La commission procède à l'audition de M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), sur la transition énergétique.
La réunion est ouverte à 09h40.
Nous entendons aujourd'hui M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Créé en 1993, le SER est la principale organisation professionnelle regroupant les entreprises du secteur des énergies renouvelables. Il promeut les intérêts des industriels et des professionnels des énergies renouvelables. Il regroupe 400 adhérents, représentant un chiffre d'affaires de 10 milliards d'euros et plus de 75 000 emplois.
La ministre de l'écologie doit présenter prochainement les grandes lignes du projet de loi de programmation sur la transition énergétique. Quels sont les outils sur lesquels il faudrait le plus mettre l'accent : simplification réglementaire, commandes publiques pour faire démarrer les filières, aides à la recherche ? Partagez-vous notamment la vision de la Commission de régulation de l'énergie qui met l'accent sur les appels d'offres par rapport à la fixation de tarifs d'achat garantis ?
Par ailleurs, où en sont aujourd'hui les différentes filières d'énergies marines : hydroliennes, éolien flottant, houle, énergie marémotrice, énergie thermique des mers, voire énergie osmotique ? Quel est leur potentiel à terme, notamment pour les territoires insulaires ?
Pouvez-vous nous éclairer sur ce que pourrait être, selon vous, le bon mix énergétique, ainsi que sur la place où nous nous situons par rapport à nos partenaires et voisins européens en matière d'énergies renouvelables ?
Enfin, comment les collectivités territoriales pourraient-elles accompagner le développement des énergies renouvelables ? Celles-ci constituent un espoir de ressources nouvelles pour les territoires, notamment ruraux.
Je vous remercie pour votre invitation. Le Syndicat des énergies renouvelables compte parmi ses membres les grands industriels du secteur de l'énergie que sont Areva, Alstom, Schneider, Total, ainsi que les grands énergéticiens : EDF, GDF, Enel, E-ON... Mais il comprend aussi et surtout 75 % de petites et moyennes entreprises qui assurent une grande partie des emplois.
Le Grenelle de l'environnement a fixé un objectif de 23 % d'énergies renouvelables dans la consommation d'énergie finale, à comparer avec un niveau de 9 % en 2005, des objectifs étant précisés pour chaque filière. En 2012, l'objectif intermédiaire de 14 % a pratiquement été atteint, mais notre analyse, largement partagée, est que ce résultat est dû pour une grande partie aux progrès des biocarburants, dont le rythme de progression ne peut être extrapolé. Nous estimons que, en l'état actuel des politiques menées, le niveau des énergies renouvelables sera seulement de 17 % en 2020.
Les modes de soutien doivent en premier lieu abandonner de cette tendance au stop and go qui a tout particulièrement affecté la filière solaire photovoltaïque.
Il est vrai que les coûts de production ont considérablement baissé pour le solaire photovoltaïque et ont été optimisés pour l'éolien, mais dans le même temps la fiscalité comme les coûts de raccordement au réseau électrique ont augmenté, ainsi que le coût et la longueur des procédures administratives et environnementales. Ainsi la réalisation d'un projet éolien prend-elle sept à huit ans en France, contre deux à trois ans en Allemagne. L'accumulation des contraintes, qui a commencé en 2001 lors de l'instauration du premier tarif d'achat éolien, a atteint son sommet avec le Grenelle II qui a soumis les éoliennes à la procédure des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), à celle des zones de développement de l'éolien et à la règle d'une taille de parc minimale de cinq mâts.
Au total, la puissance installée annuellement, après un maximum en 2011, est tombée aujourd'hui à 600 MW. Ce rythme n'est pas suffisant pour atteindre l'objectif de 19 000 MW fixé par le Grenelle de l'environnement pour l'éolien terrestre.
La seule filière en avance sur ses objectifs est le solaire photovoltaïque, parce que l'objectif lui-même était modeste : fixé à 5 400 MW, il devrait être atteint dans les deux ans. Nous considérons que cet objectif devrait être largement réévalué car le photovoltaïque est quatre à cinq fois moins cher aujourd'hui qu'il y a cinq ans. De plus la filière française a besoin d'un marché pour se développer.
S'agissant de la biomasse solide pour la production de chaleur, elle a bénéficié du fonds Chaleur qui a eu un effet très positif. Il a financé de nombreux projets depuis 2009, permettant la substitution de 1,1 tonne équivalent pétrole (tep) pour 1 milliard d'euros d'investissements de l'État. Il en résulte un coût de la tonne de CO2 évitée très bas, de l'ordre de 15 à 16 €.
Nous incluons l'éolien offshore dans les énergies marines. Celui-ci a fait l'objet de deux appels d'offres. La durée de réalisation des projets permet de prévoir que 1 000 MW, au mieux, seront installés vers 2020, mais une dynamique industrielle est lancée et il faut la mettre au crédit de l'action publique.
L'énergie hydrolienne est la plus avancée des autres énergies marines. Une expérimentation est en cours à Bréhat et l'Ademe a lancé un appel à manifestation d'intérêts (AMI) pour des fermes pilotes. C'est l'amorce d'une filière industrielle, dont il ne faut toutefois pas attendre de vraies retombées industrielles et commerciales avant la fin de la décennie.
L'énergie de la houle, l'énergie thermique des mers, l'éolien flottant sont encore au stade de la recherche et développement. La technologie SWAC (sea water air conditioning), présente un intérêt particulier en outre-mer, où elle est utilisée pour des projets de réseaux de froid et de climatisation.
Nous attendons plusieurs orientations du projet de loi sur la transition énergétique.
Il devra fixer de nouveaux objectifs à l'horizon 2030. La ministre a ainsi évoqué une cible de 32 % d'énergies renouvelables, soit 40 % pour la production d'électricité, 38 % pour la production de chaleur et 15 % dans le secteur des transports. Pour atteindre ces objectifs, le projet de loi devra fixer une trajectoire et un mode de pilotage efficace, y compris au niveau régional, en associant les professionnels.
Le projet de loi devra aussi donner de la visibilité au système de soutien aux énergies renouvelables. Nous sommes convaincus qu'il faut évoluer vers une plus grande place laissée au marché et on peut ainsi envisager d'instaurer une prime par rapport au prix de marché, mais il faudra rassurer les industriels avec une garantie sur le niveau de rémunération. L'évolution devra être programmée.
Nous préconisons aussi une profonde simplification des procédures. Une autorisation unique devrait valoir pour les projets d'énergies renouvelables, filière par filière, alors que se superposent aujourd'hui le permis de construire, l'autorisation ICPE, les autorisations au titre du défrichement, au titre de la loi sur l'eau... Le délai de caducité des autorisations devrait aussi être prolongé, dans la limite de dix années, car on rencontre des cas où une autorisation expire alors que les autres n'ont pas encore été obtenues. Les délais des recours devraient être identiques pour toutes les autorisations et la durée de leur instruction devrait être encadrée. Un certificat de projet devrait également geler la réglementation à la date du dépôt de dossier.
Toujours dans le cadre de la simplification, l'accès des énergies renouvelables au réseau électrique devrait être facilité. Concernant les énergies marines, nous proposons de confier la compétence de premier recours aux cours administratives d'appel afin de supprimer un niveau de recours. Nous souhaitons aussi que, dans le cadre du projet de loi de finances, le fonds Chaleur soit pérennisé à la hausse et que la fiscalité soit stabilisée, voire réduite.
Enfin, la recherche et développement doit rester une priorité. Les filières ont en effet besoin d'un marché domestique, mais doivent aussi demeurer compétitives pour rester innovante sur les marchés mondiaux, que l'on évalue à 250 milliards de dollars annuels.
Je rebondis tout de suite sur votre remarque concernant les coûts de raccordement. Ceux-ci sont plus élevés pour un mât isolé : j'aurais souhaité qu'on impose un minimum de trois mâts, mais la règle des cinq mâts a été complètement supprimée.
Nous avons par ailleurs abordé le problème des recours abusifs dans le cadre de la loi du 1er juillet 2013 tendant à accélérer les projets de construction. Vous demandez enfin un rescrit pour limiter l'impact de l'évolution des normes, ce qui paraît légitime dans le domaine de l'énergie.
Nous semblons aujourd'hui loin des objectifs prévus pour 2020, notamment en ce qui concerne l'éolien. Bien que nous ayons assoupli le cadre réglementaire permettant d'accéder au tarif d'achat, les demandes de raccordement sont en baisse, passant de 1 200 MW raccordés en 2010 à seulement 630 en 2013.
Je note que les délais d'obtention des autorisations nécessaires en matière d'installations énergétiques sont beaucoup plus longs en France que dans d'autres pays d'Europe. En particulier, il me semble que les services déconcentrés de l'État ne reçoivent pas d'instructions suffisamment précises lors des changements réglementaires, ce qui allonge les délais de mise en oeuvre. Pensez-vous que le décret du 2 mai 2014 relatif à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement permettra d'accélérer l'émergence des projets ?
Par ailleurs, le bois énergie est une filière d'excellence énergétique et environnementale, mais cette ressource est largement sous-exploitée. Quelles pistes peut-on envisager pour la développer ? Je m'interroge notamment sur l'opportunité d'augmenter les investissements du fonds Chaleur : la Cour des comptes y voit un excellent dispositif, quelle est votre opinion à ce sujet ?
Quelles orientations préconisez-vous pour les usages de la biomasse ? Quels verrous financiers, législatifs et réglementaires faut-il débloquer pour soutenir le développement des filières de biocarburants de 2ème et 3ème génération ?
Enfin, le nouveau système d'aide d'État pour l'énergie, tel qu'il est prôné par la Commission européenne - fin des tarifs d'achat, appels d'offre obligatoires, vente directe sur les marchés... -, ne va-t-il pas restreindre la capacité des États à déterminer leur propre politique énergétique ?
Je m'interroge sur les critères de sélection des projets retenus dans le cadre des appels à projets pour les installations photovoltaïques : seuls des projets situés du sud de la France sont retenus, au détriment de ceux du nord... C'est pourtant le rayonnement, et non pas la chaleur, qui détermine le rendement des panneaux, qui fonctionnent même mieux lorsqu'ils sont froids ! Le SER a-t-il les moyens d'appuyer l'idée d'un rééquilibrage de la répartition territoriale des projets retenus ?
Par ailleurs, la question du raccordement me semble cruciale, que ce soit pour l'éolien, le photovoltaïque, ou la biomasse : s'agissant de l'éolien, la possibilité de retenir un seul mât est une ineptie qu'il faut absolument corriger !
Concernant l'industrie des énergies renouvelables, il est indispensable que notre commission des affaires économiques s'intéresse à l'avenir d'Alstom, car celui-ci est étroitement lié au devenir de toute la filière. General Electric (GE) et Siemens, les deux repreneurs envisagés, ont leurs propres fabricants : que deviendront les petites et moyennes entreprises françaises, sous-traitants de la filière ?
Pour finir, il est indéniable que la complexité des procédures nécessaires au développement des installations d'énergie renouvelable ralentit considérablement l'aboutissement des projets. Et ceux qui font à Paris la promotion des énergies renouvelables ne devraient pas ensuite multiplier les contentieux au niveau local.
Je constate tout d'abord que la durée d'émergence des projets, bien trop longue, entrave notre développement alors que nous avons des entreprises de premier plan au niveau mondial. Quelle part l'industrie française occupe-t-elle aujourd'hui sur le marché mondial ? Quelle part peut-elle viser ?
Au vu des difficultés rencontrées pour atteindre les objectifs à horizon 2020, pensez-vous que l'objectif de 32 % d'énergies renouvelables d'ici 2030 soit réaliste ? Quelle est l'opinion de l'industrie française sur ce chiffre ambitieux ?
Nous avons prévu, dans le projet de loi d'avenir pour l'alimentation, l'agriculture et la forêt, une augmentation de la production d'énergie par méthanisation. Les filières se préparent-elles au développement de ces nouveaux systèmes, selon un modèle français qui pourrait être plus équilibré que l'exemple allemand ?
Par ailleurs, je trouve le coût des équipements fonctionnant aux énergies renouvelables prohibitif, tant pour les collectivités locales que pour les particuliers. J'ai l'impression que les prix sont artificiellement gonflés, car ils tiennent compte des aides d'État qui seront accordées : ce n'est pas normal !
Monsieur le Président, vous avez publié un livre blanc sur les énergies marines, et je suis étonnée de constater que vous êtes réservé sur les hydroliennes : nous avons pourtant un potentiel conséquent au large du raz Blanchard ! L'appel à manifestation d'intérêt (AMI) a pris du retard : comment faire pour débloquer ce dossier ?
L'énergie thermique des mers (ETM) a un potentiel important, au moins à l'export : pensez-vous que la mise en place d'un tarif de rachat spécifique, dont auraient besoin les industriels, permettrait de soutenir le développement de l'ETM ?
Que pensez-vous des appels d'offre de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) ?
Comment peut-on améliorer la formation et le problème de la responsabilité à l'égard des installations ? Il faut absolument préciser qui porte la responsabilité de ces nouvelles installations, car c'est aujourd'hui au coeur du sujet, notamment pour les particuliers.
La préférence des particuliers et des collectivités territoriales semble se porter sur la biomasse plus que sur l'éolien. De quels moyens de recherche disposons-nous ? La recherche publique s'est-elle emparée du sujet ou les constructeurs sont-ils seuls dans ce domaine ? Je suis convaincu qu'il s'agit là de notre meilleur gisement d'initiative.
Je m'interroge sur les raisons du retard que nous avons accumulé dans le domaine de l'énergie hydrolienne, qui présente beaucoup d'avantages.
Le stockage de l'énergie reste un enjeu majeur pour le développement des énergies renouvelables : où en est la recherche sur ce sujet ? Quelles perspectives se dessinent-elles ?
