Intervention de Jacques Rapoport

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 11 juin 2014 : 1ère réunion
Réforme ferroviaire — Audition de M. Jacques Rapoport président-directeur général de réseau ferré de france rff

Jacques Rapoport :

Cette affaire est réglée. En revanche, on ne met pas assez en lumière le renforcement considérable des pouvoirs de l'Araf. Celle-ci devra émettre un avis, ce qui n'est pas rien, sur les équilibres financiers de SNCF Réseau. C'est capital. L'un de vous a expliqué que RFF subit des pressions pour s'endetter. Je le confirme, mais RFF ne sera plus seul. L'Araf pourra attirer l'attention sur le fait que cela plombe le système ! C'est un élément de régulation très fort.

Le directoire de l'Epic de tête est composé des deux présidents des « filles ». On ne l'a pas fait par inadvertance : l'Epic de tête ne pourra prendre de décision dont SNCF Réseau ne voudra pas, le directoire étant sans voix prépondérante. En clair, le président de SNCF Réseau disposera, au sein de la structure de tête, d'un droit de veto.

En cas de désaccord entre les deux présidents, la loi a prévu que c'est le président du conseil de surveillance - dont je ne doute pas que ce sera une personnalité incontestable - qui préside l'EPIC de tête. Le but n'est pas d'arbitrer les désaccords mais que les deux présidents se mettent d'accord entre eux. Il faut bien voir que les deux présidents des « filles » ont des intérêts différents, mais convergents, l'un étant responsable du transport, l'autre du réseau, tous deux étant garants du bon fonctionnement du système.

Je pense que ce choix garantit l'équilibre. Cela étant, je partage une inquiétude exprimée par certains d'entre vous : beaucoup d'organismes gravitent en effet autour. L'Assemblée nationale a créé un Comité des utilisateurs du réseau auprès de SNCF Réseau. Je serai ravi, si le Gouvernement le confirme, de discuter avec les clients, mais un organisme est-il nécessaire pour cela ?

Je crains donc un peu cette nébuleuse, mais pas le groupe public. Le groupe public n'est qu'un décalque simplifié de ce qui existe dans toute entreprise, publique ou privée. La Banque postale est une filiale de La Poste, et c'est bien La Poste qui établit la stratégie de la Banque postale, il n'y a à cela aucun doute ! Cependant, la gestion des activités bancaires relève bien de la Banque postale, et non de La Poste.

Quels sont les termes du compromis pour sortir du conflit social ? Je suis à l'écoute des salariés, et j'ai compris qu'ils ont des inquiétudes à propos de leur statut, ainsi que sur la pérennité de la SNCF. Sur ces deux sujets, des compromis et des solutions sont possibles. La pérennité du groupe et de l'unité de la SNCF passe par la reconnaissance de l'unité économique et sociale. L'entreprise, au sens du droit social, c'est le groupe. On peut le reconnaître, il n'y a là aucun problème.

En second lieu, les activités mutualisées - informatiques, achats, surveillance générale - font que l'Epic de tête sera autre chose qu'une petite structure de gouvernance. J'ai la conviction que l'on crée une structure d'intégration qui ne pourra être « détricotée ». J'ai lu dans la presse qu'on supprimerait la structure de tête en 2017. Je garantis que ce qu'il y a dans le projet de loi et qui doit sortir du dialogue social est une structure « indétricotable ». Cela ne signifie pas que certains n'auront pas envie de le faire ! Mais il n'y aura aucun intérêt à le faire.

Quant à la pérennité du statut et des conditions statutaires, nous avons prévu la compétence exclusive de la structure de tête sur toute la gestion sociale. Les heures de prise service des poseurs de voies, ou l'heure à laquelle le conducteur de train arrête son service ne figureront bien évidemment pas dans la structure de tête. Les conditions de travail pratiques sont à la charge du management opérationnel - comme c'est déjà le cas. Tout ce qui concerne la gestion statutaire - élections professionnelles, représentativité des syndicats - sera réalisé à l'échelon du groupe intégré.

Je parle ici en tant que chef d'entreprise : l'Epic unique, dès lors que les sillons ne figurent pas dedans, représenterait un « croupion ». Ce système ne peut fonctionner. Non qu'il ne soit pas bon en soi : les Suisses, qui ne sont pas soumis aux règles européennes, sont en train de filialiser leurs activités de réseau et de transport. En matière d'unité sociale, il n'y a aucune limite, mais affecter les sillons au ministère des transports et créer une entreprise unique ne peut fonctionner, je me dois de le dire !

