Il nous semble qu'il faut tout d'abord bien définir les problèmes auxquels nous essayons de répondre. Comme mon collègue l'a expliqué, le premier enjeu, essentiel, est de mettre fin à cette situation de rente qui pénalise lourdement l'usager. Il ne faut pas se tromper de débat : l'objectif n'est pas de récupérer sur les sociétés d'autoroutes, les recettes que l'on n'a pas réussi à obtenir avec l'écotaxe... Même si je reconnais que ces deux dossiers sont proches, car ils abordent tous les deux la question de la tarification de l'usage de l'infrastructure.
L'autre enjeu est celui de la transparence. Il faut que l'État sache ce qu'il finance et que l'usager sache ce qu'il paie. Il y a aujourd'hui trop de zones d'ombres, ce qui n'est pas normal. L'État reste tout de même le propriétaire de ces infrastructures !
Vous connaissez le contexte dans lequel nous nous situons. Les contrats de concession conclus avec les différentes sociétés ont été « bétonnés » dans les règles de l'art. Nous sommes par ailleurs sensibles à la nécessité de préserver un climat de confiance pour les investisseurs, et conscients de l'impossibilité de remettre en cause la signature de l'État sans compensation, même si l'État a été pendant toutes ces années un négociateur peu avisé.
Nos propositions s'articulent autour de trois axes : renforcer la transparence et la régulation du secteur, changer de modèle pour les contrats de plan et avancer sur le chemin d'une reprise en main par l'État des concessions autoroutières.
Le premier axe est donc de renforcer la transparence et la régulation du secteur. La première des propositions est de sortir de l'opacité, en obligeant les SCA à communiquer chaque année au Parlement, à l'administration et aux autorités de contrôle compétentes toutes les données nécessaires à la transparence.
Nous soutenons par ailleurs le projet d'élargissement des compétences de l'ARAF au contrôle du secteur autoroutier - à condition toutefois qu'elle soit dotée des moyens adéquats. L'ARAF devra avoir le même pouvoir de régulation que celui dont elle dispose dans le domaine ferroviaire, où elle a fait ses preuves. Elle portera un regard indépendant, extérieur à l'administration, sur ces questions, alors que les services de l'État sont souvent confrontés à des commandes multiples et parfois contradictoires (négociations de plusieurs grandes opérations d'infrastructures à la fois, qui influent les unes sur les autres, nécessité d'aller vite, etc.). Elle permettra aussi de restaurer une certaine transparence sur ces questions.
Dans le projet de loi « Macron », l'ARAF est pour l'instant dotée d'un pouvoir d'avis consultatif sur les contrats signés entre l'État et les SCA, limité aux contrats ayant « une incidence sur les tarifs des péages ». Il faudra aller plus loin, car les contrats qui prolongent la durée des concessions ne doivent pas passer à la trappe - cette remarque ne vaut toutefois que si l'on continue à autoriser de tels contrats, ce qui n'est pas évident. Sur certains sujets, un avis conforme doit être envisagé. Enfin, l'Autorité devra disposer du pouvoir de sanctionner les manquements qu'elle aura constatés.
En parallèle, et comme l'avait déjà préconisé la Cour des comptes, il est impératif que les questions financières soient mieux prises en compte par l'administration elle-même, en amont, lors de la négociation des contrats. La Cour des comptes avait ainsi suggéré la mise en place d'une procédure interministérielle associant la DGITM et les services de Bercy tout au long de la procédure de négociation des contrats. Même en l'absence de négociation contractuelle, nous pensons qu'un suivi plus régulier des aspects financiers des concessions doit être assuré par les services des ministères financiers. Il faudrait aussi développer une évaluation ex post des contrats de plan réalisés par le passé, afin d'en tirer les leçons pour l'avenir et de les rendre plus transparents pour l'usager.
En ce qui concerne le contrôle des marchés de travaux des sociétés d'autoroutes, le président de l'ARAF nous a indiqué ne pas vouloir exercer de rôle particulier dans ce domaine. Il craint en effet que la multiplication des tâches relevant de la responsabilité de l'ARAF engendre une dilution de ses moyens et l'empêche d'exercer correctement son rôle. Cette question devra être réglée dans le cadre des débats autour du projet de loi « Macron », car la situation actuelle n'est pas satisfaisante, puisque la commission nationale des marchés des SCA ne dispose pas des moyens nécessaires à l'exercice de ses missions, comme l'a exposé mon collègue tout à l'heure.
Quelle que soit l'autorité en charge de veiller au respect des obligations des SCA en termes de passation des marchés, elle devra être autorisée à saisir la justice des marchés qu'elle estimera douteux.
Nous pensons par ailleurs que le seuil de mise en concurrence doit être abaissé à 500 000 euros, comme le préconise l'Autorité de la concurrence, et reprenons à notre compte l'ensemble des recommandations qu'elle a formulées pour améliorer les conditions de la concurrence dans les appels d'offres des sociétés d'autoroutes.
J'en viens au deuxième axe : changer de modèle pour les contrats de plan. Puisqu'il est très difficile de toucher à l'équilibre des contrats de concession, la question posée, à très court terme, est de savoir si, oui ou non, nous devons signer de nouveaux contrats de plan.