Enfin, il faut essayer de faire en sorte qu'Alstom reste un groupe français. Sinon, dans l'éventualité d'un rachat, il faut penser que l'éolien offshore est déjà développé chez Siemens, qui n'aurait donc pas besoin d'un parc français, alors que General Electric pourrait venir s'appuyer sur les moyens de production français. Le regroupement européen, qui apparaissait jusqu'ici comme une évidence, pourrait donc être néfaste pour l'avenir de la filière.
Je complèterai cette salve de questions en soulignant qu'il me paraît souhaitable de développer le solaire thermique : il faudrait peut-être aller jusqu'à l'imposer dans les permis de construire, au moins au sud de la Loire. Par ailleurs, pour prolonger les propos de Chantal Jouanno sur la formation professionnelle des opérateurs, je suggérerai un agrément des entreprises afin de contrecarrer certaines « arnaques », disons le mot. Enfin, s'agissant d'Alstom, je rappelle que dans la phase de négociation en cours, les 18 et 23 juin seront, à ma connaissance, les deux dates décisives puisque Siemens devra avoir formulé son offre et Alstom devrait se positionner sur l'offre de GE. Dans ce contexte, il me semble difficile d'auditionner les acteurs contre leur volonté.
Je le redis, la vente du département énergie d'Alstom n'est pas la seule solution envisageable.
Je répondrai aux questions dans l'ordre où elles ont été posées.
Tout d'abord, la baisse des raccordements dans l'éolien est effectivement une réalité malgré les récents assouplissements de la réglementation. Toutefois, les effets bénéfiques de ces simplifications seront perceptibles d'ici une à deux années et nous enregistrons dès à présent des signaux positifs qui nous confirment cette tendance. L'accompagnement administratif des changements normatifs est parfois insuffisant, et c'est pourquoi nous suggérons de procéder par voie d'expérimentations avec une évaluation à la clef.
L'utilisation du bois énergie est, comme vous le soulignez, insuffisante. Il faut cependant rappeler, d'une part, qu'on a naturellement tendance à exploiter aujourd'hui les ressources forestières les plus aisément accessibles et, d'autre part, que le bois énergie est plutôt une co-production de la filière des matériaux de construction. Des aides financières sont nécessaires pour mettre en place des infrastructures : à cet égard, le Grenelle de l'environnement avait prévu la création d'un fonds biomasse, mais celui-ci n'a pas encore vu le jour.
En ce qui concerne les biocarburants de nouvelle génération, des arbitrages seront nécessaires pour décider de leur utilisation pour le chauffage ou comme carburant. Personne, à l'heure actuelle, n'est capable de donner des chiffres suffisamment précis pour décider de la solution optimale du point de vue du rendement énergétique.
L'encadrement européen des aides publiques qui restreint les possibilités pour chaque État de mettre en place des politiques énergétiques autonomes entrera en vigueur au 1er juillet 2014, mais l'État français pourra cependant utiliser des marges de souplesse et nous souhaitons que celles-ci soient pleinement utilisées.
En ce qui concerne la sélection géographique des projets photovoltaïques, il me paraît logique de les implanter là où le rayonnement est le plus puissant. Or le photovoltaïque, en dépit du réchauffement des températures qui affecte un peu le rendement des panneaux, reste plus performant dans le sud de la France que dans le nord. Ceci dit, des opportunités subsistent dans le nord de notre pays où l'ensoleillement reste aussi puissant que dans le sud de l'Allemagne.
En matière d'éoliennes, nous avons demandé la suppression de la règle des cinq mâts afin de tenir compte de la réalité selon laquelle, dans certaines régions, l'habitat est dispersé. Soyez cependant rassuré qu'aucun industriel n'installera une seule éolienne car cela est économiquement absurde.
Je souligne simplement, s'agissant d'Alstom et d'Areva, que ces deux industriels développent chacun, selon des orientations technologiques différentes, des éoliennes offshore et j'espère que la solution retenue ne laissera pas disparaître la voie originale et prometteuse suivie par Alstom. Mais il ne m'appartient pas de donner un avis sur le choix du scénario industriel.
La France n'est effectivement pas leader dans les énergies renouvelables mais je rappelle cependant que nous avons certains champions nationaux. Par ailleurs, sur la base des indications que j'ai pu vous fournir, l'objectif de 32 % d'énergie renouvelable en 2030 peut apparaître comme une vue de l'esprit, mais si nous rectifions la trajectoire, et à condition de réduire les freins qui subsistent aujourd'hui, atteindre ce but est techniquement et économiquement réalisable et les industriels en sont persuadés.
Je ne dispose pas aujourd'hui de chiffres sur les parts de marché des industriels français dans les énergies renouvelables mais un certain nombre d'entreprises sont d'ores et déjà performantes sur les marchés émergents. Viser 5 à 10 % du marché mondial est un objectif réaliste et notre organisation apporte son soutien à cette offensive. Encore faut-il préciser que cela nécessite de développer un marché national et d'activer les outils de promotion de notre commerce extérieur en insistant sur le rôle fondamental du loyer de l'argent dans ce domaine. Il faut donc mobiliser des outils de financement à l'exportation compétitifs.
Comme vous l'avez indiqué, la filière de la méthanisation reste aujourd'hui balbutiante en France, avec quelques centaines d'installations contre plusieurs milliers en Allemagne, et il convient de la structurer en identifiant tous les intervenants.
Je confirme également que les appels à manifestations d'intérêt (AMI) en matière d'hydrolien comportent des délais trop longs. Outre la lourdeur du mécanisme mis en place, lorsque chacun des projets aura été sélectionné, six mois seront encore nécessaires pour les notifier individuellement à la Commission européenne qui les examinera. Il faut cependant reconnaitre que les autres pays européens n'ont pas, dans ce domaine, une avance considérable sur la France.
Par ailleurs, aucun industriel n'est aujourd'hui capable de chiffrer l'énergie thermique des mers, même s'il s'agit de technologies prometteuses.
Notre avis est partagé sur la question des appels d'offres, qui ont la préférence de la Commission de régulation de l'énergie par rapport à la fixation de tarifs d'achat garantis. On constate que l'efficacité des appels d'offre se renforce et, dans la mesure où ils font l'objet d'une concertation entre professionnels, ces appels d'offres peuvent être une bonne solution à condition de les dimensionner très largement, afin de tenir compte de la non-réalisation d'une partie des projets sélectionnés.
En ce qui concerne la formation et la responsabilité des entreprises à l'égard des maitres d'ouvrage, le « garant de l'environnement » est une procédure à laquelle nous sommes favorables sur le principe, même si sa mise en oeuvre est loin d'avoir atteint son optimum.
Vous vous êtes demandé si les initiatives des collectivités locales ne se développaient pas de façon prioritaire dans la biomasse plutôt que dans l'éolien. Les retours de terrain indiquent que les deux segments progressent. Toutefois, les retombées économiques locales de la biomasse sont très rapidement visibles.
La recherche, en France, est performante et assortie d'outils de financement qui paraissent à la hauteur de nos ambitions. Toute la difficulté est ici de transposer les résultats de la recherche dans l'industrie, en particulier dans le secteur du photovoltaïque.
Des programmes de recherche pour améliorer le stockage hydraulique se développent dans plusieurs directions dans le cadre des investissements d'avenir : batteries électrochimiques, air comprimé, conversion... Je rappelle qu'il existe à l'heure actuelle un très bon procédé qui, grâce à son bon rendement, doit permettre de satisfaire les besoins d'ici 2030 : le stockage d'énergie par pompage turbinage dit STEP.
Enfin, monsieur le Président, nous sommes évidemment très favorables à l'inclusion d'une obligation relative au solaire thermique dans les permis de construire : alors que les coûts d'installation du solaire thermique dans l'habitat existant sont très élevés, ce procédé pourrait être extrêmement compétitif dans les constructions neuves. Je rappelle cependant que la réglementation actuelle fixe d'ores et déjà des exigences minimales en matière d'utilisation des énergies renouvelables.
Je vous remercie de cette intéressante audition. Nous ferons certainement appel à vous à l'occasion des délibérations sur le projet de loi relatif à la transition énergétique.
La réunion est levée à 10h55.
Présidence de M. Raymond Vall, président -
La commission entend M. Jacques Rapoport, président-directeur général de Réseau Ferré de France (RFF), sur le projet de loi portant réforme ferroviaire.
La réunion reprend à 11 heures 05.
Nous avons le plaisir de recevoir M. Jacques Rapoport, président-directeur général de Réseau ferré de France (RFF), au sujet de la réforme ferroviaire.
Michel Teston, rapporteur du projet de loi, et François Patriat, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances et en tant que président de région, auront de nombreuses questions à vous poser.
Je vous poserai quant à moi quelques questions liées à la ruralité.
Merci de me donner l'occasion de vous présenter ce projet. Je n'ignore évidemment pas que l'actualité est chargée : nous subissons aujourd'hui une grève de la SNCF déclenchée par deux organisations représentatives sur quatre. Cette grève perturbe fortement le trafic.
Ma pensée va vers les voyageurs, mais également vers les chargeurs. J'étais ce matin au Salon du transport et de la mobilité, Porte de Versailles. Les chargeurs m'ont fait part des graves difficultés que génère le fait que leurs trains soient immobilisés. Des millions de nos concitoyens sont également pénalisés par cette situation, qui ne peut évidemment pas être satisfaisante.
Je voudrais vous faire part de ma vision des choses et de l'intérêt de ce projet. Si l'on mène une réforme, c'est que le diagnostic n'est pas satisfaisant, qu'il y a des dysfonctionnements que l'on cherche si possible à résoudre, du moins à réduire.
Ce système est en place depuis 1997. Quel bilan en tirons-nous, dix-sept ans après ? Nous constatons que notre réseau a beaucoup vieilli ; à certains endroits, ce vieillissement frise la dégradation.
RFF est juridiquement propriétaire de ce patrimoine. Nous sommes en fait affectataires d'un bien national, la valeur juridique étant accessoire. Ma responsabilité est de dresser pour la représentation nationale le tableau de l'état dans lequel se trouve ce patrimoine.
Vous le savez - le rapport de la Cour des comptes que vous avez diligenté a fourni quelques éléments - notre réseau s'est beaucoup dégradé, du fait d'un sous-investissement chronique de trente années. Je ne jette pas la pierre à mes prédécesseurs : en 1980, une pause de cinq à dix ans était probablement justifiée, mais celle-ci a duré trente ans.
Depuis cinq à six ans, les investissements ont repris - et c'est une excellente chose - mais ils ont repris prioritairement sur le réseau régional. Il est vrai qu'il s'agissait du plus dégradé mais, de fait, la partie la plus structurante du réseau, celle où circulent 80 % des trains, a continué à vieillir. Après les efforts très importants accomplis en 2013 et 2014, l'âge moyen du réseau va continuer à augmenter.
Nous avons face à nous nous un mur de travaux dont l'impact économique est considérable. Il comporte des enjeux en matière de circulation des trains, avec une qualité de service tendanciellement à la baisse sur les zones les plus denses, notamment en Île-de-France.
Le second élément négatif concerne l'explosion de la dette. RFF enregistre à ce jour 35 milliards d'euros de dette et la SNCF 7 milliards d'euros. Je ne parlerai pas de cette dernière : pour une entreprise qui fait 38 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 7 milliards de dette pour financer le renouvellement de son patrimoine, ce n'est pas grand-chose. Ce serait mieux qu'il y en ait moins, mais cela ne présente pas de risque, dès lors que cette dette sert à financer des investissements, et non à boucher des trous.
En revanche, les 35 milliards d'euros de dette de RFF constituent une dette dont la validité économique est plus que discutable. L'Insee vient de requalifier en dette publique 10,8 milliards d'euros, à partir d'un calcul assez complexe.
Il est clair que cette part publique de la dette va croître dans les années qui viennent. RFF détient donc une dette mixte, avec une part justifiée par le fait que nous avons des péages, que le trafic augmente, et que nous devons financer des investissements. Une part de cette dette est saine, mais une autre ne l'est pas, et nous ne dégageons pas de capacités de remboursement. Par ailleurs, la dette augmente de 3 à 5 milliards d'euros par an. Non seulement le stock est très élevé, mais le flux est également très défavorable.
Pourquoi cette dette augmente-t-elle tant ? Nous avons en fait un volume d'investissement très important : nous investissons sur le réseau ferroviaire comme jamais en France.
Un ordre de grandeur, pour que l'on se rende bien compte : faire fonctionner le réseau coûte 4 milliards d'euros par an, hors frais financiers. Nous investissons 7,5 milliards, soit quasiment 200 % de notre chiffre d'affaires ! Aucune entreprise ne le fait. Nous avons des investissements considérables : les quatre lignes à grande vitesse (LGV) en travaux représentent, à elles seules, une vingtaine de milliards sur cinq ans.
Ce sont des sommes considérables qui sont investies sur le réseau. Or, il n'existe pas d'autofinancement, qu'il s'agisse de celui dégagé par l'exploitation, qui est de quelques centaines de millions d'euros par an, ou des subventions perçues, qui ne sont évidemment pas suffisantes. Il manque donc 3 milliards d'euros, et ceux-ci viennent augmenter un peu plus la dette chaque année.
Ceci va durer jusqu'en 2017, avec la mise en service des quatre LGV ; tout dépendra après de la suite qui sera donnée au programme TGV et à son mode de financement.
Dernier élément auquel je suis très sensible - mais l'opinion l'a également été récemment : la logique système est mal gérée par la SNCF et RFF, comme l'a montré l'affaire des trains trop larges ou des quais trop étroits.
Les gens qui ont agi comme ils l'ont fait ont respecté les instructions que leur donnait leur entreprise, compte tenu de l'objet social de chacune des deux maisons. Dans cette affaire, les intérêts de deux entreprises publiques, qui partagent le même métier, sont exactement contradictoires. L'une gagne, l'autre perd. On a passé deux ans à dire que c'était à l'autre de payer. Au bout du compte, c'est RFF qui a réglé la facture. Le système ne conduit pas seulement à l'affrontement, mais également à la séparation.
