En effet, et cela s'emporte également plus facilement...
D'où la nécessité de faire un nouveau point précis aujourd'hui. Pour ce faire, j'ai envoyé un questionnaire écrit au ministre Laurent Fabius, j'ai rencontré les personnes compétentes de son administration ainsi que les responsables du Mobilier national et de la commission nationale de récolement des dépôts d'oeuvres d'art. Je me suis également rendu à Vienne, dans une ambassade riche en objets d'art et où quelques problèmes avaient été signalés dans le passé.
Tout d'abord au fil des années, d'incontestables progrès en termes de pratique mais que l'on pourrait même qualifier de « culturels » ont été enregistrés au sein de l'administration du Quai d'Orsay.
Ainsi, le pourcentage de réponses des postes à la demande d'inventaire annuel formulée par le secteur du patrimoine varie entre 75 % et 85 % selon les années - la plupart des postes répondant une année sur deux. Cela reste perfectible mais n'est pas si mal quand on songe d'où l'on vient.
En outre, on a pu constater le dépôt effectif de plaintes par le ministère dans des cas où la disparition d'un objet d'art semblait suspecte. Selon le relevé qui m'a été adressé, quelque 123 plaintes ont ainsi été déposées à ce titre à ce jour.
Les échanges de télégrammes entre les postes et l'administration centrale montrent bien à quel point cette évolution ne s'est pas faite sans résistance. Après sa demande initiale d'inventaire annuel, le département est amené à formuler une relance générale puis, pour les postes « réfractaires », des relances individuelles par télégramme. Certains échanges, assez vifs, font bien apparaître l'incompréhension de certains chefs de postes diplomatiques face à une telle démarche. Tel ambassadeur en Allemagne a estimé par écrit que les interrogations du département sur des oeuvres présumées détruites en 1945 constituaient un bel hommage à la mémoire de Courteline... Cela montre qu'il y a encore des progrès à faire aussi du côté de l'administration centrale dans l'envoi des demandes.
Quant aux dépôts de plainte, on peut dire qu'ils n'existaient tout simplement pas avant 2008. Là encore, cette démarche a pu entraîner une prise de conscience dans les postes.
Enfin, les inventaires ont permis de mettre en lumière l'inadéquation de certaines oeuvres à certains lieux. Un dessin à l'encre de Chine sur papier de riz, inscrit au Fonds national d'art contemporain et estimé à près de 500 000 euros, a ainsi été rapatrié en 2012 de notre ambassade à Caracas où il était accroché dans une chambre de passage. Il a été remplacé par une oeuvre plus adaptée au goût et au climat vénézuéliens.
Le secteur du patrimoine emploie donc la pédagogie mais aussi la fermeté - au moins verbale - face aux postes qui traînent les pieds. Il procède également à des récolements en interne en fonction de différents critères : problèmes révélés par les états annuels, travaux, nouveaux aménagements ou, évidemment, fermeture.
Cette politique, et surtout sa constance dans le temps, ont abouti à une diminution sensible des écarts entre les bases du ministère et celles de la plupart des institutions déposantes. Les progrès sont notables par rapport au passé, même récent.
Avec le mobilier national, l'écart qui subsiste s'explique principalement par les restitutions de 2013 dont la base du Mobilier national ne tient pas encore compte et par l'absence des « non vus » antérieurs à 2001, date de la constitution de la base Rodin, dans le fichier du ministère des affaires étrangères.
Quant aux écarts avec le CNAP et Sèvres, bien plus conséquents, ils illustrent la situation d'origine. Le CNAP, qui coopère pourtant bien avec le ministère des affaires étrangères, n'a pas encore pu pleinement fiabiliser sa propre base de données, ce qui est un travail de longue haleine. Quant à Sèvres, les écarts énormes résultent sans doute tant de défauts d'enregistrement de certains retours que du destin sur deux siècles de pièces plus souvent manipulées et susceptibles d'être cassées que les autres.
Pour ces deux déposants, on ne saurait donc parler de succès ; mais, dans un cas comme dans l'autre, les données du ministère des affaires étrangères sont probablement les plus proches de la réalité. Mieux tenues au fil du temps, les bases du ministère sont donc plus fiables et permettent désormais de limiter la survenue de problèmes dans la gestion du patrimoine ainsi que de les détecter au plus vite.
Néanmoins, tout n'est pas encore idéal, loin de là.
En termes informatiques, la base du ministère ne communique pas encore avec celle de la CRDOA.
En termes opérationnels, plusieurs missions récentes ont montré encore des quantités d'objets « non vus » relativement importantes dans certains cas : sur 418 objets déposés dans des endroits relevant de la responsabilité de l'ambassade de France en Autriche, 50 n'ont pas été vus en 2013. La plupart de ces objets manquants étaient entreposés au Palais Clam Gallas qui abrite le centre culturel, lieu de passage public qui n'est clairement pas un endroit de dépôt idéal. Vous vous souvenez que nous avons évoqué le projet de cession de ce palais avec Laurent Fabius dans le cadre de l'examen du projet de loi de règlement. Si ce projet de cession peut se comprendre, il conviendrait de mener toutes les expertises nécessaires afin d'éviter qu'un promoteur immobilier ne réalise, à nos dépens, une juteuse opération dans cette affaire. Sortant un peu de mon rôle d'aujourd'hui, j'estime qu'il serait également opportun de prendre en compte les réserves du lycée français de Vienne.