Comme vous le savez, le Gouvernement a négocié un plan de relance autoroutier - une sorte de super-contrat de plan -, d'un montant de 3,6 milliards d'euros, en échange d'une prolongation des concessions de 2,5 à 6 ans. Ce plan a été soumis à Bruxelles, qui a donné son accord pour 3,2 milliards d'euros d'investissement, mais l'État n'a - fort heureusement - pas encore signé ce plan. Il nous paraît tout à fait impensable que le Gouvernement le signe en l'état, car cela reviendrait à perpétuer un modèle dont nous savons aujourd'hui qu'il est extrêmement défavorable à l'usager et à l'État. Le Gouvernement en est conscient, si l'on en croit l'actualité.
J'ajoute que le périmètre de ce plan de relance autoroutier a été remis en cause par l'Autorité de la concurrence, qui n'a pas hésité à parler d'adossement à son sujet. En effet, il permet l'attribution de gré à gré, sans mise en concurrence, de la construction et l'exploitation de nouvelles sections autoroutières.
Dans ce domaine, deux options sont possibles.
La première serait de mettre un terme à la pratique des contrats de plan et d'attendre la fin des concessions, prévue pour les années 2030. Cette mesure aurait l'effet mécanique de limiter la progression des péages à 70% de l'inflation, soit la formule « de base », dès l'année prochaine pour la SANEF et pour Cofiroute, et à partir de 2017 pour ASF et ESCOTA. Il faudrait d'ailleurs expertiser la question de savoir si l'on peut revoir cette formule réglementaire d'indexation des péages. En parallèle, la pression devrait être maintenue sur les sociétés d'autoroutes, pour qu'elles continuent à remplir leurs engagements contractuels de droit commun. Quant aux travaux prévus dans le plan de relance, soit leur champ devrait être réduit, soit ils devraient être financés par d'autres moyens, par exemple de nouvelles mises en concurrence. C'est une solution qui doit être prise en considération.
La deuxième option possible, si le Gouvernement persiste dans la volonté de lancer un plan de relance autoroutier, serait de le remanier profondément, pour rééquilibrer les relations entre l'État et les SCA. Il ne fait aucun doute que les sociétés d'autoroutes ont profité d'une solution confortable par le passé. Ce sont d'ailleurs souvent elles qui formulent des propositions à la DGITM sur le contenu des contrats de plan. L'État doit redevenir une force de proposition et de négociation : ces géants du BTP ont autant besoin de travaux que le Gouvernement !
Une négociation avec les sociétés d'autoroutes est en cours. Elle doit à notre sens aboutir à un ajustement de la loi tarifaire des concessions, car l'usager ne comprendrait pas que la situation n'évolue pas, malgré les rapports de l'Autorité de la concurrence et de la Cour des comptes. Il faudrait que les péages diminuent, ou au moins qu'ils soient gelés pendant deux ou trois ans. En outre, l'évolution du trafic pourrait être prise en compte dans la formule tarifaire, comme le suggère l'Autorité de la concurrence. Il faudrait également prévoir des obligations de réinvestissement des bénéfices et des clauses de partage des bénéfices, comme c'est le cas pour les nouvelles concessions.
Quelle que soit la solution retenue, il est impératif que le Parlement soit consulté avant toute décision du Gouvernement dans ce domaine. C'est un gage de transparence. Ne reproduisons pas les mêmes erreurs que dans le passé, lorsque la privatisation des autoroutes a été décidée en catimini ! L'enjeu est trop important pour que le Gouvernement agisse seul.
J'aborde enfin la question, sensible, du rachat des concessions autoroutières.
Nous travaillons depuis moins longtemps que l'Assemblée nationale sur ces sujets, mais je dois dire que nous sommes assez sceptiques sur la perspective d'un rachat généralisé des concessions existantes, défendue par Jean-Paul Chanteguet. Il ne faut pas négliger les conséquences d'une telle mesure, qui risque d'engendrer un contentieux très lourd, avec des conséquences financières, voire sociales, importantes. Les calculettes sont en train de tourner, mais il ne faut pas oublier que si l'on remet en jeu les concessions, il faudra revoir les tarifs des péages, pour mettre fin à la situation de rente dénoncée par l'Autorité de la concurrence. L'État devra ainsi débloquer des sommes importantes pour le rachat des concessions, avec des perspectives de recettes plus faibles, ce qui semble compliqué par les temps qui courent. C'est donc, de notre point de vue, un pari risqué, qui mériterait en tout cas une expertise beaucoup plus poussée pour que nous nous aventurions à le proposer.
Ceci étant, rien n'oblige l'État à procéder de la même façon pour toutes les concessions. Ainsi, nous proposons qu'il s'engage, si les circonstances le justifient, dans le rachat d'une concession, afin de dresser un bilan des avantages et des inconvénients de ce type d'opération. L'État pourrait ainsi affiner son expertise dans ce domaine, avant de passer, éventuellement, à une étape plus « radicale » de rachat généralisé.
Je vous remercie de votre attention, et je remercie aussi l'ensemble des membres du groupe pour leur participation suivie à ces travaux qui ont été, me semble-t-il, très constructifs.