Dans certains pays, les deux entités sont séparées, comme en Angleterre, en Belgique, en Espagne. Dans d'autres, comme l'Allemagne, l'Italie, l'Autriche, la Suisse, les deux entités ne le sont pas. C'est le cas de la moitié des pays européens environ. Les pays qui ne comportent qu'une seule entité ne connaissent pas d'affrontement ; en France, la SNCF et RFF sont non seulement séparées mais se livrent en outre à des affrontements, les intérêts des deux étant opposés !
Le bilan en a déjà été tiré, qu'il s'agisse des Assises du ferroviaire, du rapport de la Cour des comptes, ou de la commission Duron. Je n'insisterai donc pas, mais il est indispensable de rappeler que le statu quo est un danger majeur. On sait que beaucoup de conflits sociaux se sont terminés par le retrait du projet. Or, vous le savez, la dégradation de notre système ferroviaire s'accélérera si le statu quo perdure. C'est là le risque principal, les Assises du ferroviaire l'ont démontré.
Notre système est unique au monde. Les organisations ferroviaires sont extrêmement variables. À l'une des extrémités se trouve l'Angleterre, où il n'existe plus d'opérateur historique, le système ayant été abandonné à la franchise, avec un gestionnaire de réseau qui, après avoir été privatisé, a été nationalisé à nouveau. À l'autre extrémité, on trouve le Japon, la Russie, et même les États-Unis, où les systèmes sont totalement intégrés. Entre les deux, il y a toute la gamme, mais nulle part au monde l'infrastructure n'est coupée en deux, que ce soit dans un système totalement séparé, à l'anglaise, totalement intégré à la japonaise, ou encore à la suisse, ou que ce soit dans des systèmes intermédiaires à l'allemande, à l'italienne ou à l'autrichienne.
Et même dans les pays où la séparation répond à des principes fondamentaux, comme l'Angleterre, où la notion de service public existe peu, on est en train de recréer des liens forts entre les transporteurs et l'infrastructure, car on constate que la séparation nuit à la vision du système.
Le chemin est donc largement tracé. Le choix se résume entre l'unité de l'infrastructure, qui ne fait l'objet d'aucun débat, et le système intégré ou séparé.
Voyons donc ces options. Il en existe trois ; vous ne serez pas surpris d'apprendre que je propose d'en écarter deux pour n'en retenir qu'une. Le premier choix, c'est celui d'une intégration dans une entreprise SNCF unique, un Établissement public industriel et commercial (Epic) unique. Cette solution, je la qualifierais, de façon peut-être provocante, de seconde étape du démantèlement, la première ayant été la création de RFF.
Dans ce système d'intégration complète, il convient de sortir l'allocation des capacités de l'Epic unique, les règles européennes en vigueur prescrivant que cette allocation ne peut être réalisée par une entreprise assurant un service de transport. C'est là le droit communautaire, qui remonte déjà à plusieurs années. Il n'existe pas un seul pays en Europe où l'allocation des sillons soit réalisée par le transporteur. Cela reviendrait à confier la responsabilité de l'allocation des sillons au ministère des transports, à une administration et non à une entreprise ferroviaire !
En tant que technicien ferroviaire et responsable opérationnel, j'indique ici avec la plus grande clarté que ce système ne peut fonctionner. Pourquoi ? Nous avons quinze ans de travaux devant nous ; or, le sujet fondamental, pour notre système ferroviaire, réside dans l'arbitrage entre sillons et travaux, sujet horriblement compliqué. Les présidents de région savent combien il est difficile. Je me souviens des débats que nous avons eus l'année dernière avec la Bourgogne au sujet du Renouvellement Voie Ballast (RVB) : cela nécessite un effort de tous pour aboutir au meilleur compromis. Si ce sont des fonctionnaires qui effectuent cette tâche, je puis vous garantir que cela ne fonctionnera pas.
L'autre option, à l'opposé, réside dans la séparation, qui est promue par beaucoup d'acteurs du ferroviaire, en s'appuyant sur ce qui se passe dans plusieurs pays d'Europe. Outre l'Angleterre, on peut citer la Suède, la Belgique, ou l'Espagne. Je ne suis pas favorable à la séparation, non pour des raisons de principe, mais pour une raison pratique : je constate que nous avons aujourd'hui un opérateur de transports qui effectue 95 % des circulations. Tout le monde sait que, quel que soit le rythme d'ouverture à la concurrence, l'opérateur historique reste dominant très longtemps - sauf en Angleterre, l'opérateur historique ayant été découpé. Partout ailleurs où l'opérateur a été mis en concurrence, celui-ci reste dominant très longtemps, et ce pour une raison simple : c'est un marché où il existe des barrières à l'entrée, le chemin de fer n'est pas une start up. Quelle que soit l'ampleur de la concurrence, les parts de marché de l'opérateur historique régressent très lentement. Voyez l'Allemagne, ou la Suède. Ajoutons que les pays s'arrangent pour que cela aille encore plus doucement. Chacun le sait.
Un opérateur qui détient 95 % du marché est totalement investi dans la logique du système. Un opérateur qui possède 5 ou 10 % du marché veut être compétitif par rapport à ses concurrents. Savoir comment renouveler les postes d'aiguillage qui datent de 1932 n'est pas le problème de Thello. Thello a ses enjeux d'entreprise, qui reposent sur la compétitivité de son produit. Un opérateur qui a 95 % du marché est concerné par le système global, tout comme le gestionnaire d'infrastructures, dont c'est la mission.
Il faut donc une forte intégration entre le transporteur et le gestionnaire d'infrastructures, parce que tous deux poursuivent le même but, qui est le bon fonctionnement du système. Dans un système totalement séparé à l'anglaise, seul le gestionnaire d'infrastructures est en charge de la logique système. Chaque opérateur a les yeux rivés sur sa propre compétitivité. Un opérateur qui détient des parts de marché très élevées est autant concerné que le gestionnaire d'infrastructures. Qui a été sollicité lors de la catastrophe de Brétigny ou de l'affaire des trains soi-disant trop larges ? La SNCF. Aux yeux de l'opinion publique, c'est la SNCF - et c'est fort bien ainsi. Je n'en ressens aucune animosité. (Rires).
Au-delà de la boutade, j'insiste bien : dès lors qu'on a un opérateur dominant, il ne peut y avoir de séparation avec le gestionnaire d'infrastructures, car ceci conduit à l'affrontement - et je ne fais là aucune idéologie.
La solution est celle qui existe en Allemagne, en Italie ou en Autriche : il s'agit de la holding. Pourquoi un groupe intégré et non une entreprise intégrée ? Je l'ai dit à propos de l'allocation des sillons. J'ajoute qu'il existe un autre problème : dans une grande entreprise publique très intégrée, très soudée, on dit souvent que la gestion est centralisée et la stratégie décentralisée, ce qui est évidemment le contraire de ce qu'il faut faire.
L'intérêt du groupe public va au-delà du maintien de l'allocation des sillons dans le groupe, coeur du réacteur. L'autre intérêt du groupe est que l'on ne se pose plus de questions sur le fait de savoir qui garantit la stratégie et qui est en charge des opérations, puisqu'on a une structure en charge du pilotage global, et deux autres en charge de la réalisation. C'est pourquoi, progressivement, toutes les grandes entreprises s'organisent en groupes et non pas seulement en entreprises. Ceci permet une identification claire des responsabilités entre le stratégique, le pilotage global, la responsabilité économique, le choix des investissements stratégiques, assurés par la structure de tête - la holding - et les opérateurs chargés d'assurer la production, garants du bon fonctionnement technique, économique et social de la production.
Nous devons être leader mondial en matière de techniques ferroviaires. Nous le sommes avec la grande vitesse, il faut qu'on le devienne sur la partie du ferroviaire lourd, du « mass transit ». Les villes de 10 à 20 millions d'habitants poussent comme des champignons à travers le monde : le métro ne leur suffit pas. Il faut du transport ferroviaire lourd, de 50 à 100 kilomètres, qui traverse l'agglomération, ce que nous savons faire avec le RER - mais celui-ci a maintenant vingt-cinq ans d'âge. Nous avons donc des enjeux de maîtrise technologique et de leadership mondial en matière de « mass transit » sur le ferroviaire lourd. Nous avons la capacité de le faire : il faut absolument que nous nous investissions dans ce domaine. C'est l'objet essentiel du grand plan de modernisation du réseau. Il nous faut devenir, sur la partie du ferroviaire dense, pour les transports quotidiens, le même champion mondial que celui que nous sommes en matière de grande vitesse.
Qu'attendre de cette réforme, telle que je viens de l'indiquer ? Deux choses. La première est d'améliorer la qualité de services rendus aux usagers, voyageurs et chargeurs. Ce n'est pas par des incantations que l'on redressera le fret dans ce pays, mais parce qu'on aura un réseau qui lui permettra d'être compétitif par rapport à la route. Tant qu'on n'est pas capable d'allouer des sillons de 1 000 kilomètres fiables, pertinents, rapides, efficaces, à cause de travaux et de bouchons, le fret ne se redressera pas.
L'autoroute ferroviaire Bettembourg-Perpignan le montre bien : lorsque l'offre est compétitive, la demande de fret est là. C'est un exemple qui a maintenant déjà une dizaine d'années, avec un taux de remplissage de 80 %, et la perspective de passer de quatre à six allers-retours par jour. Quand l'offre n'est pas compétitive, la demande se reporte sur les camions. La qualité de service se fait donc par la vision système, l'intégration, la conduite des projets, le partage des priorités. C'est le coeur de ce que l'on doit attendre : le redressement d'un réseau vieillissant, et la qualité de services.
Le second objectif réside dans la performance économique, afin de contribuer à la maîtrise de l'endettement. Guillaume Pepy et moi disons que cette réforme, en simplifiant tous nos « process », en réunifiant des entités qui s'affrontent, en offrant une vision à moyen et long termes, doit nous permettre de gagner un milliard d'euros par an, 500 millions d'euros du côté du gestionnaire d'infrastructures et 500 millions d'euros du côté du transporteur.
A la lumière de mon expérience, à la RATP ou à La Poste, je sais que nous avons les 500 millions d'euros de productivité, qui représentent moins de 10 % de notre chiffre d'affaires, grâce à une organisation normale que nous n'avons pas aujourd'hui.
Nous demandons en outre aux pouvoirs publics de ne pas payer d'impôt sur les sociétés, et de ne pas verser de dividende, soit environ 500 millions d'euros. Par ailleurs, si les pouvoirs publics décident de nouvelles LGV - ce dont nous serions évidemment ravis- nous demandons à ne pas participer à leur financement. Dans ces conditions, compte tenu de notre volume de dette, nous pensons pouvoir la stabiliser en cinq ans. Nous ne prétendons pas la réduire : si quelqu'un propose qu'on nous la réduise, nous serions très favorables à une telle proposition ! (Sourires).
Quoi que l'on fasse, nous aurons, avec les quatre LGV en cours, 10 milliards d'euros de dette supplémentaires ! Nous demandons donc simplement, pour l'avenir, que les décideurs soient les payeurs.
Ce projet de loi est en préparation depuis deux ans et demi. Il a donné lieu à d'innombrables débats, discussions et rapports, notamment ceux de Jean-Louis Bianco, la Cour des comptes, Jacques Auxiette, ou des Assises du ferroviaire. S'il y a bien une critique que l'on ne peut émettre, c'est qu'on légifère dans la précipitation !
C'est vraiment ma conviction, ce projet de loi représente l'équilibre pertinent pour les dix ans à venir. Il doit permettre aux usagers et à la France de disposer d'un système ferroviaire qui fonctionne mieux, prêt à faire face à la concurrence.
Vous avez bien fait de rappeler que la situation actuelle du système ferroviaire n'est pas satisfaisante ; j'ajoute que rester dans le statu quo serait, de mon point de vue, irresponsable.
Vous avez parfaitement expliqué comment le choix, entre trois solutions possibles, s'est arrêté sur la solution verticalement intégrée, avec un système qu'on appelle holding en Allemagne, en Autriche ou en Italie, et qui sera, en France, constitué de trois Epic, un Epic de tête et deux Epic « filles », selon la terminologie retenue.
Ma première question concernera le volet financier de la réforme. Il manquait, au moment des Assises du ferroviaire, 1,5 milliard d'euros par an pour assurer l'équilibre du système. Avec l'indispensable action de régénération du réseau classique, qui est en cours, et le financement, en tout ou partie, des quatre lignes à grande vitesse en voie de construction, pour un total de 736 kilomètres, il faudra emprunter chaque année bien plus que 1,5 milliard d'euros pour payer les annuités de la dette. En quoi la création du gestionnaire d'infrastructure unifié (GIU) regroupant RFF, la Direction de la circulation ferroviaire (DCF), et SNCF Infra améliorera-t-elle la situation ? Vous avez fait état de 1 milliard d'euros d'économies, moitié pour RFF, moitié pour la SNCF. Quelles mesures concrètes pensez-vous retenir pour maintenir ce niveau d'économies, absolument nécessaire à la stabilisation de la dette - je ne parle pas de sa réduction ?
En second lieu, la constitution du GIU va rassembler les 1 700 ou 1 800 personnels de RFF, les 14 000 personnels de la DCF et les 40 000 personnels de SNCF Infra. Les personnels de RFF n'ont pas forcément connu la période antérieure, celle de la SNCF. Comment allez-vous procéder pour intégrer dans les meilleures conditions ces personnels de cultures différentes dans le nouveau GIU ?
En troisième lieu, on sait fort bien que la répartition du foncier et de l'immobilier a fait l'objet d'arbitrages que je qualifierai de « douloureux », sans m'étendre davantage, qui ont duré de nombreuses années, s'agissant de la répartition des biens entre RFF et la SNCF. La réforme doit-elle traiter cette question ? C'est ce que propose l'Autorité de la concurrence, qui suggère de vous transférer la gestion des gares et connexions et des infrastructures de service. Pour l'instant, il est seulement prévu de transférer les cours de marchandises à SNCF Réseau. Êtes-vous prêt à prendre ces nouvelles responsabilités ?
Enfin, un amendement de mon collègue Gilles Savary, en commission du développement durable, à l'Assemblée nationale, pourrait vous autoriser à déléguer certaines de vos missions à des tiers - et pas seulement à des personnes publiques - sur l'ensemble des lignes à faible trafic, soit 12 000 à 13 000 kilomètres de voies. Je suis profondément attaché à l'unité du réseau ferré national, et je m'interroge sur ce sujet. En outre, je ne suis pas certain que ce soit un cadeau pour les régions, qui seront alors en première ligne face aux sollicitations des associations locales, comme la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (FNAUT), ou un certain nombre d'organismes. Qu'en pensez-vous ?
J'ai trouvé votre propos fort pertinent. Vous avez parlé d'un compromis pour éviter le statu quo ; quel pourrait être, selon vous, les éléments du compromis ?
D'autre part, je préside momentanément une région qui a un des plus grands réseaux ferrés de France. Les conventions entre la SNCF et la région Bourgogne sont passées de 110 à 160 millions d'euros par an, du fait du cadencement - et je ne parle là que du fonctionnement. Ceci m'amène une question ; que peut-on faire pour réduire la dette ? Au-delà même du texte de loi, il nous faut avoir quelque courage par rapport aux choix qui sont à faire. Nous en avons déjà opéré en supprimant des trains qui transportaient peu de voyageurs mais, comme dans beaucoup de domaines, nous maintenons un certain nombre de lignes dont l'intérêt local peut paraître évident aux yeux de certains utilisateurs, alors que l'intérêt général ne l'est absolument pas !
Je prendrai l'exemple d'une voie entre une petite commune du Nord de la Côte d'Or, disposant d'une coopérative céréalière, qui voit passer quarante trains par an et la ligne Paris-Lyon, où la voie est très dégradée, et dont la réhabilitation nécessite 9 millions d'euros. On demande à la région d'apporter 3 millions d'euros. Où voulez-vous, dans le contexte actuel, que la région trouve cet argent, alors que nous payons déjà les péages, les gares, la retraite des cheminots ? Je pense qu'il faut vraiment faire des choix. Je ne parle par des voies ferrées du Morvan ou de celle qui part aujourd'hui de Paris-Bercy pour aller jusqu'à Clamecy. Il nous faut être courageux. Nous devons l'être tous ensemble, après un effort de pédagogie important. Je ne suis pas sûr que l'on réduira la dette par ce biais, mais on ne pourra continuer ainsi pour ce qui concerne un certain nombre de lignes.
En second lieu, on n'a pas encore les contrats de projet, mais il semblerait que ceux-ci ne contiennent pas grand-chose, hormis le volet relatif à la mobilité. Le volet mobilité, pour la Bourgogne, signifie l'électrification d'une ligne Nevers-Dijon-Chagny, qui rejoindrait Montchanin et la remise en état de la Voie ferrée Centre-Europe Atlantique (VFCEA) qui, dit-on, représentera 17 millions d'euros. Comment les financer ? On nous dit que RFF va apporter 15 %. Pour le reste, il faut trouver les cofinancements. L'État fait donc appel à nous, tout comme pour le financement de la Route Centre-Europe Atlantique (RCEA), sur laquelle nous n'avons pas compétence !
Je suis donc quelque peu inquiet. Il est vrai que la région Bourgogne a bénéficié des premières LGV. C'est pour nous une grande satisfaction. On finira par Rhin-Rhône, et l'on aura ainsi le premier TGV transeuropéen, même s'il n'est terminé à aucune des deux extrémités. Si l'on doit réduire la dette, quelle sont donc vos pistes, monsieur le président ? A quel niveau la dette sera-t-elle stabilisée dans cinq ans ?
Je suis favorable à ces textes, j'en vois l'utilité, j'ai essayé de le démontrer lorsque j'ai rencontré les acteurs sociaux. Je leur ai dit qu'on allait gagner un milliard d'euros par an, ce que vous avez confirmé, et qu'il fallait à tout prix stabiliser cette dette.
Que disent les investisseurs qui achètent la dette de RFF ? Vous avez dit qu'on allait encore avoir besoin de 10 milliards d'euros pour terminer les quatre LGV. SNCF Réseau sera-t-il un émetteur crédible, compte tenu de son endettement ?
Le problème de RFF est lié à sa conception : une telle dette était insensée ! Faut-il que l'État reprenne une partie de la dette ? Comment réaliser la défaisance ? Ces questions risquent d'être pendantes pour les cinq ans à venir !
Vous avez certainement raison, en tant que président de région, de poser ces questions, mais cela me rappelle nos discussions sur le Schéma national des infrastructures de transport (SNIT). On avait estimé avoir une certaine responsabilité lorsqu'il ne restait plus qu'une voie ferrée sur un territoire. Certaines régions cumulent les financements. Il faudra en tenir compte, faute de quoi on aura l'impression qu'il existe deux France, celle qui a bénéficié de financements, et celle qui est aujourd'hui face à une contribution à 90 ou 100 % !
Monsieur le président, mes chers collègues, la situation n'est pas mirobolante : aujourd'hui, c'est la grève ; hier, c'étaient les trains trop larges. Entre nous soit dit, cette affaire a été montée de toutes pièces par quelques collègues qui se sont laissés aller ! Cela fait des dégâts considérables. Le Financial Times en a même parlé. J'ai d'autres échos internationaux qui touchent directement notre industrie nationale. Je trouve anormal de se tirer ainsi une balle dans le pied de la part de gens censés être en charge de responsabilités !
Le diagnostic est largement partagé : les Assises du ferroviaire, que nous avons mises en place, ont montré qu'il y a bien lieu de s'en préoccuper. Il n'y a donc aucune opposition sur la réforme et sur son principe. J'irai même au-delà : ce que disent Michel Teston ou notre collègue Patriat ne me surprend pas, ne me choque pas. Nous allons donc pouvoir tomber d'accord sur un certain nombre de points, comme le GIU.
Votre présentation était dynamique, pédagogique et motivée. Pour autant, est-elle convaincante ? C'est un autre problème.
Le premier problème que je soulève est celui de la gouvernance. Lorsque nous avons réalisé la scission entre RFF et la SNCF, j'avais dit qu'une chatte n'y retrouverait pas ses petits ! J'avoue que ce que vous proposez là m'apparaît comme une nébuleuse, une galaxie d'institutions. Je ne parlerais pas ici du Haut comité du ferroviaire, qui rappelle étrangement le Conseil national des transports. Qui fait quoi ? Pourquoi complexifier autant les choses ?
Ma deuxième question porte sur la dette. François Patriat en a très bien parlé, et Michel Teston a soulevé le problème. Vous l'avez dit vous-même : « La dette n'apparaît pas clairement dans la réforme ferroviaire ». Hier, le ministre a déclaré au Salon de la mobilité : « Si nous arrivons à la stabiliser, voilà déjà un bel objectif ! ». Je ne suis pas sûr que cet objectif soit suffisant !
Avant même la scission avec RFF, nous avions déjà une dette conséquente de la SNCF en tant qu'entité unique. Quand on évoque le fait de revenir à la SNCF d'antan, vous comprenez mes réactions !
Cette dette présente des chiffres considérables. Vous avez annoncé 2,5 milliards d'euros par an. Hier, Frédéric Cuvillier a annoncé qu'on était à 40 milliards d'euros, et qu'on voguait vers les 80 milliards d'euros !
On n'est plus à un milliard près ! La pente est glissante, mouvante et dangereuse ! Vous avez amené des réponses, mais je suis obligé de constater que les économies que vous préconisez, si elles sont souhaitées, sont loin d'être garanties ! Le fait de faire des économies en rapprochant les deux entités sous-entend-il qu'elles étaient mal gérées ?
Aujourd'hui, 40 % des crédits de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) vont au ferroviaire, Or, l'éco-redevance ayant disparu, l'AFITF n'est plus alimentée financièrement. Les contrats de projets État-région (CPER) sont entièrement vides, alors qu'ils prévoyaient un volet « mobilités » qui, auparavant, n'existait pas. Ni le problème de la dette en général ni celui du financement ne me paraissent donc être traités comme il faut.
Je ne parlerais pas de l'ouverture à la concurrence, à laquelle je suis extrêmement favorable, mon groupe aussi. Quand je vois ce qui se passe à l'étranger avec l'ouverture à la concurrence, je pense, monsieur le président de région, que l'on a gaspillé l'argent public - si vous me permettez ce terme peut-être un peu fort. Aujourd'hui, vous achetez quelque chose 20 à 30 % plus cher que ce qu'il vaut réellement.
On cherche de l'argent pour nos financements : avec une dizaine de milliards d'euros, on gagne tout de suite plus de 480 millions de frais financiers ! Il appartient donc à l'État d'assumer ses responsabilités.
S'agissant des murailles de Chine, celles-ci sont souhaitées et souhaitables, afin d'y voir clair et éviter la discrimination. Elles n'existent qu'à moitié en Allemagne, où il y a un contentieux, et encore moins en Italie ! Quelles murailles de Chine pouvez-vous nous garantir, pour assurer une non-discrimination et une transparence au système ?
Pour terminer, il n'y a aucune visibilité en matière de trains d'équilibre du territoire (TET), ni de matériel, alors que ceci touche directement notre industrie ferroviaire. J'ai appris hier qu'un de nos plus grands constructeurs allait fermer ses usines en 2015, faute de commandes de matériel ferroviaire !
Enfin, où sont passés les usagers ? La réforme ferroviaire est peut-être faite pour les institutions, pour l'État, mais elle est d'abord destinée au client, à l'usager ! Or, cet usager-là n'apparaît pas !
M. Nègre a fort bien présenté la situation - même si je ne suis pas d'accord avec tout ce qu'il a dit.
S'agissant de la dette de RFF, ne devons-nous pas nous en prendre à ceux qui ont géré la France depuis des années ? Ce n'est pas RFF qui s'est endetté, c'est l'État qui a endetté RFF !
J'ai siégé au conseil d'administration de RFF durant quelques mois : j'ai vu les pressions s'exercer de tout bord ! Tous les hommes politiques désiraient des LGV ! RFF, qui n'en a pas les moyens financiers, est obligé d'emprunter.
J'ai également constaté, au cours de ces conseils d'administration, que les rapports avec la SNCF étaient difficiles.
Le problème des quais apparaît effectivement préjudiciable pour l'image de l'entreprise. Si un élu avait géré sa collectivité de cette façon, il aurait sans doute eu de sérieux ennuis mais, en général, en France, la haute administration sort toujours indemne de tous les litiges, alors que les élus sont condamnés ou poursuivis.
Je souligne par ailleurs que, sur la ligne LGV Atlantique, la sous-traitance a très peu ou très mal fonctionné, contrairement aux engagements pris.
Enfin, je souhaiterais vous poser une question : la loi Duflot a pris des mesures que j'estime bonnes concernant les bâtiments délaissés par l'armée ou la SNCF. Quantité d'entre eux ont été abandonnés, alors qu'on aurait pu les vendre dans des conditions fort convenables. On en connaît partout, dans la Vienne comme ailleurs. Avez-vous pu commencer à vendre un certain nombre de ces biens ? L'intérêt de la loi Duflot était de permettre de construire sur ces terrains les logements sociaux dont nous avons besoin !
J'ai voté la loi de 1997 avec enthousiasme. Mme Anne-Marie Idrac nous a ensuite dit que c'était impossible à gérer, du fait de milliers de marchés. Je suis aujourd'hui convaincu que c'est une bonne chose que de regrouper tout le monde. Cependant, comment allez-vous faire pour fusionner ces cultures différentes ?
En second lieu, pour la dette, j'ai en tête une somme de 35 milliards d'euros pour RFF, et 7 milliards pour la SNCF, soit 42 milliards d'euros. On n'est donc pas à 80 milliards. Pouvez-vous nous préciser ce point ?
Une des solutions n'est-elle pas ce qui s'est fait à Tours, où un intervenant privé joue le rôle de RFF ? Ne peut-on multiplier ces exemples pour stabiliser la dette ?
S'agissant du financement, il existe en Allemagne une holding. Les péages sont les mêmes pour tout le monde. Peut-être sont-ils un peu chers, mais la Deutsche Bahn (DB) récupère cet argent à travers la holding. Est-ce prévu chez nous ?
Concernant la concurrence, vous avez dit que, sauf en Angleterre, l'opérateur historique garde en général une part élevée du marché. Je suis d'accord, mais cette concurrence constitue un formidable aiguillon pour l'opérateur historique. Allez-vous imposer des comptes de ligne, comme en Suisse, afin que les régions y voient clair, aient une comptabilité analytique et une certaine transparence ? C'est fondamental pour que le système fonctionne !
D'autre part, en matière de fret, 40 % des sillons sont actuellement financés par l'État jusqu'en 2015. Combien cela représente-t-il ? Cela va-t-il continuer ?
Enfin, s'agissant des trains trop larges, j'ai eu l'occasion de discuter avec des responsables de la DB, qui m'ont dit que nous avions eu raison de choisir des trains homologués. L'Allemagne, quant à elle, donne de l'argent aux Lander, qui achètent le matériel qu'ils souhaitent. S'ensuivent des coûts de maintenance extraordinaires, et les trains de Munich ne peuvent rouler à Hanovre !
Vous vous êtes livré à un vibrant plaidoyer pour que l'on ne demeure pas dans le statu quo, en employant des termes assez forts, comme ceux d'intérêts contradictoires. Vous êtes un expert : je n'ai pas à mettre en doute votre jugement !
J'entends encore, en 1997, ces experts nous dire qu'il fallait absolument séparer les deux entreprises, qu'on ne pouvait avoir un opérateur dominant, qu'il ne pourrait pas participer à l'ouverture du marché, ni proposer d'allocations de sillons, etc.
