Intervention de Daniel Gremillet

Réunion du 10 février 2015 à 21h30
Transition énergétique — Discussion générale

Photo de Daniel GremilletDaniel Gremillet :

Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, la transition énergétique est un beau défi qui se pose à nous et qui pourrait bien constituer l’une des étapes marquantes de notre histoire, au même titre que les révolutions industrielles d’hier qui ont fait la force de notre modèle de développement. Selon l’orientation que nous lui donnerons, elle sera porteuse d’avenir à travers les nouveaux métiers qui émergeront en son cœur et les nouvelles pratiques de production ou, à l’inverse, se révélera insatisfaisante, voire manquée, si nous nous cantonnons à des mesures prescriptives et dogmatiques.

L’énergie est un défi mondial, au cœur des crispations diplomatiques et des convoitises. Nous pouvons ainsi nous réjouir que la France souhaite être pionnière en la matière.

J’axerai mon propos sur la nécessité de croiser l’ambition environnementale et la préservation de la compétitivité de nos entreprises, alors que les défis de l’emploi et de la reconquête industrielle se posent à nous avec acuité. En effet, je veux dire mon inquiétude face à différentes dispositions du projet de loi qui risquent de gager les effets positifs que doit produire la transition énergétique sur la compétitivité de notre économie.

En premier lieu, je souhaite mettre en garde contre les mesures d’affichage. Les objectifs chiffrés énoncés dans l’article 1er assignés à notre politique énergétique, à savoir « porter le rythme annuel de baisse de l’intensité énergétique finale à 2, 5 % d’ici à 2030, en poursuivant un objectif de réduction de la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 par rapport à l’année de référence 2012 », ne sont pas de nature à assurer la reconquête industrielle dont notre pays a besoin. Au contraire, ces dispositions tendent à poursuivre un objectif de décroissance qui va à l’encontre des logiques de marché internationales actuelles et qui risque de placer nos entreprises dans une situation de distorsion de concurrence mortifère. La population mondiale passera de 7, 3 milliards d’habitants aujourd’hui à 9, 5 milliards en 2050. Peut-on imaginer que la France se tienne à l’écart de cette croissance et des besoins nouveaux qui apparaîtront alors ?

Je déplore, madame la ministre, le procès d’intention qui est fait au monde économique par le projet de loi. J’ajoute que la référence à l’année 2012 n’est pas pertinente. Selon les chiffres de l’INSEE, le nombre d’emplois dans le secteur industriel français a baissé de 9 % par an de 1975 à 2014. Selon l’INSEE toujours, la part du secteur industriel dans le PIB est passée de 30 % à 19 % sur la même période. Enfin, dans le même temps, la production énergétique est passée de 45 millions tonnes équivalent pétrole, ou TEP, à 29 millions de TEP. Dès lors, prendre l’année 2012 pour référence semble pénalisant. Les entreprises du milieu industriel ont besoin de reconquête si elles veulent redevenir sources d’emplois. L’industrie doit être à nouveau la pierre angulaire de notre richesse nationale.

En deuxième lieu, je crains de voir apparaître de nouvelles mesures synonymes de lourdeurs administratives pour les entreprises, alors qu’une vraie simplification de la vie des entreprises et de la vie des Français s’impose. Après son examen à l’Assemblée nationale, le présent texte est passé de 64 articles à 173, lesquels nécessitent près de 100 mesures réglementaires. Quelle est la lisibilité pour les entreprises dans ces conditions ?

En troisième lieu, je regrette que la dimension communautaire soit absente du projet de loi. On veut l’Europe, la France fait partie de la zone euro ; pourtant, aucune disposition n’en fait mention. Une transition énergétique réussie ne se fera pas sans l’Europe, madame la ministre ; la France ne pourra pas non plus mener seule la transition énergétique qui s’impose à l’Europe et au monde, parce qu’elle veut être exemplaire. Ce faisant, elle risquerait en effet de plomber son économie, prise en tenaille par les distorsions de concurrence sur le continent.

Cela étant, je tiens à souligner les impacts positifs que la politique de transition énergétique pourrait avoir sur nos entreprises, si nous prenons le parti de la raison et du bon sens économique. La production de l’énergie est avant tout une source de richesse et d’emplois sur nos territoires. Je partage votre propos sur ce point, madame la ministre.

La transition énergétique doit être l’occasion d’exploiter nos ressources, tout en les préservant : les ressources forestières, avec la biomasse ; les ressources agricoles, avec la méthanisation ; les ressources maritimes, bien sûr. Soyons ambitieux, mes chers collègues, et ne soyons pas timides !

Notre ambition en matière de transition énergétique doit croiser notre volonté dans le domaine économique, notre conception du rôle de la France au sein de l’Union européenne et dans un monde qui, à horizon de 2050, comptera 9, 5 milliards d’habitants. Cette ambition, madame la ministre, doit aussi être acceptée par la population ; elle doit se conjuguer avec la nécessaire reconquête industrielle, avec la création d’emplois, avec la préservation de notre modèle social, avec la richesse et la diversité territoriale de la France. C’est ainsi que la transition énergétique peut se trouver enrichie du travail de notre assemblée, le Sénat.

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