Le ministre rencontre les organisations syndicales demain. Je suis confiant sur le fait que l'on sorte rapidement de ce conflit. On connaît l'alternative : c'est le statu quo. Ce serait une catastrophe pour les cheminots. La concurrence arrivant en 2019, elle balayera tout. Je ne devrais pas tenir de tels propos, mais Transdev est prêt. Les présidents de région, en 2022, auront le choix entre plusieurs opérateurs, dont deux entreprises publiques françaises. Cela simplifie les choses du point de vue d'un président de région.

Je le dis : le statu quo, pour les cheminots, représente une gestion accélérée du déclin. Les craintes sont légitimes : il nous appartient d'y apporter les réponses qui conviennent. Jusqu'à présent, hormis Sud, du côté de la CGT, on n'a pas entendu dire que le but de la grève était le retrait du projet.

Par ailleurs, s'agissant de la mise en oeuvre de SNCF Réseau, de l'intégration des cultures et de la politique de ressources humaines, la construction du GIU représentera trois à cinq ans de travail.

C'est effectivement une intégration de plusieurs structures qui ont non seulement des cultures différentes, mais qui se sont en outre affrontées durant quinze ans. Ce travail est faisable, mais il ne faut pas croire que tout sera réglé au 1er janvier 2015.

Concernant le foncier et les gares, l'intégration des infrastructures de service est prévue. Ce problème est techniquement complexe, l'infrastructure de service, qui peut avoir un enjeu en matière de concurrence, et l'infrastructure dédiée à un opérateur étant entremêlées. Le travail technique est un peu long. C'est pourquoi le projet de loi est prudent mais, il n'y a pas de débat : les infrastructures de service relèvent du gestionnaire d'infrastructures.

Pour ce qui est des gares, ma position, différente de celle de Guillaume Pepy, est cohérente : gérer des gares aujourd'hui, c'est 10 % d'infrastructures et 90 % de services. C'est du marketing, du commercial. C'est un métier de services, différent de celui de l'infrastructure, qui est un métier industriel. Le métier de services, je l'ai pratiqué à La Poste, et je le connais. Si on mélange les deux, on marie l'eau et le feu ! On prendrait le risque, en confiant les gares au GIU, que ce dernier ne puisse exercer son vrai métier, celui de l'infrastructure. Je n'y suis pas favorable et je n'en vois pas l'intérêt à court terme - sauf peut-être le jour où il existera une concurrence très large. Dans ce cas, créons une troisième filiale ! Reconnaissons la spécificité de ce métier. Mais demander à SNCF Réseau de récupérer les gares constitue une fausse bonne solution.

Aujourd'hui, aux heures de pointe, sur Paris-Lyon en TGV, SNCF Voyages paye 30 euros du kilomètre ; pour une ligne de fret, en moyenne, c'est 1,70 euro du kilomètre. La tarification est donc déjà très ciblée en fonction de la capacité contributive des lignes. En matière de fret, nous avons à peine la capacité de couvrir les frais de fonctionnement de la ligne avec les péages. Nous n'avons aucune capacité d'investissement. Cela ne signifie pas que nous ne pouvons investir, mais c'est de la mauvaise dette !

Avec le président Vall, nous sommes convenus, s'agissant d'une ligne céréalière, que nous assurerions les travaux courants de l'année. Nous ne pourrons toutefois financer le plan de modernisation qui va s'avérer nécessaire dans un an, à l'exception des 15 % correspondant aux économies de maintenance que nous allons pouvoir capitaliser. Lorsqu'une ligne est neuve, on a en effet moins de dépenses pendant dix à quinze ans.

En second lieu, dans le problème du déséquilibre financier de RFF et, demain, de SNCF Réseau, le sujet fondamental, ce sont les LGV, non les petites lignes. Les petites lignes représentent 100 millions d'euros d'investissement par an, et environ 200 millions d'euros de frais de fonctionnement, soit 300 millions sur une dépense d'environ 9 milliards d'euros.

Les LGV, elles, reviennent à 1,5 milliard d'euros par an. Rien n'est facile, dès lors qu'on parle de financement, mais le sujet stratégique pour le devenir du réseau est de savoir qui paye les LGV. Des problèmes se posent bien entendu s'agissant des petites lignes - les élus que vous êtes le savent bien. Ce n'est pas un sujet négligeable, mais le premier enjeu global réside dans le financement des LGV.