Nous avons suivi les experts, tout en trouvant qu'on avait un peu chargé la barque s'agissant de la dette de RFF. Nous nous interrogions, par pur bon sens, sur la capacité de RFF à rembourser. On nous a expliqué que la situation était la même que celle d'Aéroports de Paris (ADP), qu'il ne s'agissait là que de foncier, et qu'il n'y avait pas de problème.
Aujourd'hui, je ne crois pas à la stabilisation de la dette dans cinq ans ! Je pense qu'on est englué dans cette dette. Il suffit que les taux d'intérêt changent pour que la situation bascule. Je ne pense pas qu'une entité commune résoudra le problème.
La manière dont vous avez détaillé les trois scénarios est très intéressante.
Je voudrais féliciter l'entreprise pour l'investissement considérable qu'elle réalise. C'est grâce à cet effort que l'on pourra s'en sortir, sans quoi on n'y arrivera pas - je parle là du réseau, bien entendu !
Je vous félicite également pour le nouvel esprit qui existe entre les deux entités. Ce que nous avons vécu dans la période précédente était plutôt gênant, tant pour l'image que pour le fonctionnement de l'ensemble.
S'agissant de la dette, puis-je suggérer que l'on s'intéresse aux banques ? Depuis combien de temps gagnent-elles de l'argent avec la dette, sur le dos des entreprises ? Ne pourraient-elles faire des efforts ?
Si j'ai bien compris ce que vous dites, la seule chose que nous impose l'Europe, c'est de sortir l'attribution des sillons de l'ensemble. Est-ce seulement ce qu'exige l'Europe, ou y a-t-il d'autres demandes ?
Vous avez évoqué la stratégie. Ne pensez-vous pas que la formation et le suivi des personnels pourraient, d'une manière générale, faire davantage partie de la stratégie ?
Je voudrais rebondir sur ce qui a été dit à propos de la grève et du mouvement social qui est en train de se produire, qui remporte tout de même un certain succès. De quoi les cheminots ont-il peur ? Ils redoutent la vente à la découpe. On sait très bien que la séparation des activités a précédé le démantèlement de toutes les entreprises - publiques, mais aussi privées. Je crois donc que les syndicats ont besoin d'être rassurés sur la cohésion et la cohérence que pourraient offrir le nouveau système.
S'agissant du patrimoine, je comprends que l'on soit dans une situation difficile et qu'on ne puisse tout entretenir ; cependant, j'attire votre attention sur le fait que nous avons un réseau unique et exceptionnel, qui a organisé l'aménagement du territoire. Même si l'on décide de ne plus utiliser telle ou telle ligne, il faut conserver les emprises. Le jour où celles-ci disparaîtront, ce sera terminé ! Or, si des entreprises veulent un jour s'installer à certains endroits, on se félicitera d'avoir conservé l'emprise pour reconstituer le réseau.
Quant à l'idée que les décideurs sont aussi les payeurs, je l'ai déjà dit au président Pepy : vous prêchez une convaincue !
Enfin, quelle va être l'incidence du quatrième paquet ferroviaire ?
Contrairement à Francis Grignon, j'ai voté contre la loi de 1997 et j'ai attendu dix-sept ans pour que le démantèlement soit revu dans un texte dont je partage l'esprit.
Votre discours, monsieur le président, m'a paru d'une très grande qualité, mais je m'interroge face aux 28 % de grévistes que l'on compte aujourd'hui. Pourquoi le système ferroviaire est-il bloqué ?
D'autre part, l'Epic de tête peut-il gérer selon vous l'ensemble du patrimoine actuel de la SNCF ?
L'Association des régions de France (ARF) se pose des questions sur sa présence au sein du conseil d'administration. Elle finance les deux-tiers du trafic et souhaiterait être représentée à la même hauteur que l'État. Un seul représentant est-il selon vous suffisant ?
Vous avez évoqué la requalification par l'Insee de 10 milliards d'euros de dette. Je trouve que c'est une bonne solution, mais je n'ai pas entendu le Gouvernement en parler. Cette requalification s'impose-t-elle d'elle-même ou faut-il que le Gouvernement décide de la mettre en oeuvre ?
La LGV Sud Europe Atlantique (SEA), qui ouvre en 2017, va être gérée par l'entreprise LISEA. Quel type de relations allez-vous avoir avec elle ? Je connais leur réponse, mais j'aimerais entendre la vôtre. Certaines mauvaises langues considèrent que la ligne devrait être en déficit chronique d'environ 100 millions par an. Est-ce le cas ?
Beaucoup de gens s'interrogent sur le rôle du Haut comité du ferroviaire. Je pense qu'il peut jouer un rôle important, à condition qu'il puisse servir de lieu de débat permanent pour l'ensemble des institutions, comme cela a été le cas du Conseil supérieur du service public ferroviaire (CSSPF), créé à l'époque par Jean-Claude Gayssot. J'ai eu le plaisir de le présider durant plusieurs années. C'était une instance très utile.
Je terminerai par la dette de RFF. Elle provient des infrastructures TGV et aurait dû être requalifiée en dette d'État, ce qui aurait pu se faire à un certain moment. Ce n'est plus le cas à présent. C'est dommage ! Je demeure très sceptique, malgré votre plaidoirie, quant à la baisse de cette dette. Nous sommes malheureusement dans un système très compliqué !
Je tiens à féliciter le président Rapoport pour sa vision pragmatique et sa logique de chef d'entreprise. C'est plutôt rassurant, dans un projet de loi qui ne fait que réparer une erreur que l'on a certainement commise avec la loi de février 1997. Nous sommes les seuls au monde à détenir un système coupé en deux. On a voulu répondre aux exigences de la concurrence européenne, mais l'Allemagne, elle, n'a pas du tout opté pour ce choix. Si la DB dispose d'un système qui fonctionne bien, pourquoi ne pas s'en inspirer ?
Il nous faut aujourd'hui un seul responsable. Personne n'est responsable de rien : RFF et la SNCF se rejettent souvent la responsabilité. On a le même problème avec EDF et ERDF : on a compliqué les choses, les usagers ne s'y retrouvent pas et on a du mal à trouver des solutions ! Essayons donc de simplifier les choses et de ne pas créer d'imbroglios, comme cela a pu être le cas.
S'agissant de la dette, il faudrait d'abord que l'État arrête de donner des leçons en la matière ! Je dis bien l'État, et non le Gouvernement : autant l'État génère de la dette de fonctionnement, ce qui n'est pas bon, autant RFF produit de la dette liée à des investissements. C'est complètement différent. Il s'agit selon moi d'une bonne dette. Quand une entreprise investit dans son outil de travail et qu'elle emprunte, il y a derrière du capital, de la rentabilité, du retour sur investissement ! Il me paraît important d'ouvrir les investissements aux partenariats privés. Ma collègue évoquait les banquiers : des groupes comme Vinci ou d'autres pourraient aussi participer à ces investissements pour soulager la dette de RFF.
Les régions les plus riches ont pu réaliser leurs investissements, mais un certain nombre n'en a pas eu la possibilité, et on ferme des lignes faute d'usagers. On est dans une spirale infernale : moins il y a d'usagers, plus on ferme de lignes et moins il y a de monde sur les territoires. C'est ainsi que l'on crée la désertification. On nous dit qu'il faut veiller aux enjeux environnementaux, et on remet de plus en plus de monde sur les routes !
Il existe une ligne entre Montluçon, Saint Amand et Bourges qui permet d'aller vers le centre de la France. Face à la pénurie de trains, on met en place des services de bus pour aller de Montluçon à la gare de Vierzon. Les usagers, qui n'apprécient pas cette solution, prennent de plus en plus leur véhicule pour aller de Montluçon à Paris ou ailleurs ! Fermer des lignes n'est donc pas forcément la bonne solution. Ceci amène le déclin. Il faut essayer de donner un peu d'espérance aux territoires qui n'ont pas eu la chance de bénéficier de gros investissements en matière ferroviaire.
J'ajoute qu'il existe des activités qui ne sont pas délocalisables. Ce sont donc des milliers de camions qu'on va retrouver sur la route, si l'on n'a plus de voies ferrées pour permettre le transport des céréales, par exemple.
On ne peut éluder ce sujet. Je sais que ceci n'entre pas dans la vision des présidents de région. Mais on a un devoir face aux territoires qui ont l'agriculture pour seule activité. Ils produisent des matières premières qu'ils ne peuvent stocker ailleurs que sur place.
Depuis six ans, toutes les gares-bois sont fermées ! 7 millions d'euros sont ainsi immobilisés dans le Morvan et le Dijonnais. Plus une bille de bois ne part aujourd'hui par le train !
Vous me donnez l'occasion de préciser quelques-unes de mes vues de chef d'entreprise, qualificatif qui sonne doux à mon oreille !
Tout d'abord, je conteste que la gouvernance du futur groupe public soit complexe. Prenez l'organigramme des groupes Veolia, Vivendi, Renault, Peugeot, Thalès, et prenez l'organigramme du groupe ferroviaire public : en réalité, notre organisation, telle qu'elle est prévue dans le projet de loi, est extrêmement simple, avec une maison-mère et deux filiales. C'est d'une très grande banalité.
Aujourd'hui, le groupe SNCF, avec ses centaines de filiale - Keolis, Geodis, Systra, etc. - est infiniment plus complexe et reste gérable à la condition - qui sera remplie - que la structure de tête joue son rôle. Quand on veut investir 100 millions d'euros, c'est à la structure de tête de décider. Elle établit la stratégie, garantit la cohésion et le contrôle.
S'agissant des murailles, il en existe principalement deux. Nous avons été très attentifs, par souci d'euro-compatibilité, au rôle de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf), même s'il y a eu un raté avec l'avis conforme concernant les tarifs. On sait bien que les administrations n'aiment pas les autorités indépendantes ! Messieurs les parlementaires, vous avez là un rôle à jouer !
Cette affaire est réglée. En revanche, on ne met pas assez en lumière le renforcement considérable des pouvoirs de l'Araf. Celle-ci devra émettre un avis, ce qui n'est pas rien, sur les équilibres financiers de SNCF Réseau. C'est capital. L'un de vous a expliqué que RFF subit des pressions pour s'endetter. Je le confirme, mais RFF ne sera plus seul. L'Araf pourra attirer l'attention sur le fait que cela plombe le système ! C'est un élément de régulation très fort.
Le directoire de l'Epic de tête est composé des deux présidents des « filles ». On ne l'a pas fait par inadvertance : l'Epic de tête ne pourra prendre de décision dont SNCF Réseau ne voudra pas, le directoire étant sans voix prépondérante. En clair, le président de SNCF Réseau disposera, au sein de la structure de tête, d'un droit de veto.
En cas de désaccord entre les deux présidents, la loi a prévu que c'est le président du conseil de surveillance - dont je ne doute pas que ce sera une personnalité incontestable - qui préside l'EPIC de tête. Le but n'est pas d'arbitrer les désaccords mais que les deux présidents se mettent d'accord entre eux. Il faut bien voir que les deux présidents des « filles » ont des intérêts différents, mais convergents, l'un étant responsable du transport, l'autre du réseau, tous deux étant garants du bon fonctionnement du système.
Je pense que ce choix garantit l'équilibre. Cela étant, je partage une inquiétude exprimée par certains d'entre vous : beaucoup d'organismes gravitent en effet autour. L'Assemblée nationale a créé un Comité des utilisateurs du réseau auprès de SNCF Réseau. Je serai ravi, si le Gouvernement le confirme, de discuter avec les clients, mais un organisme est-il nécessaire pour cela ?
Je crains donc un peu cette nébuleuse, mais pas le groupe public. Le groupe public n'est qu'un décalque simplifié de ce qui existe dans toute entreprise, publique ou privée. La Banque postale est une filiale de La Poste, et c'est bien La Poste qui établit la stratégie de la Banque postale, il n'y a à cela aucun doute ! Cependant, la gestion des activités bancaires relève bien de la Banque postale, et non de La Poste.
Quels sont les termes du compromis pour sortir du conflit social ? Je suis à l'écoute des salariés, et j'ai compris qu'ils ont des inquiétudes à propos de leur statut, ainsi que sur la pérennité de la SNCF. Sur ces deux sujets, des compromis et des solutions sont possibles. La pérennité du groupe et de l'unité de la SNCF passe par la reconnaissance de l'unité économique et sociale. L'entreprise, au sens du droit social, c'est le groupe. On peut le reconnaître, il n'y a là aucun problème.
En second lieu, les activités mutualisées - informatiques, achats, surveillance générale - font que l'Epic de tête sera autre chose qu'une petite structure de gouvernance. J'ai la conviction que l'on crée une structure d'intégration qui ne pourra être « détricotée ». J'ai lu dans la presse qu'on supprimerait la structure de tête en 2017. Je garantis que ce qu'il y a dans le projet de loi et qui doit sortir du dialogue social est une structure « indétricotable ». Cela ne signifie pas que certains n'auront pas envie de le faire ! Mais il n'y aura aucun intérêt à le faire.
Quant à la pérennité du statut et des conditions statutaires, nous avons prévu la compétence exclusive de la structure de tête sur toute la gestion sociale. Les heures de prise service des poseurs de voies, ou l'heure à laquelle le conducteur de train arrête son service ne figureront bien évidemment pas dans la structure de tête. Les conditions de travail pratiques sont à la charge du management opérationnel - comme c'est déjà le cas. Tout ce qui concerne la gestion statutaire - élections professionnelles, représentativité des syndicats - sera réalisé à l'échelon du groupe intégré.
Je parle ici en tant que chef d'entreprise : l'Epic unique, dès lors que les sillons ne figurent pas dedans, représenterait un « croupion ». Ce système ne peut fonctionner. Non qu'il ne soit pas bon en soi : les Suisses, qui ne sont pas soumis aux règles européennes, sont en train de filialiser leurs activités de réseau et de transport. En matière d'unité sociale, il n'y a aucune limite, mais affecter les sillons au ministère des transports et créer une entreprise unique ne peut fonctionner, je me dois de le dire !
