Intervention de Arnaud Gossement

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 17 décembre 2014 : 1ère réunion
Transition énergétique pour la croissance verte — Table ronde de think tanks

Arnaud Gossement :

Quelques observations plus juridiques, puisque c'est là mon métier, à propos de la gouvernance, les déchets et les énergies renouvelables.

La Fabrique écologique a souhaité souligner un paradoxe en matière de gouvernance. Nous sommes dans un contexte de réforme territoriale, avec la fusion des régions et la discussion du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe).

Le lien entre le texte qui nous occupe aujourd'hui et les deux autres n'est pas réalisé. C'est un premier regret...

Le second regret vient du fait que le texte sur la transition énergétique adopte une logique qui va du haut vers le bas.

Trois outils de pilotage en matière de transition énergétique sont prévus: le budget carbone, la stratégie nationale bas carbone, et la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). En soi, ces outils paraissent très intéressants, notamment du fait de leur caractère pluriannuel pour la PPE.

Le problème vient de ce qu'ils sont tous trois adoptés par décret. C'est donc l'administration qui va décider de ces trois projets...

J'entends bien que l'Assemblée nationale désire être efficace et aller vite. Toutefois, l'absence de consultation des régions risque d'entraîner des incohérences de planification, qui peuvent elles-mêmes engendrer complexité et contradictions

Le temps gagné en amont risque ainsi d'être perdu en aval. Or, les régions sont chefs de file en matière de climat et d'énergie depuis la loi du 24 janvier 2014 et vont pouvoir, dans le cadre de la loi NOTRe, recourir au Schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT), qui va inclure le plan déchets et les schémas régionaux climat, air, énergie. On va de la sorte se retrouver avec une planification de l'énergie par les régions et une planification de la transition énergétique par l'État sans lien entre les deux.

Nos amendements proposent que les régions soient associées au projet de programmation pluriannuelle de l'énergie, afin de pouvoir donner leur avis, et que les conseils régionaux puissent également s'assurer de la cohérence entre leurs projets et les projets nationaux.

On peut fort bien imaginer un délai de six mois, au terme duquel l'avis devient favorable. Certes, on perdra peut-être quelques mois au début, sans que cela soit certain, mais cela permettra l'information et une meilleure articulation entre les différents niveaux de planification.

En matière de gouvernance, le chef de l'État appelle à un choc de simplification. Or, de nouveaux plans apparaissent dans les différents projets de loi. On pourrait limiter leur prolifération et les contradictions, de manière à simplifier les choses.

Le Sénat ne peut qu'être sensible à cet objectif de simplification. Je crois que l'avenir est au schéma régional unique. On va vers l'autorisation unique : il faut donc également aller vers le schéma régional unique, pour donner une vraie compétence aux régions, avec des orientations qui s'imposent au niveau infrarégional !

Le projet de loi Macron propose des mesures de simplification au stade du projet : c'est bien trop tard ! C'est au moment de la planification, à l'origine, qu'il faut faire participer le public et réduire le nombre de schémas.

Le deuxième point sur lequel nous avons réfléchi, toujours dans une optique territoriale, concerne les déchets.

Le projet de loi comporte un titre relatif à l'économie circulaire et aux déchets. La définition de l'économie circulaire que nous avions proposée a été enrichie par les députés, qui ont intégré explicitement, à l'article 19, l'échelle territoriale pertinente. Cette définition nous paraît bonne, en l'état actuel des choses. J'attire toutefois votre attention sur le fait qu'il existe un autre article intéressant, qui permet de faire en sorte que l'économie circulaire ne soit pas seulement un slogan à la mode : il s'agit de l'article 19 ter, où figure la commande publique.

En effet, la loi relative à l'économie sociale et solidaire, que vous avez votée l'été dernier, permet de demander aux grands pouvoirs adjudicateurs que constituent essentiellement les régions de créer un schéma de promotion des achats publics responsables. En l'état, il ne comporte qu'un volet de réflexion sur l'économie sociale et solidaire. L'Assemblée nationale a accepté notre proposition d'y inclure une réflexion sur l'économie circulaire. Il ne s'agit pas d'imposer, mais de proposer une réflexion aux pouvoirs adjudicateurs permettant, à terme, de définir des critères d'achat en matière de marchés publics. Les marchés publics représentent près de 400 milliards d'euros par an ; c'est un levier considérable pour encourager des économies locales. Ce sont ces entreprises locales, ces circuits courts, ces entreprises de recyclage qui vont bénéficier de la planification des achats publics. Je vous invite donc à ne pas toucher à l'article 19 ter !