En matière immobilière, le découpage des propriétés est d'une complexité inouïe ; ceci a donné lieu à cinq ans de « guerre de tranchées » : je n'ai aucune envie de les revivre. Placer toute la propriété foncière dans le groupe de tête n'est pas possible. Vis-à-vis des marchés financiers, on doit avoir le réseau en face de la dette pour pouvoir emprunter.

La solution que nous avons proposée au Gouvernement, qui l'a retenue, c'est d'unifier la gestion. Un seul service de gestion travaillera pour le compte de deux propriétaires.

Quant au logement social, nous avons été heureux de la loi Duflot, car elle nous demande un rabais de 30 %, mais sur une base pertinente. Auparavant, on ne nous demandait aucun rabais, mais la base était bien plus basse.

Nous réalisons 100 à 150 millions d'euros de cessions immobilières par an. Nous construisons quelques milliers de logements sociaux. Peut-être peut-on en faire plus, la dynamique est en cours.

J'en viens au point financier. Je voudrais revenir sur le scepticisme qui est le vôtre à propos de notre capacité à traiter la dette. Je le répète, nous n'avons aucune capacité à la réduire. Je ne prends donc aucun engagement en ce sens. Nous avons la capacité de la stabiliser en cinq ans, à trois conditions. La première est que chaque entreprise réalise de la productivité. Je vous garantis que nous avons 10 % de productivité sous le pied ! Le système actuel exclut le développement de l'innovation technologique. Est-ce l'affaire de RFF ou de la SNCF de réaliser la surveillance embarquée des voies ? Dans les trains, les contrôleurs sont équipés informatiquement ; sur les voies, les mainteneurs ont un carnet à souche ! Des papiers se perdent en chemin ! On vit au Moyen Âge ! Pourquoi ? Ce n'est pas de la mauvaise volonté !

L'innovation, qui est un gisement considérable dans toutes les entreprises, est massivement sous-exploitée par la séparation. Je réfute donc tout scepticisme !

Quant aux 500 millions de dividendes et d'impôts sur les sociétés que l'État pourrait cesser de prélever, mon espoir est grand, mais non illimité ! Pour ce qui est du fait qu'on ne nous sollicitera plus pour financer les LGV, c'est pour moi une ardente obligation !

Je m'engage, avec Guillaume Pepy, sur l'idée que l'unification va dégager 1 milliard d'euros de productivité en cinq ans. Le trou étant de 3 milliards d'euros, il en reste deux ! Nous allons lancer demain Bordeaux-Toulouse, lors du conseil d'administration de RFF. C'est une étape dans la procédure. On verra le moment venu si l'on nous demande d'ajouter 2 milliards d'euros. Ces 2 milliards d'euros sont soi-disant rentables, mais étant donné le niveau des péages prévu, la SNCF va perdre de l'argent. Or, ces 2 milliards résultent de la capitalisation de péages futurs. Le système ressemble donc à un château de cartes, il est extrêmement fragile.

Concernant les banques, on peut dire que nous empruntons aujourd'hui dans d'excellentes conditions, y compris pour refinancer la dette ancienne, surtout grâce au fait que nous sommes adossés à l'État. Le marché apprécie la dette d'infrastructures, les dettes d'État étant par trop gigantesques. En réalité, nous empruntons 5 milliards d'euros, 3 milliards d'euros de dette nouvelle et 2 milliards d'euros de refinancement, soit un million par heure.

La concession est-elle un bon système ? Elle a pour avantage d'avoir les caractéristiques de la gestion privée, mais un inconvénient : le « PPPiste » s'endette à un coût bien plus élevé que nous, n'ayant pas l'avantage d'être adossé à l'État ! Il n'existe aucune concession ferroviaire qui n'ait jamais fonctionné ! Le contribuable n'a rien investi dans le tunnel sous la Manche, contrairement aux petits actionnaires. Perpignan-Figueras est en grande difficulté, car le trafic n'est pas du tout à la hauteur de ce qui était prévu. Quant à Tours-Bordeaux, le niveau des subventions publiques est bien plus faible que dans un financement classique. In fine, la SNCF va perdre de l'argent.

S'agissant des régions, nous n'avons pas d'état d'âme : qu'on ait des comptes par ligne, qu'elles soient propriétaires du matériel, aient la liberté tarifaire, soient garantes des gares régionales, tout cela ne nous pose absolument aucun problème.

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