Intervention de Henri Sterdyniak

Commission des affaires sociales — Réunion du 9 octobre 2013 : 3ème réunion
Avenir et justice du système de retraites — Table ronde avec des économistes

Henri Sterdyniak, directeur du département économie de la mondialisation à l'OFCE :

Nous n'avons heureusement pas affaire à une réforme des retraites, mais simplement à un ajustement paramétrique d'importance limitée. On peut le déplorer, pour ma part je m'en réjouis. Le système français est l'un des plus généreux du monde. Il est très dangereux de vouloir le bouleverser, au risque de mettre en place un nouveau régime qui apporterait moins de garanties aux salariés et aux retraités et serait sans doute plus injuste. Un système par points s'équilibrerait automatiquement par la baisse du niveau des retraites tandis que les comptes notionnels demanderaient à chacun d'arbitrer entre l'âge de son départ à la retraite et le niveau de sa pension sans tenir compte des disparités professionnelles et des différences d'espérance de vie.

La question des retraites est secondaire en France : il faut plutôt s'interroger sur les moyens de retrouver la croissance et une industrie forte. Elle n'est pas urgente, grâce à notre démographie et à la générosité du système, et n'appelle que des ajustements. Le déficit actuel est important, mais est essentiellement la conséquence de la crise. C'est la raison pour laquelle il est au niveau qu'il aurait dû atteindre dans dix ans. Pour le combler, il faut diminuer les dépenses publiques ou promouvoir, à l'échelle européenne, une politique de croissance. Cette réforme vise essentiellement à rassurer les marchés financiers et la commission européenne.

Des points demeurent préoccupants. Le Gouvernement compte combler en partie le déficit prévisionnel de 20 milliards d'euros en 2020 en retardant l'indexation des retraites. C'est un tour de passe-passe étrange. Par ailleurs, alors que les majorations familiales de retraite vont être fiscalisées, il faut rappeler qu'elles sont financées par la caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) : il serait donc légitime que le produit de cette fiscalisation aille à la branche famille et non à l'assurance vieillesse.

Sur un déficit de 12 milliards d'euros, quatre proviennent de l'Agirc-Arrco. Le Gouvernement laisse les partenaires sociaux le résorber. Ils négocieront donc dans quelques années pour réduire le niveau des retraites. En parallèle, les régimes que l'Etat équilibre sont en déficit à hauteur de 8 milliards d'euros. Il y a donc une disparité de traitement choquante entre le public et le privé. Les salariés du privé subiront, à travers la baisse de leur retraite complémentaire, une diminution de leur pouvoir d'achat alors que les fonctionnaires seront épargnés. Il serait équitable que le Gouvernement aide l'Agirc-Arrco à faire face à ses déficits conjoncturels.

Les conséquences néfastes des réformes précédentes ne sont pas corrigées. L'âge de la retraite à taux plein passera bien à soixante-sept ans au lieu de soixante-cinq. Cette mesure touche particulièrement les femmes, dont les carrières sont courtes et qui ont peu de chances de retrouver un emploi après soixante-cinq ans. Le report du relèvement de l'âge du taux plein aurait été une mesure de justice.

Le point central de la réforme est la fixation de la durée de cotisation requise à pour la retraite à taux plein, à compter de la génération née en 1973. A trente ans, les personnes nées en 1950 avaient accumulé, en moyenne, onze années de cotisation. La génération née en 1978 n'a plus, au même âge, que sept années de cotisation derrière elle. Cette mesure qui s'appliquera dans vingt ans les pénalisera grandement par rapport à leurs ainés. J'espère qu'il s'agit avant tout d'une mesure d'affichage et qu'elle ne sera pas mise en oeuvre, après un réexamen de la situation et des droits acquis par ceux arrivant à la retraite en 2030. Il faudra tenir compte de la situation du marché du travail et de l'état de santé de la population : il est difficile de dire si le plein emploi sera atteint ou si le chômage de masse aura persisté.

Les marchés financiers ont été rassurés, mais pas les jeunes. Il faudrait prendre en compte les difficultés qu'ils rencontrent pour s'insérer et, dans l'idéal, créer une allocation d'insertion qui leur donnerait des droits pour la retraite. Comme dans certains pays scandinaves, la retraite à taux plein pourrait leur être donnée même s'ils n'ont pas soixante-sept ans sur la base de critères reposant sur leur activité professionnelle passée ou les difficultés qu'ils rencontrent pour se maintenir en emploi. La distinction doit être faite entre les cadres et les ouvriers dont l'espérance de vie est plus courte.

Les inégalités de genre doivent être combattues, par exemple en concentrant les majorations familiales de traitement sur les mères et de les rendre forfaitaires. Cela permettrait de combler une partie des écarts de pension entre les femmes et les hommes.

Je suis très favorable aux dispositions concernant la pénibilité. Les entreprises devront identifier les emplois pénibles, négocier et chercher à les faire disparaître. On peut regretter que ces mesures ne vaillent que pour l'avenir et qu'un mécanisme rétroactif permettant la reconstitution des carrières n'ait pas été prévu.

Le comité de surveillance des retraites peut être la meilleure comme la pire des choses. Il est inquiétant de constater qu'il ne sera composé que de cinq experts, sans doute des hauts fonctionnaires. C'est un recul de la démocratie sociale, qui ne donne pas l'élan souhaitable aux mesures à prendre pour aller vers la convergence des régimes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion