une retraite par points, qui serait de nature à faciliter le choix de l'âge de départ à la retraite selon le souhait de chacun. Au contraire, on met en place une usine à gaz en matière de pénibilité. Tout le monde voudra en profiter. Ne risque-t-on pas de faire du travail en lui-même une forme de pénibilité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Laménie

Il me semble indispensable de prendre en compte le critère démographique et l'augmentation de l'espérance de vie. Un décalage a toujours existé entre les femmes et les hommes ; on le retrouve aujourd'hui sur le terrain de la pénibilité.

Les temps ont changé : les locomotives à vapeur, dans lesquelles les cheminots devaient faire des efforts physiques intenses, ont disparu. D'autres formes de risques professionnels sont apparues. Comment quantifier le stress ?

L'espérance de vie n'est pas uniquement liée aux conditions de travail : la consommation d'alcool ou de tabac, le mal-être sont aussi à prendre en compte.

Il y a trente ans, l'entrée dans la vie active était plus précoce : il était donc plus facile de cotiser longtemps. La durée des études réduit désormais la durée de cotisation.

La tâche reste immense, mais le critère démographique n'est pas une science exacte.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Le FRR a été créé par le gouvernement Jospin : le dernier gouvernement de gauche avant 2012 n'était pas resté inactif pour assurer la pérennité de notre système de retraites.

Est-il possible d'évaluer la situation du FRR s'il avait été alimenté régulièrement et non pas détourné de son objectif par la réforme des retraites de 2010, appliquée à partir de 2011 avec le versement chaque année, au mois d'avril, de 2,1 milliards d'euros à la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) ? Aurait-il pu apporter une solution aux problèmes que nous rencontrons aujourd'hui ?

L'article 3 du projet de loi prévoit que le comité de surveillance pourra préconiser le recours aux réserves du FRR afin de corriger des écarts de nature conjoncturelle par rapport à la trajectoire de redressement financier. Un nouvel rôle lui est confié : celui d'instrument de stabilisation conjoncturelle. La gestion du FRR sera beaucoup plus délicate. Alors qu'il gère très bien un actif sur lequel sa visibilité est bonne, il va se retrouver à gérer un actif plus aléatoire. Devra-t-il rester offensif dans ses placements, au risque de ne pas disposer des fonds nécessaires lorsque le besoin s'en fait sentir, ou bien adopter une attitude prudente, avec des gains plus limités ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Le Menn

Je ne suis pas satisfait par l'économie d'ensemble des interventions que nous venons d'entendre et j'aimerais avoir des précisions. Selon Mme Lavigne, ce texte n'est pas une réforme systémique. Au contraire, pour Mme Mills, nous sommes à la première étape d'une réforme systémique de grande ampleur.

Je tiens à rappeler qu'il a fallu plusieurs années aux pays scandinaves pour mettre en place un système de comptes notionnels. En France, il faut trouver 20 milliards d'euros, soit un point de PIB d'ici sept ans pour combler les déficits. En 2040 ils atteindront 29 milliards d'euros. Quelles sont vos propositions pour passer ce cap ? Peut-on aller vers une réforme de fond tout en faisant face aux défis de moyen terme ?

Mme Mills, la réforme systémique que vous craignez implique-t-elle un basculement vers un système par capitalisation ?

M. Sterdyniak, cette réforme est-elle purement cosmétique ? Comment faire face à nos engagements financiers d'ici 2020 ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Barbier

Je suis perplexe devant les exposés qui viennent d'être réalisés. J'attendais une vision précise de l'avenir du système de retraites.

Peut-on considérer, comme le Gouvernement l'affirme, que la retraite par répartition est immuable dans le temps et viable jusqu'en 2035 ? Ne faut-il pas plutôt que dès maintenant les plus jeunes s'orientent vers un autre modèle pour garantir leur retraite ?

