Intervention de Frédéric Cuvillier

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 11 juin 2014 : 1ère réunion
Réforme ferroviaire — Audition de M. Frédéric Cuvillier secrétaire d'etat chargé des transports de la mer et de la pêche auprès de la ministre de l'écologie du développement durable et de l'énergie

Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État :

Je vous remercie de vos propos amènes qui me sont un baume dans une actualité agitée. Les inquiétudes des salariés s'expriment sous différentes formes. Certaines organisations syndicales ont appelé à une grève reconductible, tandis que d'autres ont souhaité poursuivre autrement le dialogue. Nous sommes en contact depuis plus d'un an et demi avec l'ensemble de ces organisations, et je serai à leur disposition dès ce soir pour un tour d'horizon qui pourra se poursuivre dans les jours à venir.

Le Parlement, ainsi que je le leur ai indiqué, est là pour faire évoluer ce texte. La procédure législative est faite pour l'améliorer, et croyez bien que je ne ferai preuve d'aucune susceptibilité d'auteur. S'agissant des orientations visant à renforcer le service public, il est essentiel de travailler de concert. Je veux dire ici que contrairement à ce que j'ai entendu dans bien des reportages sur la grève, ce texte ne vise pas la libéralisation voire la privatisation du rail. Sur cette question, le combat se mène ailleurs, et le gouvernement français a fait savoir d'emblée qu'il n'anticiperait pas la libéralisation voulue par l'Europe. Dans les discussions sur le quatrième paquet ferroviaire, il entend parler d'une voix forte et défendre la spécificité de l'organisation ferroviaire à la française.

J'entends aussi beaucoup dire que la question des statuts serait indirectement en cause dans ce texte. Tel n'est pas le cas. Avertis par l'expérience malheureuse de la libéralisation mal préparée du fret, qui, négligeant la question de la condition des salariés, a donné lieu à des règles disparates entravant l'expression du dialogue social, nous avons anticipé. Ce que nous souhaitons, c'est, face à la l'éventuelle multiplication à venir des opérateurs ferroviaires, dresser le rempart d'une convention collective. Si concurrence il y a, elle doit s'exercer sur des bases claires, hors de tout dumping social. Dans tous les domaines de ma compétence, dans le transport routier, maritime, je me bats pour obtenir des règles harmonisées, tirant vers le haut. Il en va de même pour le ferroviaire. C'est une question qu'il est urgent de traiter, avant l'entrée de nouveaux acteurs dans le cadre de la libéralisation future qui nous met dans l'impérieuse nécessité de nous préparer à ce cadre évolutif.

La question m'avait été posée ici même il y a deux ans de la compatibilité de ce qui n'était alors que l'esquisse d'un texte avec le quatrième paquet ferroviaire, qui risquait de nous imposer un modèle d'organisation. J'affirmais alors que la Commission européenne devait reconnaître le principe de subsidiarité quant à l'organisation du service ferroviaire. Depuis, cette position du gouvernement français a été rejointe par plusieurs acteurs européens. Oui, nous avons besoin de réseaux à dimension européenne, interopérables, mais l'organisation du service ferroviaire ne doit pas être commandée par la pensée unique du commissaire Kallas, séparatiste, qui veut une étanchéité absolue entre le réseau et l'activité de transport, dont on a vu, en France, avec la loi de 1997, les conséquences néfastes. J'ajoute que le paquet ferroviaire, que l'on agite souvent comme un chiffon rouge, n'est pas encore voté. Il est d'autant plus important que nous disposions d'une législation susceptible de peser sur ce que seront les règles européennes de demain.

La question du financement des infrastructures par le gestionnaire est centrale. Le modèle que nous mettons en place permet de s'assurer d'une contribution du transporteur, et de réduire ainsi le fardeau de la dette. Alors que l'Europe voulait voir coupé tout lien financier entre les entités, notre logique est à présent pleinement reconnue eurocompatible. Les infrastructures, patrimoine commun trop souvent négligé, doivent devenir une priorité, ce qui engage aussi leur mode de financement.

