Intervention de Anne Lavigne

Commission des affaires sociales — Réunion du 9 octobre 2013 : 3ème réunion
Avenir et justice du système de retraites — Table ronde avec des économistes

Anne Lavigne, professeur de sciences économiques à l'université d'Orléans :

Le comité de surveillance touche à la question de la lisibilité et de la gouvernance des systèmes de retraites, dont la complexité est avérée. Toutefois, on ne peut pas dire qu'ils soient réellement plus simples à l'étranger, notamment au Royaume-Uni en ce qui concerne les conditions de ressources.

Pour moi, la retraite est un dispositif assuranciel dont l'objet est de couvrir des risques sociaux : la longévité, l'incapacité à générer des ressources avec l'âge et des risques associés au travail comme les interruptions de carrière. Je suis donc opposée à l'idée de financer les retraites par autre chose que des cotisations assises sur les revenus du travail. Le recours à l'impôt ou à des taxes sur des produits financiers ne correspond pas à ma vision de la retraite. Je trouve quelque peu paradoxal d'être contre la capitalisation tout en soutenant l'idée que le produit du capital va financer les retraites.

Il faut aller vers l'unification des régimes, et le faire à travers les comptes notionnels me semble être une idée intéressante car elle préserve l'aspect assuranciel et la contributivité tout en permettant aux individus de choisir la durée de cotisation, l'âge de départ ou la combinaison de ces deux facteurs. Ce n'est d'ailleurs pas forcément un progrès social, comme l'a souligné Henri Sterdyniak. On ne peut pas dans tous les cas laisser les salariés choisir leur âge de départ à la retraite car ils ne disposent pas de toutes les informations nécessaires. Néanmoins, les comptes notionnels permettent d'assurer un pilotage par génération et de s'affranchir des difficultés actuelles liées aux polypensionnés, qui représentent 40 % des liquidations. Il n'y aurait ni gagnants, ni perdants et pas d'opposition entre public et privé. A côté de ce bloc assuranciel, des mesures redistributives en direction de certaines catégories de travailleurs peuvent être mises en place.

Le comité de surveillance ne m'apparait pas comme une structure politique mais plutôt comme une instance d'expertise. La France a besoin de développer l'évaluation des politiques publiques afin d'éclairer la décision publique à travers des études précises et chiffrées. Elles permettent d'affiner les constats qui reposent sur des données anciennes et qu'on entend encore trop souvent et de confronter données objectives et subjectives. Je n'ai pas de défiance vis-à-vis des experts dès lors qu'ils apportent des éléments de réflexion.

Concernant l'emploi des seniors, on observe une corrélation entre l'augmentation de l'âge légal de départ à la retraite et le maintien en activité de ces salariés. C'est le pari fait par la réforme de 2010, mais le recul est encore insuffisant pour en mesurer pleinement l'impact. On constate toutefois un frémissement du taux d'activité des jeunes seniors.

Le marché du travail n'est pas un gâteau à partager. Le maintien en activité des seniors n'empêche pas les jeunes d'y entrer. La période actuelle n'est propice ni à l'emploi des jeunes, ni à celui des seniors. Lorsque la croissance redémarrera, leur taux d'activité progressera.

Je comprends l'argument de bon sens sur la pénibilité : dès lors qu'un salarié a été longtemps exposé à des facteurs de risques, il doit pouvoir bénéficier d'un départ anticipé à la retraite. Cela renvoie à la réduction de l'espérance de vie causée par cette situation. Ce raisonnement généreux s'accommode peu de la vision assurancielle. L'idée qu'il faut profiter de sa retraite va plus loin que le taux de remplacement ou même le niveau de vie à la retraite : cela revient à reconnaître à chacun le droit à une certaine durée de retraite. C'est alors un objectif social qui devrait être affirmé par la loi en tant que tel.

Cette intuition concerne essentiellement les hommes : l'écart d'espérance de vie entre les femmes ouvrières et les femmes cadres supérieures est compris entre deux et trois ans, tandis qu'il est beaucoup plus important pour les hommes. Existerait-il donc des travaux pénibles essentiellement masculins ? Il n'y a pas de raison qu'il y ait des travaux spécifiquement masculins ou féminins. Ce n'est donc pas uniquement une question de pénibilité du travail mais également d'inégalité devant la santé. Est-ce vraiment la mission des systèmes de retraites de les résoudre ?

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