Le ministre rencontre les organisations syndicales demain. Je suis confiant sur le fait que l'on sorte rapidement de ce conflit. On connaît l'alternative : c'est le statu quo. Ce serait une catastrophe pour les cheminots. La concurrence arrivant en 2019, elle balayera tout. Je ne devrais pas tenir de tels propos, mais Transdev est prêt. Les présidents de région, en 2022, auront le choix entre plusieurs opérateurs, dont deux entreprises publiques françaises. Cela simplifie les choses du point de vue d'un président de région.
Je le dis : le statu quo, pour les cheminots, représente une gestion accélérée du déclin. Les craintes sont légitimes : il nous appartient d'y apporter les réponses qui conviennent. Jusqu'à présent, hormis Sud, du côté de la CGT, on n'a pas entendu dire que le but de la grève était le retrait du projet.
Par ailleurs, s'agissant de la mise en oeuvre de SNCF Réseau, de l'intégration des cultures et de la politique de ressources humaines, la construction du GIU représentera trois à cinq ans de travail.
C'est effectivement une intégration de plusieurs structures qui ont non seulement des cultures différentes, mais qui se sont en outre affrontées durant quinze ans. Ce travail est faisable, mais il ne faut pas croire que tout sera réglé au 1er janvier 2015.
Concernant le foncier et les gares, l'intégration des infrastructures de service est prévue. Ce problème est techniquement complexe, l'infrastructure de service, qui peut avoir un enjeu en matière de concurrence, et l'infrastructure dédiée à un opérateur étant entremêlées. Le travail technique est un peu long. C'est pourquoi le projet de loi est prudent mais, il n'y a pas de débat : les infrastructures de service relèvent du gestionnaire d'infrastructures.
Pour ce qui est des gares, ma position, différente de celle de Guillaume Pepy, est cohérente : gérer des gares aujourd'hui, c'est 10 % d'infrastructures et 90 % de services. C'est du marketing, du commercial. C'est un métier de services, différent de celui de l'infrastructure, qui est un métier industriel. Le métier de services, je l'ai pratiqué à La Poste, et je le connais. Si on mélange les deux, on marie l'eau et le feu ! On prendrait le risque, en confiant les gares au GIU, que ce dernier ne puisse exercer son vrai métier, celui de l'infrastructure. Je n'y suis pas favorable et je n'en vois pas l'intérêt à court terme - sauf peut-être le jour où il existera une concurrence très large. Dans ce cas, créons une troisième filiale ! Reconnaissons la spécificité de ce métier. Mais demander à SNCF Réseau de récupérer les gares constitue une fausse bonne solution.
Aujourd'hui, aux heures de pointe, sur Paris-Lyon en TGV, SNCF Voyages paye 30 euros du kilomètre ; pour une ligne de fret, en moyenne, c'est 1,70 euro du kilomètre. La tarification est donc déjà très ciblée en fonction de la capacité contributive des lignes. En matière de fret, nous avons à peine la capacité de couvrir les frais de fonctionnement de la ligne avec les péages. Nous n'avons aucune capacité d'investissement. Cela ne signifie pas que nous ne pouvons investir, mais c'est de la mauvaise dette !
Avec le président Vall, nous sommes convenus, s'agissant d'une ligne céréalière, que nous assurerions les travaux courants de l'année. Nous ne pourrons toutefois financer le plan de modernisation qui va s'avérer nécessaire dans un an, à l'exception des 15 % correspondant aux économies de maintenance que nous allons pouvoir capitaliser. Lorsqu'une ligne est neuve, on a en effet moins de dépenses pendant dix à quinze ans.
En second lieu, dans le problème du déséquilibre financier de RFF et, demain, de SNCF Réseau, le sujet fondamental, ce sont les LGV, non les petites lignes. Les petites lignes représentent 100 millions d'euros d'investissement par an, et environ 200 millions d'euros de frais de fonctionnement, soit 300 millions sur une dépense d'environ 9 milliards d'euros.
Les LGV, elles, reviennent à 1,5 milliard d'euros par an. Rien n'est facile, dès lors qu'on parle de financement, mais le sujet stratégique pour le devenir du réseau est de savoir qui paye les LGV. Des problèmes se posent bien entendu s'agissant des petites lignes - les élus que vous êtes le savent bien. Ce n'est pas un sujet négligeable, mais le premier enjeu global réside dans le financement des LGV.
En matière immobilière, le découpage des propriétés est d'une complexité inouïe ; ceci a donné lieu à cinq ans de « guerre de tranchées » : je n'ai aucune envie de les revivre. Placer toute la propriété foncière dans le groupe de tête n'est pas possible. Vis-à-vis des marchés financiers, on doit avoir le réseau en face de la dette pour pouvoir emprunter.
La solution que nous avons proposée au Gouvernement, qui l'a retenue, c'est d'unifier la gestion. Un seul service de gestion travaillera pour le compte de deux propriétaires.
Quant au logement social, nous avons été heureux de la loi Duflot, car elle nous demande un rabais de 30 %, mais sur une base pertinente. Auparavant, on ne nous demandait aucun rabais, mais la base était bien plus basse.
Nous réalisons 100 à 150 millions d'euros de cessions immobilières par an. Nous construisons quelques milliers de logements sociaux. Peut-être peut-on en faire plus, la dynamique est en cours.
J'en viens au point financier. Je voudrais revenir sur le scepticisme qui est le vôtre à propos de notre capacité à traiter la dette. Je le répète, nous n'avons aucune capacité à la réduire. Je ne prends donc aucun engagement en ce sens. Nous avons la capacité de la stabiliser en cinq ans, à trois conditions. La première est que chaque entreprise réalise de la productivité. Je vous garantis que nous avons 10 % de productivité sous le pied ! Le système actuel exclut le développement de l'innovation technologique. Est-ce l'affaire de RFF ou de la SNCF de réaliser la surveillance embarquée des voies ? Dans les trains, les contrôleurs sont équipés informatiquement ; sur les voies, les mainteneurs ont un carnet à souche ! Des papiers se perdent en chemin ! On vit au Moyen Âge ! Pourquoi ? Ce n'est pas de la mauvaise volonté !
L'innovation, qui est un gisement considérable dans toutes les entreprises, est massivement sous-exploitée par la séparation. Je réfute donc tout scepticisme !
Quant aux 500 millions de dividendes et d'impôts sur les sociétés que l'État pourrait cesser de prélever, mon espoir est grand, mais non illimité ! Pour ce qui est du fait qu'on ne nous sollicitera plus pour financer les LGV, c'est pour moi une ardente obligation !
Je m'engage, avec Guillaume Pepy, sur l'idée que l'unification va dégager 1 milliard d'euros de productivité en cinq ans. Le trou étant de 3 milliards d'euros, il en reste deux ! Nous allons lancer demain Bordeaux-Toulouse, lors du conseil d'administration de RFF. C'est une étape dans la procédure. On verra le moment venu si l'on nous demande d'ajouter 2 milliards d'euros. Ces 2 milliards d'euros sont soi-disant rentables, mais étant donné le niveau des péages prévu, la SNCF va perdre de l'argent. Or, ces 2 milliards résultent de la capitalisation de péages futurs. Le système ressemble donc à un château de cartes, il est extrêmement fragile.
Concernant les banques, on peut dire que nous empruntons aujourd'hui dans d'excellentes conditions, y compris pour refinancer la dette ancienne, surtout grâce au fait que nous sommes adossés à l'État. Le marché apprécie la dette d'infrastructures, les dettes d'État étant par trop gigantesques. En réalité, nous empruntons 5 milliards d'euros, 3 milliards d'euros de dette nouvelle et 2 milliards d'euros de refinancement, soit un million par heure.
La concession est-elle un bon système ? Elle a pour avantage d'avoir les caractéristiques de la gestion privée, mais un inconvénient : le « PPPiste » s'endette à un coût bien plus élevé que nous, n'ayant pas l'avantage d'être adossé à l'État ! Il n'existe aucune concession ferroviaire qui n'ait jamais fonctionné ! Le contribuable n'a rien investi dans le tunnel sous la Manche, contrairement aux petits actionnaires. Perpignan-Figueras est en grande difficulté, car le trafic n'est pas du tout à la hauteur de ce qui était prévu. Quant à Tours-Bordeaux, le niveau des subventions publiques est bien plus faible que dans un financement classique. In fine, la SNCF va perdre de l'argent.
S'agissant des régions, nous n'avons pas d'état d'âme : qu'on ait des comptes par ligne, qu'elles soient propriétaires du matériel, aient la liberté tarifaire, soient garantes des gares régionales, tout cela ne nous pose absolument aucun problème.
La réponse que vous avez donnée pour sortir du conflit social actuel m'amène à vous poser une question complémentaire.
Vous avez évoqué la reconnaissance de l'unité sociale du groupe. Cela va-t-il jusqu'à la mise en place d'un Comité central d'entreprise ?
Oui, tout à fait. Il n'y a pas de doute dans notre esprit. Ce n'est pas mon affaire, mais celle des partenaires sociaux et du Gouvernement. C'est ensuite au Parlement de décider.
Le but est de redresser ce système. On a besoin de cheminots motivés. Si les 150 000 personnels traînent des pieds, on n'avancera pas ! Il y a des capitaux, de la technique, des ingénieurs, mais on a besoin de tout le monde ! Les inutiles sont déjà partis : il n'y a plus que des personnes utiles ! Il faut que le personnel ait le sentiment que ce projet fait avancer les choses.
Merci pour cette audition qui a été particulièrement intéressante. Vous avez été sincère, passionné, et vous avez démontré vos qualités de chef d'entreprise.
Nous avons fait des erreurs dans le passé ; aujourd'hui, les autoroutes rapportent 2 milliards d'euros, et l'on continue à favoriser le transport routier ! Certaines décisions ont des conséquences graves.
Vous avez montré que vous avez la volonté de réussir. Avec M. Pepy, vous formez un très bon attelage. J'espère que vous réussirez. Je pense qu'un grand nombre de sénateurs vous soutiendront !
La réunion est levée à 12 heures 50.
La réunion reprend à 16h35.
Je remercie le ministre de sa présence parmi nous. Après la concertation, la réforme ferroviaire est entrée dans sa phase parlementaire tout en faisant une irruption remarquée dans l'actualité. La commission du développement durable de l'Assemblée nationale s'est prononcée la semaine dernière, et le texte sera discuté en séance publique la semaine prochaine ; nous serons, pour notre part, appelés à nous prononcer entre fin juin et début juillet. Il est bon que nous abordions dès à présent le détail de cette réforme, et c'est pourquoi nous avons souhaité, monsieur le ministre, vous entendre. Cette audition s'engage dans un contexte social mouvementé, et c'est à vous qu'il revient de calmer le jeu...
Plusieurs sujets ont soulevé notre attention, au premier rang desquels celui de la dette, que nous avons longuement abordé avec les présidents Guillaume Pepy et Jacques Rapoport, lors de leurs auditions.
Autre sujet de préoccupation, la place des régions. Comment s'articulera la réforme ferroviaire avec la nouvelle carte des régions qui doit résulter de la future réforme des collectivités territoriales ? Où en est-on des volets mobilité dans les futurs contrats de plan État-régions ? Quid du maintien et de la réhabilitation des lignes secondaires, essentielles au désenclavement des territoires, en particulier des territoires ruraux ? Comment développer durablement, enfin, la mobilité ?
Nul doute que vous saurez nous répondre avec la franchise et la compétence dont vous avez toujours fait preuve. Nous sommes tous conscients de l'importance de ce débat.
Je vous remercie de vos propos amènes qui me sont un baume dans une actualité agitée. Les inquiétudes des salariés s'expriment sous différentes formes. Certaines organisations syndicales ont appelé à une grève reconductible, tandis que d'autres ont souhaité poursuivre autrement le dialogue. Nous sommes en contact depuis plus d'un an et demi avec l'ensemble de ces organisations, et je serai à leur disposition dès ce soir pour un tour d'horizon qui pourra se poursuivre dans les jours à venir.
Le Parlement, ainsi que je le leur ai indiqué, est là pour faire évoluer ce texte. La procédure législative est faite pour l'améliorer, et croyez bien que je ne ferai preuve d'aucune susceptibilité d'auteur. S'agissant des orientations visant à renforcer le service public, il est essentiel de travailler de concert. Je veux dire ici que contrairement à ce que j'ai entendu dans bien des reportages sur la grève, ce texte ne vise pas la libéralisation voire la privatisation du rail. Sur cette question, le combat se mène ailleurs, et le gouvernement français a fait savoir d'emblée qu'il n'anticiperait pas la libéralisation voulue par l'Europe. Dans les discussions sur le quatrième paquet ferroviaire, il entend parler d'une voix forte et défendre la spécificité de l'organisation ferroviaire à la française.
J'entends aussi beaucoup dire que la question des statuts serait indirectement en cause dans ce texte. Tel n'est pas le cas. Avertis par l'expérience malheureuse de la libéralisation mal préparée du fret, qui, négligeant la question de la condition des salariés, a donné lieu à des règles disparates entravant l'expression du dialogue social, nous avons anticipé. Ce que nous souhaitons, c'est, face à la l'éventuelle multiplication à venir des opérateurs ferroviaires, dresser le rempart d'une convention collective. Si concurrence il y a, elle doit s'exercer sur des bases claires, hors de tout dumping social. Dans tous les domaines de ma compétence, dans le transport routier, maritime, je me bats pour obtenir des règles harmonisées, tirant vers le haut. Il en va de même pour le ferroviaire. C'est une question qu'il est urgent de traiter, avant l'entrée de nouveaux acteurs dans le cadre de la libéralisation future qui nous met dans l'impérieuse nécessité de nous préparer à ce cadre évolutif.