L'avenir du FRR m'inquiète. Le prélèvement annuel qui lui est imposé le fait stagner, malgré sa gestion rigoureuse, autour de 35 milliards d'euros. Il sera donc insuffisant pour surmonter les difficultés financières des régimes dans les années à venir.

La pénibilité prend ici une autre forme par rapport à la loi de 2010. On passe d'une vision médicalisée à une forme collective et professionnelle. En fonction des capacités des individus, pour un même métier, dans les mêmes conditions et sur le même poste de travail, la pénibilité est-elle identique ?

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Faut-il renoncer à créer le comité de surveillance ou bien plutôt modifier le fonctionnement et les objectifs du COR ? Pour en avoir été l'un des initiateurs et y avoir siégé, je tiens à rappeler que le COR est un outil qui peut faire des propositions, c'est un lieu de concertation mais non de négociation. Il fait des constats, qu'ils soient partagés ou non. Dans ce dernier cas, les désaccords sont clairement exprimés. Comme la commission Moreau, le comité de surveillance pourra faire des propositions, sans être un lieu de décision. Cette nouvelle structure vous semble-t-elle indispensable par rapport au COR ?

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Contrairement à certains de mes collègues, j'estime avoir entendu plusieurs propositions intéressantes de la part de nos invités. Le but de cette table-ronde n'était pas de recueillir un avis unique mais de confronter des points de vue divergents. Elle a très bien rempli son rôle. J'ai apprécié sa diversité, même si je ne suis bien sûr pas d'accord avec tout ce qui a été exprimé.

Les questions de financement sont absentes de ce texte, c'est la raison pour laquelle elles n'ont pas été au coeur de notre discussion. De nombreuses ressources nouvelles peuvent être exploitées. Le financement de notre protection sociale repose sur les revenus du travail, mais une part grandissante de l'assiette y échappe par le biais de la financiarisation. Il ne serait donc pas illogique de mettre à contribution les revenus du capital.

Debut de section - Permalien
Anne Lavigne, professeur de sciences économiques à l'université d'Orléans

La réforme vise à conforter le système de retraites par répartition à moyen et long termes. Je ne suis pas favorable à la capitalisation dans les régimes publics obligatoires, car elle revient à faire peser un risque financier pour se protéger d'un risque de longévité. Je suis attachée à la couverture collective du risque retraite. En revanche, il est déjà possible de recourir à la capitalisation, à titre individuel, pour financer un complément de retraite.

J'avais travaillé sur le FRR en 2003. Ma perspective était celle de son utilisation comme fonds de lissage. L'augmentation légère des taux de cotisation en période propice et le décaissement, à partir de 2003, d'un FRR mieux abondé aurait permis d'absorber la bosse démographique. D'après mes projections, il était possible d'attendre jusqu'en 2017 pour abonder le FRR, mais il aurait alors fallu augmenter de manière très significative les taux de cotisation entre 2017 et 2023 pour surmonter le choc démographique lié au baby-boom.

L'utilisation du FRR est une très bonne idée ; il pourrait même être adossé à des régimes en comptes notionnels. Je défends cette idée car elle fait disparaître les crispations sur les conditions d'âge. Il faut simplement fixer un âge minimal en deçà duquel le départ à la retraite serait impossible, afin que les droits à pension accumulés permettent dans tous les cas de vivre correctement.

Il était possible de réaliser des ajustements paramétriques sans parler de réforme et sans susciter des craintes quant aux déséquilibres financiers des régimes. Le FRR dispose des ressources nécessaires. Il faudrait commencer dès aujourd'hui à poser les fondements d'une réforme systémique dont les effets seraient différés dans le temps. L'Italie n'a pas pris de telles précautions, le résultat n'y est pas pleinement satisfaisant. Des ajustements à court terme et un nouveau régime, adossé au FRR, pour les départs à la retraite à partir de 2030 : voilà ce qui constituerait une réforme systémique.

