Quels sont les effets de l'accord douanier signé en mai 2014 entre l'Union européenne et la Chine ?
Qu'en est-il de la spéculation sur les terres agricoles en Afrique et peut-être ailleurs ?
Quelle est la politique de la Chine à l'égard de l'islam ?
Professeur François Godement. - Je commencerai par répondre aux questions politiques. Le bilan de l'évolution vers la démocratie et l'Etat de droit est entièrement négatif depuis deux ans. C'est le point le plus sombre de la politique de Xi Jinping, qui a commencé son mandat en déclarant que la politique suivie par Mikhaïl Gorbatchev en 1989-1991 avait été une catastrophe. Actuellement, non seulement les dissidents subissent des persécutions, mais aussi leurs avocats, et même parfois les avocats de leurs avocats... Cette question devient préoccupante à tous les niveaux, car, à l'exception de quelques ténors directement liés à certains dirigeants, un grand silence s'est établi sur beaucoup de sujets. Le politique doit être séparé de l'économique, ce qui est problématique pour l'équilibre des politiques occidentales.
La situation au Xinjiang est également sombre. La Chine y a mené une politique que l'on peut qualifier d'assimilationniste, et une politique de développement économique. Ces politiques ont abouti à un développement séparé, à un choc entre communautés. La situation s'est aggravée depuis deux ans : une spirale répressive et une spirale de terrorisme qui se répondent. Bien qu'ils évoquent le lien avec le terrorisme international, les connaisseurs du sujet, en Chine, savent que ce problème a aussi une source autochtone.
Le grand inconvénient, pour nous, de l'Islam, est l'absence d'organisation unifiée des cultes qui permettrait de disposer d'un interlocuteur. Cet inconvénient est un avantage pour la Chine, puisqu'elle refuse tout interlocuteur indépendant, quelle que soit la religion. La Chine s'efforce d'encadrer l'activité des imams et celle d'associations religieuses musulmanes, parfois utilisées pour des échanges avec l'étranger. Cette politique peut être qualifiée de communautaire, mais elle ne doit pas être simplifiée.
S'agissant des questions économiques, nous ne disposons pas de chiffres fiables concernant les investissements chinois en Europe. Il convient de distinguer les investissements directement réalisés par des entités chinoises de ceux qui passent par l'offshore. Les deux tiers des flux de capitaux chinois transitent par des places offshore. La première destination officielle des investissements chinois en Europe est le Luxembourg. Les investissements chinois prennent aussi la forme de prises de participation sous les seuils déclaratifs. L'actionnariat chinois dans les entreprises du CAC 40, ou leurs équivalents étrangers, peut atteindre 4 ou 5 %. Cette progression n'est pas comptabilisée ni agrégée. Il faut y ajouter l'investissement immobilier qui est très important et peu visible.
Qui sont les partenaires chinois ? Les entreprises d'Etat, qui sont très subventionnées, ce qui crée des problèmes concurrentiels, réalisent, sous forme d'investissements directs, 65 à 75 % selon les sources des opérations comptabilisées.
S'agissant des placements et de la monnaie, je ne crois pas que la Chine fasse des choix particuliers. Sa stratégie est tous azimuts et essentiellement financière, plutôt que politique. Tant qu'on la laisse disposer d'une monnaie non complètement convertible mais devenant néanmoins monnaie de réserve, elle n'a aucune raison d'y renoncer. La Chine ne coopère pas complètement sur la question des places offshore, ou à condition que l'on accepte ses propres places, notamment Hong Kong. Elle peut avoir des intérêts parallèles à ceux des Américains ou des Européens en matière de contrôle. Un projet de loi sur les joint-ventures étrangères vient d'être publié en Chine. Il prévoit que les propriétaires physiques des sociétés « parapluie » offshore contrôlant des entreprises à capitaux mixtes devront se déclarer, s'ils veulent bénéficier du statut d'entreprise étrangère. On observe un mouvement vers davantage de contrôle, qui ne s'accompagne pas, au même degré, d'une coopération internationale accrue.