La question m'avait été posée ici même il y a deux ans de la compatibilité de ce qui n'était alors que l'esquisse d'un texte avec le quatrième paquet ferroviaire, qui risquait de nous imposer un modèle d'organisation. J'affirmais alors que la Commission européenne devait reconnaître le principe de subsidiarité quant à l'organisation du service ferroviaire. Depuis, cette position du gouvernement français a été rejointe par plusieurs acteurs européens. Oui, nous avons besoin de réseaux à dimension européenne, interopérables, mais l'organisation du service ferroviaire ne doit pas être commandée par la pensée unique du commissaire Kallas, séparatiste, qui veut une étanchéité absolue entre le réseau et l'activité de transport, dont on a vu, en France, avec la loi de 1997, les conséquences néfastes. J'ajoute que le paquet ferroviaire, que l'on agite souvent comme un chiffon rouge, n'est pas encore voté. Il est d'autant plus important que nous disposions d'une législation susceptible de peser sur ce que seront les règles européennes de demain.
La question du financement des infrastructures par le gestionnaire est centrale. Le modèle que nous mettons en place permet de s'assurer d'une contribution du transporteur, et de réduire ainsi le fardeau de la dette. Alors que l'Europe voulait voir coupé tout lien financier entre les entités, notre logique est à présent pleinement reconnue eurocompatible. Les infrastructures, patrimoine commun trop souvent négligé, doivent devenir une priorité, ce qui engage aussi leur mode de financement.
Nous ne pouvions pas, enfin, ne pas défendre, comme ce fut hélas trop longtemps le cas, notre conception du service public. Ainsi que je l'ai dit à M. Maurizio Lupi, mon homologue en Italie, pays qui assurera la prochaine présidence de l'Union européenne, on ne saurait aborder la question de la gouvernance sans que soient préalablement définies les obligations de service public. Car sans un cadre préétabli répondant aux enjeux de l'aménagement du territoire, on risque de voir se développer une forme de privatisation des lignes rentables, celles qui ne le sont pas étant laissées à la charge de l'État et des collectivités locales.
Lorsque la France énonce ainsi un principe d'intérêt général, elle est écoutée. A condition que des voix ne plaident pas, en interne, comme cela a été récemment le cas, pour le séparatisme, dont on a pourtant vu à quels dysfonctionnements il pouvait mener. Il faut savoir reconnaître ses erreurs...
Assurer confort, régularité, entretien des voies, telle est aujourd'hui notre tâche. La nation a besoin d'une stratégie du ferroviaire, sur laquelle s'exerce clairement un contrôle. C'est pourquoi nous prévoyons que les orientations de la politique ferroviaire devront être présentées au Parlement. C'est aussi pourquoi nous modifions la composition des organes directeurs, afin que l'État y soit mieux représenté et qu'y soit assurée la présence des régions, exigence d'autant plus forte que la carte territoriale est appelée à évoluer et que leur sera transmise une part plus importante de la compétence transports.
Nous devons améliorer la qualité du service public, maîtriser la trajectoire financière, aborder la question du cadre social en posant les règles définissant les lieux et moyens du dialogue social. Voilà qui exige que le système cesse d'être handicapé par sa gouvernance, et que les missions aujourd'hui éclatées soient rassemblées. L'organisation qui régit les infrastructures est si complexe que même les gens du ferroviaire ne s'y retrouvent pas. D'où notre projet d'une organisation simplifiée en deux grands corps de métier, avec SNCF Réseau et SNCF Mobilité.
Dans un contexte d'ouverture du marché, la transparence des règles du jeu - tarification, attribution des sillons...- est-elle ainsi garantie ? m'objecteront certains. Je leur réponds que dans ce dispositif, le régulateur jouera pleinement son rôle. Il ne me paraît pas justifié, au seul motif d'éviter toute emprise de SNCF Mobilité, d'éclater le système. Je plaide pour un renforcement du secteur public, un État stratège, avec des moyens de financement et de pilotage, et la fin de l'enchevêtrement des responsabilités.
Il faut prendre à bras le corps la question de la dette. À hauteur de 40 milliards, avec 2,5 à 3 milliards d'accroissement automatique chaque année, elle interdit toute efficacité. Je le dirai ce soir aux organisations syndicales : ne rien faire serait manquer de courage politique. Si nous n'essayons pas, ensemble, de rendre des perspectives au secteur, nous obérons son avenir. Dans dix ans, la dette sera de 80 milliards. Certains veulent que l'État prenne la dette à son compte. Outre que l'effacer du tableau d'un coup d'éponge magique ne serait guère vertueux, le ministère des transports n'est pas de ceux qui sont assez près de la Seine pour y puiser...(sourires).
Sans réforme de structure, nous ne stabiliserons pas la dette et c'est alors que l'État devra intervenir. Faisons plutôt la démonstration de l'efficacité du système ferroviaire en recherchant productivité et compétitivité - deux termes qui ne sont pas pour moi des gros mots. L'enjeu dépasse le seul groupe SNCF. L'ensemble du système ferroviaire est concerné. Il faut une stratégie qui rassemble l'ensemble des acteurs. D'où la création d'un haut comité du ferroviaire, pour que toutes les parties y débattent d'une stratégie nationale.
Je suis prêt à répondre à vos questions sur la nature des liens qui unissent les trois entités de ce groupe public ferroviaire fort que nous nous proposons de mettre en place. Loin de l'éclatement dont on a parlé, le groupe est certes fait de plusieurs entités, mais étroitement nouées entre elles par un lien fort, avec un Epic de tête qui lui assure une direction. Je le dirai aux organisations syndicales, nous voulons un groupe soudé par des liens assez serrés pour n'être pas défaits par une malheureuse alternance.
Si nous devons faire face aujourd'hui à une grève de cette ampleur, n'est-ce pas parce que des voix se sont élevées pour assurer qu'en cas d'alternance, les liens entre ces entités seraient coupés ? Mais au fond, il faut les remercier de nous avoir ainsi avertis, et mis en mesure de prévenir de telles velléités. Je reviendrai, si vous le souhaitez, sur l'organisation que nous avons retenue, avec un directoire et un conseil de surveillance dont le président, nommé par l'État, sera chargé de mettre les orientations du conseil à exécution et de trancher sur les questions stratégiques en cas de désaccord. Les missions de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf) seront prévues par la loi. L'Araf, appelée à se prononcer sur des questions comme le ratio de la dette et la soutenabilité financière du contrat entre l'État et SNCF Réseau, jouera pleinement son rôle de régulateur, contrairement aux vaticinations que l'on a pu lire alors que l'encre de ce projet de loi n'est pas même encore sèche.
Le secteur ferroviaire a besoin d'un cadre social modernisé, avec des règles communes, pour répondre à toutes les exigences du service public. Les partenaires sociaux seront appelés à négocier une convention collective, qui s'appliquera à tous les opérateurs de la branche. En mettant en place le cadre du dialogue social, nous nous assurons que des règles communes s'appliqueront à tous, afin que l'opérateur ayant la charge du service public ne soit pas pénalisé.
Je vous remercie de cette présentation très claire et me contenterai, pour laisser du temps au débat, de quatre questions. Il faut à mon sens mettre l'accent sur le caractère intégré du futur groupe, qui suppose une intégration sociale. C'est là une question qui est au coeur de l'actualité. Elle suppose d'affirmer la compétence exclusive de l'Epic de tête en matière de gestion statutaire, mais passe aussi par l'affirmation de l'unité du groupe. La mise en place d'un comité central d'entreprise ne pourrait-elle y contribuer ? Estimez-vous souhaitable de renforcer le texte en ce sens ?
Les cheminots s'inquiètent de leur statut et de la future organisation du travail. S'il n'a jamais été question, dans ce texte, de mettre en cause le statut, une large concertation est en cours, sous l'autorité de M. Jean Bessière, sur l'organisation du travail. Pouvez-vous nous confirmer votre voeu d'une harmonisation par le haut ?
La situation financière actuelle du système ferroviaire ne peut perdurer. Quelle pourrait être la participation de l'Etat à l'effort ? Quel sort réserver à la dette d'Etat ? L'Etat pourrait-il renoncer à ses dividendes en cas de résultat positif à SNCF Mobilité ? Renoncer à percevoir certaines recettes fiscales ?
Un mot sur la place des régions, sujet sur lequel François Patriat s'étendra plus avant. Comment envisagez-vous leur place dans la nouvelle organisation, tant pour le transport de voyageurs que pour le réseau ? Quelle représentation au conseil d'administration de l'Epic de tête et à celui de SNCF Réseau ? Je mets à part celui de SNCF Mobilité, sachant que l'ouverture possible à la concurrence interdirait qu'elles y soient présentes. Quid de la propriété des matériels roulants ? Quid de la liberté de tarification ? Les élus régionaux ont encore bien d'autres questions, mais j'ai promis de n'être pas trop long...
Je remercie la commission du développement durable de m'avoir convié. L'audition de M. Rapoport, ce matin, sur la dette, les objectifs et les difficultés que traverse RFF, témoigne assez que des choix s'imposent, notamment en matière de lignes à grande vitesse. Il s'y est dit qu'avec 300 millions d'euros par an, tout le système secondaire fonctionnerait bien. Ce serait une bonne nouvelle, tant les sommes demandées aux collectivités sont importantes. Puisse aussi, comme j'ai cru le comprendre, que priorité soit donnée au ferroviaire dans le volet mobilité des futurs contrats de projet État-régions.
Si les régions sont, demain, en responsabilité, cela réclamera des moyens. Il s'est dit, ce matin, que RFF empruntait un million par heure...
Stabiliser la dette est donc un vrai défi. À la différence de certains de nos collègues qui se sont exprimés ce matin, nous croyons à votre projet et souhaitons qu'il soit mis fin aux erreurs du passé. À un président de région qui s'étonnait du coût croissant de la convention, Guillaume Pepy répondait qu'il ne faisait que répercuter l'augmentation des péages. Mais on ne peut pas se renvoyer ainsi la balle. D'où l'intérêt d'une entité unique, où responsabilités et engagements sont partagés. Si demain, cependant, il doit y avoir des engagements avec les collectivités, il faudra clarifier la question des compétences et des ressources des régions...
Pensez-vous que la dette pourra être stabilisée, et à quel niveau, à cinq ans ? L'État doit-il en reprendre une partie ? RFF porte aujourd'hui une lourde charge. Vous avez parlé d'un milliard d'économies, partagé entre les deux entités, c'est bien, mais cela ne suffira pas à stabiliser la dette : ne pourrait-on pas soulager un peu l'outil pour qu'il soit, demain, plus efficace ?
Vous m'interrogez sur la place des régions. Il s'agit de saisir l'opportunité de ce projet de réforme pour donner pleine mesure au cadre de financement du ferroviaire. Je comprends les réactions des présidents de région se tournant vers le ministre ou interrogeant les présidents de la SNCF, de RFF en rappelant qu'ils participent, avec les TER au financement des infrastructures et soutiennent la filière ferroviaire industrielle. Et c'est beaucoup, car ce sont des emplois, des exportations, des innovations. On sait combien la stratégie de filière, conduite avec Arnaud Montebourg, est importante.
Dans la gouvernance du système, deux sièges seront réservés aux régions dans la structure de tête et au conseil d'administration de SNCF Réseau. Étant entendu qu'il faudra veiller, le moment venu, à éviter toute interférence avec des questions qui seraient liées à SNCF Mobilité.
Nous étudions favorablement les demandes des régions quant à la propriété du matériel roulant et poursuivrons au Sénat les discussions que nous avons eues sur ce sujet à l'Assemblée nationale. On peut la concevoir comme bien de retour mais il ne faudrait pas que cela devienne une anticipation de la libéralisation - les trains devant être mis à la disposition, le moment venu, d'autres opérateurs. Cela dit, les régions financent, et il est légitime que lorsque l'on achète quelque chose, ce ne soit pas celui qui achète en votre nom qui soit propriétaire. C'est vrai aussi de la propriété des biens immobiliers, mais c'est un dossier sur lequel il nous faut encore progresser. Quant à la liberté tarifaire, elle n'est envisageable que sous réserve que soit garantie l'existence d'une tarification sociale nationale. Après un désaccord courtois, la négociation nous a permis d'aboutir à ce consensus : liberté tarifaire sous réserve du maintien des tarifs sociaux et d'une clarification quant à la prise en charge de la redevance d'accès. Je sais que cela fait débat, mais il faut clarifier et savoir qui paie quoi.
En ce qui concerne l'équilibre financier, les chiffres sont éloquents. Chaque heure qui s'écoule coûte un million, dites-vous...
Sans esprit de polémique, trop de lignes à grande vitesse ont été engagées concomitamment. Alors qu'il fallait s'en tenir à une ligne tous les cinq à six ans pour que cela soit financièrement soutenable, on en a engagé quatre sur la même période. C'est un rythme insoutenable et c'est bien pourquoi le débat stratégique doit avoir lieu au Parlement. C'est ce que prévoit ce texte.
L'État reversera ses dividendes vers le gestionnaire unique des infrastructures, c'est un effort qui n'est pas négligeable, et les déficits fiscaux consolidés au niveau du groupe seront intégrés au collectif budgétaire.
Grâce à une politique d'achats organisée dans la fonction support, SNCF Mobilité pourra mettre en place un plan d'économies d'un milliard. Quant au plan de performance et de synergies de SNCF Réseau, il devrait susciter une économie de 900 millions. Autant d'objectifs difficiles à atteindre, et dont nous devons tous nous porter garants. Les organisations syndicales savent bien où résident de possibles gains de productivité et d'efficacité commerciale. Elles émettent souvent des propositions qui produisent des résultats. Travaillons donc à partager des objectifs, plutôt qu'à développer une culture d'affrontement. M. Pepy, M. Rapoport, ont livré des chiffres. Il ne s'agit pas de s'en tenir là, mais de bâtir, à partir de ces données, une oeuvre collective. Nous verrons avec les organisations syndicales comment aborder la suite de la réforme pour qu'elle soit effective. La stabilisation ne réduira pas la dette, qui appelle un traitement par étapes. Faute de quoi, c'est, in fine, le contribuable qui paiera. Dix milliards de dette de RFF sur 37 milliards sont qualifiés de dette maastrichtienne : voilà qui témoigne assez que les infrastructures sont un bien de la Nation, qui suppose un effort collectif de celle-ci. C'est pourquoi j'estime qu'il faut aller plus loin dans la reconnaissance du patrimoine ferroviaire comme patrimoine de la Nation.
J'en viens à la question sociale. J'écouterai les organisations syndicales et verrai dans quelle mesure il peut leur être apporté réponse. L'intégration passe par un niveau élevé de reconnaissance sociale. Ce qui peut amener des dérogations aux règles applicables en matière de représentation des salariés, sur lesquelles il faudra faire un point. Il faudra trouver des lieux de négociation, étant entendu que nous ne souhaitons pas préempter les travaux à venir du Parlement. J'ajoute que le statut ne sera pas, quoi qu'il arrive, mis en cause.
Je m'inquiète du financement des infrastructures dans les territoires. Où en est-on, monsieur le ministre, de l'écotaxe ? Vous avez parlé de patrimoine national. Comment a-t-on pu brader le patrimoine autoroutier, auquel un bénéfice de deux milliards est attaché ? Les organismes qui l'ont racheté, parmi lesquels des banques, ne pourraient-ils apporter leur contribution ? Le rendement attendu de l'écotaxe était de près d'un milliard. À quand une décision ? Au Sénat, après des discussions féroces au sein de la commission d'enquête, nous sommes parvenus à un consensus sur le fait que celle-ci ne pouvait arrêter le processus, et qu'il fallait laisser la possibilité à l'État d'appliquer l'écotaxe. La balle est maintenant dans votre camp...
Les contrats de plan État-régions prévoyaient en effet qu'une part du financement serait assurée par les recettes attendues de l'écotaxe. Une taxe dont le principe avait, naguère, recueilli le consensus avant les évènements que l'on sait, et qui posent la question des responsabilités. Le fait est que certains parlementaires n'ont pas pris toute la mesure de l'intérêt général.
Comment financer les infrastructures, telle est la question qui se pose. Dès lors qu'un contrat a été signé, il faut assurer la continuité de la parole de l'Etat. Ce qui n'empêche pas de négocier, et les discussions se poursuivent. Dans les territoires, les élus ont besoin de financer leurs infrastructures. Il est vrai que leur voix porte moins que d'autres : comme dans les grèves, on entend peu ceux qui ne participent pas, et qui sont souvent nombreux... Certaines régions ont un besoin crucial de se désenclaver, et des crédits de paiement ont été promis, qui doivent être honorés pour que soient lancés les chantiers, dont le secteur du BTP a besoin et qui bénéficieront à la croissance.
Plusieurs pistes restent à l'étude. J'ai pour ma part remis au Premier ministre un document suggérant des voies de financement de l'AFITF. Les Français comprennent bien le principe et y souscrivent : il est normal que l'usage des infrastructures, et en particulier des grandes voies de transit, donne lieu à contribution. Et quand les territoires réclament la mise en place d'un dispositif, il faut les entendre. N'enrayons pas la mécanique au risque de laisser des chantiers en berne et de ne pouvoir en engager de nouveaux. L'État doit entendre les territoires et assurer la cohérence, et c'est bien pourquoi le Premier ministre poursuit sa réflexion : la mise en place des modalités de financement des infrastructures fait partie du souci quotidien du gouvernement.
Le sort du TGV Bordeaux-Toulouse sera discuté dans les jours à venir. Il serait injuste que par défaut de financement, cette dernière tranche de TGV ne voie pas le jour, et qu'un territoire se trouve ainsi pénalisé. Mais je comprends que vous nous incitez à créer des comités pour que soient enfin trouvées les voies d'une modulation entre infrastructures routières et ferroviaires... L'étendard de la révolte est hissé : ne vous privez pas, madame Escoffier, de défendre avec moi la région Midi-Pyrénées ! (sourires)
Je reviens sur la question de la stratégie ferroviaire. Mais le transport ferroviaire ne saurait suffire à assurer la desserte du territoire. L'État réfléchit-il à sa mise en cohérence avec l'aérien, le routier et le maritime ? On ne saurait penser le ferroviaire sans envisager l'aérien. On l'a vu avec l'apparition du TGV à Marseille, à Montpellier, et demain, à Bordeaux, qui a fait flancher l'aérien. Assurer le maillage du territoire exige une réflexion globale.
Lorsque l'on réforme, il faut se montrer humble. Vous craignez, dites-vous, que l'alternance, que je ne qualifierai pas pour ma part de malheureuse mais de démocratique, ne vienne défaire ce que vous avez fait. Nous aurions, sur ce sujet, beaucoup d'exemples à vous servir en retour...
Je ne manque pas d'humilité. Un ministre des transports doit en faire preuve tous les jours.
Les experts nous avaient dit, à l'époque, qu'il fallait scinder en deux entités ; ils nous disent aujourd'hui que cela est intenable ; peut-être nous diront-ils autre chose encore dans dix ans... Reste qu'il y a eu, c'est indéniable, un dysfonctionnement alarmant. La population a été sous le choc en apprenant la dépense que va représenter le rabotage des quais rendu nécessaire par un malheureux défaut de concertation entre les deux entités.
Votre projet, cependant, me laisse une inquiétude quant à l'attribution des sillons. Comment se fera-t-elle équitablement, avec un opérateur dominant à 95 % ?
La dette reste un vrai sujet de préoccupation. Je ne crois pas à sa stabilisation grâce à l'innovation et la recherche et à des gains en productivité et en efficacité. La séparation en deux entités n'interdit pas de les réaliser, et je ne vois pas en quoi la réunion en un groupe changerait les choses. J'ajoute que si nous avons la chance de bénéficier de taux d'intérêts bas, rien ne dit que cela ne changera pas d'ici quelques années. C'est là un vrai danger qui guette la stabilisation de la dette. En cette matière aussi, il faut être humble, car personne ne peut préjuger de l'avenir. La seule bouffée d'oxygène sera que l'État ne demande plus à RFF de participer aux lignes à grande vitesse.
Ce projet vient remédier à la loi de février 1997, qui allait bien au-delà des exigences de l'Europe. Qu'est-ce qui inquiète autant les cheminots dans cette réforme ? Les grévistes feraient bien de réfléchir à leur responsabilité dans un contexte de crise nationale et internationale. À vous de le leur démontrer.
Comme je le disais ce matin au président de RFF, il faut distinguer la bonne et la mauvaise dette. La réforme n'effacera pas l'ardoise de 40 milliards, mais derrière cette dette d'investissement, il y a des actifs. L'État, qui a demandé un certain nombre de ces investissements, devrait la reprendre, pour la stabiliser. En finir avec le milliard et demi annuel consacré au TGV aiderait également ; il faudrait songer au partenariat public-privé pour investir dans ces grands chantiers. La relance de la croissance passe par la relance de l'investissement, dont l'investissement ferroviaire.
Ne peut-on aussi exiger de l'Europe qu'elle finance les investissements structurants, comme elle l'a fait à une époque pour l'Espagne, qui a largement bénéficié des fonds européens pour ses autoroutes et son rail ?
Dans les territoires ruraux, en voie de désertification, on a été très attentifs aux annonces du rapport Duron qui prévoyait, contrepartie de la mise en veille du déploiement du TGV, un effort de modernisation. Mais quand on demande, dans les contrats de projet, des crédits d'investissement, pour moderniser des lignes d'équilibre, comme celle qui relie Montluçon à Bourges par Saint-Amand, on nous propose quelques milliers d'euros, tout juste suffisants pour financer des études. Or, arrêter le déploiement des lignes à grande vitesse sans moderniser, c'est créer la fracture entre les territoires qui ont pu bénéficier de lignes à grande vitesse, souvent grâce au soutien de personnalités en vue, et ceux qui n'auront rien. J'aimerais connaître votre position sur la relance par l'investissement, y compris dans les territoires ruraux, où bien des lignes sont en déshérence.
Les choix qui ont été faits par le passé sont aujourd'hui remis en cause, parce qu'ils ont eu des effets pervers. Cela nous appelle à l'humilité. Nous avons tous réclamé le TGV, sans nous assurer d'une stratégie financière, et nous en subissons les conséquences.
Le dogme du séparatisme entre réseau et activité de transport a produit les affrontements que l'on connaît. L'inquiétude des syndicats n'est pas sans relation avec les déclarations d'anciens ministres de l'ancienne majorité, qui continuent à le prôner. Je comprends leur vigilance. Ils n'appellent pas à la grève de gaîté de coeur, mais pour marquer leur inquiétude : le gouvernement doit les rassurer, et montrer clairement que la séparation des activités, qu'ils craignent par-dessus tout, est étrangère à ce projet. Comment garantir un système intégré, avec un traitement social unifié, avec ce système d'entités ? Voilà sur quoi il faudra, monsieur le ministre, apporter toutes les clarifications requises. Le système mis en place en 1997 a été une grosse erreur, et je comprends mal que d'anciens ministres disent qu'il faudra y revenir.
- Présidence de M. Michel Teston, vice-président -
La question de la dette est au coeur du problème et des inquiétudes des cheminots. Ils craignent une privatisation de la SNCF, une vente à la découpe, mais ils se demandent qui supportera la dette. Et M. Pepy ne nous a pas rassurés sur ce point. Vos chiffres et les siens, au reste, ne semblent pas coïncider. Existe-t-il un audit précis de la dette, indiquant celle qui trouve son origine dans les investissements consacrés au TGV ? On continue à emprunter pour rembourser les intérêts aux banques, qui profitent, pourtant, de ce patrimoine national, et devraient participer à l'effort.
On ne s'en sortira pas en faisant des économies sur le dos des personnels. M. Pepy nous assure que la mutualisation de dépenses de fonctionnement suscitera des économies. Mais ce n'est pas en économisant sur les photocopies qu'on trouvera 40 milliards. On ne pourra pas indéfiniment se contenter de traiter cette dette comme une « patate chaude » : on a séparé pour la mettre sur RFF, et aujourd'hui, on parle de la renvoyer à l'État.
Un mot sur la régionalisation. L'État doit rester le garant de l'égalité républicaine sur le territoire. Je vous remercie de l'avoir rappelé. Dans le temps, quel que soit le lieu où l'on habitait, on payait le même prix au kilomètre.
Je serai bref, car je dois m'employer à résoudre un conflit que je ne souhaite pas voir durer. Il faut trouver le moyen d'en sortir, et que vienne le temps du débat parlementaire.
Le débat sur l'État stratège, madame Escoffier, doit avoir lieu, mais il y faut des outils. Vous avez devant vous un nostalgique de la planification, quand l'État pouvait organiser ses grands chantiers. Il est vrai cependant que les collectivités sont aujourd'hui des relais précieux. C'est pourquoi la logique de ce projet doit recouper celle de l'organisation territoriale à venir, ce qui suppose un travail interministériel dont vous avez pu mesurer, madame la ministre, toutes les subtilités... Reste qu'il faut une stratégie globale, organisant la cohérence entre TET, TER et TGV dans un schéma national, voire européen pour la grande vitesse. L'enjeu est de rendre la grande vitesse accessible, pas de doter chaque territoire de lignes à grande vitesse. On ne peut pas déplorer la dette, et réclamer des infrastructures partout. Le schéma national des infrastructures de transport, en l'absence de modalités de financement, ne pouvait pas fonctionner. Et reconnaissons qu'il n'a souvent été qu'une addition de revendications locales. C'est par la coopération entre un État stratège et des collectivités aux compétences clarifiées que l'on aboutira.
La Commission européenne elle-même, M. Cornu, reconnaît que le dispositif que nous soumettons au vote du Parlement, garantit l'impartialité dans l'attribution des sillons. Dans ce système intégré où un groupe unique est organisé, via des Epic, en deux métiers, nous pouvons garantir cette impartialité. Nous avons donc bien travaillé ; les positions du commissaire Kallas ont évolué à un point dont j'ai été moi-même surpris.
Nous ne règlerons pas la question de la dette par un projet de loi. C'est un chantier qui s'inscrit dans le temps. Il s'agit d'assurer au ferroviaire un financement pérenne, et de se prémunir contre les évolutions des taux d'intérêt.
Je remercie M. Pointereau de ses conseils sur l'attitude à adopter face à la grève des cheminots, mais il ne m'en voudra pas de prêter une oreille attentive à ceux que Mme Didier voudra bien me donner (sourires).
Le grand plan de modernisation du réseau, qui représente un effort de 2,5 à 2,7 milliards, est réorienté vers les transports du quotidien. Le financement des lignes secondaires passera par un cofinancement dans le cadre des contrats de plan État-régions : quand un transport est infranational, le financement doit être partagé. Rien ne sert de promettre ce que l'on ne peut pas tenir.
Oui, Madame Didier, il est important de donner des garanties aux salariés. On ne peut pas considérer à la fois, comme certain, que l'on ne peut pas revenir sur la privatisation des autoroutes, mais qu'on le pourra sur le système intégré du rail. Si avaient existé des lieux d'expertise de l'efficacité du ferroviaire, nous aurions vite compris que la réforme de 1997, qui a opposé les acteurs et interdit l'optimisation des moyens, n'allait pas dans le bon sens.
Quand on s'engage sur des investissements, il faut un cadrage extérieur. Le rôle de l'Araf est de donner force aux engagements. Si nous avions eu, à l'époque où il fut entrepris de lancer concomitamment quatre projets de lignes à grande vitesse, un régulateur fort, l'État aurait été mis devant ses responsabilités et nous n'en serions pas là. Nous devons aujourd'hui assumer cette dette. Certains passent commande, d'autres paient la facture...
Ce n'est pas aux salariés de payer la dette, monsieur Bosino. Mais l'État ne saurait en assurer la reprise que dans un cadre vertueux. Il y faut un travail collectif.
Je vous remercie de ces réponses et forme le voeu que votre rencontre avec les organisations syndicales se déroule dans le meilleur état d'esprit.
La réunion est levée à 18h15.