Debut de section - Permalien
Henri Sterdyniak, directeur du département économie de la mondialisation à l'OFCE

J'ai souhaité rappeler que les prévisions établies par le COR ne faisaient pas apparaître un déficit si considérable à l'horizon 2040. Celui-ci représenterait 1 % du PIB, mais il serait possible de le couvrir en transférant vers l'assurance vieillesse des cotisations d'assurance chômage. En effet, le COR table sur une hypothèse de retour au plein emploi et donc d'une diminution sensible du taux de chômage à l'horizon 2040. Le COR intègre également une baisse de 15 % du niveau relatif des retraites, qui atteint aujourd'hui un montant historiquement haut. Si un tel choix n'était pas accepté, et que l'on souhaitait privilégier le maintien du niveau des pensions, il faudrait trouver des ressources représentant deux points de PIB, soit l'équivalent de quatre points de cotisations.

Il me paraît également nécessaire de souligner que la question des retraites est relativement secondaire par rapport à des enjeux beaucoup plus vastes dont elle est largement tributaire : le retour au plein emploi, la sortie de la gestion catastrophique de la zone euro et l'arrêt de la désindustrialisation.

A compter de 2035, le ratio démographique sera stable. L'équilibre peut être atteint par une politique économique privilégiant le retour au plein emploi, par un effort des employeurs pour maintenir leurs salariés dans l'emploi jusqu'à soixante-deux ans et par un arbitrage adéquat entre le niveau des cotisations et celui des retraites.

Le projet de loi actuel peut certes apparaître comme une « petite » réforme. Mais contrairement à Catherine Mills, je pense que cette petite réforme nous protège, et contrairement à Anne Lavigne, je me réjouis que l'on ne se lance pas dans une réforme structurelle qui réclamerait de très longues négociations sur de nombreux sujets et supposerait de faire coexister deux systèmes, l'ancien et le nouveau, durant toute la phase de transition. J'ajoute que le passage à un système en comptes notionnels serait très pénalisant pour les ouvriers qui sont de facto obligés de partir tôt en retraite.

S'agissant des instances de suivi et de pilotage, j'estime qu'à côté du COR, instance très importante du fait de son travail technique, il est nécessaire de mettre en place une « maison commune » des retraites. Elle devrait, de mon point de vue, associer les partenaires sociaux et les gestionnaires de l'ensemble des régimes de retraite, publics et privés, de base et complémentaires, et servir de cadre à des négociations sur l'évolution et la convergence des régimes. De tels sujets ne peuvent être laissés à des experts.

Lors de la création du FRR, on pensait qu'il permettrait d'accumuler des fonds très importants. Il n'en a rien été. Depuis 2004, les avoirs placés par le FRR ont produit un rendement annuel moyen de 1,8 % en termes réels. Son rapport n'est pas supérieur au coût de la dette publique. En réalité, le FRR n'aura servi à rien. C'est une opération blanche et il aurait été aussi simple d'affecter les ressources destinées au FRR aux besoins de financement immédiats des régimes.

Debut de section - Permalien
Catherine Mills, maître de conférences en sciences économiques à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Les questions démontrent qu'il y a véritablement nécessité d'un débat, et d'un temps suffisant pour le conduire. Pourquoi une telle précipitation dans cette réforme ? Cessons de considérer l'allongement de la durée de vie uniquement comme un problème. Pourquoi ériger en dogme intangible le principe posé en 2003 visant à affecter les deux tiers des gains d'espérance de vie à l'activité professionnelle et un tiers seulement à la retraite ? La retraite constitue un choix de société, un choix de civilisation. On ne peut la réduire à de simples équilibres comptables.

Comme en 2003 et en 2010, cette réforme est censée être la dernière. Mais comme les précédentes, elle conduira inéluctablement à réduire le niveau des pensions et de ce fait, elle jouera négativement sur le taux de croissance, entraînant de nouveaux problèmes de financement. Il faut sortir de cette logique. Notre système de retraites peut être pérennisé sans recourir à la capitalisation. Nous pouvons encore mobiliser les cotisations sociales, contrairement à ce dont on veut nous persuader.