Cette proposition de loi, déposée par notre président Jacques Legendre, vise à moderniser les mécanismes de régulation du secteur de la distribution de la presse institués par la loi du 2 avril 1947, dite loi « Bichet », une législation sacrée pour le secteur. Elle vise à rendre la régulation du système coopératif plus fonctionnelle et plus réactive, mieux adaptée aux profondes mutations que connaît le secteur depuis une vingtaine d'années, en la rendant plus transparente et plus objective. Telles étaient aussi les préconisations de mon rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2011, en quoi je partage l'ambition de ce texte.
La distribution de la presse doit relever un double défi, qui tient, d'une part, au développement de la diffusion sur support numérique, illustré par l'essor des abonnements à la presse en ligne consultable sur tablettes digitales, qui modifie le rapport à l'acte d'achat, et d'autre part aux déséquilibres industriels majeurs auxquels est exposé le secteur. De fait, les marchands et kiosquiers, soit le niveau 3 du circuit de distribution, trop longtemps resté le parent pauvre dans la répartition du revenu de la vente au numéro, reste cantonné tout au bas de la chaîne de valeur de la distribution, tandis que le niveau 1, celui des messageries de presse, qui concentre la part la plus importante du revenu, connaît à présent lui aussi des difficultés financières considérables, liées aux tensions sur les logiques de mutualisation des coûts qui traversent le modèle coopératif. On sait ce qu'il en est pour Presstalis.
Face à ce diagnostic partagé par l'ensemble des acteurs, ce texte entreprend de refondre la gouvernance du système de distribution, circonscrite au titre II de la loi « Bichet », sans toucher en rien aux principes fondamentaux qui président au système coopératif de distribution tel qu'institué par le titre I de cette loi fondatrice.
Pour assurer une régulation sectorielle efficace et la mise en oeuvre de réformes urgentes, cette proposition de loi instaure une régulation bicéphale, fondée sur deux instances dont l'une à caractère professionnel, nouvellement dotée de la personnalité morale, le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP), tandis que l'autre, la nouvelle Autorité de régulation de la distribution de presse (ARDP), constitue une autorité indépendante.
Ce schéma permet d'associer directement les professionnels, représentés au sein du CSMP, à l'élaboration des règles et à la gouvernance du secteur, en leur adossant, en contrepartie, une autorité indépendante chargée de donner force exécutoire aux décisions normatives qu'aura prises le CSMP et d'arbitrer les différends en cas d'absence de règlement amiable. Indépendance et impartialité dans la régulation du système sont ainsi garanties.
Je vous proposerai néanmoins quelques modifications aux dispositions de ce texte, destinées à mieux équilibrer les responsabilités respectives du CSMP et de l'Autorité de régulation, laquelle, au-delà du règlement des différends, mérite de se voir reconnaître des prérogatives clarifiées, propres à la mettre en mesure d'encadrer effectivement l'activité normative du CSMP, dont la composition aura été largement professionnalisée, ainsi qu'une faculté d'émettre des avis sur la régulation économique du secteur, notamment en matière de contrôle comptable et d'évaluation des barèmes tarifaires.
Tandis que le rapport de M. Bruno Lasserre, à la suite des États généraux de la presse, préconisait de confier la régulation sectorielle à une autorité indépendante, nous avons fait le choix de faire confiance, avec le CSMP, à l'autorégulation, l'autorité indépendante n'étant appelée à intervenir qu'en dernier ressort. Mais peut-être avons nous trop tordu le bâton, et il ne serait pas bon, à l'heure où l'on voit les autorités administratives indépendantes tant décriées, de laisser croire que celle que nous créons n'est que de façade.
Je vous proposerai donc de consacrer dans la loi le respect des principes de solidarité coopérative et des équilibres du système économique de distribution de la presse, en tant qu'objectif fondamental de la régulation assurée conjointement par le CSMP et l'Autorité de régulation.
Une série d'amendements vise ensuite à compléter les compétences du CSMP en précisant qu'il lui appartient de veiller au respect de ces principes en cas de dérogation à l'exclusivité des contrats de groupage ; de travailler à la mise en place d'un système d'information mutualisé permettant à tous les éditeurs de connaître l'historique de leurs ventes, au niveau de chaque point de vente, et de sécuriser la correspondance entre les flux financiers et les flux physiques ; d'instituer une commission spécialisée d'éditeurs chargée de formuler des propositions relatives à l'organisation et au fonctionnement du réseau ; d'exercer, par la voix du commissaire du gouvernement, son droit d'opposition à toute décision susceptible de compromettre le caractère coopératif ou l'équilibre financier des messageries de presse. Il me semble en outre nécessaire d'introduire une procédure de consultation publique au sein du conseil, limitée à un mois, pour toute mesure susceptible d'avoir un impact significatif sur le marché de la distribution, afin que toutes les positions, y compris minoritaires, soient connues. Ces dispositions prendront place à l'article 18-4 de la loi « Bichet ».
Je vous proposerai également de modifier le nouvel article 18-12 créé par la proposition de loi, afin de préciser que toutes les dispositions de portée générales prises par le CSMP seront obligatoirement transmises à l'Autorité de régulation, qui seule décidera de leur conférer caractère exécutoire. C'est là une garantie d'indépendance et d'impartialité dans le contrôle des normes applicables au secteur. L'Autorité de régulation pourra adresser des recommandations sur les modifications à apporter et, sur proposition du président du CSMP, ne rendre exécutoire qu'une partie des dispositions à elle soumises. Un silence de six semaines vaudra, en revanche, approbation tacite.
Je vous proposerai en outre, dans un souci de bonne administration de la justice, d'unifier le contentieux relatif à la distribution de la presse en le renvoyant à la seule juridiction judiciaire. Les décisions rendues exécutoires par l'Autorité de régulation pourront ainsi être attaquées devant la cour d'appel de Paris et les décisions individuelles devant la juridiction civile ou commerciale territorialement compétente.
Je vous proposerai enfin de conférer à l'Autorité de régulation la faculté d'émettre des avis sur la qualité du contrôle comptable des messageries, assuré par le CSMP, ainsi que sur l'évolution de leurs conditions tarifaires. De fait, confier cet avis au CSMP, eu égard à la présence majoritaire d'éditeurs en son sein et au rapport de force entre les deux messageries principales, ne serait pas de bonne politique : le CSMP se trouvant juge et partie, ses décisions pourraient être attaquées devant nos juridictions et à Bruxelles, sous suspicion d'entente.
Ce texte est capital pour l'avenir du secteur. Nous avons entendu les représentants des éditeurs de la presse quotidienne nationale et de la presse magazine, les représentants des deux messageries, du syndicat CGT du Livre, ainsi que M. Mettling, auteur du rapport d'audit sur Presstalis, et M. Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence. Nous avons également consulté les éditeurs de la presse quotidienne régionale, même s'ils ne sont pas directement concernés par ce texte, puisqu'ils assurent la distribution de leurs titres par leurs propres moyens.
Tous ont convenu que la gouvernance du secteur est obsolète, que les circuits sont trop lourds et le contentieux en expansion. Ce texte s'emploie à réformer la loi sans toucher à ses fondamentaux.