Nous ne pouvions pas, enfin, ne pas défendre, comme ce fut hélas trop longtemps le cas, notre conception du service public. Ainsi que je l'ai dit à M. Maurizio Lupi, mon homologue en Italie, pays qui assurera la prochaine présidence de l'Union européenne, on ne saurait aborder la question de la gouvernance sans que soient préalablement définies les obligations de service public. Car sans un cadre préétabli répondant aux enjeux de l'aménagement du territoire, on risque de voir se développer une forme de privatisation des lignes rentables, celles qui ne le sont pas étant laissées à la charge de l'État et des collectivités locales.

Lorsque la France énonce ainsi un principe d'intérêt général, elle est écoutée. A condition que des voix ne plaident pas, en interne, comme cela a été récemment le cas, pour le séparatisme, dont on a pourtant vu à quels dysfonctionnements il pouvait mener. Il faut savoir reconnaître ses erreurs...

Assurer confort, régularité, entretien des voies, telle est aujourd'hui notre tâche. La nation a besoin d'une stratégie du ferroviaire, sur laquelle s'exerce clairement un contrôle. C'est pourquoi nous prévoyons que les orientations de la politique ferroviaire devront être présentées au Parlement. C'est aussi pourquoi nous modifions la composition des organes directeurs, afin que l'État y soit mieux représenté et qu'y soit assurée la présence des régions, exigence d'autant plus forte que la carte territoriale est appelée à évoluer et que leur sera transmise une part plus importante de la compétence transports.

Nous devons améliorer la qualité du service public, maîtriser la trajectoire financière, aborder la question du cadre social en posant les règles définissant les lieux et moyens du dialogue social. Voilà qui exige que le système cesse d'être handicapé par sa gouvernance, et que les missions aujourd'hui éclatées soient rassemblées. L'organisation qui régit les infrastructures est si complexe que même les gens du ferroviaire ne s'y retrouvent pas. D'où notre projet d'une organisation simplifiée en deux grands corps de métier, avec SNCF Réseau et SNCF Mobilité.

Dans un contexte d'ouverture du marché, la transparence des règles du jeu - tarification, attribution des sillons...- est-elle ainsi garantie ? m'objecteront certains. Je leur réponds que dans ce dispositif, le régulateur jouera pleinement son rôle. Il ne me paraît pas justifié, au seul motif d'éviter toute emprise de SNCF Mobilité, d'éclater le système. Je plaide pour un renforcement du secteur public, un État stratège, avec des moyens de financement et de pilotage, et la fin de l'enchevêtrement des responsabilités.

Il faut prendre à bras le corps la question de la dette. À hauteur de 40 milliards, avec 2,5 à 3 milliards d'accroissement automatique chaque année, elle interdit toute efficacité. Je le dirai ce soir aux organisations syndicales : ne rien faire serait manquer de courage politique. Si nous n'essayons pas, ensemble, de rendre des perspectives au secteur, nous obérons son avenir. Dans dix ans, la dette sera de 80 milliards. Certains veulent que l'État prenne la dette à son compte. Outre que l'effacer du tableau d'un coup d'éponge magique ne serait guère vertueux, le ministère des transports n'est pas de ceux qui sont assez près de la Seine pour y puiser...(sourires).

Sans réforme de structure, nous ne stabiliserons pas la dette et c'est alors que l'État devra intervenir. Faisons plutôt la démonstration de l'efficacité du système ferroviaire en recherchant productivité et compétitivité - deux termes qui ne sont pas pour moi des gros mots. L'enjeu dépasse le seul groupe SNCF. L'ensemble du système ferroviaire est concerné. Il faut une stratégie qui rassemble l'ensemble des acteurs. D'où la création d'un haut comité du ferroviaire, pour que toutes les parties y débattent d'une stratégie nationale.

Je suis prêt à répondre à vos questions sur la nature des liens qui unissent les trois entités de ce groupe public ferroviaire fort que nous nous proposons de mettre en place. Loin de l'éclatement dont on a parlé, le groupe est certes fait de plusieurs entités, mais étroitement nouées entre elles par un lien fort, avec un Epic de tête qui lui assure une direction. Je le dirai aux organisations syndicales, nous voulons un groupe soudé par des liens assez serrés pour n'être pas défaits par une malheureuse alternance.

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