Intervention de Paul Vergès

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 4 décembre 2013 : 1ère réunion
Conférence de varsovie sur le changement climatique — Communication

Photo de Paul VergèsPaul Vergès :

Je voudrais intervenir en tant que sénateur de La Réunion.

Nous vivons dans un siècle où l'on sait exactement ce qui va se passer. La Réunion comptait, en 1946, lorsqu'elle a décidé de devenir un département, 240 000 habitants. On en dénombre aujourd'hui 850 000. Dans une quinzaine d'années, à la fin de la transition démographique, cette population se stabilisera à un million d'habitants, avec tous les problèmes qui en découlent en termes d'éducation, de logements, etc.

Ce n'est pas une particularité de La Réunion. La population de l'île de Madagascar, la plus voisine de la nôtre, était évaluée à 4 millions d'habitants en 1946. Ils sont aujourd'hui 23 millions ! Les statistiques de l'ONU ou de l'Institut national d'études démographiques (INED) y fixent la fin de la transition démographique dans une génération, en 2050. La population sera alors stabilisée autour de 55 millions d'habitants.

Ce problème de la transition démographique, après avoir touché l'Europe aux XVIIème et XVIIIème siècles, touche aujourd'hui l'Asie, l'Afrique et l'Amérique latine. En 2050, l'Europe aura perdu près de 70 millions d'habitants, et l'Afrique aura multiplié sa population par trois, avec 2,5 milliards d'habitants.

C'est le premier problème auquel nous devons réfléchir. Nous sommes aujourd'hui 7 milliards d'habitants et nous serons 9,5 milliards en 2050, soit 2,5 milliards de plus, ce qui représente l'équivalent de la population mondiale en 1950 ! C'est un phénomène unique dans l'histoire humaine.

Dans le même temps, nous connaissons les problèmes de pollution que l'on sait. Les atténuer passe par la lutte contre le CO2 et les gaz à effet de serre, mais comment s'adapter à cette situation et faire face à ses conséquences ? C'est le mérite du Sénat que d'avoir introduit ce concept de l'adaptation aux changements climatiques, que l'on retrouve aujourd'hui dans le domaine international. Pour répondre aux questions, la Haute assemblée a créé l'ONERC, montrant ainsi la voie à l'Assemblée Nationale.

On ne peut qu'être déçus par les sessions de l'après-Kyoto, qu'il s'agisse de Copenhague, de Cancun, de Durban ou de Varsovie. Nous avons aujourd'hui rendez-vous en 2100 : ou on réagit en essayant d'atténuer les choses, ou on ne réagit pas et nous allons à la catastrophe !

On a évoqué les contradictions entre pays développés et pays émergents, grands et petits, mais rien ne vaut le concret : en 2015, nous aurons un problème d'appartenance nationale, en même temps qu'un problème climatique et géographique. Dans le Sud-Ouest de l'océan indien se trouvent un certain nombre d'îles : Maurice, Comores, Seychelles, Maldives, Madagascar, toutes - sauf les Maldives - anciennes colonies françaises.

Nous avons ici la totalité des problèmes découlant de la progression démographique et du réchauffement climatique et de ses conséquences, avec la pollution des océans et les catastrophes qui s'annoncent - acidification de la mer, appauvrissement de la ressource halieutique, augmentation du niveau des océans, comme aux Maldives et aux Seychelles. Combien d'îles vont disparaître dans les années à venir, menacées par la hausse du niveau de la mer ?

Comment faire face aux besoins d'énergie existants, et surtout à ceux qui vont être posés par la progression démographique ? Comment résoudre le problème de l'eau, ou des grands phénomènes climatiques extrêmes ? Cette région intertropicale se situe dans la zone des cyclones. Tous les ans, les îles se préparent à cette éventualité. La Réunion étant petite, nous parvenons à les éviter, mais quand ils arrivent, comme en 1932 ou 1948, ils font des centaines de morts, dévastent l'habitat, etc. Madagascar, orientée Nord-Sud, subit quant à elle chaque année quatre à cinq cyclones.