Enfin, avec la Fabrique écologique, nous nous réjouissons qu'il existe un titre relatif aux déchets. L'économie des déchets participe à la lutte contre le changement climatique, on l'oublie trop souvent. Le problème de ce titre vient du fait que le législateur ne tranche pas sur la manière de les gérer.

Je n'ai déjà que trop ennuyé M. Nègre avec cette affaire, mais il faut choisir ! Je sais que cela suscite souvent des débats passionnés entre les élus locaux. Beaucoup de sénateurs sont très informés de ces questions relatives aux nouveaux éco-organismes, à l'extension des périmètres des filières de recyclage ou à la responsabilité élargie du producteur (REP).

Or, le texte ne tranche notamment pas la question cruciale des déchets du BTP. Un mécanisme de récupération par certains distributeurs de déchets du BTP existe déjà. Le Sénat pourrait régler le problème en proposant ce modèle, et apporter ainsi sa plus-value. Il ne ferait qu'adapter les choses.

Ainsi, à l'article 21, bien qu'on ne veuille pas de nouveaux éco-organismes, on fait reposer la charge de la prévention en amont et en aval de la production de déchets. Ce sera bénéfique pour certaines filières mais moins pour d'autres, et entraînera des inégalités. Certains éco-organismes vont demander de l'argent à leurs adhérents, qu'ils vont ensuite leur rendre. Je pense aux éco-organismes de déchets professionnels, qui n'ont pas affaire aux collectivités territoriales. L'article 21 me paraît donc incohérent du point de vue juridique, faute d'une politique territoriale claire en matière de collecte et de traitement des déchets.

Enfin, s'agissant des énergies renouvelables, cette loi est l'occasion de trancher des débats vifs, polémiques, passionnels, comme celui relatif à l'énergie éolienne.

Deux axes sont possibles. Il faut tout d'abord améliorer la planification. On devait le faire à la suite du Grenelle avec les schémas régionaux climat, air, énergie. C'est un relatif échec. J'attire votre attention sur le fait que le tribunal administratif de Paris, le 13 novembre 2014, a annulé le schéma régional éolien d'Île-de-France, ce qui fait peser une insécurité juridique sur les autres schémas.

Le Conseil constitutionnel a également reproché au schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie de ne pas suffisamment encadrer la participation du public. Or, il serait plus intelligent de faire participer le public en amont, lors de la planification, plutôt qu'en aval, les enquêtes publiques n'attirant personne, sauf des citoyens qui ne changeront pas d'avis.

On pourrait déplacer la participation plus en amont, comme le propose le Conseil constitutionnel, qui appelle d'ailleurs le législateur à la repenser. Il est dommage que l'Assemblée nationale ne se soit pas saisie de cette décision.

S'agissant de l'éolien, outre un problème de planification, il faut simplifier ce régime. Tout le monde est aujourd'hui perdant : les opposants qui ont l'impression d'être consultés lorsque les jeux sont faits ; ceux qui y sont favorables mais qui sont confrontés à une montagne de normes inouïe. On peut simplifier le système en améliorant la concertation et en ne laissant pas les élus tout seuls.

Un amendement, que nous avions également soutenu, a été proposé à l'Assemblée nationale pour faire passer l'énergie éolienne du régime de l'autorisation lourde au régime de l'enregistrement. Les porcheries, et, hier, les installations de stockage de déchets inertes, sont passées au régime de l'enregistrement. Pourquoi une éolienne est-elle considérée, en droit, comme plus dangereuse qu'une porcherie, et aussi dangereuse qu'une raffinerie ou qu'un incinérateur ? On pourrait fort bien, en consolidant la participation en amont, avoir un registre d'enregistrement en matière d'éolienne. L'Assemblée nationale a adopté une mesure de simplification, mais uniquement concernant la loi littorale...

Il est en outre dommage de ne pas valoriser les autres filières. J'attire votre attention sur le fait qu'en matière d'obligation d'achat, l'État veut passer à un système de complément de rémunération. Il s'agit d'une recommandation de la Commission européenne. La France, pour une fois, transposera une recommandation de la Commission européenne avant que le texte ne soit publié ! Pourquoi pas ?

Toutefois, la loi ne dit rien sur la période transitoire. On va donc créer de l'incertitude chez les investisseurs, quels qu'ils soient et quelles que soient les énergies renouvelables. Lorsque la loi sera publiée au Journal officiel, seules les installations d'énergie renouvelable listées par décret pourront bénéficier d'une obligation d'achat.

Or, on ne sait pas où se trouve aujourd'hui le décret. Les autorités en charge de l'obligation d'achat, principalement EDF, pourront donc attendre de connaître les installations concernées pour les faire bénéficier du système.

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