La vente de l'aéroport de Toulouse ne m'a pas choqué dans son principe. Au contraire, nous sommes en retard dans la mise en compétition du financement de nos infrastructures. Ce financement est insuffisant dans un certain nombre de domaines, alors que les taux d'intérêt sont bas. Le mouvement est général en Europe. Les pays de l'Est coopèrent avec la Chine dans le cadre des sommets « 16+1 ». Avec les pays de l'Union européenne, se pose la question du respect des règles des appels d'offres. Les Britanniques n'avancent pas toujours aussi vite qu'ils ne le clament, par exemple dans le domaine ferroviaire, car ils doivent respecter les règles européennes. En Grèce, la privatisation partielle du port du Pirée est un succès économique, le trafic ayant beaucoup augmenté. Des questions réelles se posent, s'agissant notamment des armateurs, mais elles sont distinctes.
En France, nous sommes dans l'entre-deux. Notre politique a évolué. Elle est beaucoup plus favorable qu'auparavant aux investissements chinois, comme en témoigne la tonalité du récent déplacement du Premier ministre en Chine. Néanmoins, il subsiste des réserves. Il serait préférable d'adopter une politique explicite, nous permettant de négocier, plutôt que d'agir implicitement. Ce qui m'a choqué, dans le cas de l'aéroport de Toulouse, est que l'on a dissimulé le fait que les décisions stratégiques seront prises par l'actionnaire minoritaire chinois, en vertu d'un pacte secret d'actionnaires. Peut-être fallait-il l'accepter, en contrepartie de l'apport de capitaux, mais il aurait mieux valu être explicite plutôt que de tenir un discours ambigu qui se révèlera coûteux politiquement.
Les conséquences de la concurrence entre le Royaume-Uni et la zone euro pèsent sur l'adoption d'une stratégie financière vis-à-vis d'un partenaire comme la Chine. La Commission européenne souhaite atténuer les divergences et trouver un compromis entre Européens, qui se livrent à une véritable course aux investissements.
Aucun accord de libre-échange entre l'Europe et la Chine n'a été conclu pour l'instant. Pendant deux ans et demi, jusqu'en 2013, la Chine s'est dérobée, y compris au dialogue stratégique économique de haut niveau. Elle n'a pas avancé sur le projet de traité bilatéral sur les investissements. Elle a estimé qu'elle avait suffisamment accès aux marchés européens, dans le cadre de relations bilatérales, pour ne pas se préoccuper vraiment de la politique commune. Au moment des sanctions antidumping sur les panneaux solaires, toutefois, la Chine a accepté, pour la première fois, un compromis. Parler d'une seule voix est payant pour l'Europe.
Nous devons être réalistes concernant l'utilité des capitaux chinois et la dureté de la compétition internationale. Toutefois, l'absence d'un attelage européen solide et la concurrence entre Etats membres nous pénalisent, en termes de négociation et pour obtenir l'ouverture des marchés chinois, dont le développement va se poursuivre.
Il est difficile de distinguer ce qui relève du nationalisme et de la stratégie, dans l'optique d'une domination du Pacifique au détriment des Etats-Unis avec une quasi-exclusion de la présence militaire de ce dernier pays dans une certaine zone, de ce qui relève de l'ambition économique et des intérêts pétroliers, gaziers et miniers. L'armée populaire de Chine est, bien entendu, la première à insister sur l'importance économique de cet aspect pour justifier son budget. Je pense que l'enjeu ne se limite pas aux ressources minières. En tout cas, la France a un problème dans ce domaine avec l'incapacité de défendre son domaine maritime, qui est le deuxième mondial : peut-être faudra-t-il même un jour que sa doctrine évolue sur la libre circulation maritime dans les zones économiques exclusives en raison de cette insuffisance de moyens.