Intervention de Catherine Mills

Commission des affaires sociales — Réunion du 9 octobre 2013 : 3ème réunion
Avenir et justice du système de retraites — Table ronde avec des économistes

Catherine Mills, maître de conférences en sciences économiques à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne :

Ce projet de loi est examiné au pas de course au Parlement, sans permettre qu'un véritable débat public ait lieu. Il se présente comme étant inoffensif, alors qu'il constitue la première étape de la marche vers une réforme systémique de grande ampleur. Il se concentre sur la réduction des dépenses sans le dire explicitement et fuit les questions de financement, qui sont reléguées au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2014.

Alors que ce texte prétend garantir l'avenir et la justice du système de retraites, il demande aux retraités et aux salariés de contribuer entre 2020 et 2035 à hauteur de 10 milliards d'euros contre seulement trois milliards pour les entreprises. Il augure d'un nouveau modèle social qui tourne le dos à celui issu de la Résistance et à notre système de sécurité sociale. Il met en place un plan de réforme extrêmement brutal de la politique familiale en réalisant le vieux rêve du patronat : réduire la part patronale des cotisations familiales en transférant son financement sur l'impôt des ménages. Les mesures envisagées traduisent une profonde méconnaissance de cette politique.

Je suis bien sûr d'accord pour corriger les inégalités entre les femmes et les hommes. Elles sont d'abord salariales, puisque le salaire des hommes est en moyenne 27 % plus élevé que celui des femmes. Les pensions des femmes ne représentent que 42 % de celles des hommes. L'augmentation du salaire des femmes et le développement de leur taux d'activité généreraient d'ailleurs d'importantes ressources supplémentaires pour la sécurité sociale. Toutefois, je ne pense pas que le rôle du système de retraites soit de corriger les inégalités fondamentales qui se situent en amont.

La politique familiale, sur la base du consensus de toutes les forces politiques à la Libération, bénéficie à toutes les familles, quelles qu'elles soient. Elle doit être universelle et venir en aide aux enfants, y compris dans les familles aisées. Les mesures envisagées vont remettre en cause le travail des femmes : ce sont les familles où chaque membre du couple touche un salaire qui vont être touchées.

Le texte du Gouvernement est injuste et inefficace. La question du financement va se reposer dans le futur. Plusieurs pistes existent : soumettre à cotisation les revenus financiers des entreprises rapporterait 30 milliards d'euros par an aux caisses de retraite ; la modulation des taux des cotisations patronales en fonction du rapport entre les salaires et la valeur ajoutée permettrait de sanctionner les entreprises qui le diminuent, licencient et ne mettent pas l'accent sur la formation. Il faut mettre en place une nouvelle forme de progression de la productivité du travail, qui s'appuierait sur le développement des ressources humaines.

J'ai malheureusement constaté de nombreuses similitudes et même une continuité troublante entre ce projet de loi et la réforme de 2010. Il reprend certains de ses dogmes, notamment le lien qui est fait entre la progression de l'espérance de vie et l'allongement de la carrière professionnelle. La réduction du temps de travail est un processus historique. Le développement économique peut le permettre pendant toute la vie et favoriser les activités personnelles. Par ailleurs, les cotisations sociales sont considérées comme une charge qui pénalise l'emploi et il faudrait baisser le coût du travail à tout prix en diminuant les cotisations patronales. Elles ont pourtant un rôle : financer des prestations sociales qui créent des débouchés pour les entreprises par la consommation et développer la productivité du travail par la formation. Elles sont à l'origine d'une nouvelle dynamique économique.

Faisons-nous face à un choc démographique ? L'élévation de l'espérance de vie est une très bonne nouvelle, mais elle est très inégalitaire selon les catégories professionnelles. La pénibilité doit donc être reconnue. Sur ce point le projet de loi comporte quelques avancées, mais il renvoie leur mise en oeuvre à des décrets, excluant de fait les partenaires sociaux et le Parlement.

La création du comité de surveillance me semble dangereuse. Ces experts nommés par le pouvoir pourront empiéter sur le rôle du conseil d'orientation des retraites (COR) et faire des recommandations sur l'évolution de tous les paramètres sans qu'il y ait débat.

Grâce à la politique familiale, notre taux de fécondité est largement supérieur à celui de nos voisins européens et garantit le remplacement des générations. Il y aura donc demain plus d'actifs cotisants. La question de l'emploi et des salaires est donc centrale : une hausse de la masse salariale de 1 % augmente de 2,5 milliards d'euros les cotisations sociales. Le problème des retraites se résout donc par une nouvelle gestion des entreprises et par un nouveau type de politique économique développant l'emploi et les salaires. Une réforme de progrès des cotisations patronales est nécessaire.

Les retraites ne constituent pas seulement un coût mais un véritable enjeu de civilisation, pour lequel on ne peut se passer d'un débat public. Chaque article du projet de loi doit donc être amendé afin de promouvoir des solutions alternatives, notamment en matière de financement.

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