Pour ma part, lors de mon inspection partielle au sein de l'ambassade, je n'ai pas trouvé d'objet manquant, ce qui est l'essentiel. En revanche, j'ai relevé une proportion significative, d'environ 15 %, d'objets entreposés dans des endroits différents de ce qu'indiquait la base Rodin. De plus, j'ai constaté l'existence d'une « réserve sauvage » dans un grenier où l'on trouve en particulier un certain nombre de chaises - ce sont des chaises Art nouveau qui, en mauvais état, ont été envoyées à Paris pour restauration et, au bout de trois ans, ont été renvoyées à l'ambassade faute de crédits pour les restaurer... Il s'agit là de contraventions aux règles de gestion patrimoniale du ministère et de la CRDOA. Malgré le réel sérieux dont fait preuve l'ambassade sur la question, en dépit de l'absence d'intendant depuis plusieurs mois, la gestion au jour le jour reste donc perfectible.
Par ailleurs, au niveau des plaintes, selon les fichiers dont je dispose, quelque 111 plaintes réclamées par les déposants restent « à déposer » par le ministère des affaires étrangères, qui m'a indiqué vouloir rassembler tous les éléments nécessaires à de tels dépôts.
Enfin, reste la question des moyens financiers. Le ministère des affaires étrangères dispose, pour l'administration centrale uniquement, d'une enveloppe annuelle relativement modique d'un peu moins de 350 000 euros afin de rapatrier les oeuvres signalées en réserve dans les postes (80 000 euros en 2013), restaurer les oeuvres qui doivent l'être (203 000 euros en 2013) et payer les titres de perception émis par les institutions déposantes (59 500 euros l'an dernier). Il est sans doute un peu étrange de mélanger l'ensemble de ces budgets et de ne faire participer les postes à aucun de ces financements.
En conclusion, je voudrais de nouveau saluer le réel effort entrepris par le ministère, depuis 2001 et plus encore depuis 2008, afin de mieux gérer le patrimoine mobilier dont il dispose - et qui participe de l'image de la France. Je souligne également les progrès enregistrés, en particulier dans la tenue des inventaires et le dépôt de plaintes.
S'agissant de mes recommandations, elles suivent les principes de réalisme et de responsabilité. Concrètement je préconise d'abord, par réalisme, de maintenir l'acquis d'expérience du personnel de gestion du ministère, quitte à ne pas appliquer toujours strictement la règle du changement d'affectation tous les trois ans. Par exemple, au niveau des postes, il est souvent intéressant de confier la responsabilité de cette gestion à un agent local, qui a la stabilité nécessaire au suivi des objets déposés, sous la responsabilité d'un membre de l'équipe diplomatique.
Par réalisme encore, je propose de maintenir l'effort du ministère, notamment en termes de relance des postes par télégramme diplomatique. L'expérience passée a montré que, dès que la pression se relâche un peu, le taux de réponse a tendance à baisser. Or les mauvaises habitudes pourraient se réinstaurer assez rapidement dans un réseau aussi décentralisé si l'administration centrale baissait la garde.
Par souci de responsabilité, je propose de donner suite aux demandes de plainte en cours des déposants. Il ne s'agit évidemment pas de laisser « dormir » de tels dossiers.
Je pense également qu'il faut renforcer la responsabilité des postes en adaptant le système de sanctions à leur encontre. Comme je vous l'ai indiqué, selon la circulaire de 2004, « à défaut d'envoi de l'inventaire, les oeuvres déposées seront rapatriées en France, aux frais du poste ». Une telle sanction n'a évidemment jamais été appliquée et n'est donc pas crédible, à raison même de sa sévérité. Il serait plus réaliste de prévoir une sanction plus légère mais réellement appliquée. Ainsi, en cas de défaut d'inventaire ou de manquement constaté lors d'une inspection, les postes fautifs pourraient subir une sanction financière proportionnée, qui pourrait par exemple financer les titres de paiement à régler aux déposants, lesquels, je l'ai dit, n'ont pas à diminuer le budget « rapatriement et restauration des oeuvres ».
Je propose également de faire participer financièrement les postes, dans une proportion éventuellement modique, aux rapatriements que l'on pourrait qualifier « de confort », dus par exemple aux seuls goûts artistiques du chef de poste.
Enfin, et j'avance prudemment sur ce terrain sensible, je recommande aux déposants une attitude souple sur la question du déclassement de certains objets. Cela concerne en priorité certains objets en très mauvais état qu'il serait plus économe de détruire sur place plutôt que de les rapatrier. Mais cela vise aussi des objets en bon état mais typiques d'un lieu et donc difficilement reclassable, afin de permettre leur cession. Je n'ignore pas les difficultés résultant du fait que ces objets sont, par définition, possédés par les déposants et non par le ministère des affaires étrangères mais il ne faut pas s'interdire des solutions raisonnables du point de vue de l'intérêt financier global de l'État.
De façon générale, j'ai été frappé de voir la prise de conscience de cette problématique depuis 2008 environ, soit dix ans après le rapport de la Cour des comptes. Le problème étant que l'administration centrale n'a plus assez de crédits pour procéder à ces vérifications sur place.