Ces pays sont concernés par les problèmes qui vont marquer le siècle. Or, Madagascar, Maurice, La Réunion sont regroupées dans une commission des îles du Sud de l'océan indien, qui est une institution reconnue par l'Union africaine, où la France est représentée grâce à La Réunion.

La progression démographique généralisée, les phénomènes climatiques et les conséquences de la mondialisation de l'économie ont un impact immédiat sur notre environnement. J'en donnerai deux exemples...

Premier exemple : le département a un projet de liaison Nord-Sud, et envisage de contourner un massif montagneux en construisant un viaduc sur l'océan indien. A-t-on réfléchi à l'équilibre des zones maritimes ?

Second exemple : La Réunion produit essentiellement de la canne à sucre et du sucre, encouragée en cela par le règlement sucrier de l'Union européenne. Or, l'OMC envisage la suppression de tous les avantages liés à cette production. On a donc la certitude de perdre la plus grande zone cultivée de l'île, soit 25 000 hectares. Pour augmenter la productivité, on a réalisé l'épierrage grossier, puis l'épierrage moyen et l'épierrage fin, et nettoyé toutes les pentes de l'île où l'on cultive la canne à sucre, le système racinaire de ce végétal devant empêcher l'érosion. Si la canne disparaît, comment fait-on pour faire face à l'érosion ? Il s'agit là d'une combinaison de conséquences.

Nous avons cependant un avantage, celui de posséder des atouts qui n'existaient pas en Europe, ni dans les pays développés. Du fait de notre situation géographique, nous pouvons en effet accéder à l'autonomie énergétique, si nous en avons la volonté, grâce aux énergies éolienne, hydraulique, photovoltaïque, à la biomasse, et aux résidus de la canne à sucre qui produisent 10 % de nos besoins électriques. Enfin, nous disposons d'une zone volcanique active, qui permet à la géothermie de fonctionner en permanence. Nous avons surtout la mer, source d'énergie inépuisable : courants marins, énergie de la houle, ou énergie thermique. Au fond de la mer, la température est de 4,5°, et de 25° en surface. C'est une source d'énergie exploitable, grâce à la technologie des grandes sociétés françaises.

Ce sont des atouts communs à toutes les îles, et c'est pourquoi nous demandons au rendez-vous de 2015 une réponse concrète qui émane du Sénat !

Nos populations sont en grande partie issues de ces îles de l'océan indien. Pourquoi leurs gouvernements ne demandent-ils pas l'aide de la France et de sa technologie dans tous les domaines énergétiques que je viens de citer ?

Fixons-nous un objectif à notre portée, dont sont loin les grands pays industrialisés d'Europe. Nous pourrons ainsi développer notre autonomie en matière d'énergie. Nous avons tous les moyens de la réaliser. On pourrait ainsi effacer la facture du pétrole de Singapour et du charbon d'Afrique du Sud, soit 600 millions d'euros par an ! Nous avons aussi les moyens, en matière de transports, de réaliser un chemin de fer électrique. Nous avions un projet de source d'énergie solaire pour l'automobile, grâce à une centrale photovoltaïque construite le long de 32 kilomètres d'autoroute. Nous étions d'ailleurs en discussion avec Renault sur ce point.

On a fait beaucoup de logements sur le modèle des pavillons de banlieue parisienne. Ces maisons sont toutefois invivables du fait du soleil. On a donc installé des climatiseurs, alimentés par une électricité d'origine fossile ! Cependant, grâce au soleil, nous alimentons déjà un tiers des logements de La Réunion en eau chaude - chauffe-eau, lave-linge ou lave-vaisselle - réalisant ainsi des économies considérables !

C'est un moyen idéal pour démontrer le rôle des collectivités locales que l'on vient d'évoquer ici. Je suggère donc que le Sénat apporte à la Conférence de 2015 la contribution des îles de l'océan indien en matière d'adaptation aux conséquences du réchauffement climatique !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion